INTRODUCTION GENERALE.
1
2
« Il n'est guère de période de l'histoire
où les hommes du moins, les plus conscients d'entre eux_ n'aient
essayé d'affirmer leur liberté à l'encontre du pouvoir.
»1.Cette affirmation de Georges Burdeau rend
véritablement compte de la situation de quête perpétuelle
qui caractérise les libertés publiques dans leurs rapports avec
l'État. Cette quête est davantage accrue en ce qui concerne les
libertés considérées comme hostiles voire
nuisibles2 et susceptibles de compromettre «le régime et
ses dignitaires ».3En effet, il s'agit ici des mouvements
collectifs prenant généralement la forme d'une revendication ou
d'une contestation exprimées à l'occasion des manifestations
exercées à l'endroit du pouvoir politique. En raison de leur
nature instrumentale et généralement politique, lesdites
manifestations constituent des canaux d'extériorisation au premier chef
de la liberté d'opinion et d'expression, mais au second plan d'autres
droits fondamentaux tels que les droits politiques et les libertés
syndicales4. C'est donc à dire de manière
générale que les manifestations sont en réalité des
vecteurs5 à travers lesquels s'expriment d'autres
libertés à l'exemple du droit de grève sur lequel nous
nous appesantirons.
Il existe donc inextricablement une corrélation entre
le droit de grève et les manifestations publiques6, que la
doctrine rassemble généralement sous le vocable de « pouvoir
de la rue »7. C'est au regard de l'ampleur et de l'influence
sans cesse grandissante du phénomène dans le monde en
générale et au Cameroun en particulier, que nous
étudierons la question de la police de grève en droit
administratif camerounais. Pour ce faire il conviendra au préalable de
situer l'étude dans un cadre particulier (section I) tout en
spécifiant son objet et sa méthode (section II).
1 BURDEAU (G), Les libertés
publiques, Paris librairie de droit et de jurisprudence, Pichon (R).
et Durand-Auzias (R) 1966 ; P.12
2 METOU (B-M), « vingt ans de contentieux des
libertés publiques au Cameroun », RASJP, vol 8, n°1, 2011,
P.275
3 ALCARAZ (H), LECUCQ (O), La liberté de
manifestation dans, AURELIE DUFFY-MEUNER et PERROUD (T), l'espace public en
Espagne in La liberté de manifester et ses limites : perspective de
droit comparé P.9 4Ibid. P.8
5 Idem
6 CORNU (G) définit justement la
manifestation comme « l'action d'extérioriser un sentiment, une
idée, une volonté, plus spécialement une affirmation
publique, sous forme d'un rassemblement, d'une opinion, de convictions ou de
revendications (...) et qui n'est pas en soi une atteinte à la
tranquillité publique. » voir CORNU (G), vocabulaire juridique,
PUF, 8e éd., 2007, p.636.
7 DUFFY-MEUNER (A) et PERROUD (T) introduction, La
liberté de manifester et ses limites : Perspective de droit
comparé. P.4
3
SECTION I : CADRE DE L'ETUDE
Définir le cadre de l'étude reviendra pour nous
à déterminer le cadre contextuel et le cadre conceptuel de la
présente étude.
I- CADRE CONTEXTUEL
« L'état du droit dans un pays et à un
moment déterminé ne peut se dissocier de phénomènes
plus larges ni être isolé des sources de son contexte
»8 c'est donc en suivant cette logique qu'il sera question ici
de présenter le cadre géographique avant de délimiter le
cadre temporel.
A-Identification du cadre géographique de
l'étude
La question du droit de grève connait aujourd'hui une
forte actualité, et ce dans le monde entier. En effet la tendance est
celle de la montée en puissance des mouvements revendicatifs,
réclamant soit une meilleure protection des libertés soit le
respect de celles-ci9. Cependant, dans le cadre de notre
étude, nous focaliserons notre attention sur le Cameroun, dont
l'actualité est depuis quelques années marquée par un
contexte de fortes tensions au lendemain des élections
présidentielles, auxquelles il faut ajouter les crises anglophones et le
climat d'insécurité qui balaye le pays depuis plusieurs
années.
Si l'on s'accorde sur cette formule selon laquelle « il
est peu de savoir. L'essentiel est de comprendre
»,10conviendra-t-on également que « pour comprendre
il faut comparer, opposer. »11 C'est ainsi que Pour enrichir
notre compréhension relative à cette étude, nous nous
intéresserons accessoirement à certains systèmes
étrangers soit en raison de ce qu'ils peuvent être
considérés comme des référents en matière de
système de protection des droits fondamentaux soit qu'ils partagent avec
le Cameroun un certain attachement historique, ou culturel soit encore en
raison d'une certaine proximité géographique ou territoriale.
D'autres pays non cités pourraient également être
évoqués à titre de comparaison.
8 BERGEL (J.-L), Théorie
générale du droit, Paris Dalloz, 1985, p.3, cité
par ATEBA EYONG (R.)
« L'évolution du fondement idéologique du
droit administratif camerounais », in ONDOA (M.) et E. ABANE ENGOLO (P.)
Les fondements du droit administratif camerounais. Yaoundé, l'Harmattan
CERCAF p. 273
9 DIARRA (A), La protection constitutionnelle des
droits et libertés en Afrique noire francophone, cas du Benin et du
Mali.
10BARTHELEMY (J.) Et DUEZ (P.) Traité
élémentaire de droit constitutionnel Paris Dalloz 1926 ;
cité par KAMTO (K.), Pouvoir et État en Afrique
noire, essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les
États d'Afrique noire francophone. RDJ Paris 1987.P.47
11 Idem.
4
Il s'agit notamment de la France dont l'histoire est
marquée par de nombreuses périodes de crises sociales et de
mouvements révolutionnaires. Récemment encore, l'actualité
était celle de l'occupation des rues lors des mouvements contestataires
tels que la « grève des gilets jaunes, les manifestations anti
« féminicides »12 » ou encore la grève
contre la réforme des retraites entre autres. C'est donc à dire
qu'en matière de gestion des crises sociales, la France connait une
certaine avancée qui devrait inspirer le droit camerounais.
Également nous pourrions nous intéresser au
Bénin en raison de ce qu'il constitue une référence en
matière de constitutionnalisme en Afrique13 et
éventuellement au Gabon et au Tchad compte tenu d'un certain nombre de
rapprochements tant géographique que systémique.
Siéra-t-il à présent de délimiter le cadre temporel
de l'étude.
B- Délimitation du cadre temporel de
l'étude.
Les années 1990 sont marquées par un renouveau
du constitutionnalisme en Afrique noire francophone14. Le Cameroun
n'a pas été épargné par ce vent de changements. En
effet, la période du renouveau constitutionnel en Afrique subsaharienne
s'est matérialisée par la consécration de diverses
libertés publiques15. Comme le relève le professeur
Brusil Metou, « ces textes qui témoignaient de
l'adhésion définitive du Cameroun aux principes de l'État
de droit, donnaient plus de libertés aux citoyens et imposaient à
l'administration de desserrer l'étau des contraintes qui pesaient sur
l'exercice et la jouissance des droits et libertés. »16.
Cette « révolution juridique »17 a donné
naissance le 19 décembre 1990 à une série de textes
juridiques à l'instar de la loi n°90/53, portant liberté
d'association, la loi n°90/54 relative au maintien de l'ordre et la loi
n°90/55 portant régime des réunions et manifestations
publiques entre autres. C'est ainsi que furent jetées par le
législateur camerounais, les bases d'un nouvel ordre juridique «
résolu à se montrer protecteur des libertés.
»18.
12 Il s'agit ici de mouvements de contestations
contre les violences faites aux femmes En France et dans plusieurs pays
d'Europe.
13 Il est le premier pays qui organisera sur le
continent africain une conférence nationale souveraine du 19 au 28
février 1990. Lire à ce propos DIARRA (A.), La protection
constitutionnelle des droits et libertés en Afrique noire francophone,
cas du Benin et du Mali.
14 DIARRA (A), La protection constitutionnelle des
droits et libertés en Afrique noire francophone, cas du Benin et du Mali
P.2
15METOU (B-M) « vingt ans de contentieux des
libertés publiques au Cameroun »p.267
16 Ibid.
17 Ibid. P.268
18 OLINGA (A-D), «vers la garantie
constitutionnelle crédible des droits fondamentaux », fondation
Friedrich Ebert au Cameroun. P.333, cité par METOU (B-M) op. Cit.
p.268
5
Cependant, depuis près d'une décennie, le
Cameroun traverse une période caractérisée par de
nombreuses attaques perpétrées à la fois dans le Nord et
dans l'Est du pays. À cela il convient d'ajouter les crises internes qui
se font de plus en plus ressentir dans l'ensemble du territoire. C'est fort de
cela que le législateur camerounais va en 2014 prendre un certain nombre
de mesures notamment la loi n°2014/028 portant répression du
terrorisme, en vue de contrer la montée en puissance de la vague
d'insécurité et d'instabilité qui prévaut dans le
pays. Dans cette perspective, les libertés publiques seront davantage
encadrées pour certaines, réduites voire interdites pour
d'autres. À tel point que l'exercice de certaines libertés
publiques se confronte de plus en plus à l'exigence de sauvegarde de
l'ordre ou de la sécurité publique. Dans un tel contexte, l'on
serait tenté de s'interroger s'il s'agit du triomphe de la
préoccupation de sécurité sur l'exigence de protection des
libertés19.
Voilà en clair la situation qui prévaut au
Cameroun en matière de libertés publiques en
général. Ainsi focaliserons nous notre étude sur la
période allant des années 1990 : période du renouveau du
constitutionnalisme africain ; jusqu'en 2019. Définissons à
présent le cadre conceptuel de notre étude.
II- CADRE CONCEPTUEL.
Le cadre conceptuel ne peut être abordé
qu'à travers une délimitation du cadre d'étude afin de
mieux définir les concepts.
A-DELIMITATION DU SUJET : LA TRANSVERSALITE DES LIBERTES
PUBLIQUES.
L'analyse du sujet sur les libertés publiques en
générale et le droit de grève en particulier requiert
l'intervention d`éléments relevant de diverses branches du
droit.
1-La dimension relative au droit public.
L'étude des libertés publiques passe
forcément par le droit public tant au niveau interne qu'au niveau
international.
19 LE BOT (O), « La liberté de
manifestation en France : un droit fondamental sur la sellette ? » in,
DUFFY-MEUNER (A) et PERROUD (T) La liberté de manifester et ses limites
: Perspective de droit comparé, p.33
a- 6
Le volet relatif au droit international
public.
« Les principales libertés publiques sont
consacrées par divers textes internationaux »20,
relevait le professeur Metou Brusil pour signifier le
rôle important que joue le droit international public dans la
consécration des droits et libertés des citoyens. À titre
illustratif, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789
dans son article 10 dispose : « Nul ne doit être
inquiété pour ses opinions, même religieuses pourvu que
leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.
».Également, dans le même ordre d'idée, la charte
africaine des droits de l'homme et des peuples précise que « toute
personne a le droit d'exprimer ses opinions dans le cadre des lois et
règlements.» Plus loin encore, la même charte dispose que
« toute personne a le droit de se réunir avec d'autres(...)
»21(cf. infra)
Ces différents textes consacrés sur la
scène internationale seront réceptionnés en droit interne
par le mécanisme de la ratification.
b- Le volet relatif au droit public interne.
L'étude des libertés publiques en
général, des manifestations voire du droit de grève en
particulier, se situe « à la lisière du droit administratif
et du droit constitutionnel». En effet le droit de grève tel qu'il
sera envisagé dans notre étude, fait nécessairement
intervenir les notions d'ordre, de sécurité publique ou
même de puissance publique. On les là au coeur même du droit
administratif plus précisément dans le domaine de la police
administrative22 (cf. Infra). Toutefois les manifestations à
travers l'occupation de l'espace publique, les descentes dans les rues en
général, constituent le plus souvent de véritables «
moteurs de changement constitutionnel »23. Cela dit, le
«pouvoir de la rue court-circuite le mécanisme de démocratie
représentative. »24 Il parait donc évident que
notre étude nous plongera également dans les méandres du
droit constitutionnel.
Au-delà du droit public, la discipline que constituent
le droit des libertés publiques fait également intervenir des
éléments qui en réalité ressortissent du droit
privé.
20 METOU (B-M) « vingt ans de contentieux des
libertés publiques au Cameroun »op. cit P.269
21 Confère infra
22 DUFFY-MEUNER (A.) et PERROUD (T.) La liberté
de manifester et ses limites : Perspective de droit comparé; op.cit. ;
p.4
23 Ibid.
24 Idem.
7
2- L'intervention des éléments de droit
privé.
Il s'agira ici concrètement de l'office du juge
judiciaire soit en tant que protecteur des droits et libertés, soit en
tant que sanctionnateur des infractions.
a- Le juge judiciaire dans les libertés
publiques.
Les circonstances historiques de la naissance des juridictions
administratives, notamment les souvenirs de l'époque relative à
la justice retenue ou aux ministres juges, expliquent « que l'esprit
libéral ait considéré celles-ci avec
suspicion»25 ; affirmait Charles Debbasch dans
le cadre de la compétence du juge judiciaire en droit administratif.
Également, rajoutait-il, « trop lié à
l'administration, on ne leur fait pas confiance pour défendre les droits
fondamentaux des individus dans le système libéral.
».26
C'est sur la base de ces a priori
que le juge judiciaire est naturellement considéré
comme le meilleur garant des droits et libertés
fondamentaux27. Mais en réalité, ces
considérations peuvent être relativisées. En effet, le juge
administratif, plus habitué que le juge judiciaire en ce qui concerne le
contrôle de l'administration, est mieux outillé pour
défendre les citoyens face à la puissance
publique.28
En tout état de cause, l'on peut retenir ici que
l'office de protecteur des libertés reconnu au juge judiciaire, justifie
son rôle capital dans la protection des libertés publiques. Qu'en
est-il en matière répressive ?
b- Le droit et la procédure pénale dans les
libertés publiques.
Le droit pénal peut être défini ici comme
l'ensemble des règles ayant pour objet la définition des
infractions ainsi que des sanctions qui leurs sont applicables29. En
effet, des infractions peuvent résulter de l'irrespect par les
administrés des règles et conditions relatives à
l'exercice de telle ou telle autre liberté, voire pendant l'exercice
même d'une liberté. À titre illustratif, lors des
manifestations publiques, des actes répréhensibles peuvent
être commis soit par les manifestants, soit par les autorités en
charges du maintien de l'ordre. De telles infractions ressortissent de la
compétence du juge de droit commun en matière
répressive.
25 DEBBASCH (C.), RICCI (J.-C.), Contentieux
administratif 6e édition, précis Dalloz,
1994, p.69.
26 Ibid.
27 Une des spécificités du droit
camerounais est la dévolution de La compétence en matière
de contentieux des manifestations publiques au juge judiciaire. Voir infra
28 Ibid.
29 Lexique des termes juridiques, 25e
éd., Dalloz, Paris, 2017-2018
8
La procédure pénale quant à elle
s'appréhende comme l'ensemble des règles qui définissent
la manière de procéder pour la constatation des infractions,
l'instrument préparatoire, les poursuites et le jugement des
délinquants.30 Le respect des règles de
procédure pénale constitue une garantie dans l'exercice des
libertés publiques. En effet, elle met les citoyens à l'abri des
poursuites, des arrestations, voire des condamnations abusives. C'est donc
à dire comme l'explique le professeur D. Dechenaud, que
le droit pénal et le droit des libertés entretiennent des
rapports particuliers31 et ce à plusieurs titres. D'une part,
le droit pénal peut être analysé comme le protecteur des
libertés ; d'autre part il peut être vu comme un conciliateur des
différentes libertés32. Mais, on le verra plus loin
dans notre réflexion, le droit pénal peut également avoir
une influence négative sur les libertés.
En clair, la transversalité des libertés
publiques33 et par ricochet de notre sujet d'étude
s'apprécie à travers le caractère épars des
éléments qui ressortissent de diverses disciplines du droit.
Reste-il à définir les concepts afin d'avoir une meilleure
compréhension de notre sujet d'étude.
B- DEFINITION DES CONCEPTS : LA POLICE DE LA GREVE EN
DROIT
ADMINISTRATIF CAMEROUNAIS.
La compréhension de notre sujet nécessite que
les concepts ou notions clés soient clairement définis. C'est
dans cette perspective que nous aborderons notionnellement d'une part la police
de la grève (1) et d'autre part le droit administratif camerounais.
2- Le concept police de la grève.
Définir la police de la grève reviendra d'une
part à examiner la notion de police avant de s'appesantir sur celle la
grève d'autre part. C'est ainsi que l'on pourra mieux comprendre ce
groupe de nom.
a- La notion de police.
Dérivé du latin
politia, qui signifie « régime politique,
citoyenneté administration », le mot police désigne
généralement une prérogative de l'État qui consiste
en la règlementation d'un secteur de la vie en société.
Cela dit, l'État détient en principe une exclusivité voire
un
30 Idem.
31 DECHENAUD (D) (http//
www.revuedlf.com/auteurs/dechenaud-david/),
« la pénalisation de l'exercice des libertés » RDLF
2018 chron. n°3
32 Pour d'amples développements à ce
sujet lire DECHENAUD (D) op.cit.
33 METOU (B-M) « vingt ans de contentieux des
libertés publiques » op.cit. ; p. 269.
9
monopole en la matière, d'autant plus qu'il s'agit
là d'une de ses compétences régalienne. Dans le
vocabulaire juridique, le terme police renvoie principalement à deux
entités à savoir police judiciaire d'un côté et
police administrative de l'autre.34
Dans le cadre de notre étude nous analyserons la notion
sous l'angle de la police administrative. En effet celle-ci se confond
très souvent en pratique avec la notion de police judiciaire. Un travail
de distinction s'impose afin de mieux circonscrire notre champ de
réflexion.
Si d'un point de vue théorique, la distinction entre
police administrative et police judiciaire semble aisée, celle-ci
s'avère relativement complexe en pratique. En effet, il convient
d'emblée de préciser que la police administrative incombe au
pouvoir exécutif et son contentieux relève de la juridiction
administrative35. En revanche la police judiciaire quant à
elle relève du pouvoir judiciaire et son contentieux ressortit des
juridictions judiciaires.36 Plus techniquement, relève
J.Rivero, «c'est par leur but qu'elles se distinguent :
préventive, la police administrative tend à éviter qu'un
trouble se produise ou s'aggrave. La police judiciaire, essentiellement
orientée vers la répression, intervient lorsqu'une infraction a
été commise(...) ».37
Cette tentative de distinction ne règle pas de
manière péremptoire la confusion qui existe entre ces deux
notions.
En effet, la police administrative, au-delà de la
prévention qui constitue son champ d'action principiel, peut se
retrouver dans l'action répressive en vue de rétablir l'ordre
troublé. De la même manière, la police judiciaire «
n'a pas une mission répressive38 ; elle prépare la
répression pénale. »39*. Il est un
véritable enchevêtrement qui rend difficile la distinction entre
police judiciaire et police administrative. Indépendamment de la
complexité qui caractérise cette notion, il conviendra de
définir la police administrative comme « une fonction, une
activité(...) qui tend à assurer le maintien de l'ordre public
dans les différents secteurs de la vie
34 RIVERO (J), Droit administratif,
3e Édition, Dalloz 1965 p.369
35 Idem.
36 Idem.
37 Ibid.
38 Ibid.
39 Ibid.
10
sociale et cela, autant que possible en prévenant les
troubles qui pourraient l'atteindre sinon en y mettant fin »40.
Intéressons-nous à présent à la notion de
grève.
a- La notion de grève.
« Phénomène social, la grève n'a pas
le même caractère et la même signification à toutes
les époques et dans tous les pays »41 ; affirmait
Jean Savatier pour rendre compte de la nature évolutive
voire dynamique de la grève depuis ses premières manifestations
jusqu'aux sociétés contemporaines. Aussi, relevait-il, la
permanence ou l'identité des mots ne doit pas cacher les modifications
dans les réalités sociales qu'ils recouvrent.
»42. Cela dit, la grève dans la société
contemporaine ne peut être appréciée comme dans celle du
siècle dernier.43
En effet, la grève au sens classique du terme, depuis
le XIXème siècle, faisait référence « à
une révolte contre l'autorité patronale, de la part des
travailleurs acculés à la révolte »44.Il
s'agissait alors d'une opposition de classe entre bourgeoisie et
prolétariat. Les revendications étaient limitées
uniquement au cadre professionnel et portaient sur des questions relatives au
salaire, à la négociation des conditions de travail entre
autres.
Dès le début du XXème siècle, la
notion va progressivement évoluer et cessera d'être l'apanage des
ouvriers pour s'étendre à d'autres catégories sociales.
Longtemps interdite parce que mettant en cause le principe de continuité
du service publique, l'on assistera finalement à l'ouverture de la
grève à la catégorie des fonctionnaires. L'arrêt
Dehaene marquera la consécration jurisprudentielle du droit de
grève des agents de l'État45. Mais jusque-là ce
droit restait encore fortement limité.
Au fur et à mesure, le droit de grève va
s'étendre aux professions non salariées, (grève des
avocats, des agriculteurs, des transporteurs...etc.) et plus tard aux
activités non professionnelles (grève des étudiants).
À tel point que peu à peu le phénomène a
échappé au cadre syndical. J.Savatier
écrira à cet effet : « chaque fois qu'une
catégorie sociale prend conscience de la possibilité pour eux de
manifester(...) on recourt aujourd'hui à la grève.
»46* ;
40 CHAPUS (R) ; Droit administratif
général, cité par GUESSELE ISSEME L.; l'apport de
la cour suprême au droit administratif camerounais, thèse
présentée en vue de l'obtention du grade de docteur.
Université de Yaoundé II p. 496
41 SAVATIER (J), « la grève dans la
société contemporaine », source Gallica.bnf.fr/
bibliothèque nationale de France. P.308
42 Idem, p.309.
43 Ibid.
44 Ibid, p.310.
45 CE, Ass., 7 juillet 1950, Dehaene, JCP1950, n°
5681.
46 SAVATIER (J) « la grève dans la
société contemporaine », op.cit. p.311
11
cela dit, force est de constater que les syndicats et autres
associations corporatives n'exercent plus le monopole en matière de
contestation sociale, d'autant plus que la liberté de manifestation
publique et par ricochet le droit de grève sont « par essence
d'abord d'exercice individuel (et peuvent) se muer selon (leurs) initiateurs
dans l'exercice collectif.»47
S'il est vrai que beaucoup de grèves ont gardé
leur caractère traditionnel de revendication professionnelle
adressée au patronat, dans le cadre d'un syndicat ; l'on constate
néanmoins que le phénomène de grève a subit une
véritable évolution et constitue désormais un instrument
privilégié des citoyens orienté contre les pouvoirs
publics dont ils contestent la politique48. C'est sous cet angle que
nous aborderons le droit de grève au cours de notre réflexion.
En tout état de cause, la définition
combinée des notions de police et de grève, nous amène
à retenir la police de grève comme une activité de
l'administration qui tend à encadrer les mouvements de contestation ou
de revendication exercés contre les pouvoirs publics ; en vue de
préserver l'ordre public ou de restaurer l'ordre troublé.
Sied-t-il à présent de définir le droit administratif
camerounais.
2-Le concept droit administratif
camerounais.
Le droit administratif tel que appliqué au Cameroun est
d'inspiration française (a); toutefois il ne s'agit pas d'une copie
conforme car un certain nombre de spécificités font de lui un
droit original (b).
a- Définition du droit administratif
général.
Le droit administratif est une discipline dont la
création est le fruit d'un long processus historique. Ses origines
remontent à partir du XVII e siècle avec
l'élaboration d'une série de textes juridiques
révolutionnaires notamment l'édit de saint germain en Laye de
1679, suivi de la loi de 16-24 aout 1790 et du décret 16 fructidor an
III, dont la lecture combinée faisait interdiction au juge judiciaire du
contrôle de l'administration49. C'est ainsi que furent
fixées les bases textuelles d'une naissance du droit administratif. Une
consécration jurisprudentielle sera apportée le 8 février
1873 par le tribunal des conflits français dans l'arrêt Blanco.
47 DDC 18-117 du 22 mai 2018 rendu par la cour
constitutionnelle béninoise.
48ABA'A OYONO (J-C), Cours polycopié de droit
administratif général licence 2, année 2014-2015.
49Idem.
12
En effet, le juge du tribunal des conflits viendra consacrer
l'autonomie du droit administratif et son caractère dérogatoire
au droit commun.50 Cette autonomie comportera un double aspect : un
aspect négatif, « l'inapplicabilité du code civil à
l'action administrative (...)» Et un aspect positif, « celui de
l'originalité des règles auxquelles cette action est
soumise.» toutefois, le droit administratif était toujours à
la recherche d'une définition. C'est dans cette perspective que
plusieurs tentatives seront apportées à cette fin, à
travers plusieurs critères notamment celui du service public,
défendu par Léon Duguit51 et celui de la puissance
publique soutenu par Maurice Hauriou.52
Seulement, conviendra-t-on avec Jean Rivero
lorsqu'il affirme que «la définition du droit
administratif « exige (...) la poursuite des efforts pour l'organiser de
façon systématique (...) il n'est nullement nécessaire de
procéder à cette systématisation à partir d'une
notion unique »53 aussi, «c'est autour de plusieurs
idées maitresse et non une seule que le droit civil, le droit commercial
et le droit du travail sont parvenus au haut degré d'organisation
scientifique qui est le leur »54.
La définition du droit administratif devra donc sans se
limiter uniquement au fait qu'il s'agit d'un corps de règles
spéciales, identifier les domaines concernés. Ainsi
retiendra-t-on alors, qu'il n'y a d'administration qu'à partir de son
droit, et il n'y a de droit administratif sans administration.55
C'est donc tenant compte de cette consubstantialité56 que
l'on pourrait envisager le droit administratif comme « l'ensemble de
règles qui organisent l'administration, régissent son
fonctionnement et encadrent ses relations avec les différents sujets de
droit. »57 C'est donc ainsi qu'à la faveur de la «
colonisation »58, ou du moins de la présence
française en Afrique noire francophone que le droit administratif sera
transposé au Cameroun.
50 RIVERO (J), Droit administratif ;
3e Édition, Dalloz 1965, p. p.17.
51 Ibid. P.29
52 HAURIOU (M.) Précis de droit
administratif et de droit public. Préface
1ère ed. Dalloz, Paris, 2002, cité par ABANE ENGOLO
(P), « existe-t-il un droit administratif camerounais ? » ; op.cit.
P. 15
53 RIVERO (J), Droit administratif,
op.cit., P.32
54 Ibid. PP.32, 33
55 ABANE ENGOLO (P) « existe-il un droit
administratif camerounais ?» in ONDOA (M) et ABANE ENGOLO (P), Les
fondements du droit administratif camerounais, Yaoundé, l'Harmattan
CERCAF., p.14
56 Ibid.
57 Ibid.
58 Le Cameroun n'a jamais stricto sensu
été une colonie du moins au sens juridique du terme. Il est
d'abord passé d'un statut de protectorat allemand (1884), à celui
d'État sous mandat de la S.D.N(1919) ensuite, et enfin à celui
d'État sous tutelle de la France et de la Grande-Bretagne(1945).
13
b- La définition du droit administratif
camerounais.
Le droit administratif tel qu'élaboré en France
et transposé au Cameroun, a subit un certain nombre
d'aménagements tenant compte des spécificités
contextuelles. La question qui s'est longtemps posée était celle
de savoir s'il existe un droit administratif camerounais. Plusieurs
thèses s'opposent à cet effet.
Les premières postulent de l'inexistence du droit
administratif typiquement africain, et que ce dernier ne constituerait que
« la polycopie du droit français »59. C'est la
thèse du mimétisme des droits africains, soutenu notamment par le
professeur Bipoun Woun, qui estime que le législateur
et le juge africain ne font que reproduire un droit français existant et
que ceux si sont peu enclin d'innovation60.
Par la suite une seconde thèse viendra s'opposer
à celle du mimétisme du droit africain.
Il s'agit alors de la thèse développementaliste.
En effet des auteurs, a l`instar du professeur Maurice Kamto
ou du juge Keba Mbaye, estimeront que les droits
africains et par contre coup le droit camerounais , se sont appropriés
le droit administratif en l'adaptant au contexte africain qui était
alors marqué par la recherche du développement et de
l'unité nationale61. Dans le même ordre d'idée,
le professeur Magloire Ondoa fera ressortir
l'originalité des droits africains à travers l'attitude des juges
qui, partageant la même idée relative au développement,
éviteront d'opter pour des décisions de nature à porter
atteinte aux deniers publics, très souvent au grand dam des
libertés individuelles62.
Tels étaient les éléments d'ordre
conjoncturel qui ont servi pour façonner un droit administratif africain
et par la même occasion, un droit camerounais original. Outre mesure,
faut-il le rappeler, à la différence du droit administratif
français qui est essentiellement jurisprudentiel63, le droit
administratif camerounais « démontre à suffisance
l'impérialisme des textes »64, constituant ainsi un
droit fondamentalement d'origine textuelle65.
59 ABANE ENGOLO (P), « existe-t-il un droit
administratif camerounais ? » op.cit. ; p. 16.
60 Idem.
61 Idem.
62 ONDOA (M), le droit de la responsabilité
publique dans les États en développement : contribution à
l'étude de l'originalité des droits africain, thèse de
doctorat d'État en droit public, 3tomes, Université de
Yaoundé II- SOA, FSJP, 1997.
63 RIVERO (J) Droit administratif,
op.cit. p.27.
64 ABANE ENGOLO (P), op.cit. P.23.
65 ONDOA (M), ABANE ENGOLO (P), les fondements du
droit administratif camerounais, préface, p.10.
14
En dernière analyse, la naissance du droit
administratif camerounais est postérieure au droit administratif
français ; l'on pourrait même dire que « le second a
accouché du premier ».66Seulement, le droit
administratif camerounais va véritablement se démarquer de son
« géniteur », en raison d'abord de facteurs juridiques
notamment de l'indépendance et par ce fait même de la
souveraineté de l'État du Cameroun : cela dit chaque État
a par principe son ordre juridique67. En raison ensuite
d'éléments d'ordre philosophique, culturel68, voire
idéologique69. en effet écrira le professeur
Abane E. dans ce sens, « le droit administratif
français est un droit (libéral) protecteur des droits, celui
camerounais est naturellement autoritaire »70.
SECTION II : OBJET ET METHODE.
Le présent thème d'étude comporte un
objet spécifique (I) qui ne pourra être abordé qu'à
l'aide d'une méthode bien déterminée. (II)
I- OBJET DE L'ETUDE
Il siéra ici d'identifier tout d'abord la
problématique, l'intérêt ensuite, et l'hypothèse
enfin.
A- Problématique.
La grève telle que définie dans le cadre de
notre étude est au centre de l'épineuse question du rapport entre
l'État et les libertés. En effet, l'exercice du droit de
grève à travers les manifestations sur la voie publique,
constitue « une arme potentiellement déstabilisante » à
l'égard du pouvoir en place. C'est ce qui justifie la méfiance
naturelle des pouvoirs publics, au regard des souvenirs encore récents
relatifs aux mouvements contestataires vécus dans le pays71.
C'est à cet effet que partant de notre analyse sur la police de
grève en droit administratif camerounais, nous nous proposerons
d'étendre nos perspectives et de faire un rapprochement sur ses
répercussions vis-à-vis des libertés publiques. En
d'autres termes, si nous validons la formule de Burdeau selon
laquelle : « la liberté est une puissance négative à
l'égard de l'État,
66 ONDOA (M), « les fondements juridiques du
droit administratif au Cameroun (la question de
l'applicabilité) »in ONDOA (M) et ABANE ENGOLO (P)
Les fondements du droit administratif camerounais. Yaoundé, l'Harmattan
CERCAF p.35.
67ABANE E. ENGOLO (P) « existe-t-il un droit
administratif camerounais ? » op.cit. p.16
68 Idem.
69 ATEBA EYONG (R), « L'évolution du
fondement idéologique du droit administratif camerounais » op.cit.
p.274
70 ABANE E. ENGOLO (P), « existe-t-il un droit
administratif camerounais ? » op.cit. p.24
71 Il s'agit notamment des mouvements des
années 1990 qualifiés de villes mortes et des mouvements de
grève de février 2008 au Cameroun.
15
elle limite son action, borne ses prétentions bref le
contraint au libéralisme »72 ; alors, force est de
reconnaitre que la vocation revendicative du droit de grève, la force
exigeante qu'il constitue fait de lui également un instrument permettant
d'empêcher que l'État par des interventions mais également
par des abstentions malencontreuses ne vienne en paralyser l'exercice. En
clair, c'est donc à dire que la conquête des libertés
publiques vise en fin de compte à limiter l'État, c'est à
dire à garantir les droits et libertés fondamentaux contre
l'arbitraire des gouvernants73. Or faut-il le préciser, la
liberté c'est aussi la dissidence.74 C'est dans cette
perspective que nous étudierons la question de la police de grève
sous le prisme de l'encadrement des libertés publiques de manière
générale au Cameroun. Cela nous amène alors à nous
interroger sur les mesures d'encadrement que l'État prévoit en la
matière ; ou plus encore de l'influence de la police de grève sur
les libertés publiques au Cameroun. Ainsi, la police
administrative de la grève remet-elle en cause les libertés
publiques au Cameroun ? Le souci ici est de savoir si la police
administrative en matière de grève a une influence consolidante
ou déstabilisatrice vis-à-vis des libertés publiques. Une
première tentative de réponse sera apportée à cette
interrogation, à partir de la formulation de l'hypothèse.
B- L'hypothèse.
La police administrative, en l'état actuel du droit au
Cameroun démontre une forte tendance à la limitation voire
à la répression des libertés publiques. Au grand malheur
des citoyens qui face à l'omnipotence de la puissance publique
administrative75, voient leurs droits et libertés aller
de« restrictions en restrictions». Dans cette perspective, dira-t-on
alors que la police administrative camerounaise est un instrument de domination
visant à affirmer l'autorité de l'État envers et contre
tous. Ce postulat se justifie davantage en matière de grève et
démontre à suffisance le caractère autoritariste, et
même impérialiste de l'administration dans la gestion des
libertés publiques au Cameroun. On est donc là en présence
d'un régime relativement « liberticide» lorsqu'il s'agit de
l'encadrement des mouvements protestataires dans l'ordre juridique camerounais.
L'importance de la question des libertés publiques et l'actualité
de celles-ci explique tout l'intérêt de conduire une recherche
spécifique sur ce droit voire cette
72 BURDEAU (G); Les libertés publiques
; op.cit. p.11.
73 Idem. P.59.
74 Idem. P.25.
75 ABA'A OYONO (J-C), «les fondements
constitutionnels du droit administratif : de sa vertueuse origine
française à sa graduelle transposition vicieuse dans des
États stables et instables de l'Afrique francophone Revue CAMES/SJP,
n°001/ 2017 p.15.
16
liberté que constitue la grève dont
l'étude doctrinale du moins en droit camerounais ne semble pas encore
suffisamment étendue.
C- Intérêt.
Le sujet présente un double intérêt à
la fois théorique et pratique.
D'un point de vue purement théorique, l'étude de
la police administrative en matière de grève, est d'une
importance certaine. En effet, l'importance du droit de grève est tant
politique que juridique en ce qu'elle offre à tout citoyen de s'opposer,
y compris physiquement, aux détenteurs du pouvoir par le biais des
manifestations et des cortèges de protestation et de participer ainsi
à la résolution de certains problèmes et aux choix
politiques.76 Ce qui participe ainsi de la formation d'une
véritable démocratie. Or comme le relève J.
Guiquel, une véritable démocratie s'épanouit dans
l'adversité tout en respectant la légalité77.
C'est alors selon que l'État concède certaines latitudes aux
forces sociales spontanées, que l'on saura opérer la distinction
entre démocratie formelle et démocratie
réelle78.
D'un point de vue pratique, traiter de la police de
grève en droit administratif camerounais, comporte le mérite de
rendre compte de l'état des lieux ou alors de la situation des droits et
libertés au Cameroun. En effet, l'étude que nous aborderons
permettra dans une certaine mesure de mieux renseigner sur les jeux et enjeux
qui caractérisent l'exercice de ce que la doctrine a coutume de
qualifier de « pouvoir de la rue ». En tout état de cause,
cette étude permettra d'apprécier l'État de droit à
partir de l'état du droit des libertés publiques79 au
Cameroun. C'est donc par le truchement d'une méthode appropriée
que nous mènerons cette étude.
II- METHODE DE L'ETUDE.
