PARAGRAPHE I : POLITISATION DES CONFLITS
Les conflits liés à la mobilité pastorale
sont politisés par la tendance à la bipolarisation des conflits
en clivage nord/sud et musulman/chrétien (A) et par le
soutien aveugle des élus locaux, des hommes politiques, des hommes
d'affaires voire les autorités administratives aux protagonistes
(B).
A. La bipolarisation des conflits en clivage nord/sud et
musulman/chrétien
Comme tous les problèmes dans la province du Mayo-Kebbi
Ouest, les conflits liés à la mobilité pastorale ont
tendance à être bipolarisés en nord/sud et en
musulman/chrétien. Au Tchad, le nord du pays est peuplé des
musulmans majoritairement éleveurs et commerçants. Ces
éleveurs du nord, compte tenu du manque ou du retard de la
pluviométrie au nord du pays et de la croissance du nombre de
bétail descendent au sud du pays dont les conditions de l'élevage
sont réunies en saison sèche et remonter au nord en saison
pluvieuse. Les agriculteurs du sud pensent que les éleveurs envahissent
leur territoire et qu'ils surexploitent les ressources naturelles de leur
territoire. En plus de cela, les séries de crises qui ont secoué
le Tchad depuis son accession à l'indépendance ont porté
des rudes coups à l'autorité de l'Etat et ont agi
profondément sur le tissu de coexistence pacifique entre les
éleveurs et les agriculteurs. L'Etat tchadien ne parvient pas à
assurer l'équilibre entre le monopole des
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agriculteurs et des éleveurs.97 Ces crises
ont contribué à la bipolarisation de toute chose en nord/sud et
musulman/chrétien dont les conflits agriculteurs/éleveurs. Ces
mots (nordiste, sudiste, musulman et chrétien) sont utilisés pour
diviser les tchadiens, c'est pourquoi certaines crises prennent très
rapidement des tournures des conflits religieux ou régionalistes. Les
agriculteurs et éleveurs sont devenus méfiants des uns
vis-à-vis des autres. Quand un problème oppose un agriculteur du
sud et un éleveur du sud, le problème est rapidement
réglé chez les chefs traditionnels de la localité car
c'est une population homogène qui obéit à la même
tradition et la même religion. Mais au contraire quand le problème
oppose un éleveur originaire du nord et un agriculteur originaire du sud
la résolution de celui-ci devient de plus en plus complexe. Les
éleveurs refusent de résoudre les problèmes chez les chefs
traditionnels qui sont eux-mêmes des agriculteurs ou les proches des
agriculteurs. Ils trouvent toujours que les jugements de ces chefs sont
impartiaux et les agriculteurs quant à eux rejettent
catégoriquement les jugements devant les commandants de brigade ou les
autres autorités militaires et administratives qui sont des
propriétaires de bétail ou des proches des nantis
éleveurs, des commerçants bien placés en ville pour la
plupart. La quasi-totalité de ces commandants de brigade qui se
succèdent dans la province du Mayo-Kebbi Ouest sont des originaires du
nord et musulmans, ils ne font jamais un jugement indépendant et
impartial selon tous les agriculteurs rencontrés. Il existe une autre
dimension de ce clivage qui est plus grave et qui constitue une réelle
menace à la cohabitation des populations dans la province, c'est
l'opposition entre musulmans et chrétiens de la province. Dans la
province du Mayo-Kebbi Ouest, il y a des autochtones qui sont des musulmans
(les peuls). Même si les problèmes entre les agriculteurs
chrétiens et animistes et les éleveurs peuls musulmans n'ont pas
les mêmes ampleurs que les problèmes entre les agriculteurs du sud
et les éleveurs originaires du nord, ils sont plus complexes que ceux
qui opposent les agriculteurs et les éleveurs chrétiens ou
animistes. Ces protagonistes sont des fois soutenus dans ces conflits par les
élus locaux, les hommes politiques et des hommes d'affaires.
97 Document MEC, Programme visant
l'amélioration des relations et la résolution des conflits entre
éleveurs et cultivateurs au Tchad, 2007, p. 33.
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