II. EXTERNALISATION ET SUPPLY CHAIN RISK
MANAGEMENT
Aujourd'hui les entreprises sont intégrées dans
une chaîne logistique globale avec des degrés d'interconnexion
organisationnel de plus en plus complexe. L'avantage d'une interconnexion est
d'améliorer l'activité et la compétitivité mais
également d'augmenter la valeur ajoutée de l'entreprise et de la
chaîne globale. Ces avantages s'appliquent également lors d'une
externalisation logistique, mais il faut prendre en compte les changements et
les risques que cela amène. Pourtant les entreprises peuvent avoir
tendance à négliger et atténuer les risques liés
à une externalisation
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logistique. Il convient donc de connaitre les risques auxquels
on s'expose, de les anticiper et de les gérer.
1. Variabilité des risques liés à une
externalisation logistique
De nombreuse classification des risques liés à
l'externalisation sont proposées sur internet, vous en trouverez une en
tant qu'exemple en annexe 9. Nous avons choisi de présenter les risques
qui nous semble les plus important dans le cas d'une logistique
externalisée sans faire de classement spécifique.
Perte de qualité :
Lors d'une externalisation logistique la qualité peut
se définir comme « La conformité de l'ensemble de la
prestation autour d'un produit et non plus seulement la conformité
intrinsèque du produit. » 4 Mais le maintien de cette
qualité le long de la chaîne logistique peut être mis
à mal lorsqu'on externalise notre logistique. Voici quelques exemples de
circonstances pouvant perturber cette qualité :
? De mauvaises conditions de stockage, d'emballage, de
manutention ou bien un transport non adapté au produit
? Un prestataire n'accordant que peu d'importance à sa
qualité de service
? Un manque d'expérience du prestataire et donc
celui-ci n'a pas l'habitude de traiter ce type de demandes
? La perte d'employés-clés affaiblissant le
système et les processus mis en place par le prestataire pour son
client
Pour éviter une diminution de la qualité dans
notre chaîne logistique, il convient de bien décrire au
prestataire les caractéristiques et spécificités du
produit ou du service et le niveau de qualité attendue. Cette
qualité doit être définies dans le contrat en prenant en
compte la présence du prestataire dès qu'il est lié
directement ou indirectement dans un processus ou une tâche.
4 Qualité / Logistique : des métiers
de l'exigence à fort potentiel d'emploi, Nicolas Desfray
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Perte de confidentialité
:
Dès lors que l'on contractualise avec un prestataire,
on peut être exposer à un risque de manque de
confidentialité et de perte de sécurité des informations
pouvant même aller jusqu'à la divulgation à des concurrents
d'informations pertinentes. C'est pourquoi dans le contrat d'externalisation il
est nécessaire de définir les clauses de protection des
données afin de garantir une sécurité. En plus de ces
clauses il faudra assurer un suivi de gestion et de contrôle de ce
risque. Que ce soit sur le plan opérationnel ou sur le plan financier
cette gestion n'est pas à négliger. Par exemple la mise en place
d'un système de surveillance à un coût à prendre en
considération lorsqu'on choisit d'externaliser. Cependant, les standards
de confidentialité adoptés par les prestataires sont en
général bien détaillés et étoffés car
il en va de leur réputation de ne pas faire défaut à leurs
clients. Mais ce risque reste tout de même un point sensible qu'il faut
surveiller car les conséquences peuvent être dramatiques pour
l'entreprise en fonction des informations divulguées et des acteurs
recevant les informations.
Perte de vision :
L'externalisation de la logistique peut provoquer une perte de
vision pour l'entreprise cliente sur le processus qu'elle externalise mais
aussi sur les acteurs de la chaîne qui sont associés au processus
externalisé. A contrario le prestataire peut également avoir une
perte de vision dû à un manque de communication notamment.
La conséquence est une rupture des flux à
double-sens :
? Perte de vision aval : Par exemple, si le
prestataire gère l'achat des matières première mais n'a
pas assez de recul pour voir les innovations qui se font sur le marché
pour le produit en question. Ces matières premières risquent de
devenir obsolètes pour rester compétitif, et le client
(l'entreprise receveuse de service) peut perdre la possibilité de voir
les innovations faites en amont de la chaîne logistique car le
prestataire ne voit pas la situation commerciale du client.
? Perte de vision amont : Externaliser la chaîne
logistique amont peut mener à ce que les innovations amont soient
réalisées seulement par les
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prestataires. L'entreprise client s'éloigne alors des
processus amont et peut perdre les connaissances et la vision sur les maillons
en amont de la chaîne.