Le droit est animé par des méthodes
spécifiques qui le particularisent au sein de l'ensemble des
activités sociales.80 La méthode, étant
entendue comme « l'ensemble des
76 ROUDIER (K), « La liberté de
manifestation aujourd'hui en Italie. Quels problèmes, quelles
perspectives ? » DUFFY-MEUNER (A), PERROUD (T) ; (dir.) la liberté
de manifester et ses limites p.57.
77 GUIQUEL (J), Droit constitutionnel et institutions
politiques, Paris, éd. Montchrestien, 19e éd., 2003,
p.563 cité par MEERPOËL (M)., « conflictualité interne
et action publique de crise » dans champs de mars 200/1 (N° 20) pages
73-90.
78 Ibid.
79 RIVERO (J), « État de Droit et
état du Droit » in : mélange à l'honneur de BRAIBANT
GUY, cité par ATEBA EYONG (R) « L'évolution du fondement
idéologique du droit administratif camerounais » ; op.cit.
P.278.
80 BARRAUD (B), « la méthode juridique
», in la recherche juridique (les branches de la recherche juridique),
l'Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2016, p.2.
17
opérations intellectuelles par lesquelles une
discipline cherche à atteindre des vérités qu'elle
poursuit, démontre, vérifie»81 ; S'avère
donc être un élément incontournable dans la recherche
scientifique. Vu de la sorte, traiter de la police de la grève en droit
administratif camerounais, nécessite une démarche
méthodologique rigoureuse ; d'autant plus que celle-ci «
conditionne le travail scientifique(...), éclaire les hypothèses
et détermine les conclusions.»82. C'est dans cet ordre
d'idée que nous mènerons notre étude à partir de la
méthode juridique, principalement (A) et des méthodes additives,
accessoirement (B).
A- Méthode juridique.
Il sera question pour nous ici de procéder d'une part
à une interprétation non seulement des textes juridiques, mais
également des décisions de justice. En effet, l'on ne peut
étudier le domaine des libertés publiques de manière
générale au Cameroun sans véritablement et
préalablement opérer un travail d'analyse du droit applicable.
Cela à travers notamment l'explication de l'esprit et de la lettre des
textes internationaux, constitutionnels et infra constitutionnels. C'est en
cela que consiste la méthode exégétique83.
D'autre part, nous aurons recours au commentaire, à
l'interprétation des décisions de justice, étant
donné que la jurisprudence constitue également une source
formelle du droit. C'est ce qu'on appelle la casuistique ou plus
prosaïquement l'étude des cas. Seulement, une approche uniquement
analytique basée sur l'exégèse des textes juridiques et de
la jurisprudence ne suffirait pas à prétendre de manière
satisfaisante à une étude de la question de la police de la
grève en droit camerounais. Pour reprendre le professeur J.D.N.
Atemengue, « ce phénomène ne peut avoir
d'explication purement juridique. »84 Au vu de cela, une
démarche syncrétique85 s'impose pour davantage cerner
la police de la grève telle qu'elle se présente dans l'ordre
juridique camerounais.
B) méthodes additives.
L'une des critiques pouvant être formulée au
sujet de la méthode juridique positiviste est relative à sa
nature « trop descriptive et statique, non dynamique et souvent
coupée de la réalité sociale ».86 C'est la
raison pour laquelle il conviendra de rajouter à la méthode
juridique
81 GRAWITZ (M), méthodes des sciences sociales,
11e éd., Dalloz, Paris, 2001, p.351.
82 KAMTO (M), Pouvoir et droit en Afrique
noire, op.cit. P.47
83 Il s'agit de la méthode propre aux
positivistes normativistes pour qui il n'est de droit en dehors du droit
positif.
84 ATEMENNGUE (JDN) ; la police administrative au
Cameroun, recherches sur le maintien de l'ordre public. Thèse pour le
doctorat en droit, Lyon juillet 1995, p.35.
85 Idem.
86 KAMTO (M), Pouvoir et droit en Afrique
noire, op.cit., P.52
18
d'autres méthodes dites complémentaires. Les
méthodes additives, faut-il le préciser, constituent ici un
supplément qui de manière accessoire permettront de
dépasser une lecture mécanique du droit87 afin de
mieux enrichir notre raisonnement. Les méthodes additives
utilisées dans le cadre de ce travail seraient d'une part la
méthode historique et d'autre part la méthode comparative.
La méthode historique se justifie ici par le fait que
les éléments du passé permettent d'avoir une meilleure
connaissance de la réalité actuelle. En effet, la grève
n'est pas un phénomène nouveau au Cameroun, ses origines
remontent bien avant les indépendances88. C'est donc à
relever que le champ d'observation est véritablement large. Mais dans un
souci d'ordre méthodologique, nous limiterons nos recherches à
partir de la période des années 199089 jusqu' à
l'année 2019. Car en fin de compte ne dit-on pas « qui trop
embrasse mal étreint. »90 En somme, le bienfondé de la
méthode historique dans cette étude réside en ce qu'il
nous permettra de « comprendre le Cameroun d'aujourd'hui à partir
du Cameroun d'hier. »91
La méthode comparative quant à elle pourra
également s'avérer d'une grande utilité. Bien que le cadre
de la recherche se limite au niveau du territoire camerounais, cette
méthode aura le mérite de mieux jauger, voire apprécier
l'état des libertés publiques au Cameroun à l'aune des
expériences étrangères.
C'est donc en suivant ces différentes démarches
méthodologiques que nous pourrons démontrer notre
hypothèse. En effet la police administrative de la grève au
Cameroun remet véritablement en cause les libertés publiques.
Cela se justifie au regard de la règlementation restrictive des
libertés publiques (première partie) d'une part
et de l'inflation des pouvoirs discrétionnaires des autorités de
police administratives d'autre part. (deuxième
partie).
87 Idem
88 Les premières manifestations contestataires
dans les rues remontent en 1922. Elles étaient consécutives
à la vague de protestations contre l'expulsion de LOTIN SAME de la
« United native Church » lire à ce propos MANGA (J-M) et
MBASSI (A.R), « de la fin des manifestations à la faim de
manifester : revendications publiques, rémanence autoritaire et
procès de la démocratie au Cameroun » in politique africaine
2017/2, (n°146), p.73 à 97.
89Période dite du renouveau constitutionnel
en Afrique noire francophone. Cf. CHAPITRE I de la première partie.
90 KAMTO (M), Pouvoir et droit en Afrique
noire ; op.cit., p.47.
91 NGONGO (L-P), histoire des institutions
et des faits sociaux du Cameroun, Paris, Berger-Levrault, tome 1,
1987, p.1.
19
PREMIERE PARTIE : LA REGLEMENTATION RESTRICTIVE DES
LIBERTES
PUBLIQUES.
20
De manière générale, il faut entendre par
réglementation l'ensemble de lois, de prescriptions ou de règles
juridiques régissant une activité sociale. Vu de la sorte La
réglementation ainsi définie pourrait consister ici à
édicter certaines conditions à l'exercice de certaines
libertés publiques.92. C'est dans cet ordre de pensée
que Georges Burdeau soulignera que la règlementation
est une activité visant « à définir des cadres
à l'intérieurs desquels l'homme utilise (ou exerce) sa
liberté »93.
La réglementation de l'exercice des libertés
publiques de manière générale au Cameroun, doit-on le
rappeler est au coeur des débats, en cette période de tension
sociale qui prévaut sur le territoire. En ce sens, l'idée la
mieux partagée par les pouvoirs publics est que les libertés
publiques et plus encore les manifestations publiques, notamment celles
exercées dans le cadre de la grève représentent un «
risque »94. Il est donc davantage question de les contenir que
de les encadrer. Un tel postulat se justifie à l'image d'une
réglementation restrictive, qui part d'une constitutionnalisation
lacunaire des libertés publiques, (chapitre I) et se concrétise
à travers les vicissitudes dans l'aménagement de l'exercice
desdites libertés (chapitre II).
92KERKATLY (Y); Le juge administratif et les
libertés publiques en droits libanais et français. Thèse
pour obtenir le grade de docteur de l'université de Grenoble. 5 novembre
2013. P.239
93 BURDEAU (G); op.cit. p.32
94 LE BOT (O), « la liberté de
manifester en France : un droit fondamental sur la sellette ? » in
DUFFY-MEUNER (A), PERROUD (T) (dir.) la liberté de manifester et ses
limites p.35
CHAPITRE I : LA CONSTITUTIONNALISATION LACUNAIRE DES
LIBERTES PUBLIQUES.
21
Le renouveau du constitutionnalisme amorcé dans les
années 1990 en Afrique subsaharienne francophone a été
à l'origine d'un retour en force dans la garantie des droits
fondamentaux. C'est dans cette mouvance que sera adoptée le 18 janvier
1996 la loi n°96/06 portant révision de la constitution du 02 juin
1972 au Cameroun. Ainsi, assistera-t-on à travers la nouvelle
constitution, à une dynamique en faveur du renforcement de la protection
des libertés publiques95. Le nouveau constitutionnalisme se
présentait alors au sens de Louis Favoreu,
c'est-à-dire comme un impératif politique de fixer les
règles « les plus importantes par écrit, de
déterminer les obligations et les droits des gouvernants et des
citoyens, donc de proclamer les droits de l'homme et du
citoyen»96. Seulement, cette entreprise ne s'est pas faite sans
quelques vicissitudes qui ont contribué à fragiliser l'expansion
des libertés publiques et par la même occasion du
constitutionnalisme africain. Les constitutions elles-mêmes, souligne le
professeur Joseph Owona, se prêtant à leur
dévalorisation constante.97 Si d'emblée le constituant
camerounais consacre les libertés publiques d'une part, (section I)
paradoxalement, il insère dans le même texte constitutionnel, des
dispositions ou des clauses attentatoires aux mêmes libertés
publiques d'autre part. (Section II).
SECTION I : LA PROCLAMATION CONSTITUTIONELLE DES
LIBERTES
PUBLIQUES.
La proclamation constitutionnelle doit être entendue ici
comme une reconnaissance publique et solennelle des libertés publiques
par le constituant camerounais. Les techniques de garantie varient d'une
constitution à l'autre dans les États africains. Si dans certains
États à
95ABA'A OYONO (J-C) « les fondements
constitutionnel du droit administratif (...) » op.cit. p.15
96 FAVOREU (L) et alii., Droit constitutionnel,
18ème éd., Dalloz, Coll. « Précis », Paris,
2016, p. 92.
97 OWONA (J) ; Droit constitutionnel et
régimes politiques africains ; op.cit.226
22
l'instar du Benin98 du Tchad99 ou du
Gabon,100 le constituant a voulu consacrer tout un titre aux droits
et libertés fondamentaux,101à l'opposé dans
d'autres États tels que le Cameroun, l'on a plutôt opté
pour la technique de la définition des droits et libertés
fondamentaux dans le préambule. Pourtant, la problématique des
déclarations des droits et libertés en revanche reste immuable
dans tout le continent102. C'est suivant ce sillage que le Cameroun
adoptera la consécration des libertés publiques par le truchement
de la déclaration des libertés dans le préambule
(paragraphe 1) et la confirmation de celles-ci par la constitutionnalisation du
préambule (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : l'affirmation des libertés par le
préambule.
Depuis l'accession du Cameroun à l'indépendance
notamment avec la constitution du 04 mars 1960, il est une tradition
constitutionnelle constante103 : celle de la référence
aux grands textes internationaux dans le préambule. (A) Le constituant
de 1996 n'a pas dérogé à la règle. Partant de cela,
ce dernier va enrichir le texte constitutionnel en consacrant de nouvelles
libertés publiques à l'instar du droit de grève qui fait
l'objet de notre étude. (B)
A-La réception constitutionnelle des grands textes
internationaux.
La définition voire la consécration de la
garantie des droits fondamentaux dans les constitutions africaines s'est
fortement inspirée des textes soit de droit international soit de droit
étranger104. Le Cameroun ne sera pas en reste dans ce
sillage. C'est donc fort de cela que le constituant camerounais de 1996
n'hésitera pas à proclamer son adhésion non seulement aux
textes à caractère universels (1) mais également aux
textes à portée régionale. (2)
98 Loi n°90-32 du 11 décembre 1990
portant constitution de la république du Benin, qui consacre dans le
titre II du texte constitutionnel, l'énoncé « des droits et
devoirs de la personne humaine ».
99 Constitution tchadienne du 04 mai 2018 dont le
titre II est intitulé « des libertés, des droits
fondamentaux et des devoirs. »
100 Loi n°3/91 du 26 mars 1991 (modifiée) portant
constitution de la république gabonaise consacre dans un titre
préliminaire « des principes et droits fondamentaux»
101 KEUDJEU DE KEUDJE (J. R), « l'effectivité de
la protection des droits fondamentaux en Afrique subsaharienne francophone
»op.cit. 106.
102 OWONA (J), Droit constitutionnel et régimes
politiques africains, op.cit. p.225
103 Idem.
104 Exemple des constitutions gabonaise et
sénégalaise qui reprennent le constituant français
notamment celui de 1958.
23
1- L'adhésion aux conventions à
caractère universel : la charte des nations unies et la
déclaration des droits de l'homme.
L'internationalisation de la protection des
droits de l'homme constitue l'un des plus grands enjeux du droit international
contemporain.105 C'est ainsi que selon le professeur Joseph
Owona, il est une référence rituelle aux grands textes
internationaux dans les constitutions africaines106 ; de
manière à porter le droit public des nations à un niveau
de règles fondamentales communes. C'est donc dans cet esprit que la
constitution camerounaise du 18 janvier 1996 dispose dans son préambule
« le peuple camerounais (...) affirme son attachement aux libertés
fondamentales inscrites dans la déclaration universelle des droits de
l'homme et la charte des nations unies. » comme pour souligner
l'adhésion de l'État du Cameroun aux grandes conventions
internationales relatives aux droits et libertés fondamentaux reconnues
dans un État de droit.
En effet, la charte des nations unies constitue au sens du
juge Keba Mbaye « l'instrument essentiel qui a
posé les fondements du droit international dans le domaine des droits de
l'homme »107.Au moment de sa rédaction, les États
étaient fortement marqués encore par les souvenirs d'une longue
période de guerre et de ses lourdes conséquences108.
C'est ainsi que les différents acteurs de la scène internationale
se sont engagés dans la consécration de la protection des droits
de l'homme et se sont résolus d'oeuvrer afin d'atteindre cet
objectif109.
C'est ce qui a justifié l'importance de la
déclaration universelle des droits de l'homme notamment celle du 10
décembre 1948 qui comme son nom l'indique était à la base
une simple déclaration solennelle de principes destinée à
être complétée par d'autres textes110. Au fil du
temps, elle a acquis une force morale incontestable et est quittée d'un
simple acte formellement déclaratoire, à un acte obligatoire qui
s'impose aux États à la fois au plan national qu'au niveau
international.
105 Lire pour d'amples développements, DONFACK SOKENG
(J), «le Cameroun et les conventions internationales.»
106 OWONA (J), Droit constitutionnel et régimes
politiques africains op.cit.p.225
107 MBAYE (K), les droits de l'homme en AFRIQUE, Paris éd.
A. Pedone, 1992, P.78
108 SUDRE (F), « la dimension internationale et
européenne des libertés et droits fondamentaux », p.29, in
CABRILLAC (R) et alii. (dir.) libertés et droits fondamentaux,
9e éd., Paris, Dalloz, 2003.
109 Idem.
110 Ce texte n'est à la base qu'une simple proclamation
de droits sans véritable portée ni valeur juridique. Cela dit,
comme le relève M. PENKOV celle-ci n'est ni un traité ni une
convention. En conséquence, elle ne saurait être
considérée comme « une source d'obligation juridique
à l'image des accords internationaux » tout au moins poursuit-il,
en tant que acte international, elle revêt « une portée aussi
bien morale, idéologique, politique que juridique. » lire PENKOV
SAVA, « nature juridique et portée de la déclaration
universelle des droits de l'homme », publié en ligne par Cambridge
University Press : 19 Avril 2010.
24
C'est donc ainsi que le constituant de 1996 a consacré
en faisant référence aux grands textes internationaux un large
éventail de droits et libertés au Cameroun. Par ailleurs, la
réforme constitutionnelle de 1996 comme sa devancière de 1972
marque également au plan régional un fort attachement à la
charte africaine des droits de l'homme et des peuples.
2- L'adhésion constitutionnelle à la charte
africaine des droits de l'homme et des peuples.
Encore appelée charte de Banjul,111 la
charte africaine des droits de l'homme et des peuples a été
adoptée en 1981 à Nairobi par la conférence des chefs
d'États de l'ancienne organisation de l'unité africaine (O.U.A)
qui aujourd'hui est devenue l'U.A, c'est-à-dire l'union africaine. Elle
entrera effectivement en vigueur le 28 octobre 1986 c'est-à-dire 5
années après son adoption112.
En effet, la charte a été adoptée plus de
vingt-ans après les indépendances de la plus part des pays
africains dans un moment où le continent était le
théâtre de graves violations des droits de l'homme. Seulement,
écrira le professeur Alioune Badara Fall, peu de places
furent consacrées aux droits de l'homme dans ladite
charte.113 L'idée était celle de privilégier
les États en « insistant sur la lutte contre le colonialisme et la
politique à mener pour la libération des peuples africains
»114 en d'autres termes il s'agissait davantage d'affermir la
souveraineté nationale et de renforcer le principe de
non-ingérence auxquels les gouvernants semblaient alors attachés.
Toutefois convient-il de dire de manière générale que
quelques dispositions dans la charte sont consacrées aux droits et
libertés fondamentaux.
D'emblée, une lecture combinée des articles 2 et
6 de la charte des droits de l'homme et des peuples révèle que
toute personne sans distinction aucune, dispose de droits et libertés
consacrées dont l'exercice voire la jouissance ne doivent pas être
remis en cause. La garantie des libertés publiques quant à elles
de manière générale et des manifestations publiques plus
spécifiquement, est perceptible au regard tout d'abord de l'article 8 de
la charte qui dispose : « la liberté de conscience (...) la
pratique libre de la religion sont garanties, (...) nul ne peut être
l'objet de mesures de contraintes visant à restreindre la manifestation
de ces libertés ».Également,
111 FALL (A.B), « La Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples : entre universalisme et régionalisme» dans
Pouvoirs2009/2 (n° 129), pp. 77-100
112Idem.
113 Période postcoloniale fortement marquée par
des régimes autoritaires impulsés par l'idéologie de
construction nationale cf. infra.
114 FALL (A.B), « La Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples : entre universalisme et régionalisme»
op.cit. pp. 77-100.
25
l'on peut lire par la suite dans l'article 11 du même
texte : « toute personne peut se réunir librement avec
d'autres(...) ».
Voilà de manière schématique
présentées les libertés publiques et plus
précisément la liberté de manifester dans la charte
africaine des droits de l'homme et des peuples. Ainsi formulée cette
charte parait au sens de François Gonidec comme «
un espoir pour l'homme et le peuple africain. »115. Cet espoir
voué à la charte semble remis en cause du fait de
l'indétermination du contenu même à donner au concept de
« peuple » qui n'est pas véritablement définit dans la
charte. L'ambiguïté de la notion de peuple qui tantôt renvoie
à l'idée de « peuple État »116,
tantôt à celle de peuple dominé entre autre117 ;
justifie l'inquiétude du professeur Paul Gérard
Pougoué quant à la portée d'un tel concept dans
l'affirmation des droits de l'homme en Afrique.118 En tout
état de cause la charte africaine des droits de l'homme et des peuples
est un texte novateur au plan régional dans la protection des droits et
libertés fondamentaux de l'homme et du peuple africain.119
C'est ainsi qu'elle sera réceptionnée dans les constitutions des
États africains parmi lesquels le Cameroun, qui dans son
préambule proclame son attachement à ladite charte africaine des
droits de l'homme et des peuples. C'est partant de ces textes internationaux
que l'on évoluera dans l'ordre juridique camerounais vers une
consécration explicite du droit de grève.
B- L'évolution vers la consécration explicite
du droit de grève.
La consécration du droit de grève au Cameroun
n'est que très récente. Elle interviendra après une longue
période d'inexistence du moins au plan textuel. Ainsi
évoluera-t-on de la période relative à l'inexistence d'un
droit de grève consacré (1) pour converger vers la récente
consécration de ce droit au Cameroun. (2)
1- L'inexistence antérieure d'un droit de
grève consacré.
Au lendemain de l'indépendance, la protection des
libertés des citoyens ne semble pas être une priorité face
aux exigences de maintien de l'ordre. En effet, au plan interne, les
premiers
115 GONIDEC (F) cité par FALL (A.B), « La Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples : entre universalisme et
régionalisme» ; op.cit. P.09
116 Idem. p
117 Idem.
118 POUGOUE (G) cité par FALL (A.B), « La Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples : entre universalisme et
régionalisme» op.cit. pp.77-100.
119 FALL (A.B),) « La Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples : entre universalisme et régionalisme» ;
op.cit. pp. 77-100.
26
dirigeants africains étaient confrontés au
lendemain des indépendances à des risques relatifs à leur
viabilité, mais aussi à leur stabilité et donc à
leur durabilité.120 Il se posait la nécessité
d'affermir l'autorité de l'État,121 l'unité,
l'intégration nationale, ainsi que le développement
économique122. Dans ce vaste chantier relatif à la
construction de l'unité nationale, qui à cette époque ne
constituait pas encore une réalité acquise mais un idéal
recherché auquel les États africains aspiraient, le « chef
de l'État » se présentait alors comme un artisan du destin
collectif 123 ; c'est-à-dire à la fois « comme le maitre
d'oeuvre et le catalyseur de l'action d'unification et du développement
de la nation »124
C'est fort de cela que l'administration camerounaise
nouvellement établie décidera de s'inscrire dans une logique de
construction de l'unité nationale. Un tel contexte était alors
difficilement favorable à l'expansion des libertés publiques. En
effet, l'unité nationale s'est traduite au plan institutionnel par la
mise en oeuvre d'une administration autoritaire, d'une puissance publique
renforcée aux privilèges exorbitants. Ainsi, comme le relevait le
doyen Ondoa, sous le règne de l'idéologie de
construction nationale, « les structures d'autorité se renforcent,
le pouvoir règlementaire de l'autorité centrale s'hypertrophie,
les structures de dialogue disparaissent, les normes de liberté
s'effritent, le principe d'égalité n'a de valeur qu'incantatoire,
le contentieux s'épuise, la référence à la
liberté devient formelle. »125 Force est donc de
constater dans cette perspective que les libertés étaient alors
perçues comme un luxe dont les États ne pouvaient se
permettre.
L'exercice des libertés de nature contestataires,
revendicatives à l'instar des manifestations publiques ou plus
exactement des grèves, n'était alors à cette époque
ni consacré par le constituant ni règlementé par le
législateur. D'ailleurs celles-ci étaient
considérées comme des éléments potentiellement
subversifs, et lorsque le droit s'en saisissait, ce n'était pas pour les
encadrer ; c'était surtout pour leur appliquer un régime
sanctionnateur. Cela dit, les mouvements de grève évoluaient
alors non pas en dehors du droit, mais sous un système hautement
répressif.
120 Lire BEYEGUE BOULOUMEGUE (E.G) « la persistance de
l'idéologie de construction de l'unité nationale en
matière de police administrative. » in ONDOA (M) et ABANE ENGOLO
(P) ; Les fondements du droit administratif camerounais. Yaoundé,
l'Harmattan CERCAF, p.298
121 GUESSELE ISSEME (L) l'apport de la cour suprême au
droit administratif camerounais ; op.cit. p.499.
122 KAMTO (M), Pouvoir et droit en Afrique noire
; op.cit. pp.325-326.
123 KONTCHOU KOUOMEGNI (A) « le droit public camerounais,
instrument de construction de l'unité nationale », RJPIC, n°4,
oct.-déc., 1979, p.416
124 KAMTO (M), Pouvoir et droit en Afrique noire
; op.cit. p.330.
125 ONDOA (M), le droit de la responsabilité publique
dans les États en développement. Cité par BEYEGUE
BOULOUMEGUE (E.G) ; op.cit. p.302.
27
En tout état de cause, les mouvements contestataires
ont pendant plusieurs décennies animé la crainte des pouvoirs
publics qui voyaient alors en eux un facteur de trouble susceptible de
compromettre la construction de l'unité nationale. À cet effet,
aucun texte ne traitait expressément des questions relatives aux notions
de grève ou de manifestation publique. Et lorsque c'était le cas,
l'objectif visé était de réprimer de sanctionner voire
d'éradiquer. Cette frilosité des pouvoirs publics aura
plutôt favorisé pendant longtemps l'éclosion d'une
légalité d'exception et la permanence de l'état de
crise.126 Une évolution notable sera perceptible à
partir des réformes consécutives à la loi
constitutionnelle de 1996.
2- La consécration récente du droit de
grève au Cameroun.
Les années 1990 marquent en Afrique en
général et au Cameroun en particulier, un tournant décisif
dans la protection des libertés publiques. Cette période de
l'histoire du constitutionnalisme africain correspond au passage d'un «
ordre juridique globalement liberticide à un ordre juridique
résolu à se montrer protecteur des libertés.
»127 C'est ainsi que l'on assistera à ce que le
professeur Brusil Metou qualifie de révolution
juridique128, avec l'adoption le 19 décembre 1990 d'un
ensemble de textes législatifs régissant les libertés
publiques. S'en est suivi dans cette mouvance de démocratisation au
Cameroun, la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 qui permettra
une avancée notable en matière de libertés publiques.
En effet cette nouvelle réforme constitutionnelle
introduira dans l'ordre juridique camerounais selon le professeur Aba'a
Oyono une « gamme variée des droits et libertés du
citoyen (...) très enrichie par rapport à la dynamique
constitutionnelle antérieure »129. Si dans les
constitutions antérieures, le droit de grève ne faisait l'objet
d'aucune consécration textuelle, le constituant du 18 janvier 1996 s'est
illustré remarquablement en introduisant dans son préambule un
droit de grève désormais garanti dans les conditions
prévues par la loi. Même si le constituant ne définit pas
ce qu'il faut entendre par droit de grève, il démontre clairement
l'adhésion du Cameroun aux principes de l'État de droit.
En clair, la constitution du 18 janvier 1996 marque faut-il le
rappeler, un tournant majeur dans la protection des libertés publiques
au Cameroun. Si le droit de s'opposer, de contester voire de revendiquer figure
désormais parmi les droits fondamentaux reconnus et consacrés
dans le
126 GUESSELE ISSEME (L) l'apport de la cour suprême au
droit administratif camerounais ; op.cit. p.499.
127 METOU (B-M) ; « vingt ans de contentieux des
libertés publiques au Cameroun »; op.cit., p.268
128 Idem
129 ABA'A OYONO (J-C), « les fondements constitutionnels
du droit administratif : de sa vertueuse origine française à sa
graduelle transposition dans les Etats stables et instables de l'Afrique
francophone »; op.cit., p.15.
28
préambule constitutionnel, Reste-t-il à se
demander en reprenant les propos du professeur Joseph Owona,
si les constitutions, et partant celle du Cameroun de 1996, « se
prétendant loi suprêmes de leurs États respectifs, (...)
peuvent se prévaloir d'être des chartes libertés publiques
dont l'intangibilité est garantie par des techniques
appropriées130». Une garantie effective du droit de
grève nouvellement consacré passera alors nécessairement
par la technique de constitutionnalisation du préambule.
Paragraphe 2 : la confirmation des libertés par
la constitutionnalisation du préambule.
La constitutionnalisation du préambule a vocation
à confirmer ses dispositions en leur conférant une valeur
juridique. Cette opération ne s'est pas faite au Cameroun de
manière linéaire ; en effet l'on partit d'une controverse
originelle sur la valeur juridique du préambule (A) avant d'aboutir
finalement à la constitutionnalisation de celui-ci (B)
A-controverse originelle sur la valeur juridique du
préambule.
Deux thèses s'opposaient sur la question de la
juridicité du préambule constitutionnel. D'une part celle qui
défendait l'idée d'une juridicité du préambule, (1)
et d'autre part celle qui était plutôt sceptique à cette
idée. (2)
1-Thèse de de la juridicité contestable
du préambule.
Une partie de la doctrine publiciste camerounaise a au cours
d'une certaine période défendu la thèse de l'incertitude
du préambule de la constitution, alors que le constituant notamment
celui du 2 juin 1972 n'en précisait la valeur dans aucune de ses
dispositions. En effet, c'est dans un tel contexte marqué par
l'incertitude quant à la valeur juridique du préambule
constitutionnel que certains éminents auteurs camerounais à
l'instar des professeurs Maurice Kamto, Gérard
Pougoué ou Alain Didier Olinga estimeront que
la valeur du préambule n'est pas « juridiquement
avérée » et de ce fait, qu'elle serait «
légitimement contestable »131.
Toutefois il n'était pas question pour cette partie de
la doctrine camerounaise de prétendre à la négation pure
et simple de toute valeur juridique au préambule constitutionnel, car
selon ceux-ci sa valeur ne saurait être nulle du point de vue juridique.
C'est ainsi que pour essayer d'affecter une valeur juridique au
préambule constitutionnel, le professeur Maurice
130 OWONA (J) ; Droit constitutionnel et régimes
politiques africains ; op. cit. p.223
131 ZBIEGNIEW DIME LI NLEP (P) ; la garantie des droits
fondamentaux au Cameroun ; DEA en droit international des droits de l'homme,
université d'Abomey-Calavi, Bénin, 2004. http//
mémoireonline.com.
29
Kamto affirmera à travers un
raisonnement aléthique132qu' « on peut poser le principe
que les préambules ont une valeur constitutionnelle mais seulement de
lege feranda ou par simple déduction logique. »133 Cela
dit, la valeur juridique du préambule, selon l'auteur repose sur une
simple déduction logique et non sur une assise juridique
contraignante.
Or l'on imaginerait difficilement un système efficace
de protection des droits et libertés fondamentaux lorsque les
dispositions inscrites dans le préambule ne sont guère investies
d'une quelconque force contraignante. C'est partant de cette observation qu'une
autre partie de la doctrine camerounaise prenant à contre-pied la
première proposera la thèse de la juridicité du
préambule constitutionnel de 1972.
2-Thèse de la juridicité affirmée
du préambule.
La thèse en faveur de la juridicité du
préambule constitutionnel, soutenue par des illustres juristes à
l'instar du professeur E. Boehler, ou du magistrat
F.X. Mbouyom; visera à reconnaitre au préambule
constitutionnel une force juridique contraignante, dont les dispositions
seraient opposables aux autorités publiques. En effet, ces auteurs de la
doctrine camerounaise, verront à l'analyse d'un certain nombre de
décisions rendues respectivement par la cour suprême du Cameroun
oriental et plus tard par la cours fédérale de justice une
reconnaissance juridictionnelle de la juridicité du préambule.
Il s'agira tout d'abord du magistrat François
Xavier Mbouyom qui, à la faveur des arrêts n°41 du
14 janvier 1964 sur la reconnaissance de l'enfant et n°67 du 11 juin 1963
rendus par la cour suprême du Cameroun oriental, aboutira à la
conclusion selon laquelle « les dispositions du préambule sont
(...) considérées comme des règles de droit positif
»134.
Par la suite, le professeur E. Boehler fera
respectivement à partir des arrêts Eitel Mouelle
Koula135 et Daniel Nana
Tchana136 contre république fédérale
du Cameroun ; certaines observations en faveur de la reconnaissance d'une
valeur juridique au préambule. Dans les deux espèces
présentées devant le juge de la cours fédérale, les
requérants soulevaient la question de la violation par l'État de
la liberté d'association et de la liberté religieuse.
Libertés
132 Lire. OWONA NGUINI (M. E), « droit de l'État
et l'état de droit au Cameroun. », polis/RCSP/CPSR, Vol. n° 2,
1998
133 ZBIEGNIEW DIME LI NLEP (P) ; la garantie des droits
fondamentaux au Cameroun ; op.cit.
134 MBOUYOM (F-X), « les mécanismes juridiques de
protection des droits de la personne au Cameroun », R.J.P.I.C. tome 36,
n°1, février 1982, p.60.
135 CFJ/CAY, jugement n°178 du 29 mars 1972, EITEL MOUELLE
KOULA c/ État du Cameroun,
136 CFJ-CAY, arrêt n° 194 du 25 mai 1972 NANA
TCHANA DANIEL ROGER c/ république fédérale du Cameroun.
30
Consacrées alors par la déclaration universelle
des droits de l'homme et l'article 1er de la constitution de 1961
qui seront introduits plus tard dans le préambule de 1972.137
Le professeur BOEHLER estimera que le juge dans ces deux espèces a
affirmé que les droits et libertés inscrits dans les textes
internationaux auxquels la république du Cameroun proclame son
attachement ont force de droit positif 138
Voilà en substance comment sera défendue la
thèse doctrinale relative à la juridicité du
préambule. Cette controverse faut-il le préciser, naquit du fait
de l'imprécision du constituant d'alors qui n'intégrait pas
explicitement le préambule dans le texte constitutionnel. Il disposait
tout au plus : « l'État garantie (...) les droits et
libertés énumérés au préambule de la
constitution »139. Or le constituant Tchadien de 1962
précisait déjà clairement dans son dispositif que le
préambule fait « partie intégrante de la
constitution.»140 il se posait inexorablement la question de la
juridicité et partant de la justiciabilité des droits et
libertés contenus dans le préambule. Dans ce sens, La
concrétisation du préambule apparaissait comme la condition
d'effectivité des droits et libertés fondamentaux.
B-Évolution vers la concrétisation de la
constitutionnalité du préambule.
La concrétisation de la constitutionnalité du
préambule au Cameroun est le fruit d'un long processus. L'on est parti
de la controverse jurisprudentielle sur la constitutionnalité du
préambule. (1) pour aboutir à la validation textuelle de la
constitutionnalité du préambule. (2)
1-la controverse jurisprudentielle sur la
constitutionnalité du préambule.
Certes si la question relative à la juridicité
du préambule semble ne plus se posser ici, il reste encore de
sérieux doutes qui demeurent quant au fait de savoir si les dispositions
contenues dans le préambule doivent être considérées
comme des règles de valeur constitutionnelle ou plutôt si elles
doivent être relégués au rang de norme à valeur
législative. La question posée a véritablement fait
l'objet d'une controverse jurisprudentielle.
D'emblée, l'on peut considérer la position de la
cour fédérale de justice qui se refuse à reconnaitre au
préambule une valeur constitutionnelle. Cela dit, comme le fait
remarquer le professeur Guessele Isseme L., « la cour de
justice marque son désengagement dans le contrôle
137 ZBIEGNIEW DIME LI NLEP (P) ; la garantie des droits
fondamentaux au Cameroun ; op.cit.
138 BOEHLER (E) cité par OLINGA (A.D), «
l'aménagement des droits et libertés dans la constitution
camerounaise révisée », Revue universelle des droits de
l'homme, 1996, vol 8, 4-7 , p.118
139 OWONA (J) Droit constitutionnel et régimes
politiques africains op.cit. p.225
140 Idem.
(...) »143
31
de la violation du préambule en refusant d'y voir une
règle constitutionnelle ».141 L'affaire
Société des grands travaux de l'Est c/ État du
Cameroun142 constitue une illustration majeure de cette
posture de la cour fédérale de justice. En effet, le juge dans
l'espèce va nier la constitutionnalité du préambule en
prétendant que « les principes contenus dans le
préambule de la constitution, (...) ont valeur de principes
généraux de droit, c'est-à-dire non pas supérieure
mais égale à celle de la loi ordinaire
C'est incontestablement avec la cour suprême que l'on
assistera à une reconsidération de la valeur du préambule
de la constitution.
En effet, la reconnaissance jurisprudentielle de la valeur
constitutionnelle du préambule pourrait être retenue à
l'analyse notamment de l'affaire dame Ndongo, née Mbonzi Ngombo
c/ État du Cameroun rendu en
1994.144 Dans l'affaire en question, dame
Mbonzi Ngombo est de nationalité zaïroise et est
autorisée par l'ambassade de son pays à concourir à
l'examen d'entrée à l'ENAM, avec le titre
d'étrangère. Avant sa sortie, elle épouse sieur
Ndongo et acquiert ainsi la nationalité camerounaise
par les liens du mariage. Mais alors que tous les camerounais au sortir de la
formation à l'ENAM sont intégrés dans la fonction publique
camerounaise, la désormais dame Ndongo est
recalée au motif qu'en accédant à l'ENAM, elle
était de nationalité zaïroise. Relativement à cette
décision de refus de la part de l'autorité administrative, dame
Ndongo va donc saisir le juge administratif en annulation de
ladite décision.
