CONCLUSION DU CHAPITRE II
À l'issu de ce chapitre, nous pouvons conclure que la
mauvaise gouvernance affecte très négativement les conflits
liés à la mobilité pastorale au point d'être un
élément aggravateur de ceux-ci. Cette mauvaise gouvernance dans
la gestion des conflits à la mobilité pastorale se manifeste par
la non-maitrise des acteurs en présence par les autorités
administratives, civiles et militaires, la corruption, les fortes amendes lors
de règlement des litiges et en fin par la pluralité des
instruments juridiques de la gestion de ces conflits. C'est sont ces facteurs
qui vouent à l'échec les efforts du gouvernement à travers
leurs représentants qui sont les gouverneurs, les préfets et les
sous-préfets qui essayent bien que mal à restaurer un climat de
paix et de quiétude pour les populations. La plupart des gouverneurs
nommés dans la province ont pour priorité de leur feuille de
route la sécurité des personnes et de leurs biens. Pour mettre
terme aux impacts négatifs des conflits liés à la
mobilité pastorale dans la province qui prennent des nouvelles ampleurs
depuis 2014 et instaurer une paix civile durable entre les communautés,
il faut penser à des mesures profondes d'atténuation de ces
impacts.
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CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE
Au terme de cette partie, il apparait que les conflits
liés à la mobilité pastorale ont d'innombrables impacts,
négatifs pour la plupart dans la province du Mayo-Kebbi Ouest. Ces
conflits impactent grandement et d'une manière négative le
développement et la gouvernance de ladite province. En parlant des
impacts économiques de ces conflits, on peut retenir la destruction de
l'environnement et plus particulièrement des champs en ce qui concerne
l'agriculture. En ce qui concerne l'élevage, on peut retenir les crimes
et cruautés sur les animaux de la part des agriculteurs et la
détérioration des termes d'échange entre les agriculteurs
et les éleveurs qui sont les bases de l'économie de la province.
On peut y ajouter les impacts sociaux tels que la mise en mal de la
sécurité des personnes et de leurs biens et la
désorganisation sociale des pasteurs. S'agissant des impacts de la
mauvaise gouvernance, le moins qu'on puisse dire est que les conflits
liés à la mobilité pastorale sont maintenues et
alimentés par les autorités administratives, civiles et
militaires. La corruption, les fortes amendes lors de règlement des
litiges et la pluralité des instruments juridiques sont les canaux par
lesquels ces conflits sont maintenus et alimentés. On y voit un manque
de volonté de la part du gouvernement d'appuyer les initiatives ayant
pour but de diminuer ces conflits. Tous ces impacts ont maintenu et continuent
de maintenir la province dans un marasme économique. Pour finir avec ces
conflits et propulser un développement économique à
l'attente des populations, il faut aller à la base et proposer des
mesures d'atténuation originales prenant en compte les aspirations des
populations. Alors, quels seraient ces mesures ? C'est la question qui nous
conduira à analyser dans la seconde partie de notre mémoire les
mesures d'atténuation des conflits liés à la
mobilité pastorale dans la province du Mayo-Kebbi Ouest.
SECONDE PARTIE :
LES MESURES D'ATTÉNUATION DES
IMPACTS DES CONFLITS LIÉS À
LA
MOBILITÉ PASTORALE
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73
Les conflits à la mobilité pastorale au Tchad ne
datent pas d'aujourd'hui, ils ont existé avant même que le Tchad
n'accède à l'indépendance. C'est dans le souci de les
atténuer que le Premier Ministre d'alors Ngarta Tombalbaye avait
promulgué la loi n° 4 du 31 octobre 1959 portant
réglementation du nomadisme et de la transhumance en République
du Tchad. Ils ont été évoqués lors de la
Conférence Nationale de 1993 et des deux Forums Nationaux Inclusifs
respectivement en 2018 et 2020 pour que le gouvernement prenne des mesures pour
les diminuer mais ces conflits existent et continuent d'endeuiller des familles
jusqu'à présent. Dans cette seconde partie de notre thème
nous essayerons de proposer des mesures concrètes pour atténuer
les impacts économiques, environnementaux, sociaux et
sécuritaires de ces conflits dans la province du Mayo-Kebbi Ouest. Ces
mesures seront d'abord au niveau de l'Etat central (Chapitre
III) et en suite dans la perspective de la décentralisation
c'est-à-dire dans les Collectivités Autonomes (Chapitre
IV).
LES MESURES D'ATTÉNUATION DES
IMPACTS DES CONFLITS LIÉS À
LA
MOBILITÉ PASTORALE AU NIVEAU DE
L'ÉTAT
CHAPITRE III :
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75
Garantir la sécurité aux personnes vivant sur
son territoire et protéger leurs biens est une mission régalienne
de l'Etat. La notion de sécurité des personnes et des biens se
trouve incontestablement depuis quelques temps sous les feux de
l'actualité, quand l'on songe par exemple aux textes adoptés dans
ce domaine ces dernières années ou à l'ordonnance relative
à l'état d'urgence à l'est du pays qui ont amené le
gouvernement à faire référence à la «
gravité des atteintes à la sécurité publique.»