Si les prestataires sont plus intéressés par la
vente du produit à l'industriel que répondre à la demande
du marché, le produit à un risque de devenir obsolète. Le
prestataire ne doit pas faire barrière entre l'entreprise receveuse de
service et les fournisseurs amont, cette perte de contact est nocive pour la
viabilité de l'activité. C'est pourquoi une bonne gestion des
relations avec le prestataire est nécessaire et doit permettre d'avoir
des contacts directs et communs avec les fournisseurs en amont.
? Exemple sur la perte de vision en amont
- Société Mattel :
Dans le processus d'approvisionnement chaque sous-processus
doit être analysés (innovation, contrôle qualité,
planification ...) afin d'identifier les parties (fournisseur amont,
prestataire, entreprise receveuse de service) les plus efficaces pour
gérer tel ou tel sous-processus dans le but qu'elles en prennent la
direction. Mais en tant que client du prestataire et du fournisseur amont nous
devons superviser et garder un oeil sur les processus au risque d'avoir un
produit ne répondant pas à nos attentes. Parfois le produit est
non conforme sans même que l'on ne le sache dû à un manque
de communication et de visibilité sur la gestion en amont.
On peut par exemple citer le cas de l'organisme Mattel
détenant la filiale Fisher-Price, fabricant américain de jouet
pour enfant. « La société Mattel a été
condamné à une amende de 2,3 millions de dollars pour avoir
commercialisé des jouets contaminés au plomb »
5. En Août 2017 la société Mattel a mené
une enquête sur son sous-traitant Chinois charger de la fabrication de
leurs jouets, ils se sont aperçus des non-conformités et ont
rappelé des millions de jouets à travers le monde. Suite à
ce rappel la justice a été saisie et Mattel a été
condamné a versé cette somme alors que le sous-
traitant a été disculpé par les
autorités chinoises. Mattel n'avait pas adopté la bonne
stratégie et avait perdu la visibilité nécessaire en amont
et c'est donc exposé à des risques.
5 Jouets dangereux: lourde amende pour
Mattel, Publication du journal LeParisien, 2009
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Perte de savoir-faire et de compétences
:
L'externalisation de la logistique peut mener l'entreprise
à ne plus couvrir en interne certaines compétences et
qualifications associées aux fonctions externalisées, cette
expertise peut être en rapport avec un processus ou de
l'équipements spécifiques. En préférant
externaliser, la société peut devenir vulnérable et peut
perdre ces connaissances et son expertise, affaiblissant sa
compétitivité. Ceci peut découler de différentes
causes, comme par exemple :
- Des salariés fautes de pratique peuvent perdre ces
compétences,
- La présence d'un turn - over au sein de la
société s'accompagnant de la perte d'employés ayant les
qualifications pour les tâches externalisées,
- Des évolutions technologiques importantes dans les
processus externalisés provoquant la caducité des qualifications
autrefois d'actualité,
- Un transfert de compétences et de ressources
indispensable pour réaliser des innovations. En outre, l'organisation
peut perdre le contact avec les savoir - faire nouveaux.
Les conséquences d'une perte de savoir en interne va
engendrer d'autres risques, et notamment la dépendance aux prestataires
et aux ressources externes. Cette dépendance entrainant elle -
même d'autres risques comme la diminution du pouvoir de
négociation et la difficulté à réintégrer en
interne les activités. Il est donc important de suivre de près
ces activités, en continuant de réaliser une partie en interne ou
bien en intégrant des salariés de l'entreprise sur des missions
réalisées par le prestataire.
Externaliser trop de connaissances
:
Les connaissances sont les atouts d'une entreprise, ce sont
elles qui ont permis à l'entreprise de naître et de se
développer. Ces compétences font la force de l'entreprise, elles
se situent dans le coeur de métier de la société. Si l'on
fait le choix d'externaliser trop de connaissances faisant partit de notre
« core competence » on s'expose à des risques. La menace est
de créer des concurrents puissants utilisant nos connaissances.
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Exemple de New Balance : Se fait duper par son fournisseur
chinois
On peut citer l'ouvrage «THE SUPPLY-BASED ADVANTAGE»
où l'auteur dans un passage du livre nous parle de sa rencontre avec un
responsable de la société Black & Decker (fabricant
américain d'outillage de bricolage et de jardinage). Le responsable lui
a expliqué qu'ils évaluaient en interne les prestataires sur la
base de plusieurs critères, dont le critère « potentiel
concurrentiel ». Il explique que certains de leurs fournisseurs sont
localisés dans des pays où la main-d'oeuvre est peu chère
et si ces fournisseurs acquièrent trop de connaissances de l'entreprise
client, le risque est qu'ils deviennent des concurrents.