Le juge saisit à l'occasion va estimer qu'il y'a dans
cette affaire, violation de la constitution, notamment du principe
d'égalité alors formulé dans le préambule de la
constitution du 02 juin 1972. C'est ainsi que sera formulé par le juge
administratif le principe d'égalité d'accès aux emplois
publics.145
En tout état de cause, le raisonnement mis en avant par
le juge administratif témoigne clairement d'une reconnaissance
jurisprudentielle du préambule de la constitution. En effet, le juge n'y
opère pas une distinction entre le préambule et la constitution
en elle-même. Bien au contraire ce dernier assimile le préambule
à la constitution. C'est dans cette logique que le
141 GUESSELE ISSEME (L) l'apport de la cour suprême au
droit administratif camerounais ; op.cit. p.7
142 CFJ/CAY, arrêt n° 68 du 30 septembre 1969,
Sté des Grands Travaux de l'Est c/ État du Cameroun oriental.
143 Lire les considérants du juge dans l'affaire Grands
Travaux de l'Est c/ État du Cameroun oriental ; op.cit.
144 CS/CA, jugement n°07/94-95 du 27 octobre 1994, dame
Ndongo née Mbonzi Ngombo c/ État du Cameroun (P.R)
145 GUESSELE ISSEME (L) ; les apports de la cour suprême au
droit administratif camerounais ; op.cit. p.78.
32
constituant de janvier 1996 viendra entériner la
position de la cour suprême par le truchement de la validation textuelle
de la constitutionnalité du préambule.
2- la validation textuelle de la
constitutionnalité du préambule.
C'est finalement à la faveur de la loi n°96/06 du
18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 2 juin 1972, que
l'on assistera au Cameroun à la validation expresse du préambule
par le texte constitutionnel. Faisant référence à la
protection des droits fondamentaux à travers le préambule dans
les constitutions africaines, M. John R. Keudjeu De
Keudjeu écrira dans ce sens qu' « introduite par un
préambule qui précède le dispositif, les constitutions
(des) États en ont fait de par la valeur constitutionnelle qui lui est
reconnue, plus qu'un simple réceptacle de principes philosophiques et
idéologiques, le support d'un ensemble de droits fondamentaux et de
principes généraux des droits.146 »
En effet le texte constitutionnel en son article 65 dispose :
« le préambule fait partie intégrante de la
constitution.» Cette disposition constitutionnelle implique naturellement
que tous les droits et libertés contenus dans le préambule
acquièrent de facto valeur constitutionnelle. Cela dit, il est
désormais reconnu incontestablement un caractère de règle
constitutionnelle solennelle et intangible aux droits
énumérés dans le préambule et aux
déclarations dont il fait référence.147 Le
professeur Alain D. Olinga soulignera à cet effet que
« les dispositions du préambule sont purement et simplement des
normes constitutionnelles, et toute méconnaissance de ces normes
constitue une violation de la loi fondamentale susceptible de donner lieu
à un contentieux »148
Les libertés publiques qui jusque-là
étaient encore de manière générale soumises
à une constante remise en cause, du moins du point de vue de leur
juridicité, trouvaient désormais une assise juridique
concrète dans le préambule constitutionnalisé. La
constitutionnalisation, relèvera justement le professeur A.
DIARRA à cet effet est une garantie fondamentale des droits et
libertés car ils deviennent des normes juridiques149, et de
surcroit des normes constitutionnelles.
146 KEUDJEU DE KEUDJEU (J. R), « l'effectivité de
la protection des droits fondamentaux en Afrique subsaharienne francophone
» revue CAMES/SJP n°001/2017, P.105
147 OWONA (J) Droit constitutionnel et régimes
politiques africains op.cit p.225.
148 OLINGA (AD) ; cité par ZBIGNIEW DIME LI NLEP (P),
la garantie des droits fondamentaux au Cameroun, DEA en droit international des
droits de l'homme 2004, Université Abomey-Calavi, Bénin consulter
le site mémoire
online.com.
149 DIARRA (A), « La protection constitutionnelle des droits
et libertés en Afrique noire francophone, cas du Benin et du Mali.
», op.cit P.12
33
En définitive, le constituant camerounais de 1996 a le
mérite d'avoir franchi un nouveau palier dans la garantie des
libertés publiques à travers d'une part la définition d'un
large éventail de droits parmi lesquels le droit de grève
nouvellement consacré occupe une place incontournable. Également,
d'autre part à travers la déclaration expresse de la valeur
constitutionnelle du préambule. Vu sous cet angle, conviendra-t-on avec
le professeur Aba'a Oyono que la constitution dessine le
visage d'un État camerounais légitimé150
respectueux des valeurs démocratiques. Seulement, un certain nombre de
paradoxes dans l'écriture de la norme constitutionnelle entravent
l'enracinement du constitutionnalisme camerounais151. L'on assiste
alors à une dévalorisation constante de la constitution qui
prévoit l'exercice des libertés publiques dans sa lettre tout en
y insérant elle-même des restrictions voire des atteintes auxdites
libertés.152
SECTION II: LA CONSECRATION CONSTITUTIONNELLE DES
ATTEINTES AUX LIBERTES PUBLIQUES.
Les expressions « intérêt supérieur
de l'État » et « sous réserve des prescriptions
légales relatives à l'ordre, à la sécurité
et à la tranquillité publics constituent au sens du professeur
Aba'a Oyono J.-C. : « de véritables butoirs
liberticides voulus par le constituant. »153 En effet, La liberté,
l'ordre voire l'intérêt de l'État sont très souvent
considérés comme des notions antinomiques154. De par
sa fonction, l'ordre contient en lui-même les germes
d'adversité155 vis-à-vis des libertés, en
raison de son caractère permissif156. De la même
manière, l'intérêt de l'État rime difficilement
sinon très rarement avec les libertés publiques. Ainsi, on
assiste au Cameroun et par le fait du constituant à la limitation des
libertés à la fois par les notions d'ordre public (P1) et
d'intérêt supérieur de l'État. (P2)
150 ABA'A OYONO (J.-C), « les fondements constitutionnels
du droit administratif : de sa vertueuse origine française à sa
graduelle transposition vicieuse dans des États stables et instables de
l'Afrique » op.cit. p.16
151 BIKORO (J. M), les paradoxes constitutionnels en droit
positif camerounais op.cit., du résumé du mémoire, p.iv
152 OWONA (J) Droit constitutionnel et régimes
politiques africains, op.cit., p.226.
153 ABA'A OYONO (J.-C) « les fondements constitutionnels du
droit administratif (...) », op.cit., p.16.
154 SORO PAMATHIN (S-G), L'exigence de conciliation de la
liberté d'opinion avec l'ordre public sécuritaire en Afrique
subsaharienne francophone (Bénin-Côte
d'Ivoire-Sénégal) à la lumière des grandes
démocraties contemporaines ; op.cit. p.19.
155 Idem.
156 Idem.
34
Paragraphe 1 : la limitation des libertés par
l'ordre public
Du fait de l'ordre public, écrira M. Jean Louis
Messing, les libertés publiques connaissent soit des
restrictions, soit un amoindrissement, soit des assouplissements.
»157 Cela est dû notamment à l'imprécision
de la notion d'ordre public, (A) et se concrétise davantage au vu de
l'interprétation extensive dont l'ordre public fait l'objet. (B)
A- L'imprécision de la notion d'ordre public.
La définition de l'ordre public constitue une
tâche épineuse158. La majeure partie de la doctrine
s'accorde sur le caractère complexe159 voire insaisissable de
la notion d'ordre public. En effet, cette notion ici étudiée ne
fait l'objet d'aucune définition légale, c'est à dire
d'aucun énoncé positif tant au niveau constitutionnel qu'infra
constitutionnel. C'est dans cette même logique que le constituant
camerounais Du 18 janvier 1996 fait référence à la notion
d'ordre public sans toutefois en préciser le contenu. Un tel postulat
rend davantage difficultueuse l'appréhension notionnelle de l'ordre
public. D'autant plus en raison de sa nature protéiforme et même
circonstancielle. Cependant, une définition de l'ordre public passe
forcément par la considération de ses éléments
matériels, (1) à laquelle il est désormais
impératif de rajouter la prise en compte d'une évolution vers la
moralisation de la notion. (2)
1- L'acception matérielle de l'ordre
public.
D'un point de vue matériel, la définition de
l'ordre public correspond à l'absence de trouble au sein de la
collectivité160. Dans l'autre sens, il s'agit positivement
selon P. Bernard de l'établissement « dans la
collectivité des conditions qui assurent le plein épanouissement
de l'individu »161. Concrètement, la définition
de l'ordre public au sens matériel fait nécessairement apparaitre
à titre principal des éléments tels que la
sécurité, la tranquillité et la salubrité
publiques. Ces éléments constituent la trilogie
traditionnelle162 à partir de laquelle l'on définit
généralement la notion d'ordre public.
157 MESSING (J.L), la problématique de du maintien de
l'ordre dans les États d'Afrique noire francophone : le cas du Cameroun
(1960-1992), thèse de doctorat de 3e cycle en droit public,
1994, p.256.
158 GERVIER (P), la limitation des droits fondamentaux
constitutionn,,,,els par l'ordre public, op.cit. p.19
159 BERNARD (P), La notion d'ordre public en droit
administratif, L.G.D.J., Paris, 1962, p. 219 ; PLANTEY (A), «
Définition et principes de l'ordre public », in POLIN (R) (
ss. la dir. de), L'ordre public, Actes du
colloque des 22-23 mars 1995 à Paris, P.U.F., Coll. « Politique
d'aujourd'hui », Paris, 1996, spéc. p. 27
160 BERNARD (P), la notion d'ordre public en droit
administratif, cité par GERVIER (P), o
161 Ibid. p.22.
162 CHAPUS (R) Droit administratif
général, tome 1, Montchrestien p. 1313 cité par
BIKORO (J M), op.cit. p.91.
35
La sécurité publique, considérée
comme la composante la plus naturelle de l'ordre public,163 renvoie
essentiellement à la prévention des risques, dommages,
susceptibles d'être portés à l'endroit des personnes et des
biens. Il est donc question pour l'administration à travers cette
finalité d'ordre sécuritaire, de veiller à la protection
de la sureté des personnes et des biens.
La tranquillité publique quant à elle vise
essentiellement à garantir une situation de calme au sein de la
collectivité. Il est question pour les autorités de prendre les
mesures nécessaires en vue de prévenir les troubles, les
nuisances qui peuvent résulter de l'exercice d'une liberté.
La salubrité publique enfin intervient tant dans la
prévention des risques classiques d'hygiène, que dans la
protection des citoyens contre les dangers liés aux contaminations et
épidémies de diverses natures.
En raison du contenu évolutif qui caractérise la
notion d'ordre public, sa définition va connaitre une évolution
notable à partir du XXème siècle164 du fait de
la jurisprudence. À tel point que les éléments de la
trilogie traditionnelle ne satisfont plus à eux seuls, à rendre
compte de manière intégrale de la définition de ladite
notion. L'on assistera alors à une évolution vers la moralisation
de la notion d'ordre public.
2- L'évolution vers la moralisation de l'ordre
public.
Au-delà de la trilogie ou du triptyque traditionnel
à partir desquels l'on définit généralement l'ordre
public dans son acception matérielle, à savoir la
sécurité : la tranquillité et la salubrité
publique, la notion d'ordre public connaitra une évolution au
début du XXème siècle. En effet la jurisprudence
française va alors élargir voire étendre le champ
notionnel de l'ordre public à des éléments nouveaux et
relativement originaux, voire novateurs. L'on assiste ainsi à ce que la
doctrine qualifie de moralisation de la notion d'ordre public.
En effet, sont apparus à partir d'une certaine
période de l'ère moderne, des activités qui, n'entrant pas
forcément dans la logique relative à la trilogie ou alors aux
critères traditionnels, mais qui de par leur nature étaient
susceptibles de mettre en cause l'ordre public. C'est fort de cela que la
jurisprudence notamment par le truchement du conseil d'État
français va devoir
163 ROUSSEAU (N), « historique de l'ordre public »,
LEGAVOX.fr, fiche pratique
publiée le 13/01/2015.
164 Idem.
36
progressivement recourir à des éléments
tels que la moralité publique165, le respect de la
dignité humaine166 et plus récemment la protection des
individus contre eux même167.
En tout état de cause, la nature à la fois
insaisissable et variable de la notion d'ordre public amènera certains
auteurs à l'instar de G. LEBRETON à relever que
l'ordre public en fin de compte renvoie à «l'ensemble des
règles que les autorités estiment indispensables pour sauvegarder
la stabilité et les valeurs de la société
»168. C'est donc suivant cet ordre de pensée que les
autorités en matière de police administrative au Cameroun,
n'hésiteront pas à recourir, à tort et à travers,
parfois maladroitement à des interprétations extensives de
l'ordre public, très souvent au détriment de certaines
libertés. S. Roland écrira dans ce sens que
« le contenu de l'ordre public est déterminé par les
autorités étatiques ».169 C'est donc à
dire en définitive que l'ordre public est en réalité
l'ordre de l'État.170 C'est fort de cela que l'on constate
dans l'ordre juridique camerounais, une tendance à
l'interprétation extensive de l'ordre public.
B- L'interprétation extensive de l'ordre public.
L'interprétation extensive de l'ordre public au
Cameroun se traduit au regard du renforcement de l'ordre public
sécuritaire, (1) dans un contexte relatif à la politisation de
l'ordre public. (2)
1- Le renforcement de l'ordre public
sécuritaire.
Le renforcement de l'ordre public sécuritaire s'observe
comme la volonté affichée des pouvoirs politiques d'instaurer un
climat peu propice à l'expression des libertés publiques et des
oppositions de toutes sortes.171En ce sens garantir la
sécurité au sein de l'État consiste pour l'administration,
à assurer au-delà de la protection des biens et des personnes, la
préservation même de la sureté de l'État.
En droit camerounais, l'administration en matière de
police est de plus en plus encline à des préoccupations d'ordre
sécuritaire, notamment au regard de la conjoncture socio-politique de
crise qui fait l'actualité. Considérée par la doctrine
comme une des principales composantes
165 Cf. le fameux arrête de la section du Conseil
d'État en date du 18 décembre 1959 ; société «
Les films Lutétia »
166 Cf. le célèbre arrêt du Conseil
d'État français rendu le 27 octobre 1995, commune
Morsang-sur-Orge ; encore appelé l'affaire « du lancer des nains
»
167 CE, 27/07/2001, Ville d'Etampes.
168 LEBRETON (G), « ordre public », in TSIMBA ZOVINA
(J.A), GAUDIN (H), MARGENAUD (J-P), RIALS (S), SURDE (F) (dir.), Dictionnaire
des droits de l'homme, P.U.F., Quadrige, Paris, 2008, pp. 717-719.
169 GERVIER (P), la limitation des droits fondamentaux
constitutionnels par l'ordre public, op.cit. p.26
170 ROLAND (S), « l'ordre public et l'État.
Brèves réflexion sur la nature duale de l'ordre public »,
DUBREUIL (C-A) (dir.), l'ordre public, édition Cujas, coll. Actes et
études, Paris, 2013, pp. 9-20, spé. P.17
171 ATEMENGUE (J.D.N), la police administrative au Cameroun ;
op.cit., p.219.
37
de la notion d'ordre public,172 la
sécurité publique sera l'occasion pour les autorités de
police administrative de renforcer le contrôle de l'exercice de certaines
libertés, très souvent au péril des principes fondamentaux
qui gouvernent dans un État de droit.
Bien que d'un point de vue juridique, la situation au Cameroun
ne relève pas de l'état d'urgence,173 notamment en
l'absence d'un décret instituant l'état d'urgence174,
force est d'admettre qu'en pratique, l'état des libertés
publiques, principalement celles considérées par les
autorités comme « susceptibles à entretenir voire à
animer les troubles », laisse penser à une réglementation de
crise. Les pouvoirs publics s'orientent alors relativement au contexte social
assez tendu, vers la garantie de la sécurité des institutions,
quitte à ignorer, et quelques fois bafouer certaines libertés.
L'ordre public prenant des allures autoritaire devient de ce fait davantage
« un ordre de limitation des libertés qu'un ordre de protection de
ces libertés »175
C'est donc à dire que le volet sécuritaire de
l'ordre public constitue un motif en vertu duquel les droits et libertés
sont violés. On note ainsi une certaine hostilité des
autorités à l'égard des manifestations publiques ou des
mouvements contestataires sous le prétexte d'une garantie de la
sécurité dans l'État. Cette attitude des pouvoirs publique
se justifie davantage en raison de la coloration politique que les
autorités n'hésitent pas à donner à la notion
d'ordre public.
2-La politisation de la notion d'ordre
public.
Comme le souligne le professeur Atemengue Jean De
Noël, « dans tous les pays du monde qu'ils soient
démocratiques ou non, l'ordre public comporte toujours une dimension
politique. »176 Le Cameroun ne déroge pas à la
règle. En effet, dans l'ordre juridique camerounais, l'expression
consacrée par le constituant de 1996 dans le préambule, à
savoir :«(...) sous réserve des prescriptions légales
relative à l'ordre, à la sécurité et à la
tranquillité publics» ; prête le flanc à diverses
manipulations de la part des autorités administratives. En effet la
relative imprécision qui caractérise une telle énonciation
de l'ordre public dans la constitution camerounaise, constitue ce que le
professeur Aba 'a Oyono qualifie de « butoirs
liberticides » face aux libertés publiques177.
L'insertion dans la constitution d'une
172 SORO PAMATHIN (S-G), op.cit. p.33.
173 L'article premier de loi n°90/047 du 19
décembre 1990 relative à l'état d'urgence dispose : «
l'état d'urgence peut être déclaré sur tout ou
partie du territoire national : Soit en cas d'évènement
présentant par leur nature et leur gravité le caractère de
calamité publique ; soit en cas de troubles portant gravement atteinte
à l'ordre public ou à la sureté de l'État ; soit en
cas d'agression venant de l'extérieure. »
174 Article 2 de loi n°90/047 du 19 décembre 1990,
op.cit.
175 BEYEGUE BOULOUMEGUE (E G), « la persistance de
l'idéologie de la construction nationale en matière de police
administrative » op.cit. p. 308
176 ATEMENGUE (JDN) ; la police administrative au Cameroun. Op.
cit.p.69
177 ABA'A OYONO (J-C), « les fondements constitutionnels du
droit administratif (...) » op.cit. p.16.
38
telle notion aux contours flous178 voire
fuyants179, offre selon l'auteur, «la latitude de moduler
(à souhait) l'exercice de la liberté, selon les
préoccupations qui sont les leurs. »
Cela dit, loin de sa vocation première qui est la
préservation d'un certain ordre social180, l'État tend
de plus en plus à donner un contenu circonstanciel à la notion
d'ordre public qui varie continuellement selon les orientations ou les
considérations d'ordre politique. Vu de la sorte, l'ordre public devient
une notion à contenu variable181, qui évolue
écrira pierre Laurent Frier « en fonction des
situations et des conceptions sociales. »182
Une telle relativisation du contenu du trouble à
l'ordre public, orchestrée par la défaillance
définitionnelle imputable au constituant camerounais, conduira le
professeur Aba'a Oyono à affirmer que «
l'utilisation de la notion d'ordre public par les autorités
administratives, aboutit (...) à des dérapages, dès lors
qu'elle obéit davantage à des considérations d'ordre
politique que juridique. »183
Convient-il de retenir ici que les manipulations qui
résultent de l'interprétation extensive, voire extensible de
l'ordre public ; constituent très souvent un motif de violation
insidieux des libertés publiques. Que dire alors de la restriction des
libertés publiques par « l'intérêt supérieur de
l'État » ?
Paragraphe 2 : la restriction des libertés par
l'intérêt supérieur de l'État.
Comme le relève le professeur Abane
Engolo, « au Cameroun, dans tous les discours officiels on
évoque l'intérêt supérieur de l'État
»184 cette formulation au combien flou, pose un certain nombre
d'interrogations relativement à l'identification de l'État
titulaire de l'intérêt en question, (A)de sa signification et
même de sa capacité à véritablement remettre en
cause des libertés publiques (B).
178 BIKORO (J.M), les paradoxes constitutionnels en droit positif
camerounais ; op.cit. p.92
179 JACQUINOT (N), Ordre public et Constitution,
cité par S.-G. SORO PAMATHIN ; op.cit. p.30.
180 SORO PAMATHIN (S-G), L'exigence de conciliation de la
liberté d'opinion avec l'ordre public sécuritaire en Afrique
subsaharienne francophone à la lumière des grandes
démocraties contemporaines ; op.cit. p.29.
181 ROLAND (S), « L'ordre public et l'État.
Brèves réflexions sur la nature duale de l'ordre public»,
op.cit. spé. p.13
182 FRIER (P-L) et PETIT (J), Précis de droit
administratif, 6ème éd.,
Montchrestien-lextenso éditions, Coll. « Domat droit public »,
Paris, 2010, p. 257.
183 ABA'A OYONO (J.-C) ; « les fondements constitutionnels
du droit administratif (...) » ; op.cit. p.17.
184 ABANE ENGOLO (P) « existe-il un droit administratif
camerounais ? » ; op.cit. p. 18.
39
A- L'indétermination dans l'identification de
l'État.
La question relative à la détermination de
l'État oppose deux parties de la doctrine, d'une part, nous avons celle
qui postule de la conception institutionnelle de l'État (1), et d'autre
part celle qui défend l'idée de l'incarnation de l'État
par le président de la république. (2)
1-La conception institutionnelle de
l'État.
Selon la thèse relative à la conception
institutionnelle de l'État, il existe une distinction entre
l'État et les gouvernants. En effet, l'État se distingue des
individus qui gouvernent dans la mesure où il constitue une institution
au sens de Maurice Hauriou185 ; et par ce fait
même est doté d'une certaine stabilité dans le temps.
Georges Burdeau écrira également que les
gouvernants doivent être considérés comme des « agents
d'un pouvoir qui les dépasse »186 ; en d'autres termes
ce sont des « instruments » au service de l'État. Cela dit,
l'institutionnalisation de l'État se résume dans la
célèbre expression française selon laquelle « la
couronne ne meurt pas en France. »187. En effet,
écrivait Georges Burdeau, les hommes ont inventé
l'État pour servir de siège à un pouvoir dont les
gouvernants ne seraient pas les propriétaires mais les agents
d'exercice188.
En clair, relativement à cette considération
institutionnelle de l'Etat, le concept « intérêt
supérieur de l'État » retenu dans le texte constitutionnel
du 18 janvier 1996 dans le préambule, apparait alors comme une
donnée abstraite, une idée dont le contenu n'est pas facile
à percevoir ou du moins n'est clairement mentionné. Certainement,
conviendra-t-il alors de donner à cette notion un contenu plus concret,
de nature à rendre compte une fois pour toute de la signification
à donner à ce « bouclier juridique »189 dont
l'administration fait régulièrement recours pour bafouer les
libertés publiques. Une tentative de solution sera apportée
à cet effet par une autre approche doctrinale qui présentera
plutôt la thèse de l'incarnation de l'État dans la personne
du président de la république, thèse défendue
notamment par le professeur Maurice Kamto.
2- L'incarnation de l'État par le président
de la république
Au-delà d'une conception institutionnelle de
l'État qui postule de la distinction entre les gouvernants et
l'État, il est plutôt question ici dans cette approche, de la
confusion voire de
185 MILLARD ERIC, « HAURIOU et la théorie de
l'institution » in Droit et société, n°30-31, 1995.
L'environnement et le droit, pp.381-412.
186 G. BURDEAU, « l'État entre le consensus et le
conflit. », pouvoir 5, 1978, p.66
187 Idem.
188 Idem. p.73.
189 Idem, P.16
40
l'identité entre l'État et le gouvernant ou plus
précisément entre l'État et le président de la
république. En effet, le professeur Maurice Kamto a
démontré dans un raisonnement syllogistique, l'incarnation dans
les États d'Afrique noire francophone, dans la personne du
président de la république.
Dans une première proposition, l'auteur affirme que le
chef de l'État incarne la nation190. En effet, explique-t-il,
en Afrique subsaharienne francophone, où l'idée de nation,
entendue sous sa dimension sentimentale,191 affective, était
encore loin de constituer un acquis, la nation se présentait comme un
projet, un mythe à réaliser. Dans un tel contexte alors, le
président se présentait alors comme « la synthèse des
particularismes (...) dans une nation à bâtir
»192.
Dans une seconde proposition, le professeur fera un
rapprochement entre la nation et l'État. S'inspirant de la doctrine
constitutionnelle française, à l'exemple des écrits des
auteurs tels que Carré de Malberg pour qui «
l'État est la personnification de la nation »193ou
J. Chevallier qui définit l'État comme la
projection de la nation dont il incarne l'unité et la
permanence194 ; le professeur Maurice Kamto
aboutira à la formule selon laquelle l'État n'est pas
une entité juridique distincte de la nation195. C'est donc
partant de ces deux propositions que l'auteur conclura : « si le chef de
l'État incarne la nation qui elle-même se confond à
l'État, (alors) le chef de l'État incarne l'État.
»196 D'ailleurs la constitution camerounaise dispose
précisément dans son article 5 que « le président de
la république (...) chef de l'État (...) incarne l'unité
nationale, il définit la politique de la nation ». Il ressort de la
lecture de cet article que c'est le chef de l'État qui définit et
oriente les objectifs de la nation.197
Cette démonstration a le mérite de permettre de
mieux saisir les contours de la notion d'État, titulaire au Cameroun
d'un « intérêt supérieur ». En effet au terme de
ce raisonnement syllogistique, force est de constater que en
réalité, le concept intérêt supérieur de
l'État renvoie à l'intérêt supérieur du
président de la république considéré ici comme
principal responsable de
190 KAMTO (M), pouvoir et droit en Afrique noire
; op.cit. p. 431
191 Idem.
192 Idem. P.432.
193 CARRE DE MALBERG (R), Contribution à la
théorie générale de l'État, tome 1, Paris,
Sirey, 1920-1922, CNRS. 1972 ; p.19.
194 CHEVALLIER (J) ; cité par KAMTO (M), Pouvoir
et droit en Afrique noire ; op.cit. p.432
195 KAMTO (M), pouvoir et droit en Afrique noire
; op.cit. p. 432.
196 Idem. P.434
197 ABANE ENGOLO (P), existe-t-il un droit administratif
camerounais ? » ; op.cit. p.20
41
l'activité de police administrative198. Une
telle considération ne saurait être sans conséquences
graves sur les libertés publiques.
B- la compromission des libertés face à
l'intérêt supérieur de l'État
Deux conséquences logiques découlent de
l'insertion de la clause relative à l'intérêt
supérieur de l'État dans la constitution. Il s'agit d'une part de
la transcendance du pouvoir politique sur les libertés (1) et d'autre
part, de la subsidiarité des libertés face à
l'intérêt supérieur de l'État.(2)
1-la transcendance du politique sur les
libertés.
L'écriture constitutionnelle dans les pays d'Afrique
noire francophone se caractérise par la relation « dialectique
» qui existe entre le pouvoir et le droit.199 Dans ce rapport,
expliquera le professeur Maurice Kamto, « le pouvoir
transcende le droit et le réduit à un rôle instrumental.
»200 Il en résulte une forte relativisation de la norme
constitutionnelle, à la faveur du pouvoir, dont le but politique et
social prime sur le droit.201Cette suprématie du pouvoir
politique sur la norme juridique est d'ailleurs perceptible dans les textes
constitutionnels africains. Une illustration de cette transcendance du pouvoir
politique sur le droit est inscrite dans la constitution camerounaise du 18
janvier 1996 plus précisément dans le préambule qui
dispose : « les droits et libertés sont garantis aux citoyens dans
le respect (...) de l'intérêt supérieur de l'État.
»
Une telle énonciation des droits et libertés
selon le professeur Aba'a Oyono offre « aux
autorités administratives étatiques la latitude de moduler
l'exercice de la liberté en fonction des préoccupations qui sont
les leurs »202. Vu de la sorte, le droit ne serait en
réalité que la volonté affirmée du pouvoir
politique. Ainsi, l'administration camerounaise ou plus exactement les
autorités de police administrative sont sous l'emprise du
président de la république. Il faut éviter à cet
effet de compromettre le supérieur hiérarchique au risque perdre
son poste.203 Cela étant,
198 ATEMENGUE (JDN) : « les pouvoirs de police
administrative du président de la république au Cameroun »,
verfassung und Recht in Übersee / law and politics in Africa, Asia, and
Latin America, vol. 35, n°1, (1. Quartal 2002), p.106
199 KAMTO (M) ; pouvoir et droit en Afrique
noire, op.cit. P.436-447.
200 Idem.
201 Idem.
202 ABA'A OYONO (J.-C) « les fondements constitutionnels du
droit administratif (...) » ; op.cit. p.17.
203 ABANE ENGOLO (P) « existe-t-il un droit administratif
camerounais ? » op.cit. p.20
42
les agents (de l'État) sont tenus de respecter
scrupuleusement voire religieusement « les consignes données par
leur chef »204
En tout état de cause, l'énoncé des
libertés dans le texte constitutionnel par le truchement des notions
fluctuantes permet selon le professeur Aba'a Oyono de mettre
en exergue l'influence négative que le constituant exerce sur la
protection des libertés205. Intéressons-nous à
la subsidiarité des libertés face à l'intérêt
supérieur de l'État.
2- La subsidiarité des libertés face au
pouvoir politique.
L'utilisation dans la constitution de l'expression
intérêt supérieure de l'État démontre
également de manière claire et précise la place
réservée aux libertés publiques en droit camerounais. En
effet, les libertés publiques sont reléguées au second
rang, face à l'intérêt supérieur qui est très
souvent plus politique que juridique. Vu sous cet angle, telle ou telle autre
liberté peut être ignorée ou piétinée
lorsqu'elle n'entre pas en droite ligne des préoccupations et attentes
des gouvernants.
Il se pose ainsi le problème relatif au contenu, voire
à la signification à donner au concept intérêt
supérieur de l'État. Le texte constitutionnel ne répond
pas à la question. Pourtant, une telle expression comporte un contenu
véritablement abstrait et potentiellement attentatoire aux
libertés, dans la mesure où « tout fait anodin
»206 relevant de l'exercice d'une liberté est
susceptible d'être sanctionné en raison de ce qu'il constituerait
une atteinte à l'intérêt supérieur de l'État.
Pour reprendre la formule du professeur Maurice Kamto qui
relativement à l'insertion dans la constitution des notions floues et
fuyantes et de leurs influence restrictive sur les libertés, l'on
pourrait dire que le constituant camerounais a introduit le loup dans la
bergerie207. C'est donc à dire en fin de compte que le
concept relatif à l'intérêt supérieur de
l'État a pour conséquence directe « l'instauration d'un
droit administratif dans lequel la raison de l'État (et partant de
l'administration) est au-dessus de toute autre finalité comme
l'intérêt général »208
À l'analyse de la proclamation constitutionnelles des
libertés publiques, l'on peut retenir que la réforme
constitutionnelle du 18 janvier 1996, aux premiers abords semblait sonner
204 Idem.
205 ABA'A OYONO (J-C), «Les fondements constitutionnels
du droit administratif : de sa vertueuse origine française a sa
graduelle transposition vicieuse dans des états stable et instable de
l'Afrique francophone» op.cit. p.17.
206 BIKORO (J.M), les paradoxes constitutionnels en droit positif
camerounais, op.cit., p.94.
207 KAMTO (M), cité par ABA'A OYONO (J.-C), les
fondements constitutionnels du droit administratif (...) » ; op.cit.
p.17.
208 ABANE ENGOLO (P) « existe-t-il un droit administratif
camerounais ? », op.cit., p.19.
43
le tocsin d'une protection renforcée des droits
fondamentaux209; mais en réalité étant encore
fortement marquée par les relents de l'autoritarisme210 voire
de l'hégémonie de l'administration, étatique, n'a pu
contribuer qu'à faire des libertés publiques une simple enseigne
décorative.211 Offrant ainsi au législateur la voie
royale vers un aménagement davantage vicieux des libertés.
209 ABA'A OYONO (J-C), « les fondements constitutionnels du
droit administratif (...) » op.cit. p.15.
210 BEYEGUE BOULOUMEGUE (E G) ; « la persistance de
l'idéologie de la construction nationale en matière de police
administrative. » P.30.
211 Idem. P.303.
CHAPITRE II : LES VICISSITUDES DANS L'AMENAGEMENT DE
L'EXERCICE
DES LIBERTES.
44
L'organisation au Cameroun des rassemblements ou plus
exactement des manifestations publiques nécessite l'accomplissement d'un
certain nombre d'obligations légales prescrites par le
législateur. C'est ainsi que la loi n°90/055 du 19 décembre
1990 portant régime des réunions et manifestations publiques pose
l'exigence d'une déclaration préalable qui doit avoir lieu sept
jours francs au moins avant la date de la manifestation.212 En
contrepartie, l'autorité administrative qui reçoit la
déclaration213 doit immédiatement délivrer un
récépissé.214 En effet, faut-il le
préciser, la satisfaction de cette formalité dont la vocation
première est d'informer l'autorité sur la tenue de la
manifestation, oblige ladite autorité à délivrer le
récépissé. Ce dernier ne dispose d'aucun pouvoir
discrétionnaire en la matière. Cela dit, le
récépissé n'équivaut pas à une autorisation
; tout au plus, il ne s'agit là que d'un accusé de
réception attestant que l'autorité a effectivement reçu la
déclaration.
Cependant s'il est théoriquement reconnu depuis les
lois de 1990, une avancée considérable dans le domaine des
libertés publiques de manière générale et des
manifestations publiques précisément, leur exercice semble encore
fortement incertain. Force est de reconnaitre que le texte fait très
souvent l'objet d'interprétations voire d'applications restrictives
à l'égard des libertés. Cela se justifie notamment
à travers la relative obscurité de l'encadrement légal des
libertés (de manifestation en l'occurrence) (Section I) et davantage
encore au regard de la posture sanctionnatrice du législateur
vis-à-vis desdites libertés (section II).
SECTION I : LA RELATIVE OBSCURITE DE L'ENCADREMENT
LEGAL DES
LIBERTES PUBLIQUES.
« L'obscurité des lois rend le
droit imprévisible, en fait un instrument de l'arbitraire, indulgent
envers les plus habiles et les plus puissants, impitoyable envers les faibles
et les
212 Article 7 de la loi n°90/055 du 19 décembre
1990.
213« Le chef de district ou le sous-préfet »
selon les termes de l'article 7(1) et 8(1) 214 Article 8 alinéa 2 de la
loi n°90/055 du 19 décembre 1990.
45
maladroits. »215 Ce propos cher à
Philippe Malaurie s'illustre parfaitement dans la
règlementation en matière de libertés publiques au
Cameroun. En effet, l'inintelligibilité des lois semble
véritablement porter atteinte à la qualité de
celles-ci216 en ce sens où elle les rend malléables
à souhait,217 faisant d'elles un instrument taillé
à la mesure de l'administration. En ce qui concerne la
règlementation des manifestations publiques au Cameroun, elle
soulève quelques incompréhensions relatives justement au contenu
de certaines dispositions qui, on l'a vu ne sont pas toujours claires, simples,
limpides, voire transparentes218. Ainsi sans dire en quoi consiste
la notion de trouble (grave à l'ordre), le législateur offre aux
pouvoirs publics un fort potentiel restrictif à l'égard des
libertés. La difficulté d'une telle disposition est perceptible
à travers l'indétermination de la notion de trouble grave
à l'ordre public, (P1) dont une interprétation
dévoyée donne forcement lieu à une propension restrictive
dans les moyens de préventions desdits troubles. (P2)
Paragraphe 1 : l'indétermination de la notion de
trouble grave à l'ordre public.
Le trouble grave à l'ordre public au Cameroun fournit
le parfait exemple d'un concept à la fois incertain et
imprévisible (A) ; offrant ainsi le soin aux autorités
administratives d'en apprécier le contenu. (B)
A- L'incertitude dans la détermination légale
du trouble grave à l'ordre public.
La définition du trouble grave à l'ordre public
suppose non seulement l'existence d'une menace à l'ordre public (1) mais
également que celui-ci soit d'une gravité notable (2).
1-L'existence d'une menace à l'ordre
public.
Il est un principe consacré dans la jurisprudence
française, notamment à la faveur de l'arrêt
Benjamin219, selon lequel la liberté est la règle et
la restriction l'exception. Ce postulat fixe une orientation de la police
administrative dans l'encadrement des libertés. En effet, les
libertés doivent s'exercer sans entrave des pouvoirs publics, sauf
hypothèse relevant de l'ordre public.
