B. La destruction des champs
Les différends autour des dégâts dans les
champs sont nettement les plus nombreux en zone soudanienne. Dans toutes les
localités84 que nous avons visitées dans la province
du Mayo-Kebbi Ouest, les agriculteurs comme les éleveurs, les
autorités administratives, militaires et traditionnelles, ont
signalé les destructions comme une des plus graves conséquences
des conflits entre les agriculteurs et les éleveurs. Il s'agit des
dégâts occasionnés dans par le bétail des
éleveurs transhumants ou autochtones. La destruction des champs peut
être volontaire ou involontaire ou bien provoquée
c'est-à-dire occasionnée par les « champs pièges
». Elle est involontaire quand les animaux sortent à l'insu des
propriétaires et des bouviers, souvent la nuit pour détruire les
champs. Elle est volontaire quand les éleveurs conduisent sciemment
leurs troupeaux dans un champ pour se venger d'une des actions sues
citées. La destruction involontaire est souvent réglée
à l'amiable ou chez les chefs traditionnels, les leaders religieux, le
chef du groupement des éleveurs ou le chef du groupement des
agriculteurs. C'est la destruction volontaire des champs qui entraine souvent
des conséquences drastiques sur le plan économique et social.
Lors des conflits entre agriculteurs et éleveurs, des milliers
d'hectares de champ sont détruits. La destruction des champs peut aller
jusqu'à créer la pauvreté et des pénuries
alimentaires importantes. Ce qui fait que les denrées alimentaires
augmentent de prix. Ces destructions champêtres qui sont en nette
progression ces dernières années, sont au centre des
préoccupations tant des agriculteurs que des éleveurs qui se
rejettent les responsabilités. Les boeufs pâturent en brousse,
côtoient étroitement les champs en route ou clôturés
en brousse. Pour les agriculteurs cette situation résulte du refus
délibéré des éleveurs de respecter les usages
établis en la matière. Les éleveurs sont accusés de
rester tout le temps avec leurs animaux dans les villages alors que les champs
ne sont pas encore récoltés. Les éleveurs sont, en effet,
censés emmener le gros de leur troupeau au loin en pâturage, or,
ils pâturent toute l'année autour des villages.
41
84 Pala, Bara, Carrière, Mbaïla-Mbïla
et Soudjé.
42
Il faut également noter qu'il est difficile de
retrouver les éleveurs/bergers qui commettent les dégâts.
Les bergers des citadins sont, en effet, installés dans les campements
précaires auprès des villages d'agriculteurs avec leurs troupeaux
et sont prêts à s'en aller en cas de dégâts sans
crier gare85. D'après les informations que nous avons
recueillies sur le terrain, la plupart des destructions de cultures surviennent
accidentellement. Elles sont les conséquences du manque de vigilance des
bergers, ou d'éleveurs débordés par le grand nombre
d'animaux. L'âge du berger (s'il est mineur) et le nombre important des
animaux dans le troupeau pour un berger sont aussi cités comme causes
des incursions des animaux dans les cultures. D'autre part, les éleveurs
ne respectent pas la date de libération des champs pour entreprendre le
retour des animaux dans les villages.
Dans les ferriques86, l'élevage prime sur
l'agriculture et la chefferie traditionnelle (chef de ferrique) prend toujours
le parti des éleveurs à cause de leur niveau économique
important lors des conflits liés aux dégâts des champs. Les
agriculteurs ne sont pas dédommagés ou ne le sont pas à
leur juste valeur. Les agriculteurs dorment même parfois dans les champs
pour surveiller leurs cultures ou leurs récoltes de peur de
dégâts. En effet, les bergers peuvent de nuit ouvrir les
clôtures pour y faire pénétrer les animaux. Parfois
l'ampleur de la dévastation est grave, tout le champ est
dévasté. C'est la raison pour laquelle on leur interdit
systématiquement la vaine pâture quand une parcelle n'est pas
totalement récoltée. Certains reconnaissent la présence
des troupeaux avant la libération des champs. « Avant, les
animaux sont pâturés en brousse loin des champs dans des espaces
consacrés à cet effet par les chefs de canton, mais maintenant il
est très difficile voire impossible pour un éleveur de vivre seul
en brousse à cause de l'insécurité grandissante
» nous dit un propriétaire de bétail vivant à
Pala et exerçant d'autres activités commerciales dont ses boeufs
sont non loin de Bara.