Le responsable parle ensuite de la société New
Balance (équipementier sportif Américain) ayant rencontrée
des problèmes en décidant d'externaliser sa production au
marché Chinois. Il y a quelques années la société
New Balance a surpris un de leur fournisseur chinois passer une commande de
matière première pour la production de 500 millions de paires. La
marque n'avait pas passé commande pour ces paires. Dans la même
période, il y a eu l'apparition de contrefaçons en Europe de
l'Ouest et au Japon. New Balance a alors fait le lien, elle a alors rompu les
contrats avec ce fournisseur de longue date et a repensé sa
stratégie et sa base fournisseur. Ils ont fait le choix de
réduire leur nombre de fournisseurs ayant leurs usines basées en
Chine et ont installé une gouvernance plus stricte et plus proche de
leurs prestataires.
Ce qui a été mis en évidence est le
partage de trop de connaissances mais aussi la différence de culture
entre les deux organisations. Les écarts de culture sont aussi
considérés comme un facteur d'échec. Le vice -
président des ventes internationales de New Balance s'est exprimé
en disant « Une fois que vous leur avez appris à fabriquer, tout le
monde peut le faire. Cela peut arriver à n'importe lequel de nos
fournisseurs, n'importe où dans le monde » En d'autres termes
« le choix d'une externalisation poussée allant jusqu'à
la conception et/ou la vente du produit peut amener à la création
de concurrents, antithèse de l'avantage concurrentiel » 6 .
6 The Supply Chain Bases Advantage, Stephen
C. Rogers
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Opportunisme :
Il s'avère que l'engagement d'un prestataire de service
peut être favorable pour se recentrer sur son coeur de métier.
Mais d'autres fois, ce prestataire cherche à répondre à
ses besoins commerciaux avant de répondre à ceux de ses clients.
Les risques d`opportunisme sont nombreux :
- Une mauvaise relation avec son prestataire, l'exploitation
de celui-ci peut se retourner contre le client en question en engendrant des
attitudes opportunistes.
- Le prestataire dans le cadre de sa mission peut avoir
accès à des informations confidentielles entrant dans un cadre
stratégique. S'il est mal intentionné il peut utiliser ces
informations à des fins d'enrichissement et les divulguer à des
concurrents dans le but de travailler avec eux.
- Une négligence du prestataire pour sa mission et le
non-respect du contrat pouvant entraîner une diminution de la
qualité de service (sans diminution des tarifs), des retards
d'exécution, une augmentation des prix sans raisons apparentes ...
- La surexploitation de ressources communes de la part du
prestataire. Il peut par exemple utiliser des ressources communes qu'elles
soient humaines ou matérielles pour son propre compte et pour d'autres
de ses clients.
- Le non-respect du contrat et des missions à la charge
du prestataire. Son but peut être de travailler et créer de la
valeur ajoutée pour son propre compte au détriment de son client.
On pourrait constater la falsification de ressources ou d'informations, la
duplicité de sa stratégie (par exemple sous-traiter en cascade
sans en avertir son client).
Exemple du prestataire AEY : Quand les fournisseurs
volent la valeur au lieu de la créer
Pour exemple d'opportunisme et de falsification on peut citer
l'énorme scandale de fraude sur des contrats logistiques de
l'armée Américaine. Lors de la guerre d'Irak et d'Afghanistan,
l'armée Américaine aurait débloqué près de
290 milliards de dollars d'argent du contribuable. Elle a lancé des
appels d'offre de tout type ouvert aux
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entreprises du secteur privé. On peut notamment
évoquer la société d'armement AEY, elle avait
décroché un contrat avec le Pentagone de 300 millions de dollars
pour fournir l'armée Afghane en munition d'arme. Sous ce contrat il
était spécifié que l'achat d'armement Chinois
étaient interdit. Voulant s'enrichir injustement la
société a acheté un stock de munition
périmée à une société Albanaise qui
elle-même se fournissait sur le marché Chinois. AEY a alors
reconditionné les boîtes de munitions pour cacher leur origine
7 .