215 MALAURIE (P) ; « l'intelligibilité des lois
» in pouvoir 2005/3n°114 p.131
216 BILOUNGA (S.T); « la crise de la loi en droit public
camerounais. » ; les annales du droit, 11/ 2017, p.23
217 Ibid.
218 PHILIPPE MALAURIE ; « l'intelligibilité des lois
» op.cit. p.131
219 CE, 19 mai 1933, Benjamin, Rec. Leb. p. 541, GDJDA, p.
333). Dans cette affaire, le Conseil d'État a estimé qu'une
interdiction préventive ne pouvait être licite que si la menace
à l'ordre public était d'une exceptionnelle gravité et que
le maire ne pouvait disposer des forces de police nécessaires au
maintien de l'ordre.
46
Ainsi, les restrictions en matière de libertés
publiques, nécessitent la justification par l'autorité, de
l'existence d'une menace susceptible d'occasionner l'atteinte ou
l'altération de l'ordre public. Les nécessités d'ordre
public visent d'une part à éviter que l'exercice des
libertés ne compromette l'intégrité des personnes et des
biens, mais également qu'il ne porte atteinte à d'autre droits et
libertés à valeur constitutionnelle. Tout compte fait, cela
revient à dire prosaïquement que l'exercice des libertés des
uns ne doit pas nuire à la jouissance des libertés des autres. Le
principe a été tant bien que mal réceptionné en
droit Camerounais.
En effet, l'ordre public retenu en droit camerounais comme un
motif insidieux utilisé par l'administration pour fortement remettre en
cause les libertés publiques se distingue de celui appliqué en
France220. L'ordre public, on l'a vu n'est pas véritablement
défini dans la législation camerounaise, d'autant plus qu'il
s'agit d'une notion à contenu variable qui fluctue au gré des
intérêts de l'État. C'est sans doute à l'aune de
cette logique de préservation de l'intérêt de l'État
que l'administration met en oeuvre son pouvoir de restriction pour mettre
à mal l'exercice de certaines libertés, sans que le
caractère attentatoire à l'ordre public ne soit
démontré. Et même lorsque c'est le cas, les motivations de
l'administration se caractérisent par un laconisme flagrant 221.
Pourtant, le juge administratif camerounais depuis l'affaire Mbarga
Raphael avait posé en principe l'obligation de motivation de
l'acte administratif en ces termes : « Attendu (...) que doivent
être motivées les décisions à portée
individuelle qui infligent une sanction, retirent ou abrogent une
décision créatrice de droit »222 cette
décision du juge se justifie en droit administratif en matière de
police administrative dans la mesure où en l'absence d'obligation de
motivation des mesures restrictives, tout fait est susceptible de contrarier
l'ordre public et ainsi justifier la mesure de restriction au détriment
de la liberté.223
La loi n°90/055 du 19 décembre 1990 viendra outre
mesure, en matière de liberté de manifestation, préciser
que certes la limitation de l'exercice des manifestations doit être
fondée sur l'existence d'un trouble, mais celui-ci doit être
considéré comme suffisamment grave pour justifier la mesure de
restriction.224
2- La relative gravité du trouble à
l'ordre public.
Aux termes de l'article 8 alinéa 1 de la loi de 90/055
susmentionnée, il en ressort en substance que la simple
possibilité relative à l'existence d'un trouble susceptible
d'être porté à
220 ABANE ENGOLO (P) « existe-t-il un droit administratif
camerounais ? » ; op.cit., pp. 13-30.
221 Lire METOU (B-M) « vingt ans de contentieux des
libertés publiques au Cameroun » op.cit. ; P.277
222 CS/CA, jugement n°73 du 29 juin 1989,
Mbarga Raphaël C/ État du Cameroun.
223 Lire dans ce sens BIKORO (J. M), les paradoxes
constitutionnels en doit positif au Cameroun ; op.cit. p.94
224Article 8 de la loi n°90/055 du 19 décembre 1990
portant régime des réunions et manifestations publiques.
47
l'ordre public ne constitue pas un motif suffisant pour la
restriction des manifestations. En effet, le législateur souligne que la
manifestation projetée doit être de nature à troubler
gravement l'ordre public pour justifier les mesures de restriction. Autrement
dit, la menace ou le trouble doivent être tels que l'abstention de
l'administration soit susceptible d'entrainer des conséquences graves
et/ou irréversibles. Outre ces cas de figure, la liberté de
manifester ne doit ou ne devrait en principe souffrir d'aucune restriction de
la part des autorités administratives.
Par ailleurs, comment apprécier la gravité de la
menace ou du trouble à l'ordre ? Évidemment, aucun texte n'en dit
mot ; ni le constituant, ni le législateur ne définissent
clairement les critères à partir desquels il serait possible de
déterminer si une liberté publique de manière
générale est ou non susceptible de troubler (gravement) l'ordre
public. C'est en pratique, c'est-à-dire à l'aune des
circonstances que la gravité du trouble pourrait s'apprécier
notamment, à partir de données factuelles225, ou
contextuelles devant orienter le jugement de l'autorité.
Or le contexte camerounais est depuis toujours marqué
par la prégnance d'un régime de consolidation du pouvoir
administratif226 et d'autoritarisation de la police administrative.
Vu de la sorte, toute liberté remettant en cause cette autorité
n'est pas forcément vu d'un bon oeil ; cela dit leur exercice serait
d'ores et déjà en lui-même susceptible de constituer un
trouble qui plus est, un « trouble grave à l'ordre ». Un tel
état des choses rend véritablement difficile l'exercice des
libertés au Cameroun dans la mesure où la limite entre l'exercice
normal des libertés et le trouble grave à l'ordre public devient
de plus en plus incertaine. Cela étant, toute contestation ou
revendication pourrait facilement être considérée comme un
trouble grave à l'ordre public. D'autant plus qu'en fin de compte, le
pouvoir d'appréciation en matière d'ordre public est
laissé à la seule discrétion des autorités de
police administrative.
B- L'appréciation discrétionnaire par les
autorités de police administrative.
De prime à bord, l'idée de pouvoir
discrétionnaire et l'État de droit semblent être deux
notions inconciliables.227Le professeur G. Nlep
soulignera à ce propos que La limite entre le pouvoir
discrétionnaire et l'arbitraire administratif est mal
définie,228et donc incertaine. En effet par opposition
à la compétence liée,229 le pouvoir
discrétionnaire se définie lato sensu comme
225 ATEMENGUE (.JD.N.) ; la police administrative au Cameroun ;
op.cit. p.
226 ONDOA (M), ABANE E. ENGOLO (P), les fondements du droit
administratif camerounais préface op.cit. p.11
227 SORO_PAMATCHIN (S-G) L'exigence de conciliation de la
liberté d'opinion avec l'ordre public sécuritaire en Afrique
subsaharienne francophone (Bénin-Côte
d'Ivoire-Sénégal) à la lumière des grandes
démocraties contemporaines (Allemagne-France) ; Droit. Université
de Bordeaux, 2016 P.284
228. NLEP (R. G) cité par ATEMENGUE (JDN) ; la police
administrative au Cameroun ; op.cit P.180
229 Idem.
48
« cette marge d'appréciation laissée
à l'administration », 230« cette habilitation dont
jouit l'administration à prendre (...) un ensemble de mesures
jugées utiles et opportunes au regard des situations de fait
»231. Cependant convient-il de préciser, le pouvoir
discrétionnaire s'avère être nécessaire à la
survie de l'État232 ; compte tenu du fait que le
législateur ne peut tout prévoir. Dans ce sens il serait
difficile de concevoir un État, qui plus est, un État de droit,
sans l'idée d'un pouvoir discrétionnaire. Une telle
hypothèse serait susceptible d'entrainer « l'immobilisme
»233, la paralysie de l'action étatique. D'où la
nécessité, pour une efficacité des pouvoirs publics, d'une
flexibilité dans l'application de la règle de droit.
C'est donc à dire au final que ces deux notions ne sont
pas en réalité antinomiques. Ainsi pour revenir à notre
sujet de réflexion, le législateur fixe les grandes lignes qui
encadrent l'exercice des libertés, et c'est à l'aune du respect
de l'ordre public que les autorités administratives organisent
l'exercice desdites libertés ; et au besoin les restreint en cas
d'atteinte (grave) à l'ordre public. C'est dans ce sillage que
Jean Rivero soulignera que « c'est la loi qui
énumère un ensemble de conditions et qui de façon
résiduelle donne mission à l'autorité de police
administrative de décider dans un certain sens en prenant toute mesure
utile qui relève de l'appréciation de l'opportunité.
»234C'est fort de cela que le législateur camerounais
reconnait en matière de manifestations publiques un pouvoir
discrétionnaire aux autorités de police, lorsqu'il dispose que si
l'autorité « estime que la manifestation projetée est de
nature à troubler gravement l'ordre public, il (ou elle) peut (...)
»235 prendre les mesures nécessaires afin d'assurer le
maintien de l'ordre lors desdites manifestation.236. De telles
prérogatives sont de nature à susciter légitimement des
inquiétudes quant à leur utilisation. C'est ainsi que
Charles Eisenmann écrira à ce propos que «
le pouvoir discrétionnaire aurait quelque chose de singulier, de
mystérieux ; ce serait un phénomène assez troublant, assez
inquiétant. »237
Cette inquiétude parait davantage justifiée au
regard de la capacité de nuisance que les prérogatives
discrétionnaires de la police administrative pourraient avoir sur les
libertés
230 HAURIOU (M) cité par SORO PAMATCHIN (S-G) ;
L'exigence de conciliation de la liberté d'opinion avec l'ordre public
sécuritaire en Afrique subsaharienne francophone à la
lumière des grandes démocraties contemporaines ; op.cit. p.284
231 SORO PAMATCHIN (S-G), op.cit. p.284
232 Idem.
233 Ibid.
234 RIVERO (J) ; Droit administratif ;
cité par SORO PAMATCHIN, L'exigence de conciliation de la liberté
d'opinion avec l'ordre public sécuritaire en Afrique subsaharienne
francophone à la lumière des grandes démocraties
contemporaines op.cit. p.828
235 Article 8 alinéa 1 de la loi n°90/055
précitée.
236 Ibid.
237 EISENMANN (C), Cours de droit administratif,
Tome II, L.G.D.J.- lextenso éditions, Coll. « Anthologie du droit
», Issy-les-Moulineaux, 2014, p. 289.
49
publiques. Cela étant dit, intéressons-nous
à présent à la portée restrictive des moyens de
préventions des troubles vis-à-vis des libertés.
Paragraphe 2 : la portée restrictive des moyens
de prévention des troubles.
La prévention des troubles à l'ordre public au
Cameroun se caractérise par sa portée véritablement
restrictive vis-à-vis des libertés publiques. Si le principe est
celui de l'aménagement favorable à l'exercice des manifestations,
(A) l'on assiste au Cameroun à une systématisation des
interdictions de manifester. (B)
A- De l'aménagement dans l'exercice des
manifestations.
Il est désormais de notoriété
incontestable au sein de la jurisprudence française depuis l'arrêt
Baldy jusqu'à l'arrêt benjamin, qu'il est un principe selon lequel
les limitations apportées aux libertés par l'autorité de
police ne sont légales que si le maintien de l'ordre public les rend
nécessaires238. C'est donc à dire que la restriction
des libertés, notamment lors des rassemblements publics ne constitue pas
au premier chef l'activité des autorités de police
administrative. Bien au contraire, même lorsque l'ordre est susceptible
d'être menacé, les autorités de police doivent mettre en
oeuvre des mesures ou des moyens alternatifs239 permettant le
déroulement pacifique des manifestations licites240 ; et
quand bien même elles ne sont pas licites c'est-à-dire non
déclarées, les manifestations doivent être
tolérées par les autorités de police.241 La
doctrine française retiendra dans ce sens que plusieurs mesures sont
possibles dans l'encadrement des libertés. L'administration doit choisir
parmi elles celles qui affectent le moins la liberté de
l'individu.242 Il est ainsi consacré une protection optimale
de la liberté de manifester.
Georges Burdeau écrira à cet
effet : « le rôle de l'État est de procurer à la
dialectique de l'ordre et du mouvement (contestataire) les cadres juridiques
qui lui permettent de se dérouler sans heurts trop violents.
»243 Également, dans la même perspective,
Olivier Le Bot, soulignera que l'autorité
informée de la tenue d'une manifestation par le truchement de la
déclaration préalable, se doit « de prendre la mesure de la
réunion ou de la manifestation
238 CHAPUS (R), Droit administratif
général, tome 1, Montchrestien, Domat droit public,
Paris, 15e édition, 2001, pp. 699.
239 LE BOT (O) ; La liberté de manifestation en France :
un droit fondamental sur la sellette ? » p.39
240 DENIZEAU (C) « la liberté de manifestation en
droit européen » in la liberté de manifester et ses limites
; op.cit. P.31
241 Idem.
242 BURDEAU (G), les libertés publiques ;
op.cit. p.43
243 BURDEAU (G), « L'État, entre conflit et consensus
» ; P.69
50
projetée et de prévoir tout en les adaptant, les
mesures nécessaires à son bon déroulement.
».244C'est donc à dire en réalité que les
autorités de police administrative jouent ici un rôle de
facilitateurs dans l'exercice des libertés publiques de manière
générale. À cet effet, elles disposent de plusieurs
mesures alternatives245 dans l'aménagement de l'organisation
des manifestations en vue de garantir dans la mesure du possible246,
un déroulement respectueux de l'ordre public. Dans cette perspective,
les autorités de police peuvent entre autre modifier la date, le lieu ou
l'itinéraire des manifestations publiques lorsque les circonstances
l'exigent. Outre mesure, elles sont tenues de mettre à disposition un
nombre raisonnable de forces de police,247 non pas pour
réprimer mais davantage pour garantir le bon déroulement de la
manifestation en contenant les débordements mais également en
assurant la sécurité des manifestants. Cela dit, la simple
abstention de l'État ne suffit donc pas à la garantie de
l'exercice des manifestations publiques.
L'ordre juridique camerounais est partit sur la base de ce
postulat dans la réglementation des manifestations publiques. Seulement,
le législateur camerounais notamment dans la loi n°90/055,
définit limitativement les options alternatives de la police
administrative dans l'aménagement des manifestations publiques.
L'article 8 alinéa 2 de la loi de cette loi prévoit que
lorsqu'une manifestation est susceptible de troubler gravement l'ordre public,
l'autorité administrative dans le but de prévenir le trouble peut
«lui assigner un autre lieu ou un autre itinéraire » ; dans le
cas contraire, c'est l'interdiction pure et simple de la manifestation. Or on
l'a vu, l'obligation d'action positive qui incombe à l'État dans
la garantie des manifestations implique que les autorités de police
prennent toutes les mesures nécessaires en vue de permettre à la
manifestation de se dérouler sans entraves. Il va sans dire que le texte
législatif ne met pas suffisamment en lumière l'office de
facilitateur de la police administrative dans la protection effective de la
liberté de manifestation. Celle-ci est davantage soucieuse de la
préservation de l'ordre que de l'exercice des libertés.
En définitive, si sous d'autres cieux, ce n'est que
lorsque les risques susceptibles d'être générés par
les manifestations ne peuvent être contenus par d'autres mesures
alternatives moins attentatoires ; que les autorités de police
administratives prennent des mesures restrictives extrêmes telles que les
interdictions. Toujours est-il que la police camerounaise, pour peu qu'une
manifestation présente un risque de trouble, priorise presque toujours
les interdictions.
244 LE BOT (O), « La liberté de manifestation en
France : un droit fondamental sur la sellette ? », op.cit. p.12
245 Ces mesures sont alternatives doivent être les moins
attentatoires possibles aux libertés publiques
246 Il s'agit d'une obligation de moyens, qui pèse sur
l'autorité administrative et non une obligation de résultat.
247 LE BOT (O) ; « La liberté de manifestation en
France : un droit fondamental sur la sellette ? », op.cit. p.41.
51
Or, on le sait très bien toute manifestation est
potentiellement facteur de trouble248 ; et c'est à travers
l'obligation d'encadrement qui pèse sur l'État que les
manifestations peuvent effectivement être garanties. Auquel cas l'on
pourrait assister à la multiplication voire à la
systématisation des interdictions à chaque fois qu'une
manifestation serait déclarée au motif de sa potentielle menace
pour l'ordre public.
B- A la systématisation des interdictions de
manifester.
L'interdiction des manifestations publiques peut être
considérée comme une solution extrême qui en tant que
telle, ne doit être envisagée que lorsque les mesures
préventives s'avèrent inefficaces ou inadaptées pour la
sauvegarde de l'ordre public. Ainsi, la mesure d'interdiction doit être
motivée par l'existence de causes sérieuses suffisamment graves
et attentatoires à l'ordre public. Autrement dit, c'est à l'aune
de la gravité de la menace ou de la dimension du trouble que l'on
apprécie la mesure d'interdiction. Également, faut-il le
préciser, la décision d'interdiction des manifestations,
représente une telle restriction pour les libertés publiques
qu'elle soulève presque toujours la question de sa
nécessité et même de sa proportionnalité au regard
des libertés sacrifiées. C'est alors relativement à cet
ordre de pensée que la jurisprudence française, 249a
retenu que le simple soupçon de la menace ou de la survenance d'un
trouble dans une manifestation ne peut constituer un motif raisonnable
d'interdiction. Aussi dans la même logique, les interdictions
générales et absolues sont interdites. Georges Burdeau
écrira à cet effet, la préoccupation
première des autorités administratives ne doit pas être
« comment vais-je maintenir l'ordre ? » mais : « comment vais-je
permettre l'usage de la liberté sans compromettre l'ordre ? (...) la
solution de facilité qu'est l'interdiction est (donc) en principe
illégale. »250
Le Cameroun une fois de plus s'illustre par un système
rigoureux dans l'encadrement des libertés publiques. En effet, les
mouvements contestataires tels que manifestés lors des descentes dans
les rues se voient généralement, presque systématiquement
opposer des interdictions par les autorités administratives. C'est ce
qui entraine une multiplication des mouvements spontanés. La tendance
à l'interdiction est tant et plus accentuée lors des
périodes dites de tensions sociales à l'instar des mouvements
sociaux des années, 1990 des émeutes de 2008 et plus
récemment encore depuis la période post-électorale de
2018. En effet, les autorités
248 Ibid.
249 C.E., 23 mars 1935, D.H. 1935.367 ; C.E. 12 novembre 1997
; lire à ce propos GUILLUY (T), « liberté de manifestation,
un droit introuvable » RFDA, 2015 P.499.
250 G. BURDEAU ; Libertés publiques op.
cit. P.45
52
en ces périodes dites de fortes contestations sociales
n'hésitent pas à procéder à des interdictions
générales251 de nature à étouffer voire
à supprimer le recours à la rue comme moyens d'expression ou de
revendication. Le recours aux interdictions est devenu un
réflexe252 de l'administration à l'égard des
manifestations publiques ; à tel point que la mesure d'interdiction est
devenue la règle et l'exercice des libertés l'exception. Ainsi,
Manifester au Cameroun du moins dans la légalité est devenue une
exception. La règlementation en matière de manifestation y
contribue fortement en ce qu'elle offre la latitude aux autorités
d'exercer à travers leur pouvoir prohibitif, ce que M.
Bouloumegue253 qualifie « d'action
hégémonique » de la police administrative camerounaise. Or,
sous d'autres cieux, écrira le professeur Abane E. Engolo,
l'on oblige l'administration à n'interdire les manifestations
que lorsqu'elle ne peut les encadrer.254
Il est donc à préciser dans ce contexte que
l'administration repose et a toujours été fortement
attachée à des fondements impérialistes,
c'est-à-dire dominateurs, hégémonique.255C'est
justement relativement à ce rapport fragile entre État et
libertés publiques, que Charles Debbasch et Jacques Bourdon
soulignerons que « La souveraineté étatique se
méfie toujours des puissances rivales qu'elle n'encadre pas. Tout groupe
organisé est un concurrent pour l'État : la tentation des
gouvernants est de l'interdire, d'en limiter l'efficacité, de le
contrôler ».256 Cette attitude hostile de
l'administration se matérialise et se concrétise à travers
la multiplication de dispositions répressives en matière de
rassemblements publics. Ainsi remarquerons-nous l'instauration ou la fixation
d'un régime sanctionnateur des libertés publiques au Cameroun.
251 Cf. l'arrêté préfectoral
n°125/AP/C19/SP du 14 janvier 1991 interdisant les manifestations sur la
voie publique dans le département du Wouri ; ou l'arrêté
préfectoral de 2008 interdisant les manifestations dans la même
localité au cours de la période des mouvements sociaux de 2008
;
252 ABANE E. ENGOLO op.cit. P. 29
253 B. BOULOUMEGUE EMMANUEL GHILSLAIN op.cit. P.303
254 ABANE ENGOLO (P) « existe-t-il un droit administratif
camerounis op.cit. P.29
255 Ibid.
256 DEBBASCH (C) et BOURDON (J): « Introduction »,
Presses Universitaires de France « Les associations ». 2006. p. 3.
Cité par MOKNI (H B), L'exercice des libertés publiques en
période de transition démocratique : le cas de la Tunisie
P.180
53
SECTION II : LA FIXATION D'UN REGIME SANCTIONNATEUR DES
LIBERTES
L'exercice des rassemblements publics au Cameroun est soumis
à un certain nombre de règles dont la violation équivaut
à des sanctions diverses. Ce régime de sanctions se
déploie au niveau de l'exercice des manifestations licites (P1) et se
veut plus répressif en ce qui concerne les manifestations illicites.
(P2)
Paragraphe 1 : la répression dans le
déroulement des rassemblements licites.
L'exercice des manifestations publiques au Cameroun est
presque systématiquement opposé à un réflexe de la
police administrative, visant soit la protection de l'autorité de
l'État à travers la répression insidieuse de la
subversion, (A) soit encore la répression des atteintes ou troubles au
service public. (B)
A- La protection de l'autorité de l'État : la
répression insidieuse de la subversion.
La protection de l'autorité publique se veut
véritablement renforcée en droit administratif camerounais. Le
décret du 04 juin 1970 relatif à la sureté de
l'État la dispose précisément que la sureté
intérieure de l'État comporte toutes les mesures visant à
prévenir et à réprimer : « les troubles
constitués par les menaces ou des atteintes graves et
répétés à la tranquillité et à la
sécurité publique ; la subversion contre l'autorité
publique (...) »257. C'est dans ce cadre que les textes visent
; quitte à quelques fois sacrifier les libertés publiques,
à protéger l'État contre toute entreprise « de nature
à porter atteinte au respect dû aux autorités publiques ou
à inciter la haine contre le gouvernement de la république
».258
En effet, même dans le cadre de l'exercice
régulier des manifestations publiques c'est-à-dire celles
organisées dans le respect des obligations légales fixées
par le législateur ; l'administration camerounaise reste malgré
tout portées vers sa politique de « mise à l'abri du pouvoir
»259. Il n'est pas question que l'exercice des libertés
ne vienne mettre en cause l'autorité de l'État. Cet état
des choses est perceptible au regard de la prégnance de la
législation anti-subversive et l'interdiction des faits constitutifs de
sédition au Cameroun.
257 Article 1er du décret n°70/DF/264 du
04 juin 1970 relatif à la sureté de l'État
258 ATEMENGUE (JDN) ; la police administrative au Cameroun ;
op.cit. P.85
259 Idem.
54
Alors que l'on croyait enfin révolue la période
de la législation anti-subversive260,
caractérisée par la diabolisation de la contestation politique ;
et qu'on présageait alors un passage définitif d'un ordre
juridique autoritaire vers un ordre libéral, protecteur des
libertés publiques261 ; force est de constater au bout du
compte que le contexte reste inchangé depuis lors. En effet, cela peut
s'expliquer à travers le jeu de dupes, le véritable tour de
passe-passe imputable au législateur camerounais d'alors, qui n'a fait
que transférer les dispositions controversées de l'ordonnance
n°62-OF-18 de 1962 dans le code pénal par le truchement de la loi
n°90/061 du 19 décembre 1990 portant modification de quelques
dispositions du code pénal.262 L'exemple est d'autant plus
probant à l'analyse du code pénal dans sa version la plus
récente. En effet la loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 portant code
pénal, semble ne pas faire référence à la
subversion dans ses dispositions. Pourtant le législateur sans en
modifier la substance, a insidieusement maintenu les mêmes dispositions
anti-subversives : il n'a fait que disparaitre le terme subversion pour le
remplacer par une notion non moins similaire, notamment, la
rébellion263. Si le texte fait expressément
référence à l'abrogation264 du caractère
politique de la rébellion, cela ne doit occulter en rien l'influence
négative du législateur sur l'épanouissement des
libertés publiques au Cameroun.
De plus, l'action répressive du législateur en
matière de libertés publiques se concrétise davantage vers
la protection de l'autorité étatique à travers l'article
235 de la loi portant code pénal qui incrimine les comportements tels
que les cris et chants séditieux proférés dans des espaces
ouverts au public. Ainsi une manifestation contestataire même
déclarée n'est pas à l'abri du pouvoir répressif de
l'administration publique en ce sens où le contenu à donner
à la notion de cris ou champs séditieux est véritablement
contingent. Cela dit, même lorsque les garanties textuelles sont
prévues et consacrées en matière de manifestations
publiques, l'administration garde néanmoins une « capacité
juridique de nuisance qui mine (de manière générale)
l'exercice des libertés publiques. »265
En dernière analyse, le régime des
manifestations publiques au Cameroun reste et demeure fortement remis en cause
en raison du caractère autoritaire de l'ordre public qui
260 Cette période allait de l'adoption de l'ordonnance
n°62-OF-18 du 12 mars 1962 jusqu'à son abrogation avec la loi
n°90/061 du 19 décembre 1990.
261 OLINGA (A.D.), « vers une garantie constitutionnelle
crédible des droits fondamentaux », cité par METOU (BM) ;
« vingt ans de contentieux ..... » OP. cit. p.268.
262 Lire à ce sujet OJONG (T); l'infraction politique
en droit pénal camerounais. D.E.A. de droit privé fondamental
2005 université de Douala. 2005.
263 Article 157 et suivants de la loi n°2016/007 portant
code pénal.
264 Contrairement au décret n°70/DF/264 relatif
à l'unité nationale dont les op.cit
265 ABA'A OYONO (J-C) « fondements constitutionnels du droit
administratif camerounais(...) », op.cit. p.16.
55
prévaut même dans l'hypothèse de
l'exercice licite des manifestations. Garantissant ainsi à travers la
répression des libertés, la préservation de
l'autorité de l'État mais également une protection
renforcée du service public.
B- La répression des atteintes au fonctionnement du
service public.
Le service publique peut être appréhendé
tant au sens matériel qu'au sens formel. Dans son sens matériel,
il désigne toute activité destinée à satisfaire
à un besoin d'intérêt général.266
Au sens formel le terme renvoie à un l'ensemble organisé de
moyens matériels et humains mis en oeuvre par l'État ou une
collectivité publique en vue de l'exécution de ses
tâches.267 Outre mesure, les services Publics dont il est
question ici sont généralement considérés par la
doctrine comme la base de l'État et sa raison
d'être268. Vu de la sorte, l'exercice des libertés
publiques ne devrait en aucune façon nuire au fonctionnement des
services publics. Cela dit, la protection du service public implique
également la préservation des moyens dont il dispose dans la
réalisation de ses missions.269
C'est sur la base de telles considérations que
s'expliquerait alors la tendance de la police administrative à favoriser
la prééminence de la continuité des services publics par
rapport aux libertés publiques ; et le fort déploiement des
forces de police lors des mouvements de grève, non pas pour la
sécurité des personnes, mais davantage pour la sauvegarde du
service public contre les atteintes susceptibles de le
compromettre.270 Cette réalité correspond alors
à l'axiome selon lequel « le service public justifie toute
extension de l'État et toute restriction des libertés
».271
En droit camerounais, du moins au plan textuel, cette
protection du service public contre toute atteinte est mise en oeuvre dans le
code pénal qui incrimine les troubles dans le service272 et
prévoit à cet effet une peine d'emprisonnement de six jours
à un mois ou d'une amende de
266 Lexique des termes juridiques, 25e éd.,
Dalloz, Paris, 2017-2018.
267 Idem
268 KERKATLY (Y) ; Le juge administratif et les
libertés publiques en droits libanais et français. Thèse
pour obtenir le grade de docteur de l'université de Grenoble. 5 novembre
2013. P.281
269 Il s'agit notamment des infrastructures et ouvrages publics
qui sont souvent en proie à des actes de dégradation lors des
mouvements de grève
270 KERKATLY (Y) ; idem. p.280
271 DELVOLVE (P), « Service public et libertés
publiques », RFDA1985, cité par BOYER-CAPELLE (C), le service
public et la garantie des libertés ; thèse en vue de l'obtention
du grade de docteur à l'université de Limoges ; P.11.
272 Article 185 de la loi n°2016/007 portant code
pénal
56
mille à cinquante mille francs pour celui qui trouble
le fonctionnement d'un service auquel il est étranger.
Également, dans la même perspective, le
législateur prévoit que les actes de dégradation de
destruction ou de vandalisme, notamment qui pourraient survenir lors des
manifestations constituent des infractions réprimées dans
l'article 187 du code pénal qui dispose : « est puni d'un
emprisonnement de un(01) mois à deux (02) ans et d'une peine d'amende de
vingt mille (120 000) francs celui qui détruit ou dégrade soit un
monument, statue ou autre bien destiné à l'utilité public
ou à la décoration publique et élevé par
l'autorité publique ou avec son autorisation soit un immeuble, objet
mobilier, monument naturel, ou site inscrit ou classé. » tout bien
considéré, il ressort à la lecture de cette disposition
que le législateur se pose ici en défenseur des
intérêts de l'État et en protecteur du bien public.
Une telle attitude du législateur se conforte davantage
au regard de l'article 116(a) du code pénal qui démontre une fois
de trop la posture sanctionnatrice du législateur vis-à-vis des
libertés. En effet aux termes de cette disposition, l'on relève
que les peines encourues en matière de destruction ou de
dégradation peuvent être aggravées273 lorsque
les infractions en question sont considérées comme relevant de
l'insurrection274.
Il parait donc clair que l'exercice des manifestations,
mêmes celles organisées licitement, doivent se dérouler
dans un cadre restreint, minimal qui ne soit pas de nature à porter
atteinte à l'ordre, encore moins au fonctionnement du service public.
C'est donc à retenir en fin de compte que la règlementation au
Cameroun en matière de rassemblements publics du moins ceux
organisés licitement ; est véritablement stricte et fortement
restrictive. Que dire alors des manifestations illicites ? C'est-à-dire
organisées dans l'irrespect de la règlementation en vigueur.
Paragraphe 2 : la répression des rassemblements
illicites.
La répression des rassemblements illicites au Cameroun
se caractérise par un éventail de sanctions diverses visant
à réprimer l'organisation illicites des manifestations publiques.
(A) Dans cette logique sanctionnatrice, le législateur offre aux
autorités la possibilité d'étendre la répression
des rassemblements illicites à des infractions relativement graves et
dont le régime se veut davantage coercitif. (B)
273 Les peines encourues sont de 10 à 20 ans
d'emprisonnement. Article 116 de la loi n°2016/007, op.cit.
274 Article 116 de la loi n°2016/007 op.cit.
57
A- les sanctions relatives à l'exercice
illégal des manifestations publiques.
La liberté de manifester en droit public camerounais
représente au sens du professeur Brusil Metou, «
une liberté strictement encadrée et contrôlée
».275 Cet encadrement se révèle d'autant plus
rigoureux au regard des sanctions relatives à l'inobservation des
obligations légales qui conditionnent le déroulement des
manifestations publiques. À cet effet, de manière
générale dans l'ordre juridique camerounais, les textes
organisant les libertés publiques comportent dans certains cas et ce
systématiquement,276 des dispositions réservées
aux sanctions ou à la répression des infractions commises en
violation desdits textes. Dans d'autres cas, « lorsqu'ils n'organisent pas
eux-mêmes leur système de répression, ils
établissent une cloison avec le code pénal.
»277C'est ainsi qu'en matière de répression des
manifestations spontanées, c'est-à-dire organisées sans le
dépôt préalable d'une déclaration ou alors en
dépit d'une notification expresse d'interdiction ; le législateur
prévoit notamment dans la loi n°90/055 du 19 décembre 1990,
un chapitre intitulé « des dispositions pénales et diverses
». En effet, ce chapitre traite de la sanction des manifestations
organisées illicitement en reprenant presque littéralement les
dispositions du code pénal.278
D'entrée de jeux l'article 9 de la loi régissant
les réunions et manifestations publiques reprendra à son compte
l'article 281 alinéa 1 du code pénal qui dispose : « est
puni d'un emprisonnement de quinze (15) jours à six (6) mois et d'une
amende de cinq mille (5000) à cent mille (100.000) celui qui :
a) participe à l'organisation d`une réunion
publique qui n'a pas été préalablement
déclarée ;
b) fait une déclaration de nature à tromper les
autorités publiques sur les conditions ou l'objet de la réunion
;
c) avant le dépôt de la déclaration
préalable ou après interdiction légale d'une
manifestation, adresse par quelques moyens que ce soit, une convocation
à y prendre part ;
d) fait une déclaration incomplète ou inexacte
de nature à tromper sur les conditions de la manifestation
projetée. »
En substance au terme de la lecture de cette disposition, il
en ressort que l'État camerounais par l'entremise du législateur,
entend véritablement condamner non seulement les
275 BRUSIL METOU « vingt années de contentieux des
libertés publiques au Cameroun. » ; op.cit. P.275
276 Ibid.
277 Ibid.
278 Article 231 de la loi n°2016/007 portant code
pénal, op.cit.
58
irrégularités dans l'effectuation de la
déclaration en amont ; mais également, la participation à
des manifestations non déclarées ou formellement interdites en
avale. Toujours dans ce sens, l'alinéa 2279 du même
article dispose que les organisateurs des manifestations non
déclarées ou interdites sont passibles des mêmes peines
susmentionnées dans l'alinéa 1.
L'article 231-1 du code pénal va plus loin encore dans
la répression en sanctionnant les manifestations à
caractère politique exercées dans l'enceinte des
établissements publiques ainsi que dans les milieux éducatifs
à l'instar des établissements scolaires et universitaires. C'est
donc à dire en fin de compte que le régime des manifestations
publiques au Cameroun est in extenso rigoureux. Cela dit, s'il n'est plus
possible de douter plus d'un siècle après
Clémenceau de l'existence de la réalité
d'un droit de manifester, l'on pourrait cependant s'interroger au Cameroun en
ce qui concerne la « tolérance de manifestation »
;280 surtout lorsqu'il s'agit des manifestations à
caractère revendicatifs ou contestataires,281 face auxquelles
les autorités n'hésitent pas à étendre la
propension répressive de la législation camerounaise
vis-à-vis des libertés publiques.
B- L'extension dans la répression des rassemblements
illicites.
Les mouvements contestataires, dans les régimes
autoritaires sont très généralement assimilés
à tort ou à raison à des bandes armées, (1) des
mouvements insurrectionnels, ou des attroupements et de ce fait sont soumis
à des sanctions lourdes. (2) cela notamment du fait du
législateur qui en offre les moyens aux autorités
étatiques.
1- la répression des bandes
armées.
L'article 115 du code pénal282 camerounais
dispose : « est puni d'un emprisonnement de 10 à 20ans (toute
personne) ayant seulement participé à la réunion des
bandes armées. » À l'analyse de cette disposition, le
problème qui se pose aux premiers abords est celui de la
définition même de la notion de bande armée. À cet
effet le texte prévoit que « constitue une bande armée (...)
tout rassemblement d'au moins cinq personnes dont l'une au moins est porteuse
d'une arme apparente ou cachée.» A ce niveau encore la
frontière parait très mince
279 Article 281alinéa 2 du code pénal repris par
l'article 10 de la loi n°90/055 du 19 décembre 1990 portant
régime des réunions et manifestations publiques.
280 En effet CLEMENCEAU (G), s'interrogeait en 1907 sur
l'existence d'un droit de manifester en ces termes « je ne suis pas bien
sûr qu'il existe un droit de manifestation, mais je suis d'avis cependant
qu'il peut et doit y avoir une tolérance de manifestation. » ; lire
à ce propos GUILLUY (T), « la liberté de manifestation, un
droit introuvable ? » op.cit. ; p.499
281 Cf. infra (la partie concernant la rupture
d'égalité dans l'activité de police administrative)
282 Loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 portant code
pénal ; op.cit.
59
entre les bandes armées et les mouvements de
grèves et manifestations publiques. Ceci dans la mesure où une
manifestation peut rassembler un grand nombre de participants, mobiliser un
nombre important de protestataires d'origines différentes ; et il
suffirait ainsi qu'un seul individu, participant ou non pour peu qu'il soit
à titre personnel porteur d'une arme, suffise à changer le
régime ou le statut de manifestation à celui de bande
armée. Pourtant, les articles 237 et 238 du même code pénal
répriment déjà à titre individuel la
détention illégale d'arme. C'est donc pour ainsi dire que lorsque
l'on est en présence des cas isolés de port illégal
d'arme, il conviendrait de sanctionner le contrevenant sans que la
liberté de manifestation n'en pâtisse.
