SECTION 2 : AMÉLIORATION DES MECANISMES DE
GESTION DES CONFLITS
Les mécanismes de gestion des conflits liés
à la mobilité pastorale sont défaillants. Les textes qui
encadrent la mobilité pastorale ne favorisent qu'une catégorie
d'acteurs en l'occurrence les éleveurs et par conséquent
nécessitent une nette amélioration (Paragraphe
I) pour propulser les deux secteurs de l'économie nationale. Le
champ d'intervention des acteurs qui participent à la résolution
de ces conflits est flou. L'Etat doit faire un effort d'harmonisation des
textes régissant le monde rural et de détermination du champ
d'intervention exact des acteurs d'application de ces textes
(Paragraphe II).
PARAGRAPHE I - AMÉLIORATION DES TEXTES EN
VIGUEUR
Le principal texte qui encadrait la mobilité pastorale
de 1959 à 2014 était la loi n° 4 du 31 octobre 1959.
À partir de 2014, un code pastoral fut adopté, il a pour objet de
déterminer les principes fondamentaux en matière de pastoralisme
en République du Tchad116, vu que le dispositif en vigueur
à savoir la loi n°4 du 31 octobre 1959 portant
réglementation du nomadisme et de la transhumance est tombée en
désuétude117. Pour tous les observateurs tchadiens, ce
code est partial et ne favorise que le pastoralisme. Ces allégations
s'avèrent vraies, c'est pourquoi une révision de celle-ci est
impérative (A). Pour arriver à un climat de paix
entre les agriculteurs et les éleveurs, l'Etat peut appuyer
l'élaboration des codes pastoraux locaux (B) en
conformité avec le code pastoral de la République prenant en
compte les réalités de chaque localité.
A. Réviser le code pastoral
Le code pastoral du Tchad a été très
controversé dès le début de son adoption. Il a
été adopté en 2014 par l'Assemblée Nationale mais
après un tollé général de la population, ce code a
été retoqué par le Président de la
République. Au début de l'année 2015, une nouvelle loi
portant code pastoral a été adoptée par l'Assemblée
Nationale après une seconde lecture.
116 Article 1 du code pastoral de la République du
Tchad
117 Rapport de la Commission Développement Rural et
Environnement du 7 novembre 2014
82
Malgré toutes ces controverses sur la loi, le code
pastoral n'a jamais satisfait une partie de la population, les agriculteurs et
fait la part belle aux éleveurs. Beaucoup d'agriculteurs pensent que
« Le code pastoral a pour but de transformer le sud du Tchad en un
grand champ de pâture au bétail des éleveurs du nord
» à la suite du discours du député et
président du parti UNDR (Union Nationale pour le Renouveau et la
Renaissance) à l'Assemblée Nationale en septembre 2015
rapporté par le Journal Abba Garde. Ce code n'a jamais fait
l'unanimité malgré qu'il a passé trois fois devant
l'Assemblée Nationale. Il doit être révisé pour
palier à ce problème de partialité. Tout le monde est
aujourd'hui conscient que les conflits agriculteurs/éleveurs ont
été aggravés par le phénomène de nouveaux
éleveurs c'est-à-dire les autorités administratives
civiles et militaires qui pratiquent l'élevage ou l'agriculture
intensive dans le sud du pays. Lors d'une interview accordée à
Info235, le Secrétaire Général du PDL (Parti pour la
Démocratie et les Libertés) dit ceci : « Les
administrateurs civils et militaires sont devenus des éleveurs
possédant plusieurs milliers de têtes de bétail. Ils louent
les services des bouviers à qui ils donnent armes et minutions.»