Ce discours a pris une ampleur exceptionnelle avec les dernières
attaques des rebelles du FACT (Front pour l'Alternance et la Concorde au
Tchad). Toutefois, cette notion n'a rien de nouveau contrairement à
celle de la sécurité juridique par exemple.108 Face
à la montée en puissance du phénomène des conflits
liés à la mobilité pastorale, l'Etat doit prendre des
mesures pour faire face à ces derniers. Pour y arriver, l'Etat peut dans
un premier temps soutenir une gestion consensuelle et
décentralisée de l'espace agropastoral et des conflits
(Section 1) et dans un second temps, compte tenu de la
multitude d'acteurs qui interviennent dans l'application des textes dans le
monde rural, déterminer le champ d'intervention exact de ces derniers
(Section 2).
SECTION 1 : SOUTENIR UNE GESTION CONSENSUELLE ET
DÉCENTRALISÉE DE L'ESPACE AGROPASTORAL ET DES
CONFLITS
Dans la gestion des conflits liés à la
mobilité pastorale, l'Etat est responsable de tout et de rien. Autrement
dit, il est présent dans toutes les phases de règlement de ces
conflits mais apporte rarement satisfaction aux parties lésées.
L'Etat doit transférer certaines compétences aux
Collectivités Autonomes pour aller un peu plus loin dans le processus de
décentralisation enclenché. Pour prévenir et mieux
gérer les conflits liés à la mobilité pastorale,
l'Etat doit accompagner un zonage de l'espace (Paragraphe I)
dont la compétence reviendrait aux Collectivités Autonomes avec
une forte participation de la population et privilégier une gestion
consensuelle de ces conflits (Paragraphe II) qui peut
être facilité par les chefs traditionnels et coutumiers.
108 JACQUINOT (Nathalie), Le juge administratif et la
sécurité des personnes et des biens, in : Qu'en est-il de la
sécurité des personnes et des biens ? Mutations des Normes
Juridiques n° 7, Presses de l'Université de Toulouse 1 Capitole,
2008, p. 92.
76
PARAGRAPHE I : LE ZONAGE DE L'ESPACE
L'Etat tchadien doit faire du zonage un principe majeur de la
gestion de l'espace pour mieux prévenir les conflits liés
à la mobilité pastorale. Le zonage est une technique qui
permettra de lutter très efficacement contre les conflits agriculteurs
et éleveurs, mais malheureusement l'Etat ne fait rien dans ce sens. Les
chefs de canton, les chefs de village et les chefs de terre essayent bien que
mal à zoner leurs territoires de compétence respectives pour
lutter contre ces conflits. Avant de voir la nécessité
d'impliquer les populations dans le zonage, (B) nous mettrons
un accent particulier sur la consistance du zonage (A).
A. Consistance du zonage
Le zonage dont il sera question dans le cadre des conflits
liés à la mobilité pastorale consiste à
découper la terre en portions exclusivement affectées soit
à l'élevage soit à l'agriculture. Il reste une
stratégie importante à la fois pour la sécurisation des
activités pastorales et agricoles et pour la prévention des
conflits entre les agriculteurs et les éleveurs. Dans de nombreux pays
en Afrique109 où les deux activités sont les
principaux maillons de l'économie, l'approche de zonage s'est
avérée un passage obligé dans la recherche d'un consensus
autour du partage de l'espace, bien que les facettes et les degrés de
réussite sont différentes. Nous proposons une approche
différente de celle du Burkina Faso qui a objectif de
sédentariser les pasteurs en créant des zones spécifiques
à l'élevage à l'exemple celle de Doubégué.
Convaincu des avantages de la mobilité pour les animaux au Tchad et
compte tenu des aléas climatiques, le zonage que nous proposons a pour
objectif de lutter contre les conflits en déterminant des zones
spécifiques à l'élevage et à l'agriculture pendant
la saison pluvieuse. Ces secteurs doivent cohabiter et être
complémentaires mais la séparation de l'agriculture et de
l'élevage n'est pas une solution viable.110
Dans une perspective strictement pastorale, l'utilité
du zonage se manifeste notamment en saison des pluies, pendant le cycle
végétatif des cultures pluviales. L'existence des espaces
complètement libres d'implantation de champs est une condition
nécessaire pour assurer une alimentation rationnelle, libre de tout
stress, et pour ainsi atteindre les paramètres zootechniques
souhaités. En même temps, l'existence de ces espaces garantit que
le bétail
109 La République Centrafricaine est l'un des premiers
pays en Afrique à adopter le système de zonage avant qu'elle
n'accède à l'indépendance.
110 ELODIE (Robert), Les zones pastorales comme solutions aux
conflits agriculteurs/pasteurs au Burkina Faso : l'exemple de la zone pastorale
de la Boubégué, Dynamiques des campagnes tropicales Cahiers
d'Outre-Mer, n° 249, Janvier-Mars 2010, pp. 50-51.
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reste, pendant cette période, à l'écart
des zones de cultures, pouvant ainsi permettre à celles-ci de finir leur
cycle sans perturbations en termes de dégâts par le
bétail.
En saison sèche, le problème se pose un peu
différemment. Les animaux sont attirés aussi par les zones
agricoles du fait des réserves pastorales dans les bas-fonds, de
l'accès aux points d'eau permanents, le pâturage
post-récolte des champs etc. Dans la région du Mayo-Kebbi Ouest,
c'est sont les cultures de contre-saisons, autrement dit la culture
pluriannuelle du sorgho et du manioc qui s'oppose à l'ouverture des
zones agricoles aux troupeaux pendant la saison sèche mais avec une
réelle implication des populations, cette difficulté peut
facilement être surmontée.
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