Si aucune contestation ne se pose en ce qui concerne la
condamnation relative au port illégal des armes à feux et des
armes blanches, là où le bât blesse283
véritablement c'est au niveau de la définition que le
législateur de manière générale prévoit dans
le code pénal. En effet l'article 117 dispose : « (...) sont
considérés comme armes tous les objets portés avec
l'intention de causer des dommages corporels ou matériels » le
danger d'une telle disposition est qu'elle consacre à l'égard de
l'autorité de police un pouvoir d'appréciation et de
décision trop important, et même à la limite exorbitant. En
effet il lui revient lors d'une manifestation de déterminer si tel ou
tel objet peut être considéré comme arme susceptible de
« causer des dommage corporels ou matériels ». À l'aune
de quoi mesure t'on l'intention de nuire sinon lorsque le dommage a
déjà été causé ? Vu de la sorte, tout objet
pourrait potentiellement être assimilé à une arme lorsque
l'autorité estime que son porteur manifeste l'intention de s'en servir
dans le but de commettre une infraction. En tout état de cause, au
regard de cette « structure permissive du droit »284
occasionnée à travers la définition ambiguë,
incertaine des notions ou infractions contenues dans le code pénal, Les
mouvements de grèves ou manifestations contestataires ne sont pas
à l'abri de la riposte répressive de l'autorité
administrative. Que dire alors de la répression des attroupements et des
mouvements insurrectionnels ?
2- la répression des attroupements et des
mouvements insurrectionnels.
Du latin « insurrectus » qui veut
dire s'est soulevé, l'insurrection désigne de manière
générale un soulèvement, une rébellion de la masse
populaire contre l'État le régime ou le pouvoir politique
établi285. Initialement considérée comme «
un droit naturel et
283 Expression utilisée par le professeur ABA'A OYONO
(J-C) dans « les fondements constitutionnels du droit administratif (...)
» p.16
284 FUNK (A) ; « Police militarisée » : une
notion ambiguë. In: Déviance et société. 1992 - Vol.
16 - N°4 p.394
285 La notion d'insurrection est inconnue du lexique des
termes juridique. Lire MBAHEA JOSEPH MARCEL II le régime juridique de
l'insurrection : une étude des cas libyens et syrien.
60
imprescriptible »286, et bien plus encore
comme « le plus indispensable des devoirs »287, lorsque le
gouvernement viole des droits du peuple ; cette notion sera au fil du temps
retirée des textes internationaux et de ce fait cessera d'être
considéré comme un droit de l'homme en raison de ce qu'elle de
plus en plus était considérée comme un facteur
d'instabilité et de désordre susceptible de fragiliser
l'intégrité de l'État et de ses institutions. Ce qui
naguère était considéré comme un droit de l'homme
se présente aujourd'hui comme une atteinte à l'ordre
constitutionnel, une infraction qualifiée d'hostilité contre
l'État.
En droit camerounais, le législateur ne définit
pas expressément le terme insurrection288 ; c'est donc en
ayant recours au droit comparé, notamment celui appliqué en
France que l'on pourra définir un mouvement insurrectionnel comme «
toute violence collective de nature à mettre en péril les
institutions de la république ou porter atteinte à
l'intégrité territoriale (...)»289 l'absence ou
du moins le floue qui caractérise la notion et dans une certaine mesure
L'incrimination de l'insurrection en droit camerounais fait d'elle une arme aux
mains du pouvoir politique, un motif ou un instrument de nature à
justifier voire légitimer le durcissement des pratiques
policières et du dispositif répressif à l'égard des
mouvements contestataires exercés contre l'autorité
étatique. L'un des exemples les plus récents est justement
l'arrestation des partisans du M.R.C et de leurs leaders à la suite de
manifestations qualifiées de « marches blanches" organisées
le 26 janvier 2019, à la faveur de la crise postélectorale
d'octobre 2018.290 Parmi les chefs d'accusations qui étaient
retenus contre ces derniers figuraient entre autres l'acte d'insurrection et
l'incitation à l'insurrection. Partant de cela, le constat est clair :
la frontière entre l'exercice ou l'expression collective des
libertés, et les mouvements insurrectionnels est incertaine, compte tenu
du reflexe291 des autorités administratives
caractérisé par la mise à l'écart des voix
dissidentes. Ce constat s'étend également dans la
répression des attroupements.
En effet, en ce qui concerne la répression des
attroupements, convient-il au préalable que nous définissions la
notion d'attroupement. Celle-ci en réalité peut être
définie au sens de G. Burdeau comme toute
réunion de personnes en rébellion délibérée
contre l'autorité.292 Le
286 Article 2 de la déclaration des droits de l'homme et
du citoyen de 1789
287 Confère la déclaration des droits de l'homme et
du citoyen de 1793
288 L'article 116 de la loi n°2016/007 du 12 juillet 2016
portant code pénal au Cameroun est porte sur l'insurrection. Seulement
le législateur de définit point la notion ; il se contente tout
au plus à réprimer un certain nombre d'infractions
spécifiques commis dans le cadre d'un mouvement insurrectionnel.
289 Article 412-3 du code pénal français.
290
Camerountribune.com
publié le 20 mars 2019.
291 ABANE ENGOLO (P); « existe-t-il un droit administratif
camerounais ? » op.cit. p.29.
292 BURDEAU (G); Les libertés publiques
op.cit. p.308.
61
code pénal camerounais quant à lui
définit l'attroupement comme « toute réunion sur la voie
publique d'au moins cinq personnes de nature à troubler la paix
publique. »293 À ce niveau généralement,
il n'est pas rare qu'en pratique les notions d'attroupement et de
manifestations publiques se confondent. M. Thibault Guilluy
ira même jusqu'à définir une manifestation comme
« une forme d'attroupement sur la voie publique »294.
C'est donc à dire que la différence ici est mince entre ces deux
notions ; et c'est généralement écrira G. Burdeau,
à l'aune de « l'élément délictuel
»295 que l'attroupement se détermine. Il y'a par exemple
attroupement en cas de refus d'obéir de la part des manifestants
à la première injonction de dispersion de l'autorité de
police296. L'infraction est d'autant plus aggravée lorsque
les manifestants demeurent dans l'attroupement jusqu'à la dispersion par
la force297 ou encore lorsque les attroupements ont un
caractère armé.298
En tout état de cause, au regard de la batterie de
textes à caractère répressif qui encadrent de
manière générale l'exercice des libertés publiques
au Cameroun, le constat est clair : « il est au (Cameroun) plus un ordre
de limitation des libertés qu'un ordre de protection de ces
libertés »299
293 Article 232 de la loi n°2016/007 portant code
pénal au Cameroun op.cit.
294 GUILLUY (T) ; «« la liberté de
manifestation, un droit introuvable ? » op. cit.p.499
295 BURDEAU (G) ; Les libertés publiques
op.cit. p.213.
296 Article 232 alinéa 2 du code pénal ; op.cit
297 Article 232 alinéa 3 du code pénal ; op.cit
298 Article 233 du code pénal ; op.cit
299 BEYEGUE BOULOUMEGUE (E). « La persistance de
l'idéologie de construction nationale en matière de police
administrative » op.cit. p.308
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE.
62
L'analyse des réformes relatives aux libertés
publiques au Cameroun témoigne de son adhésion (du moins de la
volonté d'y adhérer) ; aux principes de l'État de droit
depuis la mouvance de démocratisation des années 1990
observée dans les pays d'Afrique noire francophone. Cela s'est traduit
par une avancée dans la concrétisation et même la garantie
des libertés publiques. Seulement, cette démarche ne s'est pas
faite sans un certain nombre de vicissitudes qui rendent encore difficile
l'exercice de certaines libertés au Cameroun. Cela dit, la
règlementation des libertés publiques de manière
générale reste encore véritablement restrictive.
En effet, si les textes aux premiers abords donnent
l'impression de garantir la jouissance et même l'exercice des
libertés publiques au Cameroun, paradoxalement, ceux-ci érigent
des butoirs liberticides,300 tels que l'ordre public ou
l'intérêt supérieur de l'État ; grâce auxquels
l'administration bafoue un certain nombre de libertés. À titre
d'illustration, si d'un côté l'exercice de la grève semble
jouir d'une garantie constitutionnelle, à l'inverse d'un autre
côté la mise en oeuvre de celle-ci se heurte en pratique et ce
systématiquement à un système restrictif voire coercitif.
Les libertés publiques se trouvant ainsi malmenés dans un
mouvement paradoxal particulièrement
déstabilisant.301
Une telle réalité rend véritablement
imprévisible le droit des libertés publiques au Cameroun. Or,
comme le souligne si bien P. Malaurie, un droit
imprévisible devient alors l'instrument de l'arbitraire.302
Vu de la sorte, l'on aboutit alors inévitablement à une inflation
des pouvoirs discrétionnaires des autorités en matière de
police administrative, au grand dam des libertés publiques.
300 ABA'A OYONO (J-C), « les fondements constitutionnels du
droit administratif (...) » ; op.cit. p.16.
301 ROUDIER (K), « La liberté de manifestation
aujourd'hui en Italie. Quels problèmes, quelles perspectives «
op.cit., P.58.
302 MALAURIE (P) « l'intelligibilité des lois »
; op.cit., p.131.
DEUXIEME PARTIE: L'INFLATION DES POUVOIRS
DISCRETIONNAIRES DES AUTORITES DE POLICE ADMINISTRATIVE.
|
64
Les différentes zones d'ombres de la législation
camerounaises en matière de gestion administrative des tensions
sociales, doublée de la recherche obsessionnelle de la sauvegarde de
l'intérêt de l'État vont contribuer à renforcer de
manière significative le champ d'action des autorités de police
en matière de maintien de l'ordre ; et surtout, comme on le verra plus
loin face à la résurgence des questions sécuritaires.
À cet égard, comme le relève le
professeur L. Guessele Isseme l'on aboutit alors
forcément à une situation dans laquelle « les pouvoirs qui
sont reconnus (...) aux autorités en matière de police, leur
donne la latitude d'assurer le maintien de l'ordre public sans aucune
limite303 ». « En d'autres termes les compétences
de police administrative deviennent illimitées et ne connaissent plus
l'obstacle des droits et libertés des citoyens.»304 Or,
du pouvoir discrétionnaire à l'arbitraire, il n'y'a qu'un pas
étant donné que ce dernier s'appréhende comme le «
pouvoir absolu dont les décisions ne sont soumises qu'aux caprices de
ses détenteurs », « qui n'est pas le résultat de
l'application d'une règle existante mais le produit d'une volonté
libre »305, souvent à « caractère injuste.
»306 C'est fort de cette situation que l'inflation des
compétences de police administrative se manifeste dès lors par
l'instrumentalisation des pouvoirs de police (chapitre I) en face desquels les
organes de contrôle semblent manifestement inopérants (chapitre
II).
303 GUESSELE ISSEME (L) l'apport de la cour suprême au
droit administratif camerounais, op.cit., p.503.
304 Idem.
305 CHAUVET CLEMENT, « Arbitraire et
discrétionnaire en droit administratif », dans : Gilles J.
GUGLIELMI éd., La faveur et le droit. Paris cedex 14, Presses
Universitaires de France, « Hors collection », 2009, p. 335-355.
306 Idem.
CHAPITRE I: L'INSTRUMENTALISATION DES POUVOIRS DE POLICE
ADMINISTRATIVE.
65
En vertu du pouvoir général qui leur appartient
d'assurer le bon ordre, les autorités de police peuvent intervenir dans
le domaine d'une liberté quelconque sans avoir à y être
autorisés307 ; ni sans que cela ne requiert le consentement
des administrés destinataires des décisions. Quoiqu'il en soit,
les pouvoirs des autorités de police administrative doivent s'exercer
dans le cadre du respect de la légalité et de
l'intérêt général.
Dans l'ordre juridique camerounais, l'étendue des
pouvoirs de police administrative semble en proie à des manipulations et
instrumentalisation diverses. Ce postulat s'observe non seulement à
l'analyse du détournement des pouvoirs de police administrative par les
pouvoirs publics. (Section I) mais également au regard des
préoccupations sécuritaires, qui de manière insidieuse
justifieront l'orientation sécuritaire de la police administrative.
(Section II)
SECTION I: LE DETOURNEMENT DES POUVOIRS DE POLICE
ADMINISTRATIVE.
Les pouvoirs sont attribués à l'administration
dans un but bien déterminé. Le détournement de pouvoir
existe ainsi lorsqu'une autorité administrative use de ses pouvoirs
à des fins autres que celles pour lesquelles ils lui ont
été conférés.308Ainsi, si en
matière de police administrative, les pouvoirs reconnus aux
autorités sont en principe destinés au maintien, de l'ordre
public ; force est de constater un usage de plus en plus dévoyé
de l'ordre public, qui au-delà des considérations juridiques
aboutit à une politisation de la notion d'ordre public. Or si l'ordre
public est la raison d'être, le motif nécessaire et obligatoire de
la police administrative,309 et si comme le relève le
professeur J. D.N. Atemengue, la politisation de la notion
d'ordre public débouche sur la politisation du droit
lui-même,310 alors aboutit-on forcément à une
politisation de la police administrative.
307 BURDEAU (G), Les libertés publiques ;
op.cit. p.41
308 DEBBASCH (C) et RICCI (J-C) Contentieux administratif
; op.cit. p. 602
309 MOREAU (J), Polices administratives :
Théorie générale, juris-classeur administratif (JCA)
Fasc.200, 11. 1985, p. 9-10. Cité par ATEMENGUE (JDN) « le pouvoir
de police du président de la république » op.cit. p.83 ;
310 ATEMENGUE (J.D.N); la police administrative au Cameroun ;
op.cit. p.91
66
C'est suivant cette logique que l'on assiste dans l'ordre
juridique camerounais à une extension voire un détournement du
champ d'action des pouvoirs de police administrative, tantôt en dehors du
cadre tel que défini (P1) par les prescriptions légales
tantôt au-delà même de la règlementation en vigueur.
(P2)
Paragraphe 1 : l'utilisation des pouvoirs de police en
dehors des prescriptions légales.
La fonction instrumentale de la police administrative au
Cameroun se situe en dehors même de toutes considérations
juridiques. Cela s'illustre véritablement au regard de son utilisation
dans la préservation du pouvoir politique (A) d'une part, et au regard
de son déploiement dans l'annihilation de la protestation politique
d'autre part (B).
A-La police administrative : instrument de
préservation du pouvoir politique.
Le constitutionnalisme africain est orienté vers un
impératif de pérennisation et d'intangibilité des
détenteurs du pouvoir311. Cette logique de
pérennisation du « chef de l'État » est liée
à la nature profonde du présidentialisme africain en
général et camerounais en particulier. C'est ce que le professeur
Maurice Kamto qualifie de monocentrisme
présidentiel312. En effet suivant cette perspective, les
pouvoirs publics auront naturellement tendance à « ne supporter
d'être sous la menace d'une révocation alors même qu'une
grande partie de leur puissance vient de leur
intangibilité.»313 La police administrative apparait
ainsi aux mains du pouvoir politique comme un instrument indispensable voire
capital.
En effet, au Cameroun le président de la
république définit la politique de la nation,314
oriente Les objectifs de l'administration dont la plupart des agents tiennent
leurs fonctions de lui. Cette posture de « chef de l'administration
»315 du président de la république crée
à l'égard de l'administration de manière
générale, un devoir de loyalisme politique316. Cela se
justifie notamment au regard de l'article 8 de la constitution selon lequel le
président de la république détient à leur
égard un pouvoir discrétionnaire de nomination317 et a
fortiori de révocation. Au vu de Cela l'on en vient à constater
une fois de plus que l'action administrative notamment en matière de
police est inéluctablement conditionnée par
l'intérêt supérieur de l'État ou pour
311 KAMTO (M) pouvoir et droit en Afrique noire
; op.cit. p.456
312 Ibid.
313 Idem.
314 Article 11 de la constitution camerounaise de 1996.
315 Pour amples développement, lire ABANE ENGOLO (P) ;
« existe-t-il un droit administratif camerounais ? » ; op.cit.
p.20
316 GOHIN (O), SORBARA (J-G) ; Institutions
administratives op. cit. p.33
317 Article 8 alinéa 10 de la constitution de 1996
67
être plus exacte, du président de la
république. C'est donc fort de ce loyalisme politique
caractérisé entre autres par une obligation de conformité
vis-à-vis du supérieur hiérarchique que l'administration
est instrumentalisée de manière à assurer un renforcement
ou une pérennisation du pouvoir auquel il est idéologiquement
subjugué. Pourtant, comme le soulignait le grand sociologue Max Weber,
« le véritable fonctionnaire ne doit pas faire de politique il doit
administrer avant tout de façon non partisane. Il doit s'acquitter de sa
tache sans ressentiment et sans partis pris. »318
Dans un tel contexte, la garantie des libertés
publiques ne se présente pas forcement comme un objectif prioritaire ;
ce qui est recherché, écrira le professeur Gérard
Conac « c'est la continuité et non l'alternance, la
plénitude et non l'équilibre. »319 C'est dans
cette perspective de pérennisation du pouvoir politique que la police
administrative sera naturellement instrumentalisée dans l'annihilation
des protestations politiques.
B- La police administrative : instrument d'annihilation des
protestations politiques.
Bien des penseurs de la doctrine publiciste postulent que La
consolidation du pouvoir politique en Afrique trouve son fondement dans une
posture essentialiste320, voire apathique321 des
administrés relativement à la revendication de leurs
droits322. En effet, suivant ce raisonnement, les africains et par
contre coup les camerounais, à l'opposé des populations
occidentales et françaises notamment, n'ont pas véritablement
intégré la pratique contestataire ou revendicative dans leurs
mentalités ou dans leur culture. Le professeur Abane E.
écrira justement que les « africain(s) et partant le(s) camerounais
(...) se contente(nt) du strict minimum, (...) ils ne vont pas revendiquer ce
que les autres estiment qu'ils devraient avoir. »
En réalité, cette conception peut être
relativisée lorsque l'on s'intéresse in concreto
au-delà des considérations d'ordre psychologiques et
culturelles, à l'environnement politique qui favorise cette abstention
des populations dans l'exercice de leurs droits et libertés
fondamentaux. L'une des explications les plus saillantes se trouve notamment
dans cette
318 WEBER (M) cité par GOHIN administratives
op.cit. p.34
319 CONAC (G) cité par KAMTO (M)
Pouvoir et droit en Afrique noire ; op.cit. p
320 ABANE ENGOLO (P) « existe-t-il un droit administratif
camerounais ? » op. cit.p.22.
321 KAMTO (P) ; Pouvoir et droit en Afrique noire
; op.cit. p.443
322 Idem.
68
logique observée chez les leaders africains à ne
tolérer sur aucun point la contestation, la critique,323 au
risque que leur autorité n'en pâtisse.
En effet, Malgré les mutations idéologiques et
le renouveau démocratique entamés depuis les années 1990
dans le constitutionnalisme africain, les États ont conservé des
relents autoritaires marqués par une certaine hostilité
vis-à-vis des libertés publiques. Le Cameroun s'inscrit fortement
dans ce sillage. Ainsi, depuis toujours et c'est toujours le cas à
l'heure actuelle324, le pouvoir politique entend user de tous les
moyens dont il dispose y compris la machine administrative en vue de comprimer
les velléités contestataires et faire ainsi taire la dissidence.
À cet effet l'activité de police administrative devient une
occasion pour les pouvoirs publics de réduire au silence la contestation
politique à travers des opérations de maintien de l'ordre qui se
transforment en démonstration de force notamment lors des manifestations
publiques. En effet, les mouvements protestataires exercés à
l'endroit du pouvoir en place se heurtent de manière systématique
à une riposte violente et démesurée des forces de
l'ordre325.
Vu de la sorte, quand bien même les libertés
publiques sont consacrées, celles-ci sont constamment remises en cause
lorsqu'elles se confrontent à une organisation administrative dissuasive
dont le caractère autoritaire n'est plus à démontrer. Cet
autoritarisme va d'ailleurs grandissant lorsque les pouvoirs de police sont mis
en oeuvre au-delà des cadres et proportions légaux.
Paragraphe 2 : l'extension des pouvoirs de police
au-delà des prescriptions légales.
La préoccupation première de la police
administrative face aux libertés est selon G.
Burdeau326 de s'assurer de l'exercice ou de l'usage
desdites libertés sans que celles-ci ne compromettent l'ordre public. En
droit camerounais de telles considérations n'entrent pas
forcément dans la logique des autorités de police administrative.
En effet, s'il est des règles qui régissent l'exercice des
libertés publiques au Cameroun, force est de s'apercevoir dans la
pratique une attitude récalcitrante de certaines autorités de
police qui, passant outre le cadre
323 Idem p.456
324 C'est justement l'une des illustrations de la
résurgence de l'idéologie de la construction nationale
démontrée par BEYEGUE BOULOUMEGUE M. dans l'article
intitulé « la persistance de l'idéologie de construction de
l'unité nationale en matière de police administrative. »
325 BEYEGUE BOULOUMEGUE M. parle à cet effet d'une
hypertrophie des instruments de puissance publique dans l'armature
institutionnelle chargée d'assurer le maintien de l'ordre. Lire à
ce propos « la persistance de l'idéologie de construction de
l'unité nationale en matière de police administrative. » in
ONDOA (M) et ABANE ENGOLO (P) ; de du droit administratif camerounais.
Yaoundé, l'Harmattan CERCAF.
326 BURDEAU (G), Les libertés publiques
op.cit. p.30
69
réglementaire persistent à limiter l'exercice
desdites libertés. C'est ainsi que l'on observe chez les pouvoirs
publics une tendance générale qui se caractérise par
l'instauration de facto d'un régime de police (A) et la rupture
d'égalité dans l'activité de police administrative(B).
A- L'instauration de facto d'un régime de
police.
Comme le relevait Georges Burdeau, « en
face des libertés publiques, l'État peut adopter deux attitudes :
la répression ou la prévention. »327 C'est donc
à dire en d'autres termes qu'il existe en principe deux régimes
relatifs à la règlementation des libertés publiques. Il
s'agit du régime répressif d'une part que l'on assimile
généralement au régime de droit ; et d'autre part du
régime préventif très souvent qualifié de
régime de police.
En effet, il y'a régime répressif lorsque «
l'État laisse le citoyen libre d'agir selon sa propre
détermination quitte à l'obliger à subir les
conséquences de ses actes s'ils sont contraires au droit.
»328 dans cette hypothèse, précisera
G. Burdeau, « l'individu aura
été libre d'agir, mais l'usage maladroit ou malfaisant qu'il aura
fait de sa liberté l'exposera à des sanctions et à
l'obligation de réparer le dommage qu'il aura causé. »329
Par ailleurs, il y'a régime préventif lorsque
l'autorité vise à empêcher préventivement les abus
dans l'exercice des libertés publiques. C'est un régime qui
organise l'exercice des libertés autour de deux modalités,
à savoir l'autorisation et l'interdiction330. Cela dit, ce
régime est par nature contraire à l'idée même de
liberté, puisqu'on est libre seulement si on est autorisé
à l'être.331 Autrement dit, cela signifie que les
libertés ne s'exercent en principe qu'après la permission de
l'autorité, de manière à déconsidérer
l'axiome selon lequel « ce qui n'est interdit est permis. » il va de
soi que des deux régimes sus présentés c'est le premier
qui est le plus favorable à la jouissance des libertés publiques
; dans la mesure où il « laisse libre champs » à
l'individu dans l'exercice de ses libertés en engageant pleinement sa
responsabilité. C'est donc selon qu'il s'agit de l'un ou de l'autre
régime que les manifestations publiques sont organisées autour
des modalités que sont la déclaration préalable et
l'autorisation.
Dans l'ordre juridique camerounais, du moins au plan textuel
depuis les réformes des années 1990, c'est le régime
répressif qui est observé dans l'exercice des libertés.
Seulement,
327Ibid. p.45.
328 Idem. P.30
329 Ibid.
330 METOU (B-M) ; « vingt ans de contentieux des
libertés publiques au Cameroun »,op cit. p.272
331 ALCARAZ (H) ; « La liberté de manifestation dans
l'espace public en Espagne »op.cit. p.10
70
à bien observer, il se trouve que dans la pratique, il
est un usage dévoyé des pouvoirs de police administrative au
Cameroun à tel point que l'exercice des libertés à
l'instar des manifestations est presque toujours subordonnée à
l'intervention permissive des autorités publiques. Cela dit, si la
déclaration est dans son principe un avis, une simple communication
préalable à l'autorité administrative compétente de
l'intention de manifester332, elle s'avère être en
pratique assimilée à une « demande d'autorisation ». Il
se crée alors un véritable amalgame relatif à l'exercice
des libertés. Certaines autorités se prêtent au jeu
lorsqu'elles utilisent souvent et ce à contresens des formules tels que
« manifestations non autorisées » ou « sans autorisation
». Cette confusion volontaire pour certains333 ou involontaire
pour d'autres334 rend davantage complexe l'exercice des
libertés publiques au Cameroun. L'on est bien forcé de convenir
avec Jean Rivero et Hugues Moutouh lorsqu'ils
soulignent que « si le régime répressif est en
général considéré comme le plus favorable aux
libertés, les modalités selon lesquels il est susceptible
d'être aménagé peuvent faire varier ou même faire
disparaitre sa valeur libérale. »335 Ce constat se veut
plus frappant lorsque l'activité de police administrative devient
partisane.
B- La rupture d'égalité dans
l'activité de police administrative.
Il est incontestablement reconnu tant en droit international
à travers l'adoption des grands textes internationaux, qu'en droit
interne notamment dans les constitutions des États336 que la
garantie des droits et libertés fondamentaux doit être
assurée conjointement avec le principe d'égalité. En
d'autres termes les citoyens placés dans les mêmes situations
doivent bénéficier des mêmes droits et être soumis
aux mêmes obligations sans considérations de leurs origines ou de
leurs croyances.337 Dans ces conditions, en analysant ce postulat
sous l'angle des manifestations publiques, il en résulte que toute
discrimination en fonction du contenu ou du message que les promoteurs desdites
manifestations entendent transmettre est de ce fait illégale. Un tel
énoncé normatif ne peut que laisser entrevoir un cadre
idéal relatif à l'épanouissement des libertés.
332Idem. P.12
333 Ce qui constitue alors une violation ostensible et
délibérée de la loi par les autorités de
manière à porter gravement atteinte aux libertés des
citoyens
334 Cela s'explique par une insuffisance ou un manque de
culture juridique au sein des populations mais également de certaines
autorités.
335 RIVERO (J) et MOUTOUH (H) : Les libertés
publiques ; cité par MOKNI (H.B); op.cit. p.190
336 Lire le préambule de la constitution camerounaise de
1996.
337 Lexique des termes juridiques op.cit.
71
Pourtant, la réalité semble toute autre. Lorsque
l'on analyse l'aménagement de l'exercice des libertés publiques
dans l'ordre juridique camerounais l'on est bien tenté de reprendre ces
propos du professeur Aba'a Oyono qui illustrent parfaitement
l'attitude de l'administration face à certaines libertés à
l'instar des manifestations publiques. Cela dit, « comment comprendre et
expliquer qu'en dépit d'une pareille batterie constitutionnelle, (...)
(persiste) ce réflexe des autorités administratives visant
à autoriser les manifestations en faveur du régime en place et
à l'opposé à interdire toutes celles qui tendent à
exprimer le ras-le-bol citoyen contre le management des autorités
centrales de l'État ? »338 C'est donc à dire en
effet qu'il y'a un encadrement « deux poids deux mesures » de
l'exercice des libertés au Cameroun. L'on constate ainsi d'une part une
tendance à la tolérance administrative pour les manifestations
considérées comme quasi-inoffensives339 voire
partisanes à l'égard du pouvoir;340 et d'autres part,
une forte propension à la répression, à la restriction
voire à la suppression lorsqu'il s'agit des rassemblements dont le
contenu est jugé nuisible341 pour les pouvoirs publics.
En fin de compte, comme l'explique le professeur
Karine Roudier il s'agit ici d'une intrusion étatique
dans le « pourquoi » de la manifestation, c'est-à-dire le
message qu'elle porte, de manière à entrer en collision avec la
règlementation en vigueur qui ne conçoit une limitation qu'en
fonction du « comment », c'est-à-dire les troubles potentiels
à l'ordre public342. Un tel état des choses
témoigne assurément de la dérive autoritaire de la police
administrative au Cameroun. Cela est d'autant plus perceptible et plus accru en
raison de l'orientation sécuritaire qui dans son essence renforce la
vocation liberticide de la police administrative
SECTION II : L'ORIENTATION SECURITAIRE DE LA POLICE
ADMINISTRATIVE.
La sécurité est « un concept ambigu»,
c'est une notion dont l'étude mérite un certain nombre de
précisions. En effet, l'absence de guerre, la poursuite des
intérêts nationaux, la protection de valeurs fondamentales,
l'amélioration des conditions de vie entre autres sont
338 ABA'A OYONO (J-C), « les fondements constitutionnels du
droit administratif (...) » ; op.cit. p.16
339 METOU (B M) ; « vingt ans de contentieux des
libertés publiques au Cameroun », op.cit. p.273
340 Manifestation en soutien au président de la
république contre les ingérences françaises
organisée devant l'ambassade de France au Cameroun. Consulter à
ce propos http:cameroun//
www.journalducameroun.com,
publié le 24/02/2020 par DJIMADEU (C).
341 METOU (B M) ; « vingt ans de contentieux des
libertés publiques au Cameroun », op.cit. p.273
342 ROUDIER (K) ; « La liberté de manifestation
aujourd'hui en Italie. Quels problèmes, quelles perspectives ? »
Op.cit. P.60.
72
autant de variantes du concept de
sécurité.343 Nous retiendrons ici la
sécurité comme une Situation, un état dans lequel on n'est
pas exposé à un danger. Vue de la sorte, elle relève en
principe de la compétence régalienne de l'État.
L'ordre, l'autorité et la sécurité sont
des concepts qui, depuis l'accession du Cameroun à
l'indépendance, ont jalonné l'histoire de cet État. Ils ne
cessent d'être convoqués, voire magnifiés344.
Depuis quelques années la question sécuritaire est
évoquée dans tous les discours officiels, en raison notamment du
contexte de menace terroriste et autres crises sécuritaires qui
prévalent dans le pays en générales et dans certaines
régions en particulier.345C'est donc à dire que la
question sécuritaire est au coeur des préoccupations des pouvoirs
publics qui plus que jamais se disent soucieux de garantir la protection des
citoyens. Cependant au-delà de sa réalité ou de sa
vocation première, notamment la protection des populations, le concept
de sécurité, écrira M. Olivier Shramek,
peut servir d'alibi d'étouffement des
libertés.346 En effet, très souvent la question
sécuritaire fait l'objet de récupérations politiques
visant la restriction légitimée des libertés. Ce postulat
peut se justifier au regard de la criminalisation des libertés publiques
(P1) et de la militarisation de la répression des manifestations
publiques. (P2)
Paragraphe 1 : la criminalisation des libertés
publiques.
La crise socio-politique ouverte au Cameroun dans une ambiance
de paix civile incertaine et tendue vient renforcer l'hostilité des
pouvoirs publics à l'égard des
libertés.347C'est fort de cela que l'on assiste à un
durcissement de la police administrative dans l'encadrement des libertés
publiques de manière générale, (A) et davantage encore en
ce qui concerne les rassemblements publiques ; de manière à
converger vers une neutralisation tous azimuts des libertés.(B)
A- Le durcissement dans l'encadrement des libertés
publiques.
La question sécuritaire depuis 2014 occupe une place
majeure dans les préoccupations des pouvoirs publics348 eu
égards de la recrudescence des ennemis à la fois
exogènes
343 BELOMO ESSONO (P.C) L'ordre et la sécurité
publics dans la construction de l'État au Cameroun. Op.cit. p.15
344 Idem. P.13
345 Il s'agit notamment du grand nord, du Nord-Ouest et du
Sud-Ouest généralement appelées régions anglophones
et de la région de l'Est.
346 SHRAMEK (O): « Sécurité et libertés
», in RFDA 2011, P.1093
347 ATEMENGUE (JDN) ; la police administrative au Cameroun ;
op.cit. ; p.98.
348 BELOMO ESSONO (P.C) L'ordre et la sécurité
publics dans la construction de l'État au Cameroun. Op.cit. p.12
73
qu'endogènes mettant à mal la
tranquillité de l'État et de ses institutions. Dans un tel
contexte alors marqué par le paradigme de l'ennemi avec pour fil
conducteur une logique d'éradication de la dissidence, les
libertés publiques de manière générale se verront
dès lors considérablement compromises. En effet, face à
ces menaces de nature particulière les pouvoirs publics ont opté
pour une riposte caractérisée selon M. F. Bikié
Roland par la mise entre parenthèse de la mission de
l'État de droit pour l'instauration d'un instrument voire une machine
destructrice des droits de l'homme349. S'inscrivant dans cette
perspective, le législateur camerounais adoptera la loi n°2014/028
portant répression du terrorisme.
L'analyse de la loi de 2014 portant répression du
terrorisme soulève un certain nombre d'inquiétudes du point de
vue de son impact sur les libertés publiques. En effet l'un des aspects
les plus controversés de ce texte de loi porte notamment sur la
définition ou plus exactement sur la technique d'incrimination de l'acte
de terrorisme. À cet égard comme le relève M. F.
Bikié Roland, le législateur camerounais a opté
pour « une incrimination fourre-tout »350 de l'infraction
terroriste induisant ainsi une véritable incertitude quant à
l'étendu même de la notion de terrorisme.
Le texte dispose précisément en son article 2
: « est punit de la peine de mort, celui qui à titre
personnel, en complicité ou en co-action, commet tout acte ou menace
d'acte susceptible de causer la mort, de mettre en danger
l'intégrité physique, d'occasionner des dommages corporels ou
matériels, des dommages des ressources naturelles, à
l'environnement ou au patrimoine culturel dans l'intention:
a) d'intimider la population, de provoquer une
situation de terreur ou de contraindre la victime, le gouvernement et/ou une
organisation, nationale ou internationale à accomplir un acte
quelconque, à adopter ou à renoncer à une position
particulière ou à agir selon certains principes ;
b) de perturber le fonctionnement normal des services
publics, la prestation de services essentiels aux populations ou de causer une
situation de crise au sein de la population ;
c) de créer une insurrection
générale dans le pays. »
D'emblée la lecture de cette disposition pose
l'épineux problème de l'équilibre entre droits et
libertés fondamentaux, et sécurité. Autrement dit, comment
exercer sa liberté sans
349 BIKIE ROLAND (F) « le droit
pénal à l'aune du paradigme de l'ennemi », la revue des
droits de l'homme en ligne, 2017 http//
journals.opedition.org/redh/2789
p.3
350 Idem P.7
74
être taxé de terroriste? La question semble
trouver tout son sens notamment en ce qui concerne l'exercice des
manifestations publiques contestataires. En effet, les manifestations publiques
voire les mouvements de grèves sont par essence des droits qui
consistent à exercer une pression sur l'élite dirigeante en vue
d'obtenir de ces derniers un résultat ou une solution bien
déterminée. Ce faisant, leur exercice entraine forcément
quelques perturbations des services publiques. À titre illustratif, les
grèves récemment observées en France contre la
réforme des retraites ont paralysé pendant plusieurs semaines des
« services essentiels » voire des secteurs entiers de
l'économie française notamment les transports, le tourisme entre
autres351. De telles manifestations en droit camerounais pourraient
être considérés comme des infractions terroristes au regard
de l'article 2 de la loi anti-terroriste de 2014 susmentionnée.
Également dans la même perspective, l'exercice des mouvements de
grèves peut occasionner quelques fois des débordements entrainant
au passage quelques dommages de natures diverses. Or faut-il le
préciser, ces infractions relevant de l'exercice abusif des
grèves et manifestations publiques sont déjà
prévues notamment dans le code pénal et même dans la loi
n°90/054 du 19 décembre 1990 relative au maintien de l'ordre.
En dernière analyse, à la lecture de la
législation antiterroriste au Cameroun, force est de constater que la
frontière entre l'exercice des libertés et l'acte de terrorisme
semble relativement incertaine. Ceci non seulement du fait de l'incrimination
à la fois trop vague352 et trop englobante de l'acte
terroriste mais également en raison des dangers liés à
l'instrumentalisation politique de la menace terroriste. Cela démontre
une fois de plus comme l'explique M. STEVE THIERY BILOUNGA,
l'atmosphère d'instabilité autour de laquelle vit
quotidiennement le citoyen dans ses rapports avec la loi353. Dans
ces conditions l'exercice de certaines libertés devient alors
périlleux compte tenu du climat d'insécurité juridique
suscité par l'adoption et l'application de la loi antiterroriste de
2014. Convergeons nous alors inévitablement vers une neutralisation des
libertés publiques au Cameroun.
