Crise écologique et mission de l’église évangélique du camerounpar Clément Hervé KUATE DJILO KUATE DJILO Université Protestante d'Afrique centrale - master 2017 |
II.3- Défis missionnaires actuels pour le clergé de l'EEC.L'époque où nous nous trouvons aujourd'hui, en cette aurore du troisième millénaire, est celle de grands bouleversements dus aux mutations technologiques, politiques et économiques des dernières décennies du siècle précédent. Nous sommes engagés dans un processus irréversible, celui de la mondialisation, soutenu par une révolution technique en électronique, en informatique et en réseautique avec le développement exponentiel de l'Internet et des technologies de pointe. Ce phénomène mondial a des répercussions immédiates sur notre vie individuelle et ecclésiale. C'est une réalité complexe dont les effets sont contradictoires. D'une part, elle renforce l'intégration des pays jusque-là marginaux, elle favorise la rencontre entre les hommes et les cultures. Le premier défi est celui de la contextualisation de l'évangile car « le pionnier ou l'envoyé missionnaire qui arrive dans un nouveau champ de travail rassemble de nouveaux croyants autour de lui. Il garde à l'esprit l'église et la culture qui l'a envoyé. Son église d'origine représente souvent dans son subconscient l'image à laquelle l'église nouvellement implanté devrait ressembler. »43(*) Au sein de notre société, il existe pourtant une vraie faim spirituelle. Le religieux retrouve parfois une place, mais de manière ambiguë et contestable : est apparue une sacralité hyper-individualiste des gnoses, des sectes, ou plus généralement des syncrétismes individuels à l'intérieur de laquelle s'élabore un scientisme de l'invisible, qui va souvent de pair avec un refus du risque de la foi et de l'engagement personnel. Qu'elle le veuille ou non, l'EEC se trouve désormais sectorisée et privatisée, se présentant, de l'extérieur, comme une offre parmi d'autres sur le grand marché des courants de pensées, des religions et des sectes, où comme chacun sait, le client est roi. Cette indifférenciation extérieure suscite fort logiquement la dérision ou l'indifférence, et cela doit interpeller notre conscience ecclésiale. Face à la situation de reconfiguration radicale du monde et aux crises de mutation qui l'accompagnent, nous devons, pour aborder les défis du temps présent, tenter tout d'abord de revenir à une question simple : quels sont les défis qui attendent l'EEC de nos jours ? Quel est son être profond et quelle est sa vocation ? L'EEC est appelée, en effet, à être le bon levain dans la pâte du monde pour faire advenir le règne de Dieu sur terre. Église et monde sont donc des réalités coextensives. De même que le Christ s'est offert en oblation, l'Église qui est son Corps, existe non pas pour elle-même, mais pour le monde que Dieu a créé par pure bonté, et qu'il destine à une communion plénière avec Lui, au Banquet des derniers jours qui est le terme de l'Histoire. C'est ça le défi spirituel à relever en Afrique aujourd'hui car Satan ne cède pas le terrain sans livrer bataille. Au Cameroun, la question du rôle de l'Eglise dans le développement du pays est un sujet courant et facile à comprendre. Ce dernier pense que c'est le `'blanc'' qui doit développer son continent comme le constate Paul KEIDEL « l'étranger est perçu comme une source de richesses illimitées à partager avec les membres pauvres de la famille de Dieu. Ce sentiment s'appuie sur la constation qu'en général la société missionnaire offre une aide financière lors des campagnes d'évangélisation, l'expansion missionnaire, la construction d'écoles, d'églises, d'hôpitaux ou de cliniques. »44(*) Dans le cas d'espèce au Cameroun, les églises se sont vues engagées dans le processus de développement de leurs pays respectifs suite à deux faits essentiels : L'action missionnaire a trouvé que les activités de développement constituaient un moyen important pour gagner les populations locales pauvres à la foi chrétienne. Ensuite, la faiblesse de l'engagement de l'état dans les domaines économique et sociale a poussé les églises à se substituer en acteurs de développement. Dans un passé très récent, la plupart des églises d'Afrique ne considérait la paix comme un ingrédient essentiel de développement. Ainsi les églises étaient totalement absentes dans le domaine de prévention des conflits. Avec les guerres qui ont sévi dans plusieurs régions en Afrique avec ses conséquences incalculables sur le plan humain et économique, les églises sont arrivées à l'évidence que la paix est le socle du développement. L'éducation est un autre défi que les églises doivent lever en vue de maximiser leur apport au processus de développement dans la région. Etant donné que les églises sont fortement engagées dans le domaine de l'enseignement, elles devraient profiter de cette opportunité sans égal pour transformer l'éducation de jeunes générations. L'EEC doit débarrasser son enseignement de l'approche paternaliste et promouvoir la culture de la démocratie qui favorise l'esprit critique et la créativité. Une telle éducation permettrait aussi à nos populations d'éviter les préjugés qui sont à la base des discriminations, source de conflits et de mettre à profit les diversités des valeurs de nos sociétés. Pour le chercheur Sévérin Cécile ABEGA, l'éducation est importante « dans la mesure où elle ouvre les esprits et les forme »45(*) Un autre défi à relever est la gestion des affaires ou encore la bonne gouvernance. Quand la mauvaise gestion est tolérée dans un Etat, elle se transforme en une culture ou en un mode de vie qui finit par affecter tous les autres secteurs de la vie nationale, y compris même les églises. Dans ces circonstances, l'EEC devrait se ressaisir et se rappeler sa vocation d'être un modèle pour la société. Par là nous ne voulons pas du tout parler de prime abord de perfection, car nous sommes conscients que l'EEC peut ne pas avoir