A cette époque, de nombreux contrats prêtant
à controverse ont fait l'objet d'enquête judiciaire : double
facturation, ristourne, pots-de-vin, conflit d'intérêt
(attribution de contrats à des entreprises liées à des
employés du gouvernement sans processus d'appel d'offre).
Ce risque peut découler d'un autre cité
précédemment : « La perte de vision » en amont (Exemple
de l'entreprise Mattel). La conclusion est qu'une gouvernance limitée,
des systèmes d'information médiocres, un manque de
compétence et de processus cohérant de gestion des fournisseurs
et des sources d'approvisionnement amène à un mauvais
contrôle des dépenses.
Le risque social :
Lors d'une externalisation le risque social est l'une des
premières menaces auquel
on peut se confronter. Un changement de gestion lié
à une externalisation impact directement les salariés. En effet
deux volets principaux sont à prendre en compte :
- Les changements en interne impactent la manière de
travailler des salariés et peuvent amener à une réticence
et une démotivation des salariés du au changement pouvant aller
jusqu'à la suppression de postes. Certains collaborateurs vont
être contre ce changement, pouvant générer des conflits
sociaux.
- L'externalisation peut entraîner un transfert de
personnel, mais ce n'est pas si simple d'un point de vue juridique. Client et
prestataire doivent respecter les dires de l'article L122-12 du code du
travail. Il impose que le transfert dépend d'une « entité
économique autonome » qui par définition signifie un
« ensemble
7 Cette histoire de fraude a été
adaptée au cinéma dans le film War dogs, 2016
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organisé de personnes et d'éléments
corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité
économique poursuivant un objectif propre » 8.
Il faut alors savoir si la logistique est définie comme une
entité économique autonome, si c'est le cas le transfert de
personnel est autorisé.
Dans les deux cas des tensions sociales peuvent être
créées prenant différentes formes : grèves,
diminution de la productivité des salariés, ... Les prestataires
dans une optique stratégique devront accompagner l'entreprise dans cette
démarche d'ingénierie sociale et organisationnelle.
Coûts :
Lors d'une externalisation, la première idée que
l'on se fait est une augmentation de la compétitivité en passant
par une diminution des coûts et une augmentation des gains. Mais cela
s'avère plus complexe, il y aura certes une diminution des coûts
directs mais une création de coûts induits (« cachés
») souvent sous-estimés.
On pourra distinguer différents coûts cachés
:
- Les coûts d'étude de marcher, de recherches de
prestataires (appel d'offre) et d'élaboration du contrat
- Les coûts de pilotage et animation des équipes
- Les coûts d'actualisation des contrats. Pouvant
entraîner une augmentation du prix de la prestation. Et si l'entreprise
est trop dépendante de son prestataire il lui sera difficile de refuser
cette augmentation.
- Les coûts en rapport avec les clauses du contrat
(pénalité, bonus-malus ...) - L'analyse des coûts et le
suivi des activités
D'autres part il arrive que les coûts de
réalisation en interne soient moins élevés qu'en
externalisant. Il faut alors bien réfléchir sur du moyen long
termes aux bénéfices que le partenariat peut nous permettre de
réaliser : développement sur un nouveau marché,
augmentation de la qualité, réduction des délais ... Si
aucun bénéfice ne peut
8 Cass. soc., 28 juin 2000, no 98-43.692
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être constaté sur du moyen long termes il faut se
tourner vers un autre prestataire ou garder en interne son activité
logistique.
Perte de contrôle :
Lorsqu'on externalise sa logistique, si l'on ne met pas des
mesures en place dans le suivi et la gestion des processus l'entreprise peut
perdre pied. L'entreprise cliente peut se retrouver dans une position où
elle ne contrôle plus l'activité ou l'opération qu'elle a
externalisé. Si le contrat n'est pas bien défini et que la
gestion des risques n'est pas performante il peut y avoir de nombreuses
conséquences amenant à une perte de contrôle. Comme par
exemple la dépendance aux prestataires, une image et une
réputation qui se dégrade, une perte de qualité ou de
connaissances ...
Pour contrer ces risques il est donc important que
l'entreprise cliente développe des aptitudes de maitre d'ouvrage et des
outils de gestion appropriés aux fonctions externalisées (tableau
de bord de contrôle et d'audit interne et externe, identification des
dérives ...). Ce management est essentiel pour se défendre et
s'adapter à ces risques mais aussi se conformer à la
variabilité de la demande. Il convient alors de prendre conscience des
risques auxquels on s'expose avant de se lancer dans un processus
d'externalisation des fonctions de la chaîne logistique.
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