B- L'évolution vers la neutralisation des
libertés.
La recrudescence de la menace terroriste permettra de
renforcer l'hostilité des autorités étatiques à
l'égard des libertés publiques. La législation
antiterroriste sera dans cette perspective aux mains de l'État une arme
insidieuse mais redoutable pour comprimer voire
351 France
24.com, publié le 24/12/2019
352 BIKIE ROLAND (F); « le droit pénal à
l'aune du paradigme de l'ennemi », op.cit. p.6
353 BILOUNGA (S. T) ; « la crise de la loi en droit public
camerounais.» op.cit. p.56.
75
réduire au silence « les ennemis de la nation
»354. La police administrative se posera dès lors comme
un pourfendeur des libertés publiques.
En effet les autorités administratives dans la lutte
contre la menace terroriste ont très souvent recours à une
politisation du contexte servant ainsi « d'alibi à
l'étouffement des libertés. »355 ce faisant, cela
entraine nécessairement « des dérives juridiques dont
elle(s) ne tire(nt) pas nécessairement un bénéfice direct
; dès lors que les réformes pénales se sont
étendues au-delà de ce que la réponse à la question
terroriste attend d'eux »356. Cela dit, si la loi de 2014 du
moins dans sa lettre a été élaborée dans l'optique
d'apporter une riposte juridique au terrorisme, celle-ci s'est
avéré dans les fait un outil qui a davantage favorisé
l'effritement des libertés publiques. Offrant ainsi aux pouvoirs publics
à travers un certain nombre d'imprécisions, le loisir
d'étendre à souhait l'incrimination de l'acte de terrorisme.
Désormais toute grève, manifestation entre autres est susceptible
être assimilée à un acte de terrorisme dès lors
qu'elle représente un danger pour l'administration étatique.
Il se crée alors un véritable sentiment
d'insécurité juridique des administrés face à des
dispositions dont le contenu ne présente pas toujours les
qualités d'une règle de droit telle que définie au sens de
P. Malaurie.357
Les mesures sécuritaires mises en oeuvre par les
autorités étatiques du moins celles qui étaient
censées garantir de manière nécessaires et efficaces la
protection des citoyens ont plutôt favorisé au regard des
circonstances l'instauration d'un système coercitif et manifestement
dissuasif à l'égard des citoyens désireux de manifester
leur mécontentement sur la place publique. En effet, ces derniers font
presque systématiquement l'objet d'une riposte disproportionnée
dont les mesures vont des peines privatives de libertés et
s'étendent jusqu'au risque d'élimination
physique358.
Reprenant à notre compte les termes de M.
C. Davenport force est de reconnaitre que la
dérive observée tant dans la législation antiterroriste
que dans l'activité de police administrative illustre parfaitement
« le comportement appliqué par les gouvernants dans le but
d'obtenir la tranquillité politique et faciliter la continuité du
régime à travers des formes
354 Selon GONIDEC (F) les opposants politiques en Afrique sont
considérés comme ennemis étrangers à la nation et
alliés à l'étranger. Lire à ce propos Les
systèmes politiques africains L.G.D.J, B.A.M ; T. L Paris,
1974, P.164.
355 MOKNI (H.B) L'exercice des libertés publiques en
période de transition démocratique... Op.cit. p.419.
356 Idem. P.425.
357.MALAURIE (P) « l'intelligibilité de la
loi », op.cit. p.136.
358 L'article 2 de la loi de la loi 2014 sus
évoquée réprimant le terrorisme qui prévoit la
peine de mort contre les actes de terrorisme. Lire également BIKIE
(R.F) « le droit pénal à l'aune du
paradigme de l'ennemi » op.cit. p.12.
76
de restriction ou de violation des libertés publiques
et civiles. Ce qui englobe les comportements violents (usage
disproportionné de la force lors des manifestations) et non violents
(arrestations de masse, détention, intimidation) ».359
Cette considération est davantage corroborée par la
militarisation de la répression des manifestations publiques.
Paragraphe 2 : la militarisation de la
répression des libertés publiques.
De manière générale, la militarisation
peut s'entendre comme l'action de donner un caractère militaire à
quelque chose. Concrètement, la militarisation consiste ici à
appliquer un régime, ou des méthodes militaires face à une
situation qui d'ordinaire relève du droit commun. C'est fort de cela que
l'on pourrait parler au Cameroun d'une militarisation dans la répression
des libertés publiques lorsque l'on y observe alors non seulement
l'enchevêtrement des forces publiques dans le maintien de l'ordre (A)
mais également l'extension de la compétence des tribunaux
militaires dans la répression des civils (B).
A- l'enchevêtrement des forces publiques dans le
maintien de l'ordre.
D'emblée, les opérations de maintien de l'ordre
font généralement intervenir les forces de police et quelques
fois les éléments de la gendarmerie,360 dans le but de
la préservation ou du rétablissement de l'ordre
public.361 Cela dit, ces derniers ont pour mission principale de
concourir à l'activité de la police administrative.
L'armée, quant à elle qui représente par définition
la plus grande force matérielle organisée dans un État,
est destinée à la défense du territoire contre les
attaques extérieures et à la protection de
l'intégrité nationale. Toutefois la législation
camerounaise prévoit qu'à titre exceptionnel, et ce sur
réquisition de l'autorité administrative ; les militaires peuvent
intervenir lors des opérations de maintien de l'ordre.362
Or, le contexte socio politique assez tendu qui prévaut
dans certaines régions du Cameroun et dont les stigmates se font de plus
en plus ressentir dans l'ensemble du territoire rend complexes voire
délicats les opérations de maintien de l'ordre. Au vu de cela,
les forces armées qui étaient déjà fortement «
intégrées dans le jeu politique »,363 se font de
plus en plus
359DAVENPORT (C) (dir.) 2000: «Paths to state
repression, Human rights violations and contentious politics», Boulder New
York Rowman and Littlefield, page 6.
360 L'article 5 du décret n° 70/DF/264 du dispose que
« les brigades et postes de gendarmerie ainsi que les commissariats de
sécurité sont considérés sous réquisition
permanente (...)» c'est-à-dire sont principiellement
assimilés aux opérations de maintien de l'ordre.
361 Article 15 de la loi n°90/054 du 19 décembre 1990
relative au maintien de l'ordre.
362 Article 5 du décret n°70/DF/264 du 04 juin 1970
relatif à la sureté de l'État, op.cit.
363 ATEMENGUE (JDN) ; la police administrative au Cameroun...
op.cit. p.198.
77
remarquer sur le quotidien du maintien de
l'ordre.364À tel point que si les forces armées ne
devaient intervenir dans le maintien de l'ordre que de manière
circonstancielle et sur réquisition de l'autorité
compétente, force est de constater que cette intervention «
exceptionnelle dans son principe » est devenue habituelle dans les faits.
Conviendra-t-on alors avec Fabien Jobard lorsqu'il affirme
qu'il s'agit ici d'e la « suspension de l'ordinaire et de la permanence de
l'exception. »365 Dans ces conditions, assiste-t-on alors
à une radicalisation dans le maintien de l'ordre au Cameroun.
Par ailleurs une grande partie de la doctrine publiciste
camerounaise366 s'accorde à parler d'une militarisation de la
fonction policière en raison des mécanismes coercitifs
déployés dans la gestion des foules protestataires. Il nait ainsi
une confusion dans les opérations de maintien de l'ordre ; « la
police se militarise » l'armée fait de la police, « les forces
armées se retrouvent vers l'intérieur, les frontières
s'évanouissent, tout est dans tout rien n'est à sa place
»367. Cet enchevêtrement des forces publiques que sont la
police, la gendarmerie et l'armée induit nécessairement un
resserrement des espaces de libertés accordés aux
citoyens.368 C'est ainsi que l'on observe l'extension de la
compétence du tribunal militaire dans la répression des
civils.
B- L'extension de la compétence des tribunaux
militaires dans la répression des civils.
Il est un certain nombre de garanties reconnues aux
justiciables dans la protection de ses droits devant les juridictions. Au rang
de celles-ci, figure le droit à un procès équitable. En
effet, considéré comme un élément central et
essentiel de l'État de droit,369 le droit à un
procès équitable a été consacré au plan
international dans la déclaration universelle des droits de l'homme de
1948370, dans le pacte international relatif aux droits de l'homme
de 1966, entré en vigueur en 1976371 ; et au niveau
régional dans la charte africaine des droits de l'homme et
364 MESSING (J.L), la problématique de du maintien de
l'ordre dans les États d'Afrique noire francophone : le cas du Cameroun.
p.165.
365 JOBARD (F), « peurs entretenues ; quand la police fait
l'armée, l'armée fait la police. » 2005/1 n° »
p.60.
366 EMINI (Z) « la police au Cameroun : de
l'autoritarisme à la gouvernance sécuritaire » in revue de
droit et de science politique 16e année de parution 2005,
n° 63 P.64
367 JOBARD (F), « peurs entretenues ; quand la police fait
l'armée, l'armée fait la police. » op.cit. p.60.
368 ATEBA EYONG (R) « l'évolution du fondement
idéologique du droit administratif camerounais » op.cit. p. 275.
369 Lire NGUELE ABADA (M). « la réception des
règles du procès équitable dans le contentieux du droit
public » in revue de droit et de science politique 16e
année de parution 2005, n° 63 p.19 ; lire également NGONO
(S), « l'application des règles internationales du procès
équitable du juge judiciaire » de la même parution p.34
370 Article 10 et 11.
371 Article 14.
78
des peuples372. Le Cameroun à son tour a
ratifié ces conventions qu'il a d'ailleurs réaffirmées
dans le texte constitutionnel de 1996.373
Cela dit, la réalisation voire la concrétisation
du droit à un procès équitable se traduit
nécessairement par l'exigence d'une juridiction indépendante et
impartiale. Si ces deux exigences se confondent en pratique et semblent
redondantes374, la réalité est qu'elles se distinguent
intrinsèquement et même substantiellement. En effet, la
première exigence, notamment celle relative à
l'indépendance, constitue une précondition de la seconde c'est
à dire de l'impartialité. Ainsi un juge doit être libre de
toute influence extérieure susceptible de vicier son jugement. Par
ailleurs, soulignera le professeur Nguélé Abada
un juge indépendant et a fortiori impartial est un juge sans
préjugés.375
De telles conditions ne s'intègrent pas toujours dans
l'ordre juridique camerounais, lorsque l'on observe la répression de
certaines libertés publiques devant la juridiction militaire. En effet,
instituée pour connaitre des infractions purement militaires, les
juridictions militaires se caractérisent par un régime juridique
spécial376 et fortement coercitif. À l'analyse de la
loi n°2008/015 du 29 décembre 2008 portant organisation et fixant
des règles de procédure applicable devant les tribunaux
militaires, il en ressort que les juridictions militaires n'ont en principe pas
à juger des civils exceptés dans des cas particuliers
prévus par la loi.377
Seulement, très souvent, les questions de sureté
nationale et d'intégrité territoriale servent de prétexte
justifiant l'extension de la compétence des tribunaux militaires
au-delà des infractions militaires, prenant au passage de fortes
propensions politiques. Ainsi, des notions telles que l'insurrection, la
rébellion ou le terrorisme entre autres ; aux contenues vagues et
imprécis concourent à élargir le champ d'action des
juridictions militaires sur les civils et par voie de conséquence
à renforcer de manière significative la répression des
libertés publiques au Cameroun.
372 Article 7 et 26.
373 Article 37.
374 NGUELE ABADA (M) « la réception des
règles du procès équitable dans le contentieux du droit
public » op.cit. p.23
375 Idem. P.23.
376 L'article 2 de loi de 2008 portant organisation et fixant des
règles de procédure applicable devant les tribunaux militaires,
dispose justement que « les tribunaux militaires sont des juridictions
à compétence spéciale. » 377Article 8 de
la loi de 2008 susmentionnée.
79
C'est fort de cela que la reconnaissance de la
compétence des tribunaux militaires pose un véritable
problème du point de vue des garanties liées au procès
équitable et davantage relativement à la construction d'un
État de droit.
D'emblée, les juges militaires se caractérisent
par leur soumission au pouvoir central représenté à
l'occasion par le ministre délégué à la
présidence en charge de la défense, dont dépend leur
carrière. Au vu de cela, que retenir des « juges militaires »
? Sont-ce des juges ou alors des militaires ?378 Cette interrogation
aux allures d'oxymore relève d'autant plus de la bizarrerie juridique
dans la mesure où, « l'essence du juge est son indépendance
alors que (celle) du militaire est l'obéissance c'est-à-dire le
contraire »379. Par ailleurs, lorsque l'on observe la
composition ou la formation de l'instance décisionnelle telle que
décrite dans l'article 6 de la loi de 2008 en question, celle-ci
soulève de sérieux doutes au regard de la connotation martiale et
par conséquent partiale des juges militaires face au justiciable qui
d'emblée est considéré comme un ennemi. Assiste-t-on alors
à ce que M. Fabrice Bikié qualifie de «
droit pénal de l'ennemi par opposition à un droit pénal du
citoyen. »380 Comment donc dans un tel contexte garantir les
libertés publiques contre les abus de l'administration étatique ?
Cette question pose inexorablement le problème du contrôle des
autorités administratives investies du pouvoir de police.
378 GARRETON (R), « La compétence des Tribunaux
Militaires et d'Exception ; rapport de synthèse » in juridictions
militaires et tribunaux d'exception en mutation : perspectives comparées
et internationale ; UMR de droit comparé de Paris, Mai 2007. P.15
379 Idem.
380 BIKIE (F.R) ; « le droit pénal à l'aune du
paradigme de l'ennemi » ; op.cit. P.
CHAPITRE II: L'INCONSISTANCE DU CONTROLE RELATIF AUX
POUVOIRS
DES AUTORITES DE POLICE ADMINISTRATIVE.
80
Poser la liberté n'est rien s'il s'agit seulement d'une
affirmation verbale.381 Ce qui importe c'est de lui faire sa place
dans un ordre social viable.382 Une telle initiative met
nécessairement en jeu les mécanismes de protection,
d'effectivité voire de contrôle des libertés dans un ordre
juridique bien déterminé.
En effet, le contrôle s'appréhende ici au sens de
OST F. comme « le droit ou le pouvoir dont dispose une
personne ou une institution, à effet de s'assurer du respect d'un
ensemble de règles »383 ou d'objectifs384.
L'objectif visé ici est donc la garantie des libertés publiques
contre les dérives d'un pouvoir autoritaire.
La réalité étant celle de l'existence en
Afrique et partant au Cameroun d'un exécutif fort,385 et
d'une administration véritablement puissante. Cet état des choses
ne rend pas évidente l'émergence des contres pouvoirs
chargés d'assurer la garantie des libertés face aux abus de
l'administration étatique.
Ainsi, si dans une démocratie effective, le pouvoir est
censé contrôler voire arrêter le pouvoir, force est de
relever que le contrôle de l'exécutif se présente comme une
tache hargneuse, dont l'effectivité reste encore purement
fictive386. C'est donc à dire en clair que la garanties des
libertés publiques face à l'arbitraire administratif se
caractérise généralement par L'insatisfaction relative au
contrôle juridictionnel (Section I); et par l'inconsistance du
contrôle non juridictionnel. (Section II)
381 G. BURDEAU, Les libertés publiques,
op.cit., p. 23.
382 Idem.
383 OST (F.), « Juge pacificateur, juge arbitre, juge
entraîneur : trois modèles de justice », in fonction de juger
et pouvoir judiciaire, Publications des facultés universitaires de
Saint-Louis, 1983, p. 1et s
384 KHADIM (T), Le contrôle de l'exécutif dans la
création de l'État de droit en Afrique francophone. Droit.
Université de Bordeaux, 2018. Français. P.19.
385 AIVO (F.J), Le Président de la
République en Afrique noire francophone, genèse, mutation et
avenir de la fonction, Paris, l'Harmattan, 2006
386 KHADIM (T), Le contrôle de l'exécutif dans la
création de l'État de droit en Afrique francophone op.cit.,
p.21.
81
SECTION I : L'INSATISFACTION RELATIVE AU
CONTRÔLE JURIDICTIONNEL DES AUTORITES DE POLICE
ADMINISTRATIVES.
La garantie juridictionnelle des libertés publiques
contre l'exécutif présente un certain nombre de lacunes
imputables à l'organisation de la justice au Cameroun, qui rendent
insatisfaisante voire insignifiante la mission de contre-pouvoir
institutionnalisé qui incombes aux organes juridictionnels. Un tel
état des choses se concrétise d'une part, par la difficile mise
en oeuvre du contrôle par le conseil constitutionnel (P1) ; et d'autre
part, par l'insuffisance du contrôle par les juridictions ordinaires.
(P2)
Paragraphe 1 : la difficile mise en oeuvre du
contrôle par le conseil constitutionnel.
La mise en oeuvre du contrôle de l'administration
étatique par la juridiction constitutionnelle au Cameroun en
l'occurrence le conseil constitutionnel, se heurte à un certain nombre
de contraintes à la fois statutaires (A) et fonctionnelles voire
procédurales. (B)
A- les contraintes statutaires dans l'activité du
juge constitutionnel.
L'exercice de la fonction de juge, de surcroît
constitutionnel, nécessite un ensemble de garanties à la fois
personnelles et organiques387. Ce sont selon le professeur
Nguélé Abada « les garanties statutaires
organisant l'indépendance et la dignité dans l'exercice des
fonctions au sein de la juridiction constitutionnelle. »388
Cela dit, dans ses rapports avec le pouvoir politique, le juge fait face
à un certain nombre de contraintes389 qui ne rendent pas
toujours évidente son office de contrepouvoir d'une part et de
défenseur des libertés d'autres part.
En effet , soulignera le professeur Aba'a Oyono
dans ce sens, « la fonction de protection contre les abus du
pouvoir administratif n'est pas exercée dans des conditions de
387 NGUELE ABADA (M) ; « l'indépendance des
juridictions constitutionnelles dans le constitutionnalisme des États
francophones post guerre froide : l'exemple du conseil constitutionnel
camerounais. » p.3
388 AVRIL (P) et GUIQUEL (J), Le conseil constitutionnel
» cité par NGUELE ABADA (M) ; op.cit. p.3
389 DIALLO (I) ; « à la recherche d'un
modèle africain de justice constitutionnelle. » in annuaire
international de justice constitutionnelle 20-2004, 2005. P.105.
82
sérénité institutionnelle, ce qui
matériellement en mine l'essence. »390 Ce postulat
démontre notamment la fragilité du juge constitutionnel à
plusieurs égards.
En première analyse, l'article 51(2) de la constitution
camerounaise de 1996 dispose « (...) les membres du conseil
constitutionnel sont nommés par le président de la
république. » et désignés par lui-même et
quelques autorités de la république.391 Si
d'emblée selon le professeur Jean-Louis Atangana Amougou,
un effort est perceptible relativement la démocratisation dans
la désignation des conseillers392, il n'en reste pas moins
vrai que la pratique institutionnelle met clairement en relief une image de
« transactions douteuses de nature à subodorer une certaine
collaboration de fait393» au profit de l'exécutif. Ce
qui induit naturellement une forte implication, une prégnance du chef de
l'État dans la désignation et dans la nomination des
conseillers.
Quoi qu'il en soit, ou plus exactement quels que soient les
modalités de désignation ou de nomination des membres du conseil
constitutionnel, cela ne saurait justifier la passivité des juges dans
le contrôle de l'État. D'ailleurs R. Badinter ne
préconisait-il pas un devoir « d'ingratitude » des juges du
conseil à l'égard des autorités les ayant nommés ?
C'est donc à dire que la véritable contrainte qui entrave la
fonction des juges constitutionnelles c'est davantage l'influence des pouvoirs
politique sur la durée du mandat des juges constitutionnels que les
modalités de leur désignation.
En effet, le constituant camerounais lors de la
création du conseil constitutionnel avait comme son homologue
français fixé le mandat des juges constitutionnel à neuf
ans non renouvelable.394 Mais les modifications du texte
observées à la faveur de l'adoption de la loi n°2008/001 du
14 avril 2008395, ont fortement fragilisé le statut du juge
constitutionnel au Cameroun. Le mandat des juges constitutionnels est
passé de neuf ans non renouvelable à « six ans
éventuellement renouvelable. »396 Au-delà de la
durée du mandat, qui elle-même n'est pas une curiosité en
Afrique,397 la disposition en question pose un véritable
problème du
390 ABA'A OYONO (J-C) ; « les fondements constitutionnels du
droit administratif (...) » op.cit. P.18
391 Il s'agit du président de l'assemblée
nationale qui désigne trois membres sur les onze ; du président
du sénat qui en désigne trois et du conseil supérieur de
la magistrature qui lui désigne deux membres.
392 ATANGANA AMOUGOU (J.-L) « la constitutionnalisation
du droit en Afrique : l'exemple de la création du conseil
constitutionnel camerounais. » in Annuaire international de de justice
constitutionnelle, 19-2003, 2004. P.52
393 Idem.
394 Article 56 de la constitution française du 04 octobre
1958.
395 Ce texte de loi sera d'ailleurs une des raisons des
protestations sociales observées dans la même année dans
plusieurs régions du pays.
396 Article 52(1) de la constitution camerounaise de 1996
modifiée en 2008.
397 La durée du mandat des conseillers est de six ans au
Sénégal, en Côte d'ivoire ; de cinq ans au Bénin, au
Gabon.
83
point de vue de l'État de droit, en ce qu'elle renforce
une fois de plus les possibilités de
pression du pouvoir politique sur les juges à travers
le caractère « éventuellement
»398renouvelable si ce n'est révocable399 du
mandat des conseillers.400 Dans ces conditions, le juge ne peut
qu'être prudent car il se sait vulnérable.401
Dans ce contexte juridico-politique incertain où
l'indépendance des juges ne tient qu'au bout d'un fil, comment
véritablement assurer la protection des libertés face à un
pouvoir exerçant une mainmise dans le fonctionnement des institutions de
la république402? Cette réflexion conduit
inexorablement à se pencher sur la question des contraintes
procédurales mettant à mal la protection des libertés
publiques par le juge constitutionnel.
B- Les contraintes procédurales dans la garantie des
libertés publiques.
S'il est très souvent reproché à la cour
constitutionnelle béninoise de trop en faire403 dans la
protection des droits et libertés fondamentaux, l'observation ne saurait
être la même dans l'ordre juridique camerounais. Bien au contraire,
le juge camerounais n'en fait pas assez dans la protection des libertés
face à l'arbitraire administratif. Cela dit on y observe une
quasi-vacuité du contentieux404 en la matière.
Plusieurs raisons matérielles peuvent justifier cette inaptitude du juge
constitutionnel à garantir les libertés publique au Cameroun.
Cette défaillance du système de protection
constitutionnelle des libertés publiques face à l'arbitraire
administratif s'explique tout d'abord au regard de l'inaccessibilité du
citoyen lésé devant le juge constitutionnel.405 La
saisine du conseil étant limitée à une certaine
catégorie de personnalités politiques bien
déterminées. Il s'agit justement aux termes de
398 Le constituant camerounais utilise des adverbes qui
très souvent rendent véritablement imprécis et incertain
le contenu de certaines dispositions constitutionnelles.
399 À l'exemple du cas Tandja du Niger où le
parlement et la cours constitutionnelle, respectivement consultés dans
le cadre d'une procédure de révision constitutionnelle, avaient
formulés des avis signifiant au président Tandja qu'il ne pouvait
réviser la constitution même pas par voie de
référendum. Celui-ci passant outre ces avis décida tout
simplement de dissoudre le parlement et de suspendre la cour et de convoquer un
référendum constitutionnel. Mettant ainsi fin de façon
arbitraire à la fonction des parlementaires et des membres de la
juridiction constitutionnelle de manière à supprimer les
obstacles institutionnels à la manipulation dudit texte constitutionnel.
Lire MOUHAMADOU NDIAYE « la stabilité constitutionnelle, nouveau
défi pour le juge africain » annuaire international de droit
constitutionnel XXXIII-2017. pp.668-688
400 DIALLO (I); « à la recherche d'un modèle
africain de justice constitutionnelle. » ;op.cit. p.105
401 CONAC (G), « le juge constitutionnel en Afrique,
censeur ou pédagogue ? in les cours suprêmes en Afrique, Paris,
Economica 1989. Cité par DIALLO (I); « à la recherche d'un
modèle africain de justice constitutionnelle. » ; op.cit. p.107
402 Idem p.106.
403 Dans ce sens lire GNAMOU (D), « la cour
constitutionnelle du Bénin en fait-elle trop ? » in JOEL AIVO
(dir.), la constitution béninoise du 11 décembre 1990.
404 ABA'A OYONO (J-C) « les fondements constitutionnels
du droit administratif : de sa vertueuse origine française à sa
graduelle transposition vicieuse dans des États stables et instables de
l'Afrique » ; op.cit. 17.
405 Idem 18
84
l'article 47 (2) de la constitution camerounaise de 1996 :
« du président de la république, du président de
l'assemblée nationale, du président du sénat, (d') un
tiers des députés, (d') un tiers des sénateurs »
également, les chefs des exécutifs régionaux peuvent
saisir le conseil constitutionnel lorsque leur intérêt est mis en
cause.406 Un tel état de choses limite déjà
significativement le droit de se faire rendre justice407 des
citoyens qui notamment dans leurs rapport avec la machine administrative se
sont vu lésés dans leurs droits.
Pourtant le constituant béninois dispose en son article
122 « tout citoyen peut saisir la cour constitutionnelle sur la
constitutionnalité des lois soit directement soit par la
procédure d'exception d'inconstitutionnalité invoquée dans
une affaire qui le concerne devant une juridiction. » également,
l'article 120 du même texte institue une plainte en violation des droits
fondamentaux. Ceci dit, tout citoyen peut saisir la cour constitutionnelle
béninoise d'une atteinte aux droits de la personne humaine et aux
libertés publiques.408
Par-delà même les modalités de saisine du
conseil constitutionnel, qui faut-il le préciser sont assez restrictifs
; le système de protection des libertés publiques contre les
violations du pouvoir étatique en Afrique noire francophone de
manière générale et au Cameroun en particulier ne laisse
pas véritablement ou du moins pas suffisamment de marge de manoeuvre au
juge constitutionnel dont l'action se retrouve limitée voire
phagocytée.409
Le Cameroun, ayant opté pour un système de
contrôle inspiré du modèle européen de justice
constitutionnelle dont il convient ici de rappeler quelques traits
caractéristiques. Il s'agit ici d'un contrôle
concentré,410 a priori,411 et
abstrait.412 Force est de constater que ces mécanismes
classiques ne sont pas toujours efficaces dans la protection des droits et
libertés fondamentaux contre l'arbitraire administratif. C'est sans
doute en raison de cela que le constitutionnalisme béninois s'est
illustré par un certain nombre originalités qui d'ailleurs lui
406 Article 47 de la constitution camerounaise de 1996.
407 Lire le préambule de la constitution camerounaise
op.cit.
408 DEGBOE (D), « les vicissitudes de la protection des
libertés par la cour constitutionnelle du Bénin », les
annales du droit (en ligne) 10/2016 mis en ligne le 18 janvier 2018,
consulté le 23 avril 2019. p.124
409 DIALLO (I) ; « à la recherche d'un modèle
africain de justice constitutionnelle. » ; op.cit. p.107
410 C'est un contrôle aux mains d'une juridiction
spéciale exerce le monopole en matière constitutionnelle.
Confère article 46 de la constitution camerounaise de 1996.
411 Contrôle intervenant avant que la norme en question
ne soit entrée en vigueur. On parle également de contrôle
préventif. Article 47 alinéa 3 de la constitution
camerounaise.
412 IL s'agit ici de contrôler la conformité de la
norme inférieure à la norme suprême : c'est un
contrôle dit de norme à norme. Ainsi dans le cas où la loi
viole une liberté consacrée par la constitution, le conseil
constitutionnel peut la neutraliser.
85
ont valu le fait d'être considéré comme
« avant-garde du constitutionnalisme africain. »413 En
effet le contentieux constitutionnel béninois se décline en deux
modalités : un contrôle a priori obligatoire et un contrôle
a posteriori facultatiø14 par ailleurs, les
compétences du juge constitutionnel béninois s'étendent
au-delà même du contrôle des lois stricto sensu. En effet,
celui-ci connait « aussi bien des comportements, des actes
législatifs ou administratifs415 etc. susceptibles de
méconnaitre un droit ou une liberté
constitutionnels»416 à titre illustratif, la cours
constitutionnelle béninoise dans la décision DDC 18-117 du 22 mai
2018 a déclaré contraire à la constitution un texte
règlementaire interdisant les manifestations publiques à
caractère revendicatif.
En tout état de cause, il semble évident de
reconnaitre que le contentieux constitutionnel en matière de protection
des libertés publiques au Cameroun semble avoir du mal à
décoller. Certains doctrinaires n'hésitent pas à parler
d'une paralysie417 voire d'un tarissement du contentieux
constitutionnel418 en la matière. C'est ainsi que la
difficile mise en oeuvre du contentieux des libertés publiques se
répercute au niveau des juridictions ordinaires.
Paragraphe 2 :l'insuffisance du contrôle par les
juridictions ordinaires.
La protection des libertés publiques au Cameroun par
les juridictions ordinaires reste encore fortement limitée en raison
notamment de l'inefficacité du contrôle par le juge administratif
(A) et de La faiblesse du contentieux des manifestations devant le juge
judiciaire. (B)
A- l'inefficacité du contrôle par le juge
administratif.
L'inefficacité du juge administratif dans la protection
juridictionnelle des libertés contre la police administrative
relève d'un certain nombre de verrous, d'obstacles qui contribuent
à enrayer le processus relatif à l'exercice du droit à la
justice devant le juge administratif camerounais.419
413 Lire FALL (A.B), « le juge constitutionnel
béninois, avant-garde du constitutionnalisme africain ? » dans AIVO
(J) ; (dir.) La constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un
modèle pour l'Afrique ? Mélanges en l'honneur de
Ahanhanzo-Glélé (M). Paris : l'Harmattan, 2014, 798p.
414 DEGBOE (D), « les vicissitudes de la protection des
libertés par la cour constitutionnelle du Bénin » op.cit.
p.123
415 DDC 18-117 du 22 mai 2018 décision dans laquelle le
juge annule une décision interdisant une manifestation publique.
416 Idem. P.132 consulter également l'article 117 de la
constitution béninoise de 1990.
417 ABA'A OYONO (J-C) « les fondements constitutionnels du
droit administratif (...) » ; op.cit. p.18
418 GOUNELLE (M), « la cour suprême dans le
système politique sénégalais » cité par
IBRAHIMA DIALLO op.cit. p.107
419 ABANE ENGOLO (P)., «existe-t-il un droit administratif
camerounais ? » op.cit. p.30
86
En effet, l'accès au juge administratif au Cameroun est
caractérisé par une extrême technicité420
à laquelle il convient d'ajouter la longueur observée dans les
procédures. À ce propos écrira justement le professeur
Maurice Kamto, l'accès au prétoire du juge
administratif au Cameroun relève d'un véritable «
casse-tête chinois. »421 Cet état de choses rend
nécessairement difficultueuse la protection des libertés
publiques devant le juge administratif. Cela est davantage perceptible en
matière de contentieux des manifestations publiques.
Le législateur camerounais a toujours exigé que
toute procédure contentieuse devant le prétoire du juge
administratif requiert l'accomplissement par le justiciable ou le recourant,
d'un recours gracieux préalable.422 Si certaines doctrinaires
trouvent dans le recours gracieux préalable un moyen encourageant la
résolution à l'amiable des différents entre
l'administration et ses administrés.423 D'autres par contre
sans le remettre en cause ne voient pas toujours cela d'un très bon
oeil. C'est justement le cas du professeur Aba'a Oyono qui
voit le recours gracieux préalable comme un véritable grain de
sable qui concourt à enrayer l'exercice du recours au juge administratif
camerounais. 424
C'est donc à dire en fin de compte que « le
recours au juge administratif nécessite une grande patience, la
procédure contentieuse étant habituellement longue, les
intéressés perdent espoir et l'objet de leur requête
s'estompe avant que le juge ne se soit prononcé »425.
Or, la procédure contentieuse en matière de manifestations
publique implique une certaine promptitude.426 Cela dit, même
si la procédure contentieuse aboutit à une invalidation de la
mesure d'interdiction, elle n'aura pas empêché à la mesure
illégale de produire ses effets (le non déroulement de la
manifestation). En effet, la décision du juge administratif
n'intervenant généralement que de manière a posteriori
voire tardive, souvent plusieurs années après les faits (la
violation de la liberté).427
420 METOU (B-M) ; « vingt ans de contentieux des
libertés publiques au Cameroun » op.cit. p.278
421 KAMTO (M), Droit processuel du litige : que faire en cas
de litige contre l'administration ; cité par ABANE ENGOLO P. op.cit.
p.30.
422 Article 17 de la n°2006/022 du 29 décembre
2006 fixant l'organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs au
Cameroun.
423 HOLO (T) le contrôle de la légalité et
la protection des administrés au Bénin RBSJA, n°5, juin
1985, pp.23-28 ; cité par ABANE ENGOLO P. op.cit. p.30
424Lire à cet effet ABA'A OYONO J-C «
chronique du grain de sable dans la fluidité jurisprudentielle de la
chambre administrative au Cameroun » RASJ vol.5 n°1, 2008 p.51-75.
425 METOU (B-M) ; « vingt ans de contentieux des
libertés publiques au Cameroun »op.cit. p.278
426 Idem.
427 Sur ce thème lire GUILLUY (T), « la
liberté de manifestation, un droit introuvable ? » op.cit.
87
Et même lorsqu'il s'agit du contentieux de l'urgence, le
législateur exige sous peine d'irrecevabilité428
l'introduction préalable d'un recours gracieux devant l'autorité
auteur de l'acte litigieux.429 Encore faut-il que la requête
ne porte sur un acte n'intéressant « ni l'ordre public, ni la
sécurité ou la tranquillité publique. »430
Au vu de cela l'on est bien forcé de convenir avec le professeur
Abane Engolo lorsqu'il relève que « le contentieux
de l'urgence (au Cameroun) n'est pas toujours un contentieux urgent.
»431
Pourtant, le droit français avait déjà
réglé la question à travers l'introduction du
référé liberté depuis janvier 2001.432
L'article L.251-2 du code de justice administrative dispose en effet : «
saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des
référés peut ordonner toutes mesures nécessaires
à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une
personne morale de droit public ou un organisme de droit privé
chargé de la gestion d'un service public aurait porté ; dans
l'exercice de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement
illégale. Le juge des référés se prononce dans un
délai de quarante-huit heures. » C'est donc à dire que
dès lors que les droits libertés fondamentaux se trouvent remis
en cause, et que les conditions d'urgence sont réunis, le justiciable
lésé peut désormais saisir le juge des
référés afin que celui-ci fasse cesser l'atteinte desdits
droits dans les plus brefs délais.433
Force est de constater là encore que le juge
administratif camerounais ne s'inscrit pas nécessairement dans cette
logique. C'est fort de cela que le législateur fera intervenir le juge
judiciaire dans la protection des libertés publiques au Cameroun
notamment en matière de contentieux des manifestations publiques.
428 CS/CA, Ordonnance n° 01 du 23 janvier 2009 SDF
c./État du Cameroun. Dans cette affaire, le juge a rejeté
l'hypothèse de saisine directe du juge de l'urgence lorsqu'il affirmait
: « le sursis à exécution peut-être
demandé dès l'introduction du recours gracieux (...)
» ; cité par BIPELE KEMFOUEDIO, (J) et FANDJIP
(O), « le nouveau procès administratif au Cameroun :
réflexion sur le recours gracieux en matière d'urgence », in
revue internationale de droit comparé. Vol 64 N°4, 2012 p.991
429 Article 30 de la loi de 2006/022 op.cit.
430 Idem. Voir aussi ordonnance n°04/OSE/PCA/CS/ 93-94,
union des populations du Cameroun (UPC) c/ État du Cameroun. Dans
l'affaire, le juge pose le principe selon lequel les mesures de police ne
peuvent faire l'objet de sursis à exécution. Lire
également ESSOMBA NTSAMA (J), la répartition des
compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire en
matière de libertés publiques au Cameroun. Mémoire de DEA
en droit public, université de Yaoundé II. P.48.
431 ABANE ENGOLO (P) ; « existe-t-il un droit administratif
camerounais ? » ; op.cit. p.31.
