TROISIEME CHAPITRE
REGARD CRIMINOLOGIQUE SUR LES SERVICES FINANCIERS
MOBILES : MOBILE MONEY
[Les hommes et les affaires ont
leur point de perspective. Il y en a dont on ne juge jamais si
bien que quand on en est éloigné et d'autres
qu'il faut voir de plus près pour en bien
juger. Duc de la Rochefoucauld, Maximes]
Le présent chapitre met en lumière les formes de
criminalité qui se vivent dans les services financiers mobiles (mobile
money). Ce chapitre récence les informations possibles
en rapport notre objet et notre question de recherche, sans
oublier les questions connexes. De manière
détaillée, il répond à la question
de recherche suivante : Quelle analyse porter sur les
formes de criminalité dans les services financiers via le
téléphone portable ? Autrement dit,
comment comprendre les formes de criminalité dans les
services financiers via mobile money ?
Rappelons que cette question centrale est accompagnée
des questions connexes ci-après: Quels sont les
acteurs impliqués dans les services financiers via mobile money ? De
quelle manière les dossiers judiciaires relatifs au mobile money
sont-ils pris en charge à Lubumbashi ?
Enfin, Quels peuvent être les facteurs à
la base de la vulnérabilité dans les services financiers via
mobile money ?
Pour y répondre, nous avons
structuré ce chapitre en six principales sections :
Dans la première, nous identifions les
acteurs clés impliqués dans les services financiers via mobile
money. Dans la deuxième section, nous
mettons en lumière les différentes formes de criminalité
observées dans les services financiers mobiles, la
troisième essaye de démontrer la manière dont la justice
prend en charge les dossiers relatifs au mobile money. La
quatrième section essaye d'expliquer les facteurs
à la base de la vulnérabilité dans les services financiers
mobiles. La cinquième donne un aperçu
général sur l'évolution technologique du
téléphone portable et en plus cherchera à comprendre la
manière dont ces acteurs se servent de cet outil technologique pour
réaliser les projets de déviance. Enfin la sixième et
dernière section propose un mécanisme de sécurité
dans les services financiers via mobile money.
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Section I. Acteurs de l' «
écosystème » des services monétaires par
téléphonie mobile (mobile money)
Nous référant à Michel Crozier et Erhard
Friedberg (1977), un acteur n'est pas celui
qui tient un rôle (on considère alors l'individu
enfermé, même de son plein gré) ;
c'est celui qui agit dans la
situation.
Pour les auteurs, l'acteur
est celui qui adopte des stratégies qui tiennent compte des relations de
pouvoir et qui majorent ses gains personnels. Il dispose
d'une certaine autonomie et est capable de prendre une
décision. Il n'a pas
d'objectif clair ; ceux-ci sont
multiples, plus ou moins contradictoires. Il
a un comportement actif, qui n'est jamais
déterminé (« même la passivité est toujours le
résultat d'un choix »), et qui a
toujours un sens, son comportement a toujours deux aspects
: un aspect offensif (la saisie
d'opportunité en vue
d'améliorer sa situation) et un aspect défensif
(maintenir et élargir sa marge de liberté).
« Les acteurs individuels ou collectifs ne peuvent jamais
être réduits à des fonctions abstraites et
désincarnées.
Les auteurs renchérissent que ce sont des acteurs
à part entière qui, à
l'intérieur des contraintes souvent très lourdes
que leur impose « le système », disposent
d'une marge de liberté qu'ils
utilisent de façon stratégique dans leurs interactions avec les
autres ».
Rappelons que le mobile money est un outil important pour
l'inclusion financière. Il permet
d'insérer dans le circuit bancaire une tranche
importante de la population qui avant était non
bancarisée. La plate-forme type des services
monétaires mobiles met en présence plusieurs acteurs et parties
prenantes qui ont des rôles différents et retirent divers
avantages de l'ensemble de
l'«écosystème» (Jenkis,
B., 2008).
S'appuyant sur la manière dont Michel
Crozier et Erhard Friedberg conçoivent un acteur, deux
catégories majeures d'acteurs ayant en leur sein des
sous-catégories émargent dans les services financiers via mobile
money. L'utilisation du mobile money met en
jeu plusieurs intervenants (acteurs) ; il
s'agit d'une part des acteurs
internes, de l'autre, des
acteurs externes.
a. Acteurs internes
La catégorie d'acteurs internes sont
appelés ainsi par le simple fait qu'ils sont internes
par rapport au système de mobile money. Ils sont
à la fois fabricants du mobile money et distributeurs de ce service. Ce
sont eux qui ont été à la base de
l'existence de cette monnaie numérique,
tandis que les autres ne sont que des acteurs qui subissent les
initiatives
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des premiers. Dans cette
catégorie, figurent les banquiers et les
opérateurs de téléphonie mobile.