Les éleveurs quant à eux estiment que la
question des dégâts champêtres, au-delà de ces
aspects, est aussi liée à la restriction d'un certain nombre de
droits à eux implicitement reconnus. Il s'agit notamment des couloirs de
passage et aires de repos et de parcage qui ont été
systématiquement colonisés par les champs rendant ainsi
périlleux le déplacement des troupeaux et la limitation des
possibilités des animaux pour trouver des aires de repos. Ils se
85 KOUSSOUMNA LIBA'A (Natali), « Étude
sur les conflits agro-pastoraux dans les régions camerounaises du Nord,
Adamaoua et Est », Maroua, Rapport final pour le compte du Groupe de la
BAD, le HCR et la Fédération Luthérienne Mondiale,
août 2016, p. 44.
86 Regroupement des campements d'éleveurs
ayant à leur tête un chef désigné par le
sous-préfet territorialement compétent.
43
plaignent aussi de certains actes que posent, selon eux,
délibérément les agriculteurs pour les amener à
commettre les dégâts. Il s'agit selon les termes utilisés
par les éleveurs des « champs pièges » ou « champs
de provocation » ou encore « champs à problèmes »
autour des cours d'eau ou dans les espaces réservés aux
pâturages clôturés pendant la saison pluvieuse.
Les dégâts des champs s'expliquent par le fait
que, le système d'élevage qui est purement traditionnel et de
type extensif et est loin d'être maitrisé. Les animaux en
pâture ne trouvent plus de pâturages laissés entre les
champs et la zone tampon des parcs. Aussi, l'occupation anarchique des terres
par les agriculteurs, qui obstruent les pistes de bétail est
également un facteur qui occasionne les dégâts des
champs.
La seule source de revenu des agriculteurs ruraux voire des
agriculteurs citadins est le gain sur la vente des récoltes. La
destruction des champs met dans un désarroi total les
propriétaires des champs. Cette destruction entraine directement la
pauvreté. La situation de pauvreté ne semble pas
s'améliorer dans la province du Mayo-Kebbi Ouest. Bien au contraire, la
pauvreté réelle augmente, surtout en ce qui concerne la
pauvreté monétaire. Vu sur cet angle, la pauvreté signifie
un manque d'accès ou un accès limité aux ressources
financières et matérielles ou surtout des services
institutionnels offerts par l'Etat ou la communauté en
général.
La province du Mayo-Kebbi Ouest est l'une des zones
d'agriculture par excellence du pays dont les produits sont exportés
dans d'autres provinces et même des pays voisins. La plupart des
agriculteurs vendent une partie de la récolte et consomment le reste en
attendant la saison prochaine. La destruction des champs lors des conflits
diminue ou anéantit carrément les récoltes, entrainant
directement une insécurité alimentaire endémique. Les
conflits liés à la mobilité ont d'innombrables impacts
négatifs sur l'agriculture qui se manifestent notamment par la
destruction des champs mais aussi sur l'élevage qui se manifestent par
les crimes et cruautés sur les animaux.
PARAGRAPHE II : LES CRIMES ET CRUAUTÉS SUR LES
ANIMAUX ET LA DÉTÉRIORATION DES TERMES D'ÉCHANGE ENTRE LES
AGRICULTEURS ET LES ÉLEVEURS
Les crimes et cruautés (A) sont des
actes très graves perpétués sur les animaux lors des
conflits. Ils entrainent des véritables pertes économiques pour
les éleveurs. Ces crimes et cruautés détériorent
également les échanges entre les agriculteurs et les
éleveurs (B) qui
devraient être des acteurs complémentaires et des
maillons essentiels de l'économie de la région.
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