432 Date d'entrée en vigueur de la réforme du 30
juin 2000 sur la nouvelle procédure des référés
libertés.
433 Lire GUILLUY (T), « la liberté de manifestation,
un droit introuvable ? » op.cit.
88
B- La faiblesse du contentieux des manifestations devant le
juge judiciaire.
Les réformes législatives relatives aux
libertés publiques mises en oeuvre au cours des années 1990, ont
pu instituer l'intervention du juge judiciaire dans la garantie des
libertés publiques. Ainsi en dehors des cas de voie de fait et de ceux
relevant de l'emprise, le législateur prévoit des cas où
le juge judiciaire, puisse connaitre des agissements de l'administration. C'est
ainsi qu'il lui sera d'ailleurs attribué une compétence exclusive
en matière de contentieux des restrictions de l'exercice des
manifestations publiques par les autorités
administratives434. La loi n° 90/055 du 19 décembre 1990
fixant le régime des réunions et manifestations publiques dispose
à cet effet en son article 8 alinéa 3 : qu'« en cas
d'interdiction de manifestation, l'organisateur peut par simple requête
saisir le président du tribunal de grande instance compétent qui
statue par ordonnance dans un délai de huit jours de sa saisine (...)
»
Quelques signes d'avancée positive sont perceptibles
depuis l'instauration de l'intervention du juge judiciaire au coeur de la
protection des libertés contre les abus de l'administration. En effet,
l'on assiste à une simplification de la procédure contentieuse
à travers notamment la suspension du recours gracieux préalable
et la reprécisions du délai relatif au prononcé des
décisions par le juge qui désormais est fixé à huit
jours. Seulement, force est d'admettre que des améliorations restent
encore à fournir dans la mise en oeuvre des garanties de
l'indépendance des juridictions judiciaires qui jusque-là sont
encore selon le professeur Aba'a Oyono, « manifestement
à la recherche de (leur) autonomie fonctionnelle. »435
En effet, lorsque la constitution dispose que « le
pouvoir judiciaire est exercé par la cour suprême, les cours
d'appel et les tribunaux (...)»,436 et que celui-ci est
indépendant des pouvoirs exécutifs et
législatifs437 ; il va sans dire que le constituant semble
s'inscrire véritablement dans une logique de proclamation des grands
principes de l'État de droit (tel que la séparation des
pouvoirs).
Seulement, et ce curieusement, lorsque l'on observe un peu
plus loin dans l'alinéa 3 de l'article 37, une disposition selon
laquelle « le président de la république est garant de
l'indépendance du pouvoir judiciaire. Il nomme les magistrats. Il est
assisté dans cette mission
434 METOU (B-M) « vingt ans de contentieux des
libertés publiques au Cameroun », op.cit. p.280.
435 ABA'A OYONO ; « les fondements constitutionnels du droit
administratif (...) ». Op.cit. p.19.
436 Article 37 (2) de la constitution camerounaise de 1996
op.cit. ??
437 Idem.
89
par le conseil supérieur de la magistrature qui lui
donne son avis sur les propositions de nomination et sur les sanctions
disciplinaires concernant les magistrats de siège. » Vu la
prégnance du président de la république sur le conseil
supérieur de la magistrature438, cela revient à dire
en fin de compte qu'il dispose d'un pouvoir de nomination, de sanction voire de
révocation à l'égard des magistrats. Dans ces conditions,
l'on est bien amené à reconnaitre que la protection
juridictionnelle des droits et libertés fondamentaux contre l'arbitraire
administratif reste encore fortement compromise. Cela justifie ainsi la
réticence, le manque de confiance des justiciables vis-à-vis des
instances juridictionnelles. Ceux-ci préférant
généralement laisser à Dieu le soin de rendre
justice439. D'où la nécessité d'aménager
des modalités de garantie non juridictionnelle des libertés
devant faire face à la machine étatique.
SECTION II : l'INCONSISTANCE DU CONTRÔLE NON
JURIDICTIONNEL DES AUTORITES DE POLICE ADMINISTRATIVES.
Face à l'incapacité des organes juridictionnels
à assurer la protection des droits et libertés fondamentaux, Les
mécanismes non juridictionnels se présentaient alors comme une
arme de choix dans la protection renforcée des administrés contre
l'arbitraire administratif. En clair, la mise en oeuvre d'une garantie
effective des droits et libertés fondamentaux à travers les
institutions non juridictionnelles était censée combler les
lacunes relatives au contrôle juridictionnel.
Mais cet espoir voué au contrôle non
juridictionnel notamment celui d'une protection renforcée des
libertés ; s'est amenuisé et n'a pas été à
la hauteur des attentes escomptées. Au lieu de cela le contrôle
non juridictionnel de l'administration étatique s'est plutôt
illustré par l'illusion d'un contrôle législatif (P1) et
l'insignifiance des organismes non institués dans le contrôle de
l'administration étatique. (P2)
Paragraphe 1 : L'inanité d'un contrôle
législatif de l'administration étatique.
Le contrôle parlementaire du gouvernement constitue un
des procédés classiques du régime parlementaire. Cela dit,
le Parlement dispose de moyens de contrôle sur l'action du gouvernement
et sur les politiques publiques, notamment celles relatives aux droits et
libertés
438 BIKORO (J. M) ; les paradoxes constitutionnels en droit
positif camerounais ; op.cit. p.61
439 ABANE ENGOLO (P) ; « existe-t-il un droit administratif
camerounais ? » ; op.cit. p.22.
90
fondamentaux. Il peut également engager la
responsabilité du gouvernement lorsqu'il ne partage pas sa politique.
Seulement, ces mécanismes demeurent purement théoriques. Deux
éléments contribuent à annihiler l'influence du parlement
sur l'exécutif : il s'agit non seulement de L'inféodation du
parlement au pouvoir exécutif (A) ; mais également La
modicité des mécanismes de contrôle parlementaire de
l'administration étatique. (B)
A- L'inféodation du parlement au pouvoir
exécutif.
Le contrôle politique de l'exécutif dévolu
au parlement constitue l'une des fonctions essentielle de ce
dernier.440 C'est véritablement une des conditions
nécessaires à la réalisation de l'État de droit.
Cela dit, un tel résultat n'est possible que dans l'hypothèse
où, « par la disposition des choses, le pouvoir législatif
puisse arrêter et/ou sanctionner l'exécutif.»441
Toutefois, l'ordre juridique camerounais malgré cette volonté de
démocratisation des régimes442 observée depuis
les années 1990 en Afrique subsaharienne francophone ; semble avoir
maintenu cette inclination ferme443 en faveur de la mainmise de
l'administration d'État444 sur toutes les institutions, le
parlement y compris.
Le parlement camerounais en effet se caractérise par
une véritable soumission à l'égard de l'exécutif
présidentiel.445 Cette considération trouve son
fondement à l'analyse des dispositions de la constitution de janvier
1996. Si de prime abord le constituant semble consacrer le principe de la
séparation des pouvoirs, donnant ainsi l'impression de l'existence de
rapports horizontaux446 entre les pouvoirs exécutif et
législatif447 ; le même texte en revanche prête
le flanc à de nombreuses critiques lorsqu'il consacre de manière
plus ou moins explicite la prépondérance de l'exécutif
présidentiel sur le parlement. Cette situation se traduit au regard de
la capacité d'influence offerte au président de la
république sur le mandat des parlementaires. En effet, celui-ci dispose
de la prérogative selon le cas448 d'abroger ou de
440 KHADIM (T) ; le contrôle de l'exécutif dans
la création de l'État de droit en Afrique francophone. Op.cit.
p.193
441 Idem. P.195
442 CONAC (G.) « les processus de démocratisation
en Afrique », in GERARD CONAC (dir.), l'Afrique en transition vers le
pluralisme politique, Economica 1993, PP 11-41. Cité par KHADIM (T) ;
op.cit. p.194.
443 ATEBA EYONG (R), « l'évolution du fondement
idéologique du droit administratif camerounais » ; op.cit. p.
278
444 ABANE ENGOLO (P) ; « existe-t-il un droit administratif
camerounais ? » op.cit. p.25.
445 BIKORO (J. M) les paradoxes constitutionnels en droit positif
camerounais ; op.cit. p.48
446 Idem.
447 Article 4 de la constitution camerounaise de janvier 1996
op.cit.
448 Le texte constitutionnel camerounais de 1996 dispose
justement que ces prérogatives sont possibles « en cas de crise ou
lorsque les circonstances l'exigent. » or comme le relève le
professeur FRANCOIS XAVIER MBOME, de telles expressions ne font
généralement pas l'objet d'une définition textuelle.
Laissant ainsi le soin au président de la république d'en
déterminer le contenu. Lire à ce propos MBOME (F.X), « les
rapports entre l'exécutif et le parlement », lex lata n°
023/024 p.27 ; cité par BIKORO (J. M) ; op.cit. p.49.
91
proroger le mandat des parlementaires. Aussi, dispose-t-il
d'un pouvoir de dissolution à l'égard de l'assemblée
nationale449.
Au-delà même des dispositions constitutionnelles
consacrant la domination de l'exécutif présidentiel sur le
parlement, la pratique institutionnelle illustre davantage cet état des
choses dans l'ordre juridique camerounais.
Dans le parlementarisme camerounais, la majorité sinon
la quasi-totalité des lois adoptées par les assemblées
sont d'origine gouvernementale. Cela dit, les propositions de lois sont
rarissimes tandis que les projets de lois constituent les seules sources des
textes législatifs au Cameroun.450 Ceci justement en raison
de la majorité écrasante du parti au pouvoir au sein des
assemblées parlementaires. Au vu de cela, force est donc de constater en
fin de compte que « la nature du régime politique en cause fait que
la loi en réalité est un acte de l'exécutif et plus
précisément de son chef ».451 Or, si le chef de
l'État, autorité de police administrative par
excellence452 dispose d'une telle emprise sur le pouvoir
législatif, il ne saurait véritablement exister un contrôle
sur l'action gouvernementale de manière générale et sur
les actes de police dont au final lui-même définit la
politique.
Comment donc les parlementaires pourraient garantir les
libertés publiques face à la prédominance de
l'exécutif présidentiel sur les autres institutions
étatiques ? Cette interrogation nous conduit forcément vers
l'étude des mécanismes ou modalités de contrôle
parlementaire de l'exécutifs, qui d'emblée semblent
limités.
B- La modicité des mécanismes de
contrôle parlementaire de l'administration étatique.
La majorité incarnée par le parti au pouvoir
depuis plusieurs décennies est devenue l'instrument à travers
lequel le président de la république, chef de l'État
assoit son hégémonie au sein des institutions de
l'État453. Le parlement illustre parfaitement ce rapport
déséquilibré existant entre majorité et
opposition454 dans la vie politique et même institutionnelle
au Cameroun. Cela dit, la majorité impose des règles du jeu
politique qui lui sont particulièrement
449 Article 8 alinéa 12 texte constitutionnel camerounais
de 1996 op.cit
450 KAMTO (M) ; Pouvoir et droit en Afrique noire
; op.cit. p.445
451 Idem. P.444
452 Lire ATEMENGUE (JDN) ; « le pouvoir de police
administrative du président de la république au Cameroun » ;
op.cit. pp. 81-107.
453 TCHACFACK (D) ; « rassemblement démocratique
du peuple camerounais (RDPC) radioscopie et trajectoire d'un parti
présidentiel » DGRIS, 21 octobre 2016 NOTE n°25 ; P.22
454 DONFACK SOKENG (L) ; « l'institutionnalisation de
l'opposition : Une réalité objective en quête de
consistance» ; pp.44-95.
92
favorables et censure les initiatives de l'opposition visant
à contrecarrer ses desseins hégémoniques.455
Pourtant, il est évident qu'il existe une multitude de
mécanismes juridiques permettant aux parlementaires de contrôler
l'action du gouvernement. Mais il va sans dire que ceux-ci sont difficilement
sinon insuffisamment mis en oeuvre au sein des assemblées
parlementaires.
En effet le constituant camerounais reconnait aux
parlementaires la possibilité de saisir le conseil constitutionnel. Pour
cela ils doivent se constituer en au moins « un tiers des
députés ou un tiers des sénateurs » pour voire leur
requête recevable devant le juge constitutionnel.456 Or on le
voit très bien la configuration des chambres ne permet pas à
l'opposition parlementaire de prétendre au quota requis pour
accéder au prétoire du juge constitutionnel. Sous d'autres cieux
par contre, notamment dans l'ordre juridique béninois, le constituant
prévoit que « tout membre de l'assemblée
nationale457 » peut saisir la cour constitutionnelle sur la
constitutionnalité d'une loi avant sa promulgation.458
Également, les parlementaires peuvent recourir à
des moyens traditionnels en matière d'information et d'investigation sur
l'action gouvernementale459. Il s'agit notamment des questions
écrites et orales, ou les commissions d'enquêtes460.
Pourvu que ces informations ne concernent pas des impératifs tels que la
défense, la sécurité de l'État ou le secret de
l'information judiciaire.
En ce qui concerne les mécanismes de contrôle
consistant en la mise en jeu de la responsabilité gouvernementale, la
constitution camerounaise prévoit et organise les procédures
relatives à la question de confiance461 ou à la motion
de censure462. Si la mise en jeu de la responsabilité,
à l'initiative du gouvernement ou de l'assemblée nationale est un
procédé classique du régime parlementaire, le
phénomène majoritaire a rendu généralement
455 Idem. P. 74
456 Article 47 de la constitution camerounaise de 1996 op.cit.
457 Le parlement béninois est monocaméral.
458 Article 121 de la constitution béninoise op.cit.
459 Il s'agit là d'un contrôle n'ayant pas pour
finalité la mise en jeu de la responsabilité gouvernementale.
460Articles 35 alinéa 1 de la constitution camerounaise.
461 Procédure permettant au premier ministre d'engager
la responsabilité du gouvernement sur son programme ou une
déclaration de politique générale. La confiance est
refusée à la majorité absolue des membres de
l'assemblée nationale. Le cas échéant le premier ministre
la lettre de démission du gouvernement au président de la
république. Article 34 alinéa 2 de la constitution
camerounaise
462 Procédure mise en oeuvre à l'initiative des
députés, à raison d'au moins un tiers des membres de
l'assemblée ; à l'issu de laquelle si la motion de censure est
adoptée à la majorité des deux tiers des
députés ; le gouvernement devra démissionner. Article 34
alinéa 3 de la constitution camerounaise.
93
inutiles ces mécanismes463. C'est dans un
tel contexte que s'applique la fameuse réplique de Laignel qui
s'adressant à l'opposition affirmait : « vous avez juridiquement
tort car vous êtes politiquement minoritaires.»464 C'est
donc au vu de ces considérations qu'il conviendra d'envisager un
contrôle de l'administration au-delà des mécanismes
institutionnalisés.
Paragraphe 2 : L'insignifiance des organismes non
institués dans le contrôle de l'administration.
La protection plus efficace des libertés publiques
contre les pouvoirs publics nécessite la contribution plus
accentuée d'organismes non institués qui viendront renforcer les
moyens de contrôle traditionnels de l'action étatique. Ces
organismes peuvent être des personnes morales de droit public comme de
droit privé. Au rang des premières figure les autorités
administratives indépendantes notamment la commission nationale des
droits de l'homme et libertés ; et parmi les secondes, figurent les ONG,
les associations entre autres qui constituent ce que la doctrine désigne
généralement sous le vocable de société civile.
Qu'il s'agisse des autorités administratives indépendantes ou des
associations de la société civile agissant dans le cadre de la
protection des libertés publiques, elles sont confrontées dans la
pratique au Cameroun à la précarisation (A) pour les unes voire
à la marginalisation pour les autres. (B)
A- la précarisation de l'autorité
administrative indépendante. (La CNDHL)
La dynamique de renforcement de la protection des
administrés contre toutes formes d'excès d'autoritarisme ou
d'arbitraire des pouvoirs publics465 nécessitait la mise en
oeuvre des mécanismes nouveaux visant à assurer avec plus
d'efficacité la garantie des droits et libertés des citoyens.
En effet comme le soulignait Jean
Chevallier466, la mise en évidence des limites et
insuffisances des voies juridictionnelles et bien entendu des autres
mécanismes classiques, imposait de recourir à des dispositifs de
protection plus souples et mieux adaptés. Évitant ainsi le
formalisme, les lourdeurs et la lenteur des procédures conventionnelles.
Les autorités administratives indépendantes apparaissaient alors
comme l'instrument nécessaire pour une meilleure garantie des
libertés.
463 CHAGNILLAUD (D), Droit constitutionnel contemporain
tome2 4e éd. Armand Colin. P.320.
464 Assemblée nationale française, 13 octobre
1981.
465 KHADIM (T) ; Le contrôle de l'exécutif dans la
création de l'État de droit en Afrique francophone op.cit.
p.258.
466 CHEVALLIER (J), « autorités administrative et
État de droit » p.146.
94
C'est donc dans cette perspective que les États
africains depuis les années 1990 se sont tour à tour inscrit dans
la logique de démocratisation des régimes à travers
notamment l'institutionnalisation des organismes indépendants
principalement orientés vers la garantie des principes
fondamentaux467de la démocratie, avec en toile de fond le
renforcement des libertés publiques. Il s'en suivait alors la
création et même l'institutionnalisation d'organismes publics dont
la dénomination variait selon les États ; il s'agissait
tantôt des commissions des droits de l'homme tantôt des
institutions de médiation publiques.
Relativement à cet ancrage institutionnel des
autorités administratives indépendantes certains, pays africains
sont allés jusqu'à la consécration constitutionnelle
d'organismes publics indépendants situés en dehors de
l'administration étatique, et chargés d'en assurer le
contrôle. Tel était le cas notamment de la République
centre africaine qui dans sa constitution consacrait tout un titre portant sur
la commission de médiation pacifique et permanente468.
Le Cameroun n'était pas en reste face à cette
nouvelle donne. C'est à cet effet que l'on eut à faire en 1990
à la création du comité des droits de l'homme à la
suite d'un décret469 signé par le président de
la république. En effet la comité avait pour but d'assurer la
promotion et la protection des droits de l'homme. Pourtant, quatorze ans plus
tard, celui sera dissout puis remplacé par l'actuelle commission
nationale des droits de l'homme et des libertés (en abrégé
C.N.D.H.L.) à la faveur de la loi n°2004/016 du 22 juillet 2004. Il
était en effet reproché à l'ex comité son
incapacité à assurer une réelle protection des droits et
libertés des citoyens.470
La commission nouvellement créée
présentera visiblement un certain nombre de garanties qui laisseront
alors présager les attributs d'une institution véritablement
indépendante à l'abri de toutes formes de pressions des pouvoirs
extérieurs. En première analyse, si le texte portant
création de l'ex comité était un acte
réglementaire, l'actuelle commission désormais trouve son assise
juridique dans la loi de 2004 : signe d'une avancée marquante vers
l'institutionnalisation de cet organisme qui jusque-là semblait encore
incertaine. Également observe-t-on une évolution dans le
procédé de désignation et de nominations471 des
membres de la commission qui désormais associe plusieurs
autorités472. L'un des apports les plus marquants de la
nouvelle législation constitue la budgétisation et
467 Idem.
468 Titre XI de la constitution de la R.C.A.
469 Décret n°90/154 du 8 novembre 1990
470 ZBIEGNIEW DIME LI NLEP (P) ; la garantie des droits
fondamentaux au Cameroun. Op.cit.
471 Compétence qui était alors l'apanage du
président de la république. Lire ZBIEGNIEW DIME LI NLEP (P) ; la
garantie des droits fondamentaux au Cameroun. Op.cit.
472 Article 6 alinéa 2 de la loi de 2004/016 op.cit.
95
l'élargissement des sources de financement de la
commission473 qui à l'opposé de l'ex comité ne
dépend plus des dotations étatiques.
Toutefois, s'il est des avancées depuis la mise en
oeuvre de la nouvelle commission, toujours est-il que cette dernière
reste encore limitée de manière significative dans sa mission de
promotion et de protection des droits de l'homme et des libertés telle
que le prévoit l'article 2 de la loi n° 2004/016. De
sérieuses questions restent encore posées relativement à
l'efficacité de la commission tant dans ses missions de promotion que
dans celle de protection des droits et libertés fondamentaux notamment
face à l'arbitraire des pouvoirs publics.
Relativement à la question de la promotion des droits
et libertés fondamentaux, la réalité est que les moyens
matériels dont dispose la commission sont encore considérablement
insignifiants. Force est de constater que l'efficacité dans la
réalisation de ses missions se retrouve ainsi véritablement
remise en cause. Cela s'illustre concrètement par la relative
discrétion voire la timidité qui caractérise la commission
depuis sa création. Autrement dit, les activités et même
l'existence de la commission ne sont pas ou du moins restent et demeurent
très peu connus du grand public. En effet on observe en pratique non
seulement un faible déploiement de cette institution à
l'échelon local c'est-à-dire auprès des populations, mais
également des insuffisances dans la vulgarisation et la diffusion de ses
travaux.
Par ailleurs, au sujet de la protection des droits et
libertés fondamentaux, ce que l'on retient c'est que si dans ses
attributions, la commission peut recevoir toutes dénonciations sur les
cas de violations des droits de l'homme et des libertés,474
ou peut selon les cas procéder à des convocations pour auditions
des parties ou des témoins475 ; la vérité est
qu'elle ne dispose pas d'un pouvoir de contrainte.
En fin de compte, Si à l'origine dans leur fondement,
l'instauration des autorités administratives indépendantes
visaient à limiter l'exercice du pouvoir et de garantir les
libertés face aux dérives de l'exécutif476 ;
force est de constater que dans l'ordre juridique camerounais, malgré
des améliorations observés dans la construction d'une institution
autonome dotée de moyens propres nécessaires à une
protection plus souple et mieux adaptée des libertés depuis la
création de la commission nationale des droits de l'homme et des
libertés ; toujours est-il que la mission de promotion et de protection
des droits et libertés qui
473 Article 20 de la loi précitée.
474Article 2 de la loi précitée
475 Idem article 3 cette attribution s'accompagne d'une sanction
en cas de refus de déférer auxdites convocations.
476 CHEVALLIER (J), « autorités administrative et
État de droit » ; op.cit. p.145.
96
lui incombe reste encore fortement limité. Cela dit, la
commission ne dispose pas suffisamment de ressources tant juridiques que
matérielles pour assumer la posture de garant non juridictionnel des
libertés. Tel semble être le cas également des associations
de la société civile dont la situation marginale ne laisse
guère entrevoir des lendemains meilleurs pour les libertés au
Cameroun.
B- La marginalisation des organisations de la
société civile.
Le terme société civile est par
définition un concept assez contingent, polysémique,
voire477labile.478 Ceci dit, comme le souligne
Réné Gallissot, « la complexité de
la notion, la nature souvent floue et vague de ses composantes
sémantiques la rendent rebelle à toute conceptualisation
»479. Quoiqu'il en soit, la notion de société
civile fait généralement référence à un
rapport société-État dans lequel des acteurs individuels
ou collectifs exercent leur pression dans un ensemble social.480
Si la société civile est un
phénomène récent en Afrique noire francophone, du moins
par rapport aux sociétés occidentales, force est de reconnaitre
que l'enjeu fondamental reste le même partout, puisqu'il s'agit de
l'affirmation et de l'institutionnalisation de nouveaux
contre-pouvoirs481.
C'est véritablement dans les années 1990 que la
société civile connaitra son plein essor dans les pays d'Afrique
noire francophone, notamment à la faveur des mouvances
démocratiques qui ont caractérisés cette période.
Cela s'est concrétisé au Cameroun au plan législatif par
l'adoption de la loi n°90/053 du 19 décembre 1990 relative à
la liberté d'association ; et plus tard par la loi n°99/014 du 22
décembre 1999 régissant les organisations non gouvernementales.
En clair l'on aboutira à une véritable révolution dans la
législation relative à la liberté d'association. Plus
concrètement, assistera-t-on alors à la consécration de
nouveaux groupes de pression capables de s'organiser pour peser sur les
décideurs politiques482 afin de mieux défendre des
intérêts collectifs.
477 GHILS (P), « le concept et les notions de
société civile » ; in : équivalences, 24e
année-n°2, 1994. p. 128.
478 Idem.
479 GALLISSOT (R), abus de société civile : «
étatisation de la société ou socialisation de
l'État », in l'homme et la société, N.102, 1991.
État et société civile. P.3.
480 Idem.
481 AYEE (J), et alii. les sociétés civiles du Sud,
un état des lieux de trois pays de la ZSP, Cameroun, Ghana, Maroc,
centre d'études d'Afrique noire, institut d'études politiques de
Bordeaux, Ministère des affaires étrangères 2004.
482 FARDEAU (J.M), « le rôle de la
société civile », CERAS 2016/5 n° 71.
97
Si la liberté d'association semble désormais
constituer une réalité dans l'ordre juridique camerounais,
notamment au regard du foisonnement d'associations diverses, reste-t-il
à savoir si l'environnement juridique est véritablement propice
à l'épanouissement des associations de la société
civile tel que recommandé par les grands textes
internationaux.483
De manière générale le régime des
associations au Cameroun est celui de la déclaration484.
Autrement dit, l'existence d'une association et par contrecoup l'acquisition de
sa personnalité juridique n'intervient qu'après une
déclaration faite à la préfecture du département
où elle a son siège.485 Par ailleurs le silence
gardé pendant deux mois après le dépôt du dossier de
déclaration, vaut acceptation et emporte acquisition de la
personnalité juridique.486 Si théoriquement la
légalisation d'une association semble simple, en pratique les choses se
présentent autrement.487 En effet la procédure de
déclaration en pratique mobilise un certain nombre d'opérations
de vérifications qui au final demandent des délais
considérables.488 Résultat des courses plusieurs
associations évoluent dans l'illégalité.
Relativement à l'environnement juridique qui
caractérise le fonctionnement des associations de manière
générale, le fait est que ces dernières sont sans cesse
confrontées à la volonté gouvernementale de maîtrise
du phénomène associatif au Cameroun.489 Ce faisant,
les pouvoirs publics disposent et n'hésitent d'ailleurs pas à
déployer toutes les armes à la fois juridiques
qu'extra-juridiques pour minimiser l'action des associations de la
société civile. Le législateur camerounais fournit
là encore un exemple on ne peut plus clair d'un ordre autoritaire
caractérisé par la recherche de la protection de l'État au
détriment des libertés.
C'est ainsi que le MINATD peut sur proposition du
préfet suspendre par arrêté, pour un délai maximum
de trois mois l'activité de toute association pour trouble à
l'ordre public.490 Dans la même perspective, la même
autorité peut également dissoudre toute association qui
s'écarte de son objet et dont les activités portent gravement
atteinte à l'ordre public et à la sécurité de
l'État.491
483 Lire à ce propos le guide pratique pour la
société civile, le champ d'action de la société
civile et le système des droits de l'homme des nations unies
484 Exception faite de des associations
étrangères et religieuses qui elles obéissent au
régime de l'autorisation ; article 5 (2) de la loi n°90/053
relative à la liberté d'association.
485 Article 7 (1) de la loi n°90/053 relative à la
liberté d'association.
486 Article 7 (3) de la loi précitée.
487 ATEMENGUE (JDN) ; la police administrative au Cameroun.
Op.cit. p.238.
488 Idem.
489 Idem, p.242.
490 Article 13 alinéa 1 de la loi n° 90/053
op.cit.
491 Article 13 alinéa 2 de la même loi.
98
Comment déterminer dans ces conditions l'atteinte
à l'ordre public ? Évidemment, le législateur reste
silencieux sur la question. Laissant à la discrétion ou au bon
vouloir de l'administration le soin d'apprécier le caractère
attentatoire à l'ordre public des activités associatives. Et ce
généralement suivant des considérations qui ne
relèvent pas toujours du droit. L'on assiste alors à une
instrumentalisation de l'ordre public492 par les pouvoirs
publics.
La jurisprudence viendra à travers l'affaire
Comité d'action populaire pour la liberté et la démocratie
(CAP-liberté) c/ État du Cameroun (MINAT),493
confirmer la posture sanctionnatrice voire la
sévérité494 des pouvoirs publics à
l'égard des libertés.
En espèce, le MINAT, se fondant sur l'article 13 de la
loi n°90/053 susmentionnée, a dissout l'association Comité
d'action populaire pour la liberté et la démocratie
(CAP-liberté), ONG exerçant alors dans le domaine des droits de
l'homme ; motif pris de ce que l'association se serait écarté de
son objet initial à savoir LA défense des droits de l'homme pour
s'associer aux activités de la « coordination des partis
politiques d'opposition et association »,495 dont les
mots d'ordre portaient sur les slogans de « ville morte » et de
« désobéissance civique» dont l'évocation
même selon le juge était de nature à porter atteinte
à l'ordre public voire à la sécurité de
l'État.
En clair, il était reproché à
l'association CAP-liberté de s'être détournée de la
défense des droits de l'homme, son but initial, pour se constituer en
adversaire à l'égard de l'État ; mettant en cause la
sécurité de celui-ci à travers la participation à
des mouvements populaires contre le pouvoir en place.
Le juge dans cette affaire s'est érigé en
véritable défenseur de la sécurité de
l'État. Sacrifiant au passage la liberté d'association à
l'autel d'un intérêt supérieur de l'État. Car en
effet, à bien observer, la participation des associations dites de
défense des droits de l'homme à des manifestations de la
contestation populaires, ne les détourne pas nécessairement de
leur objectif initial. Cela dans la mesure où, le droit de contestation
en lui-même est un droit fondamental consacré. Bien au contraire,
les acteurs des associations de la société civile, engagés
dans la défense des droits de l'homme en de telles circonstances
n'ont-ils pas vocation à structurer, encadrer les mouvements
contestataires de manière justement à limiter les
492 GUESSELE ISSEME (L) ; l'apport de la cour suprême au
droit administratif camerounais op.cit. p.527.
493 Ordonnance n°21/O/PCA/CS du 6 janvier 1992,
Comité d'action populaire pour la liberté et la démocratie
(CAP-liberté) c/ État du Cameroun (MINAT).
494 ATEMENGUE (JDN), la police administrative au Cameroun ;
op.cit. p.239.
495 Qui est une association à caractère politique
par essence.
99
heurts ? Quoiqu'il en soit, force est de constater en fin de
compte que les associations de la société civile au Cameroun sont
par définition marginales496 par rapport aux institutions de
l'État. Tolérées lorsqu'elles ne remettent pas en cause
les pouvoirs publics, celles-ci sont vivement réprimées
lorsqu'elles se posent en contre-pouvoir vis-à-vis de l'élite
dirigeante.
496 GRAFF (A), « qu'en est-il de la société
civile ? Politique de l'antipolitique » éd Kimé «
tumultes », 2009/1 n° 32-33 p.260
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE.
100
La police administrative au Cameroun dispose de pouvoirs
discrétionnaires exorbitants dans l'accomplissement des activités
de maintien de l'ordre public. Si comme le relèvent Olivier
Gohin et J.-G. Sorbara, l'ordre public dans sa
finalité permet ou du moins devrait permettre la satisfaction de
l'intérêt général,497 force est de
constater que ce postulat ne s'applique pas au sein de la police administrative
camerounaise.
En effet, l'ordre public dans le contexte camerounais,
s'inscrit dans une politique de mise à l'abri du pouvoir en place. Cela
étant, la police y vise prioritairement à conforter une
administration forte et autoritaire. Un tel état de choses sera
davantage perceptible eu égard au contexte socio politique tendu auquel
il faudra ajouter la rémanence des questions voire du discours
sécuritaire.
C'est donc ainsi que les libertés publiques se verront
de plus en plus appliquer un régime allant de coercitions en
coercitions, de manière à dissuader toutes
velléités susceptibles de remettre en cause l'autorité
étatique. En présence d'une telle réalité, l'on ne
peut que constater la carence des « contre-pouvoirs » à
garantir la protection des libertés publiques. Ceux-ci se retrouvant
généralement confinés selon le cas à un rôle
d'observateurs silencieux ou de spectateurs impuissants. Or, d'un point de vue
relatif à la réalisation de l'État de droit, une
administration, quelle qu'elle soit, si elle est exercée sans le
contrepoids et le frein salutaire des institutions, il « en résulte
les maux les plus frappants et les plus désastreux. »498
497 GOHIN (O); SORBARA (J-G), Institutions
administratives, 6e éd., LGDJ, lextenso éd.
p.23.
498 DEMEERSEMAN (A), « au berceau des premières
réformes démocratiques en Tunisie », IBLA 1er
trimestre 1957, note 9.
CONCLUSION GENERALE.
101
102
Les années 1990 marquent au Cameroun la fin de la
règlementation antisubversive. Ainsi a-t-on assisté à la
consécration et à la règlementation plus libérale
des libertés publiques au rang desquels figurait désormais le
droit de grève. La police administrative qui jusque-là
était encore fortement ancrée dans l'idéologie et
mêmes les travers de la construction nationale, devait alors se
dévêtir des oripeaux autoritaristes pour se retourner vers le
libéralisme qu'imposaient alors la nouvelle ère de changements
constitutionnel. Seulement les différentes réformes
instituées au plan textuel à la faveur de la révolution
juridique499 des années 1990 au Cameroun, n'ont pas
entrainé l'essor des libertés publiques tel qu'escompté.
Au lieu de cela, l'on a plutôt aboutit dans le fond à une
répulsion, voire une récalcitrance ouverte500 des
pouvoirs publics face au libéralisme.501 Cela dit, les
manifestations publiques contestataires ou plus exactement les mouvements de
grève restent encore des libertés qui dérangent.
En effet, Les principes d'apparence libérale
proclamés par la loi suprême, demeurent artificiels et la
démocratie formelle.502 En tant que revendications populaires
légitimes, les libertés collectives sont officiellement
consacrées, mais l'aménagement de leur exercice en raison de leur
imprévisibilité leur fait perdre toute effectivité sur le
plan pratique.503 Le recours à des notions
fluctuantes504 par le constituant et même par le
législateur laisse aux autorités administratives d'exorbitants
pouvoirs discrétionnaires qu'ils n'hésitent pas à
instrumentaliser en dehors du cadre juridique. C'est cela que nous avons
qualifié d'inflation des pouvoirs discrétionnaires des
autorités de police administrative.
Ainsi, la police administrative sera instrumentalisée
dans l'optique de davantage asseoir l'hégémonie étatique
en dehors de toute critique. Pour ce faire, la répression semble la
méthode la mieux adaptée. C'est fort de cela que l'on va assister
à un durcissement de la police administrative dans l'encadrement des
libertés publiques de manière générale, et
davantage encore en ce qui concerne les rassemblements publiques, jugés
« potentiellement dangereux ».
499 METOU (B-M), « vingt ans de contentieux des
libertés publiques au Cameroun » op.cit., p.267.
500 LOCHAK (L). « Le droit administratif, rempart contre
l'arbitraire ? ». Pouvoirs - Revue française d'études
constitutionnelles et politiques, Le Seuil, 1988, Droit administratif. Bilan
critique, pp.43-55.
http://www.revue-pouvoirs.fr/Le-droit-administratif-rempart.htmlff.
hal-01684036
501 ATEBA EYONG (R), « l'évolution du fondement
idéologique du droit administratif camerounais » op.cit., p.273.
502 MOKNI (H.B), L'exercice des libertés publiques en
période de transition démocratique ...op.cit., p.
503 Idem. op.cit., p.
504 BIKORO (J.M), les paradoxes constitutionnels en droit positif
du Cameroun, op.cit., p.90.
103
Le contexte se voudra encore plus nocif pour les
libertés publiques avec la rémanence du phénomène
sécuritaire. En effet la question sécuritaire contribuera
à davantage renforcer la Puissance et l'autorité étatique.
À tel point que certaines libertés publiques remettant en cause
cette autorité étatique seront criminalisés et leur
répression sera militarisée. Dans cette logique, comme le
relève Mme. P. Belomo Essono, force est de constater
que « La gestion de l'insécurité constitue une
stratégie politique pour le pouvoir »505, « celle
consistant à Contenir(...), à gérer
l'insécurité afin de sécuriser le politique
»506 au grand dam des libertés. Dans un tel contexte,
les institutions chargée de contrôler les pouvoirs publics
brillent par leur incapacité à assurer l'effectivité de la
protection des droits et libertés fondamentaux.
Il s'agit tout d'abord des organes juridictionnels qui peinent
à se constituer en contrepouvoir dans un régime qui les place
sous sa domination en les privant de garanties statutaires nécessaires
à l'indépendance de la justice.507 La mission de
protection juridictionnelle des libertés publiques contre l'arbitraire
administratif qui leur incombe devient alors utopique vu leur dépendance
manifeste à l'exécutif présidentiel.