l'expertise voulue pour atteindre cette perfection. Nous aimerions tout simplement nous inspirer de l'adage selon laquelle, c'est en forgeant qu'on devient forgeron. Des petites réformes dans la conduite des affaires au sein de nos églises pourront déclencher des changements importants dans nos églises et dans nos sociétés. Un autre défi pour la mission est la lutte contre la pauvreté. La mission de l'église est de participer au mouvement de libération humaine de notre temps de manière à témoigner Jésus-Christ comme la source de la spiritualité authentique ; mais il faut relever que la pauvreté, voire la misère, constitue un obstacle à ce message de libération. Comment un missionnaire peut-il partager la souffrance matérielle de ses fidèles mal nourris et mal logés ? A cette question, EC BLAKE disait : « un homme qui a faim ne peut écouter qu'une bonne nouvelle : celle d'une nourriture que lui et sa famille pourront manger. Il ne lui est pas possible d'entendre ce qu'un homme bien nourri peut lui dire même s'il parle de Jésus-Christ. »46(*) Un homme qui vit dans une effrayante pauvreté ne saurait s'ouvrir à la bonne nouvelle prêchée lorsque les besoins vitaux constituent un grave problème pour que le corps, l'âme et l'esprit soient disposés à s'ouvrir au message du salut. Avec les pressions de la mondialisation un autre défi à relever est celui du sécularisme.Avec les progrès scientifiques et techniques, les mutations, la mondialisation, l'administration missionnaire ont conduit à une administration de type séculier avec la création des départements, l'usage des titres tels que président, secrétaire etc., la mission a ainsi déraillé de son identité et de son fonctionnement comme entité ecclésiale pour fonctionner comme toute autre organisation séculière. Dans cette mesure, la dimension spirituelle a été reléguée au second plan. Ce qui fait que l'église a plus fonctionné comme institution que comme corps du Christ. Le missionnaire actuel doit faire face au syncrétisme ; car l'Africain s'obstine à s'adapter ou de feindre de s'adapter à la vision du monde occidental. La vie quotidienne, le besoin des relations avec sa tradition, sa culture, ses coutumes et ses rites sont restées intactes d'où un risque d'amalgame du christianisme occidental avec l'animisme. L'église devient juste un lieu où l'on recherche des réponses pour l'explication de la médecine moderne le développement ou simplement le lieu de la communion fraternelle, de culte et des autres activités d'Eglise. Klauspeter BLASER pense qu'il faille devant cette situation, insister « sur la nécessité de traduire l'Evangile partout et pour chaque époque. Cette traduction ne consiste pas seulement à annoncer le texte biblique dans la langue courante des destinataires, mais elle nécessite aussi une mise en forme, une véritable transposition du message qui corresponde aux contextes nouveaux, aux relations et aux structures sociales actuelles. »47(*) Pour les questions difficiles de maladies incurables, des manifestations des mauvais esprits, des mauvais sorts, des attaques démoniaques, il faut faire parfois recours aux pratiques de la tradition africaine qui, pour l'africain traditionnel semble donner des réponses valables à ses problèmes. Ainsi, la solution demeure celle de rester à la fois attaché à l'église pour des besoins de communion fraternelle et continuer à s'attacher aux traditions africaines pour répondre aux besoins relatifs au monde des esprits que le discipolat a avéré ne pas aborder. Jean-Marc ELA à ce propos affirme au contraire que « le christianisme fut utilisé comme une arme efficace pour le bien des colonisés c'est-à-dire comme un moyen pour leur apporter le civilisation en luttant contre les pratiques religieuses et sociale traditionnelles ».48(*) Au regard de l'objectif missionnaire, on assiste à un christianisme de surface et la profondeur demeure toujours problématique. A la notion de gestion est liée aussi celle de leadership. Une bonne gestion ou une bonne gouvernance exige un bon leadership. En effet on se rend compte que le gros des reproches des réformateurs n'était pas essentiellement focalisé sur l'enseignement de l'Eglise comme tel, mais plutôt sur des pratiques non conformes aux écritures saintes au sein de la hiérarchie de l'Eglise qui interprétait les écritures pour le besoin de la cause. C'était donc la qualité de leur leadership qui était premièrement mise en question. Sur base de cette expérience de la réforme et de notre propre expérience dans nos églises et dans notre société, nous sommes appelés à développer une nouvelle forme de leadership qui influence d'autres à devenir plus capables à remplir leurs tâche d'une manière plus efficiente. Paul KEIDEL lui, pense que « des leaders bien équipés édifient de solides communautés »49(*) Si les églises réussissent à se doter d'un tel leadership, alors elles seront capables de contribuer à la promotion de la bonne gouvernance dans les institutions de nos pays respectifs et par voie de conséquence, elles auront contribué efficacement au développement de nos pays. En dépit de leur propre faiblesse et des limites de leurs ressources, les églises ont encore un grand rôle à jouer. Mais aussi, tout en évitant le danger de devenir des caisses de résonnance des gouvernants, elles devraient interpeller ces derniers à prévoir dans les budgets d'Etat des subventions devant leur permettre de mieux se mettre au service des populations nécessiteuses. * 43 Paul KEIDEL, Op. Cit., P.101. * 44 Paul KEIDEL, Op. Cit., P.181. * 45 Sévérin Cécile ABEGA, Société Civile et réduction de la Pauvreté, CLE, Yaoundé, 1999, P.116. * 46Congar Y. Pour une église servante et pauvre : l'église au vrai visage, CE, Lauraine, 1963, P. 152 * 47Klauspeter BLASER, Op. Cit., Pp. 22-23. * 48Jean-Marc ELA. Le cri de l'homme africain, l'Harmattan, Paris, 1993, P. 16. * 49 Paul KEIDEL, Op. Cit., P.129. |
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