? Les banquiers
Les banquiers (à travers les banques centrales)
réglementent le Mobile Money en instituant un partenariat entre
eux, les seules qui ont l'autorisation
d'émettre la monnaie électronique afin de rendre
le service accessible à leurs clients.
C'est donc la banque qui est
l'unique dépositaire de tous les fonds virtuels
circulant sur la plate-forme Mobile Money.
La banque partenaire gère l'argent
équivalent aux flottes virtuelles qui circulent dans les comptes «
mobile money ». Elle contrôle et garantit
l'émission de la monnaie électronique,
assure la conformité des opérations avec les lois en
vigueur relatives au blanchiment d'argent et au financement du
terrorisme.
? Opérateurs de téléphonie ou
réseau mobile
Un opérateur de réseaux mobiles (ORM) est toute
personne physique ou morale qui a comme mission de mettre à la
portée non seulement des clients mais aussi des vendeurs des services
liés au mobile money. Il fournit
l'infrastructure des services monétaires mobiles et
amène une clientèle qui utilise déjà ses services
de communication.
Les ORM assurent la conformité aux
réglementations et à la politique du pays en matière de
télécommunications. Ils sont nombreux à
s'être fait un nom grâce à leurs campagnes
de commercialisation et aux services qu'ils
fournissent. Les services monétaires mobiles sont
avantageux pour les ORM, car c'est un moyen
pour eux de fidéliser leur clientèle, de
réduire les coûts de distribution du temps de consommation et
d'exploiter une nouvelle source de
revenus.
L'opérateur de
téléphonie mobile est chargé à la fois de
développer le réseau Mobile Money, de fournir
les Sims aux clients, et généralement de
gérer la plate forme Mobile Money. Celui-ci obtient de
l'argent virtuel par le dépôt
d'un équivalent de trésorerie physique à
la banque. On appelle également le marchand par le fait
que c'est lui qui reçoit les paiements des clients
mobile money. Il est aussi comme un autre agent (de la banque)
voilà pourquoi certains auteurs l'appellent «
super agent ».
Dans le cas d'espèce,
il s'agit de toutes les maisons de
télécommunications (Vodacom, Airtel et Orange)
offrant des services financiers mobiles (M-Pesa, Airtel money
et Orange money) à leur clientèle.
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? Agents officiels
Dans le cadre de ce travail, ces
opérateurs étant des personnes morales, sont
représentés par une catégorie que nous appelons «
agents officiels » oeuvrant au sein des organisations,
leurs employeuses. Ce sont des agents
recrutés, formés et engagés par ces
opérateurs. Ceux-ci ont comme mission de
répondre à toutes les plaintes d'ordre technique
et transactionnel que les clients rencontrent. Ce sont eux qui
gèrent au quotidien tous les problèmes liés au mobile
money, notamment l'ouverture des comptes
mobiles, le déblocage des comptes mobiles
bloqués, le contrôle des services
financiers, la restauration des PIN oubliés par leurs
propriétaires, la vente des SIM11 actives et
SIM blanches...
Comme le confirme monsieur Kamalondo, agent
débrouillard (non employé) chez Vodacom RDC,
cette catégorie d'acteurs est en
étroite collaboration avec les agents officiels représentant les
opérateurs de téléphonie mobile.
« Oui, nous collaborons et
d'ailleurs la plupart des travailleurs qui sont à
l'intérieur sont nos amis avec qui,
nous avons commencé ici. Parce
qu'il arrive que s'ils ont parfois besoin de
quelqu'un à prendre ; ils prennent toujours parmi nous
ici. On ne doit pas aller chercher quelqu'un
à la cité ou en ville ici qui ne connait rien ; ils prennent
toujours parmi nous parce qu'ils savent que nous connaissons
déjà le travail et même s'il faudra
qu'on m'ajoute d'autres
connaissances ça ne sera pas beaucoup. Ce qui fait que
quand on traîne ici ; c'est parfois dans
l'espoir d'entrer un toujours à
l'intérieur ».
A la question de savoir dans quelles circonstances les agents
débrouillards collaborent avec les officiels, monsieur
Kampemba, agent officiel de Airtel dit ceci
:
« Oui ! Parmi eux il y a des amis et même des
frères, comment on ne peut pas collaborer ?
D'ailleurs, au-delà
même des relations amicales et parentales, ils sont
aussi agents comme nous même s'ils ne sont pas
payés par l'entreprise. Pour votre
information, un client qui passe par eux peut être bien
servi que ceux qui viennent ici directement ».
11 Suscriber Identify Module ou Identification
Module en français
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