Il s'agit ensuite de l'institution parlementaire qui face
à la prédominance de l'exécutif incarnée par le
Président de la République ne peut véritablement pas
contrôler l'action du gouvernement. Le phénomène
majoritaire rendant inopérant les différents mécanismes
institutionnels de mise en oeuvre de la responsabilité du gouvernement
devant l'assemblée nationale.
En fin, au regard de l'incapacité des pouvoirs
judiciaire et législatif à contenir les "assauts
répétés de l'exécutif" sur les libertés
publiques, malgré les velléités de démocratisation
et de création de l'État de droit, il se posait alors la
nécessité de la mise en oeuvre de mécanismes nouveau de
garantie non juridictionnelle des droits et libertés fondamentaux contre
l'arbitraire de l'administration. Cependant, Les instances
représentatives et administratives non institutionnelles ou du moins non
constituées qui étaient alors chargées d'assurer ce
rôle entre le pouvoir et les citoyens sont elles-mêmes soit
précarisées soit marginalisées dans un contexte de
fermeture de la sphère publique.508
505 BELOMO ESSONO (P.C), L'ordre et la sécurité
publics dans la construction de l'État au Cameroun, op.cit., p.429.
506 Idem.
507 MOKNI (H.B), L'exercice des libertés publiques en
période de transition démocratique ..., op.cit., p.137.
508 Idem., p.137
104
Il apparait dès lors justifié d'affirmer que les
libertés publiques subissent actuellement au Cameroun une forte
altération. La police administrative y contribue considérablement
dans un contexte où les mouvements protestataires sont
considérés comme une atteinte grave à l'ordre public et
donc à l'autorité de l'élite dirigeante. Or Si comme ont
pu relever Charles Debbasch et Jean-Marie pontier, « le
compromis est la règle nécessaire de fonctionnement des
démocraties, sans être l'abandon de ses idées pour se
conformer à une hypothétique volonté
générale, parce qu'il repose sur la reconnaissance de la vertu du
dialogue pour régler les conflits »509 ; force est de
constater que la protestation voire le droit d'opposition reste encore
considéré au Cameroun comme un sujet qui fâche. Le
professeur M. Ondoa écrira justement à ce propos
que « les mécanismes de l'État de droit restent et demeurent
largement théoriques et prennent de ce fait valeur de simples enseignes
décoratives»;510 et le droit, soulignera le professeur
J.D.N. Atemengue, dans les pays en développement, n'est
qu'un « paravent qui masque la réalité de la vie
institutionnelle. »511
Ce ne serait donc que par antiphrase que l'on pourrait parler
des libertés publiques au Cameroun surtout lorsqu'il s'agit de celles
à caractère protestataire comme le droit de grève.
M. Ban ki-monn s'offusquant de l'influence
négative des gouvernants sur les libertés publiques affirmait
alors : « si les dirigeants n'écoutent pas leurs peuples, ils les
entendront dans les rues, sur les place, ou comme nous le voyons trop souvent,
sur les champs de bataille. Il existe un meilleur moyen. Davantage de
participation. Davantage de démocratie, davantage de contacts et
d'ouverture.»512 Une telle observation confrontée
à l'analyse de la police de la grève sur laquelle portait notre
étude appelle donc à une reconsidération des
libertés publiques et un meilleur encadrement de leur exercice en droit
administratif camerounais. Car ne dit-on pas au final que la démocratie
est le régime qui repose sur les convergences du consensus social et du
consensus politique513
509 DEBBASCH (C) et PONTIER (J.-M), Introduction à
la politique , Dalloz 4e éd., 1994, page 105.
510 ONDOA (M), « le droit public des États africains
sous ajustement structurel : le cas du Cameroun », p. 420, in BEKOLO EBE
(B.), TOUNA MAMA, FOUDA (S.M.) (dir.), mondialisation, exclusion et
développement africain : stratégie des acteurs publics et
privés, T.2, Paris, Maisonneur et Larose, 2006.
511 ATEMENGUE (J.D.N), la police administrative au Cameroun.,
op.cit., p.314.
512 M. BAN KI-MOON, ancien secrétaire des nations unies,
23 septembre 2013.
513 BURDEAU (G), l'État entre le consensus et le conflit
op.cit. p.71.
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· déclaration des droits de l'homme et du citoyen de
1793.
· déclaration universelle des droits de l'homme du
10 décembre 1948.
· Charte africaine des droits de l'homme et des peuples de
1981, entrée en vigueur le 28 octobre 1986.
B- TEXTES NATIONAUX.
· loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant
révision de la constitution du 2 juin 1972.
· Loi n°2008 du 14 avril 2008 modifiant certaines
dispositions de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision
de la constitution du 2 juin 1972.
· Loi n°90/055 du 19 décembre 1990 portant
régime des réunions et manifestations publiques.
· loi n°90/047 du 19 décembre 1990 relative
à l'état d'urgence.
· Loi n°90/054 du 19 décembre 1990 relative au
maintien de l'ordre.
· Loi n°90/053 du 19 décembre 1990 relative
à la liberté d'association.
· Loi n°90/061 du 19 décembre 1990 portant
modification de quelques dispositions du code pénal.
· Loi n°99/014 du 22 décembre 1999
régissant les organisations non gouvernementales.
· Loi n° 2004/016 du 22 juillet 2004 portant
création, organisation et fonctionnement de la commission nationale des
droits de l'homme et des libertés.
· Loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant
l'organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs.
· la loi n°2008/015 du 29 décembre 2008 portant
organisation et fixant des règles de procédure applicable devant
les tribunaux militaires.
· loi n°2014/028 portant répression du
terrorisme.
· loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 portant code
pénal.
·
113
le décret n°68/df/361 du 4 septembre 1968 fixant
certaines modalités de la loi n°68/lf/4 du 11 juin 1968 portant
organisation du régime des réquisitions.
· décret n° 70/DF/264 du 04 juin 1970 relatif
à la sureté de l'Etat.
· Décret n°90/154 du 8 novembre 1990. Portant
création, organisation et fonctionnement du comité national des
droits de l'homme et des libertés.
C- TEXTES ETRANGERS.
· Constitution française du 4 octobre 1958.
· Loi n°90-32 du 11 décembre 1990 portant
constitution de la république du Benin.
· Loi n°3/91 du 26 mars 1991 (modifiée) portant
constitution de la république gabonaise.
· Constitution tchadienne du 04 mai 2018.
· Constitution de la république Centre Africaine du
30 mars 2016.
·
QUELQUES CAS DE JURISPRUDENCE NATIONALE
CITES.
Comité d'action populaire pour la liberté et la
démocratie (CAP- liberté) c/ État du Cameroun (MINAT),
ordonnance n°21/O/PCA/CS du 6 janvier 1992.
· Dame NDONGO née MBONZI NGOMBO c/ État du
Cameroun (P.R.), jugement n°07/94-95 du 27 octobre 1994.
· EITEL MOUELLE KOULA c/ État du Cameroun,
CFJ/CAY, jugement n°178 du 28 mars 1972.
· MBARGA RAPHAEL C/ État du Cameroun, CS/CA,
jugement n°73 du 29 juin 1989
· NANA TCHANA DANIEL c/ république
fédérale du Cameroun ; CFJ-CAY arrêt n°194 du 25 mai
1970.
· Social democratic front (SDF) c./État du
Cameroun, CS/CA, Ordonnance n° 01 du 23 janvier 2009.
· Sté des Grands Travaux de l'Est c/ État
du Cameroun oriental, Arrêt n°68/CFJ/CAY du 30 septembre 1969.
· Union des populations du Cameroun (UPC) c/État
du Cameroun, Ordonnance n° 04/OSE/PCA/CS, 93-94.
ANNEXES.
114
115
Loi n° 90-54 du 19 décembre 1990 Relative au
maintien de l'ordre.
L'Assemblée Nationale a
délibéré et adopté,
Le Président de la République promulgue la
loi dont la teneur suit:
CHAPITRE I
DES DISPOSITIONS GENERALES
ARTICLE 1er.- La présente loi relative au
maintien de l'ordre public fixe les principes d'action à observer, en
temps normal, par les autorités administratives et les
éléments de maintien de l'ordre en vue de préserver
l'ordre public ou de le rétablir quand il a été
troublé.
CHAPITRE Il
DES POUVOIRS DES AUTORITES ADMINISTRATIVES
ARTICLE 2.- Les autorités administratives
peuvent, en tout temps et selon le cas, dans le cadre des opérations de
maintien de l'ordre public, prendre les mesures ci-après:
- Soumettre la circulation des personnes et des biens à
des contrôles;
- Requérir les personnes et les biens dans les formes
légales;
- Requérir les forces de police et de gendarmerie pour
préserver ou rétablir l'ordre;
- Prendre des mesures de garde à vue d'une durée de
quinze (15) jours renouvelables dans le cadre de la lutte contre le grand
banditisme.
CHAPITRE III
DE L'USAGE DES ARMES
ARTICLE 3.- (1) - L'usage des armes est interdit
dans les opérations courantes de maintien de l'ordre public.
2) - L'emploi du tir à blanc ou du tir en l'air est
interdit.
3) - Toutefois, les grenades lacrymogènes, les
bâtons et autres instruments similaires peuvent être
employés en cas de nécessité, au rétablissement de
l'ordre public.
ARTICLE 4.- 1) - Nonobstant les dispositions de
l'article 3 alinéa 1 ci-dessus, l'usage des armes peut intervenir sur
réquisition expresse de l'autorité administrative dans les cas
suivants:
a)
116
lorsque les violences et voies de fait graves et
généralisées sont exercées contre les
éléments de maintien de l'ordre;
b) en cas d'usage d'arme à feu contre les forces de
maintien de l'ordre.
2) - Dans les deux cas, l'usage d'armes n'est admis que si les
forces de maintien de l'ordre ne peuvent se défendre autrement, et
n'intervient qu'après plusieurs sommations faites par haut-parleur ou
par tout autre moyen.
ARTICLE 5.- L'usage des armes contre les
éléments du grand banditisme ou des bandes rebelles armées
peut intervenir sans réquisition.
CHAPITRE IV
DES DISPOSITIONS PENALES ET DIVERSES
ARTICLE 6.- Les infractions aux dispositions de
l'article 3 alinéa 1 et 4 ci-dessus sont punies des peines
prévues par l'article 275 du Code Pénal.
ARTICLE 7.- La présente loi abroge toutes
dispositions antérieures contraires, notamment la loi n059-33 du 27 mai
1959 sur le maintien de l'ordre public.
ARTICLE 8.- La présente loi sera
enregistrée, publiée selon la procédure d'urgence, puis
insérée au Journal Officiel en français et en anglais.
Yaoundé, le 19 décembre 1990
LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE,
(é)PAUL BIYA
117
Loi n°90-055 du 19 décembre 1990 portant
régime des réunions et des manifestations publiques
L'Assemblée Nationale a
délibéré et adopté,
Le Président de la République promulgue la
loi dont la teneur suit :
CHAPITRE I
DISPOSITIONS GENERALES
ARTICLE 1er.- Le régime des
réunions et des manifestations publiques est fixé par les
dispositions de la présente loi.
CHAPITRE II
DES REUNIONS PUBLIQUES.
ARTICLE 2.- A un caractère public,
toute réunion se tient dans un lieu public ou ouvert au public.
ARTICLE 3.- 1) Les réunions publiques,
quel qu'en soit l'objet, sont libres.
2) Toutefois, elles doivent faire l'objet d'une
déclaration préalable.
3) Sauf autorisation spéciale, les réunions sur
voie publique sont interdites.
ARTICLE 4.- 1) La déclaration
visée à l'article 3 al 2 ci-dessus est faite auprès du
chef de district ou du Sous-préfet sur le territoire duquel la
réunion est prévue, trois (3) jours francs au moins avant sa
tenue.
2) Elle indique les noms, prénoms et domicile des
organisateurs, le but de la réunion, le lieu, la date et l'heure de sa
tenue, et doit être signée par l'un d'eux.
3) L'autorité qui reçoit la
déclaration délivre immédiatement le
récépissé.
ARTICLE 5.- 1) Toute réunion publique
doit avoir un Bureau composé d'au moins trois (3) personnes
chargées de maintenir l'ordre, d'empêcher toute infraction aux
lois, d'interdire tout discours contraire à l'ordre public et aux bonnes
moeurs, ou de nature à inciter à la commission d'actes
qualifiés crime ou délit.
2) L'autorité administrative peut déléguer
un représentant pour assister à la réunion.
118
3) Seul le Bureau peut suspendre ou arrêter la
réunion. Toutefois, en cas de débordement, le représentant
de l'autorité administrative, s'il est expressément requis par le
Bureau, peut y mettre fin.
CHAPITRE III
DES MANIFESTATIONS PUBLIQUES.
ARTICLE 6.- 1) Sont soumis à l'obligation
de déclaration préalable tous les cortèges,
défilés, marches et rassemblements de personnes et, d'une
manière générale, toutes les manifestations sur la voie
publique.
2) Dérogent à l'obligation
visée à l'alinéa 1er les sorties sur la voie publique
conformes aux traditions et usages locaux ou religieux.
ARTICLE 7.- 1) La déclaration
prévue à l'article 6 ci-dessus est faite au district ou à
la sous-préfecture où la manifestation doit avoir lieu, sept
jours francs au moins avant la date de ladite
manifestation.
2) Elle indique les noms, prénoms, et
domicile des organisateurs, le but de la manifestation, le lieu, la date et
l'heure du rassemblement et, s'il y a lieu, l'itinéraire choisi, et est
signée par l'un d'eux faisant élection de domicile au chef-lieu
ou de l'arrondissement ou de district. :
ARTICLE 8.- 1) Le chef de district ou le
Sous-préfet qui reçoit la déclaration en délivre
immédiatement récépissé.
2) Toutefois, s'il estime que la manifestation projetée
est de nature à troubler gravement l'ordre public, il peut, le cas
échéant :
- lui assigner un autre lieu ou un autre itinéraire ;
- interdire par arrêté qu'il notifie
immédiatement au signataire de la déclaration au domicile
élu.
3) En cas d'interdiction de la manifestation, l'organisateur
peut, par simple requête, saisir le président du Tribunal de
Grande Instance compétent qui statue par ordonnance dans un délai
de 8 jours de sa saisine, les parties entendues en Chambre du Conseil.
4) Cette ordonnance est susceptible de recours dans les
conditions de droit commun.
119
CHAPITRE IV
DES DISPOSITIONS PENALES ET DIVERSES.
ARTICLE 9.- 1) Sans préjudice, le cas
échéant, les poursuites pour crimes et délits, est puni
des peines prévues à l'article 231 du Code Pénal quiconque
:
a) participe à l'organisation d'une réunion
publique qui n'a pas été préalablement
déclarée ;
b) fait une déclaration de nature à tromper les
autorités sur les conditions ou l'objet de la réunion.
2) Est puni des mêmes peines quiconque :
a) avant le dépôt de la déclaration ou
après l'interdiction légale d'une manifestation, adresse, par
quelque moyen que ce soit, une convocation pour y prendre part ;
b) fait une déclaration incomplète ou inexacte de
nature à tromper sur les conditions de la manifestation
projetée.
ARTICLE 10.- Sont punis des peines
prévues à l'article précédent, les organisateurs de
toute manifestation publique sans déclaration requise ou après
notification de l'interdiction légale.
ARTICLE 11.- Le régime des
réunions publiques pendant les campagnes électorales est
fixé par la loi électorale.
ARTICLE 12.-La présente loi abroge toutes
dispositions antérieures.
ARTICLE 13.- La présente loi sera
enregistrée, publiée selon la procédure d'urgence, puis
insérée au Journal officiel en français et en anglais.-
Yaoundé, le 19 décembre 1990
LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE,
(é) PAUL BIYA
120
Loi n° 90/053 du 19 décembre 1990 relative
à la liberté d'association L'Assemblée Nationale a
délibéré et adopté
Le Président de la République promulgue
la loi dont la teneur suit :
TITRE
DISPOSITIONS GENERALES
ARTICLE 1er
.- 1) La liberté d'association proclamée
par le préambule de la Constitution est régie par les
dispositions de la présente loi.
2) Elle est la faculté de créer une
association, d'y adhérer ou de ne pas y adhérer.
3) Elle est reconnue à toute personne physique
ou morale sur l'ensemble du territoire national.
ARTICLE2.- L'association est la convention par
laquelle des personnes mettent en commun leurs connaissances ou leurs
activités dans un but autre que de partager des
bénéfices.
ARTICLE3.- Tout membre d'une association peut
s'en retirer à tout moment après paiement des cotisations
échues de l'année en cours.
ARTICLE 4.- Les associations fondées
sur une cause ou en vue d'un objet contraires à la constitution, aux
lois et aux bonnes moeurs, ainsi que celles qui auraient pour but de porter
atteinte notamment à la sécurité, à
l'intégrité territoriale, à l'unité nationale,
à l'intégration nationale et à la forme
républicaine de l'État sont nulles et de nul effet.
ARTICLE 5.- 1) Les associations obéissent
à deux régimes :
- le régime de la déclaration ; - le régime
de l'autorisation.
2) Relèvent du régime de l'autorisation, les
associations étrangères et les associations religieuses.
3) toutes les autres formes d'associations sont soumises au
régime de la déclaration. Toutefois, les régimes
prévus à l'alinéa premier ci-dessus ne s'appliquent pas
aux associations de fait d'intérêt économique ou socio
culturel.
121
4) les parties politiques et les syndicats sont régis par
des textes particuliers.
TITRE II
DU REGIME DES ASSOCIATIONS DECLAREES
CHAPITRE I
DE LA CREATION
ARTICLE 6.- sous réserve des cas de
nullité prévus à l'article 4 ci-dessus, les associations
se créent librement. Toutefois, elles n'acquièrent de
personnalités juridiques que si elles ont fait l'objet d'une
déclaration accompagnée de deux exemplaires de leur statut.
ARTICLE 7.- 1)- La déclaration
prévue à l'article précédent est faite par les
fondateurs de l'association à la préfecture du département
où celle-ci a son siège. Un récépissé leur
est délivré des que le dossier est complet si l'association n'est
pas frappée de nullité.
2)- La déclaration indique le titre, l'objet, le
siège de l'association ainsi que les noms, professions et domiciles de
ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de son
administration ou de sa direction. Toute modification ou changement dans ces
éléments doit être porté dans les deux mois à
la connaissance du Préfet.
3)- Le silence du Préfet gardé pendant deux
mois après le dépôt du dossier de déclaration vaut
acceptation et emporte acquisition de la personnalité juridique.
ARTICLE 8.- Toute personne a le droit de
prendre connaissance sur place à la préfecture, des
déclarations et statuts ainsi que des changements intervenus dans
l'administration d'une association. Elle peut s'en faire délivrer,
à ses frais, copies et extraits.
CHAPITRE II
DU FONCTIONNEMENT
ARTICLE 9.- Les associations s'administrent
librement dans le respect de leurs statuts et de la législation en
vigueur.
ARTICLE 10.-1) Toute association
déclarée dans les conditions prévues par la
présente loi peut librement ester en justice ; gérer et disposer
des sommes provenant des cotisations ; acquérir à titre
onéreux et posséder :
a) le local destiné à son administration et aux
réunions de ses membres ;
b) les immeubles nécessaires à l'accomplissement
du but qu'elle poursuit.
2) 122
Les valeurs mobilières de toute association doivent
être placées en titres nominatifs.
ARTICLE 11.- Hormis les associations
reconnues d'utilité publique, aucune association déclarée
ne peut recevoir ni subventions des personnes publiques, ni dons et legs des
personnes privées.
CHAPITRE III
DE LA DISSOLUTION
ARTICLE 12.- Les associations peuvent
être dissoutes :
- par la volonté de leurs membres conformément aux
statuts,
- par décision judiciaire à la diligence du
Ministère Public ou à la requête de tout
intéressé en cas de nullité prévue à
l'article 4 ci-dessus. Le jugement ordonnant la fermeture des locaux et/ou
l'interdiction de toute réunion des membres de l'association est
exécutoire nonobstant toute voie de recours.
ARTICLE 13.- 1)- Le Ministre chargé
de l'administration Territoriale peut, sur proposition motivée du
Préfet, suspendre par arrêté, pour un délai maximum
de trois (3) mois, l'activité de toute association pour troubles
à l'ordre public.
2)- Le Ministre chargé de l'administration Territoriale
peut également, par arrêté, dissoudre toute association qui
s'écarte de son objet et dont les activités portent gravement
atteinte à l'ordre public et à la sécurité de
l'État.
3) Par dérogation à l'article 12 de
l'ordonnance n°72/6 du 26 août 1972 fixant l'organisation de la Cour
Suprême, les actes prévus aux alinéas 1 et 2 ci-dessus sont
susceptible de recours, sur simple requête, devant le président de
la juridiction administrative.
Ce recours doit intervenir dans un délai de (10) jours
à compter de la date de notification à personne ou à
domicile. Le président statue par ordonnance dans un délai de dix
(10) jours.
4)-L'exercice des voies de recours n'a pas
d'effet suspensif.
ARTICLE 14.- La dissolution d'une association
ne fait pas obstacle aux poursuites judiciaires qui peuvent
éventuellement être engagées contre les responsables de
cette association.
123
TITRE III
DU REGIME DES ASSOCIATIONS AUTORISEES
CHAPITRE IV
DES ASSOCIATIONS ETRANGERES
ARTICLE.- 15.- 1) Sont réputés
associations étrangères, quelle que soit la forme sous laquelle
ils peuvent se présenter, les groupements possédant les
caractéristiques d'une association, qui ont leur siège à
l'étranger ou qui, ayant leur siège au Cameroun, sont
dirigés en fait par des étrangers ou dont plus de la
moitié des membres sont des étrangers.
2) Les valeurs mobilières de toute association doivent
être placées en titres nominatifs.
ARTICLE 16.- 1) Les associations
étrangères ne peuvent exercer aucune activité sur le
territoire sans autorisation préalable du Ministre chargé de
l'administration Territoriale après avis conforme du Ministre
chargé des Relations Extérieures.
2) La demande d'autorisation d'exercer qui est introduite au
ministère chargé des Relations
Extérieures par les fondateurs ou les mandataires
d'une association étrangère doit spécifier les
activités à mener, les lieux d'implication au Cameroun, les noms,
profession et domicile de ceux qui, à un titre quelconque, sont
chargés de la direction de ces activités.
3) Les associations étrangères ne peuvent avoir
des établissements au Cameroun qu'en vertu d'une autorisation distincte
pour chacun de ces établissements.
La demande d'autorisation pour tout nouvel
établissement est adressée au Ministre chargé des
relations Extérieures qui, après avis, la transmet au Ministre
chargé de l'administration Territoriale.
ARTICLE 17.- 1) L'autorisation peut
être accordée à titre temporaire ou soumise à un
renouvellement périodique.
2) Elle peut être subordonnée à certaines
conditions
3) Elle peut être retirée à tout moment.
4) Les associations étrangères auxquelles
l'autorisation est refusée ou retirée doivent cesser
immédiatement leurs activités et procéder à la
liquidation de leurs biens dans le délai de trois (3) mois à
compter de la date de notification de la décision.
5) En aucun cas, le retrait d'une autorisation ne peut donner
lieu à dommages intérêts.
124
ARTICLE 18.- Les Préfets peuvent,
à tout moment, inviter les dirigeants de tout groupement ou de tout
établissement fonctionnant dans leur département à fournir
par écrit, dans le délai de quinze jours, tous renseignements de
nature à déterminer le siège auquel ils se rattachent,
leur objet, la nationalité de leurs membres, de leurs administrateurs ou
de leurs dirigeants effectifs.
ARTICLE 19.- Les associations
étrangères, quelle que soit la forme sous laquelle elles se
présentent, qui ne demandent pas l'autorisation dans les conditions
fixées ci- dessus, sont nulles de plein droit.
ARTICLE 20.-1) sont punis d'un emprisonnement
de quinze jours à six mois et d'une amende de 100.000 à 1.000.000
de F ou de lune de ces deux peines seulement ceux qui, à un titre
quelconque, assument ou continent d'assumer l'administration d'associations
étrangères ou d'établissements fonctionnant sans
autorisation.
2) Sont punis d'un emprisonnement de dix jours à trois
mois et d'une amende de 50.000 à 500.000 F ou de l'une de ces deux
peines seulement les autres personnes qui participent au fonctionnement de ces
associations ou de leurs établissements.
3) Les peines de l'alinéa 2 ci-dessus sont applicables
aux dirigeants, administrateurs et participants à l'activité
d'associations ou d'établissements qui fonctionnent sans observer les
conditions imposées par l'arrêté d'autorisation
au-delà de la durée fixée par ce dernier.
ARTICLE 21.- Les associations
étrangères peuvent être reconnues d'utilité
publique.
CHAPITRE V
DES ASSOCIATIONS RELIGIEUSES
ARTICLE 22.- Est considérée
comme association religieuse : tout groupement de personnes physique ou morales
ayant pour vocation de rendre hommage à une divinité; tout
groupement de personnes vivant en communauté conformément
à une doctrine religieuse.
ARTICLE 23.- Toute association religieuse
doit être autorisée. Il en est de même de tout
établissement congréganiste.
ARTICLE 24.- L'autorisation d'une association
religieuse ou d'un établissement congrégationiste est
prononcée par décret du Président de la République,
après avis motivé du Ministre chargé de l'administration
Territoriale.
ARTICLE 25.- 1) Les associations religieuses
ne peuvent recevoir de subventions publiques ou de dons et legs immobiliers.
125
(2) Toutefois, elles peuvent recevoir les
dons et legs immobiliers nécessaires à l'exercice de leurs
activités.
ARTICLE 26.- Les associations religieuses
tiennent un état de leurs recettes et dépenses et dressent chaque
année, le compte financier de l'année écoulée et
l'état d'inventaire de leurs biens meubles et immeubles.
ARTICLE 27.- Les responsables des
associations religieuses sont tenus de présenter sur réquisition
du Ministre chargé de l'administration Territoriale ou de son
délégué, les comptes et états visés à
l'article précédent ainsi que les listes complètes de
leurs membres dirigeants.
ARTICLE 28.- 1) Sont nuls tous actes de
donations entre vifs ou testamentaires, à titre onéreux ou
gratuit, accomplis soit directement, soit par personne interposée ou par
toute voie indirecte ayant pour objet de permettre aux associations religieuses
légalement ou illégalement fondées de se soustraire aux
obligations de l'article 27 ci-dessus.
2) Cette nullité sera constatée soit à la
diligence du Ministère Public sur dénonciation du
Ministre chargé de l'administration Territoriale ou de
son délégué, soit à la requête de tout
intéressé.
ARTICLE 29.- Sont punis des peines
prévues aux articles 314 et 129 du Code pénal les
représentants ou directeurs d'une association religieuse qui ont fait
des fausses communications ou refusé d'obtempérer aux
réquisitions du ministre chargé de l'administration Territoriale
ou de son délégué dans le cadre des dispositions de
l'article 27 ci-dessus.
ARTICLE 30.-Toute association religieuse peut
être suspendue par arrêté du Ministre chargé de
l'administration Territoriale pour trouble à l'ordre public. Cette
suspension obéit aux dispositions de l'article 13
ci-dessus.
ARTICLE 31.- Toute association religieuse
dûment autorisée dont l'objet initial est par la suite
dévié peut être dissoute après préavis de
deux mois resté sans effet par décret du Président de la
République.
TITRE IV
DISPOSITIONS DIVERSES TRANSITOIRES ET
FINALES
ARTICLE 32.- 1) Toute association dont la
contribution effective est déterminante dans la réalisation des
objectifs prioritaires du gouvernement peut, sur demande, être reconnue
d'utilité
126
publique par décret du Président de la
République, après avis motivé du ministre chargé de
l'administration Territoriale.
2) Elle peut dans ces conditions : accomplir tous les actes de
la vie civile non interdits par ses statuts, sans pouvoir posséder ou
acquérir d'autres immeubles que ceux nécessaires au but qu'elle
poursuit ; recevoir des dons et legs de toute nature sous réserve de
l'autorisation du Ministre chargé de l'administration Territoriale pour
les dons et les legs immobiliers ; recevoir des subventions de l'État et
des Collectivités Décentralisées ; dans ce cas,
l'État doit s'assurer de la bonne utilisation de ces subventions.
ARTICLE 33.- 1) Sont punis d'une amende de
100.000 à 1.000.000 de F, d'un emprisonnement de trois mois à un
an, ou de l'une de ces deux peines seulement, les fondateurs ou administrateurs
de l'association qui serait maintenue ou reconstituée
illégalement après jugement ou décision de dissolution.
2) Lorsque la décision de dissolution a
été motivée par des manifestations armées, une
atteinte à la sûreté intérieure ou extérieure
de l'État, le maximum des peines prévues à l'alinéa
précédent est doublée.
3) Sont punies des mêmes peines, les personnes qui ont
favorisé la réunion des membres de l'association dissoute en leur
conservant l'usage d'un local dont elles disposent.
ARTICLE 34.- Les associations qui justifient
de la possession d'actes de déclaration, de reconnaissance ou
d'autorisation délivrée conformément à la
législation en vigueur lors de la présente loi sont tenues d'en
faire la preuve dans le délai de douze mois par la production d'une
copie au Ministre chargé de l'administration
Territoriale.
ARTICLE 35.- La loi n°67/LF/19 du 12
juin 1967 sur la liberté d'association est abrogée et
remplacée par les dispositions de la présente loi.
ARTICLE 36.- La présente loi sera
enregistrée, publiée selon la procédure d'urgence, puis
insérée au Journal officiel en français et en
anglais.
Yaoundé, le 19 décembre 1990
LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE,
(é) PAUL BIYA
127
128
129
130
131
132
133
TABLE DES MATIERES.
134
135
AVERTISSEMENT .i
DEDICACE ..ii
REMERCIEMENTS . iii
RESUME .iv
ABSTRACT ..v
SIGLES ET ABREVIATIONS vi
SOMMAIRE vii
INTRODUCTION GENERALE 1
PREMIERE PARTIE : LA REGLEMENTATION RESTRICTIVE DES
LIBERTES
PUBLIQUES
|
19
|
CHAPITRE I : LA CONSTITUTIONNALISATION
LACUNAIRE
|
DES
|
LIBERTES
|
..21
|
Section 1 : La proclamation constitutionnelle des
libertés publiques
|
21
|
Paragraphe 1 : l'affirmation des libertés par le
préambule
|
22
|
A- La réception constitutionnelle des grands
textes internationaux
|
22
|
1- L'adhésion aux conventions à
caractère universel : la charte des nations unies
et la déclaration des droits de l'homme
..23
2- Adhésion constitutionnelle à la charte
africaine des droits de l'homme et des
peuples
|
24
|
B- L'évolution vers la consécration
explicite du droit de grève
|
25
|
1- L'inexistence antérieure d'un droit de
grève consacré
|
.....25
|
2- La consécration récente du droit de
grève au Cameroun
|
.27
|
|
Paragraphe 2 : la confirmation des libertés par
la constitutionnalisation du
préambule
28
|
|
A- Controverse originelle sur la valeur juridique du
préambule
|
28
|
1- Thèse de de la juridicité contestable
du préambule
|
....28
|
2- Thèse de la juridicité affirmée
du préambule
|
29
|
|
B- Évolution vers la concrétisation de la
constitutionnalité du préambule
|
30
|
1- la controverse jurisprudentielle sur la
constitutionnalité du préambule
|
30
|
2- la validation textuelle de la
constitutionnalité du préambule
|
32
|
|
136
Section 2 : La consécration constitutionnelle des
atteintes aux libertés publiques Paragraphe 1 : la limitation des
libertés par l'ordre public.
|
33
34
|
A- L'imprécision de la notion d'ordre public
|
34
|
1-l'acception matérielle de l'ordre public
|
34
|
2-évolution vers la moralisation de l'ordre public
|
35
|
B- L'interprétation extensive de l'ordre public
|
36
|
1- Le renforcement de l'ordre public sécuritaire
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36
|
2- La politisation de la notion d'ordre public
|
.....37
|
|
Paragraphe 2 : la restriction des libertés par
l'intérêt supérieur de l'État
|
38
|
A- L'indétermination dans l'identification de
l'État
|
39
|
1- La conception institutionnelle de l'État
|
..39
|
2- L'incarnation de l'État par le
président de la république.
|
39
|
|
B- la compromission des libertés face à
l'intérêt supérieur de l'État
|
41
|
1- La transcendance du politique sur les libertés
|
41
|
2- La subsidiarité des libertés face au
pouvoir politique
|
42
|
CHAPITRE II : LES VICISSITUDES DANS L'AMENAGEMENT DE
L'EXERCICE
DES LIBERTES
|
.44
|
Section 1 : la relative obscurité de l'encadrement
légal des libertés
|
44
|
Paragraphe 1 : l'indétermination de la notion de
trouble grave à l'ordre public
|
..45
|
A- L'incertitude dans la détermination légale
du trouble grave à l'ordre public.......45
1- L'existence d'une menace à l'ordre public
|
.45
|
2- La relative gravité du trouble à l'ordre
public
|
46
|
B- L'appréciation discrétionnaire par les
autorités de police administrative.
|
47
|
Paragraphe 2 : la portée restrictive des moyens de
prévention des troubles
|
.49
|
A- De l'aménagement dans l'exercice des
manifestations
|
49
|
B- A La systématisation des interdictions de
manifester
|
51
|
|
Section 2 : la fixation d'un régime sanctionnateur
des libertés
|
53
|
137
Paragraphe 1 : la répression dans le
déroulement des rassemblements licites....53
A- La protection de l'autorité de
l'État : la répression insidieuse de la
subversion.....53
B- La répression des atteintes au
fonctionnement du service public. 55
Paragraphe 2 : la répression des rassemblements
illicites 56
A- Les sanctions relatives à l'exercice
illégal des manifestations publiques 57
B- L'extension dans la répression des
rassemblements illicites 58
1- la répression des bandes armées
58
2- la répression des attroupements et des
mouvements insurrectionnels 59
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE 62
DEUXIEME PARTIE : L'INFLATION DES POUVOIRS
DISCRETIONNAIRES DES
AUTORITES DE POLICE ADMINISTRATIVE...63
CHAPITRE I: L'INSTRUMENTALISATION DES POUVOIRS DE
POLICE
ADMINISTRATIVE...65 Section 1: le détournement
des pouvoirs de police administrative....65 Paragraphe 1 : l'utilisation des
pouvoirs de police en dehors des prescriptions légales...66
A- La police administrative : instrument de
préservation du pouvoir politique...66
B- La police administrative : instrument
d'annihilation des protestations politiques......67 Paragraphe 2 : l'extension
des pouvoirs de police au-delà des prescriptions
légales...68
A- L'instauration de facto d'un régime de
police...69
B- La rupture d'égalité dans
l'activité de police administrative...70 Section 2 : L'orientation
sécuritaire de la police administrative....71
Paragraphe 1 : la criminalisation des libertés
publiques 72
A- Le durcissement dans l'encadrement des
libertés publiques 72
B- L'évolution vers la neutralisation des
libertés 74
Paragraphe 2 : la militarisation de la
répression des libertés publiques 76
A-
138
l'enchevêtrement des forces publiques dans le
maintien de l'ordre 76
B- L'extension de la compétence des tribunaux
militaires dans la répression des
civils .77
CHAPITRE II : L'INCONSISTANCE DU CONTROLE RELATIF AUX
POUVOIRS
DES AUTORITES DE POLICE ADMINISTRATIVE .
|
80
|
Section 1 : L'insatisfaction relative au contrôle
juridictionnel
|
81
|
Paragraphe 1 : la difficile mise en oeuvre du
contrôle par le conseil constitutionnel
|
81
|
A- les contraintes statutaires dans l'activité du
juge constitutionnel
|
81
|
B- Les contraintes procédurales dans la garantie
des libertés publiques
|
.83
|
|
Paragraphe 2 :l'insuffisance du contrôle par les
juridictions ordinaires
|
85
|
A- l'inefficacité du contrôle par le juge
administratif
|
85
|
B- La faiblesse du contentieux des manifestations
devant le juge judiciaire
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88
|
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Section 2 : l'inconsistance du contrôle non
juridictionnel
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89
|
Paragraphe 1 : L'inanité d'un contrôle
législatif
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89
|
A- L'inféodation du parlement au pouvoir
exécutif
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90
|
B- La modicité des mécanismes de
contrôle parlementaire de l'administration
étatique ..91
Paragraphe 2 : l'insignifiance des organismes non
institués dans le contrôle de
l'administration 93
A- La précarisation de l'autorité
administrative indépendante (la CNDHL) ..93
B- La marginalisation des organisations de la
société civile 96
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE .100
CONCLUSION GENERALE .101
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 105
ANNEXES .114
TABLE DES MATIERES 135
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