Conscient de ce phénomène, le député
NDIGUINDJITA DODIH KEMTOBAYE a envoyé un texte d'amendements comportant
un titre et trois nouveaux articles à la Commission Développement
Rural et Environnement réunie le 7 novembre 2014 pour proposer une
nouvelle version du code pastoral. Il propose : (1) Les autorités
administratives civiles et militaires et le personnel des forces de
défense et de sécurité détendeurs de
capital-bétail seront interdits de pratiquer l'élevage et
l'agriculture extensifs dans le ressort territorial de l'exercice de leur
fonction. (2) Les autorités administratives civiles et militaires et le
personnel des forces de défense et de sécurité
détenteurs de capital-bétail seront interdits de s'ingérer
dans le règlement pacifique des conflits survenus entre les usagers des
ressources naturelles sauf cas de trouble à l'ordre public. (3) Les
autorités administratives civiles et militaires et le personnel des
forces de défense et de sécurité, responsables ou
complices de pratiques incompatibles avec l'exercice de leur fonction tel que
stipulé dans le « code pastoral nouveau » seront
relevés d'office de leur fonction dans les quinze (15) jours francs qui
suivent la constatation des faits par un agent assermenté de l'Etat et
seront radiés de l'effectif de leur corps d'origine. Ils doivent
être passibles de poursuites judiciaires. Le capital-bétail sera
mis à la disposition des établissements pénitentiaires et
hospitaliers ou à l'armée pour servir l'alimentation des
effectifs. Ces amendements ont été rejetés par le
gouvernement en raison de la sensibilité du problème dit-il. Un
tel amendement ne peut passer devant la présidente de la Commission
Développement Rural et Environnement de l'Assemblée Nationale, le
ministre en charge de l'Elevage et de l'Hydraulique ou même le
Président de la République qui sont tous eux-
83
mêmes des éleveurs. Nous pensons que ces
amendements sont idoines pour diminuer les conflits liés à la
mobilité pastorale et nous déplorons le refus
délibéré de l'Etat par quel moyen que ça soit
d'interdire l'élevage et l'agriculture extensifs aux autorités
administratives civils et militaires dans leur zone d'affection.
L'article 46 de ce code postule : Les normes de maillage
à observer pour l'implémentation des puits pastoraux sont les
suivants :
- En zone saharienne : 50 kilomètres entre deux points
d'eau ; - En zone sahélienne : 25 kilomètres entre deux points
d'eau ; - En zone soudanienne : 25 kilomètres entre deux points
d'eau.
Cette disposition du code est perçue comme arbitraire
par les populations du sud du fait qu'elle ne respecte pas les
réalités de la zone soudanienne. La zone saharienne est une zone
moins habitée et n'est pas une zone d'agriculture extensive dont les
normes de maillage ne posent pas de problèmes, de même que la zone
sahélienne. Dans la zone soudanienne, les réalités
diffèrent nettement, elle est une zone d'agriculture extensive et la
densité de la population est importante. Une distance de 25
kilomètres entre les puits pastoraux occasionnait des destructions
fréquentes des champs. Dans le premier code pénal, cette distance
était de 12,5 kilomètres, après des amendements de la part
de la majorité des députés du sud, elle a
été ramenée à 25 kilomètres.
L'article 43 dudit code dispose : « Il est fait
obligation aux agriculteurs de clôturer à tout moment les
parcelles maraîchères.» Lors du débat autour du
code pénal à l'Assemblée Nationale, le
député HAROUN KABADI par ailleurs président de cette
assemblée a suggéré la reformulation de l'article en :
« Il est fait obligation aux agriculteurs de construire des
clôtures des champs ». La commission a rejeté cet
amendement en avançant l'argument suivant : la construction des
clôtures des champs est source de destruction de l'environnement.
L'idée derrière « clôturer les champs » est
qu'elle peut se faire avec les branches d'arbres ou arbustes épineux et
l'idée derrière « construire des clôtures » est
qu'elle peut se faire avec un mur en briques et tout autre moyen que
l'agriculteur juge efficace. Le fait que le code pastoral refuse la
construction des clôtures des champs sous prétexte de destruction
de l'environnement est pour beaucoup, une manière où l'Etat
après avoir garanti tout le domaine national à l'élevage
fait de leurs champs des espaces de pâturage aux animaux. Cet état
d'esprit de clivage dans le code pastoral peut être au moins
atténué avec des codes locaux.
84
|