D. LA MÉTHODE DE RECHERCHE
La méthode de recherche que nous retenons pour mener
à bien notre étude, est l'interactionnisme stratégique.
Les relations sociales sont faites d'interaction. Les interactionnistes
centrent leurs analyses sur les interactions62. L'interactionnisme
cherche à construire une nouvelle façon d'analyser le social
à partir de l'hypothèse selon laquelle les individus sont des
sujets conscients. Ils proposent d'expliquer le social par des actions
où l'action a un sens pour les individus.
Michel CROZIER et Erhard FRIEDRENG63
suggèrent pour la compréhension des actions collectives à
partir des comportements d'intérêts individuels et parfois
contradictoires entre les acteurs.
Pour Jacques ROJOT64, l'important est de
réaliser la pertinence de cinq concepts fondamentaux de la
théorie de l'interaction : l'acteur, l'objet, les ressources, les
contraintes et la stratégie pour mieux cerner l'action des acteurs. Il
souligne à cet effet : « il est postulé que les acteurs
ont toujours des objectifs. Il n'y a pas d'acte gratuit, le comportement de
chacun dans une situation organisationnelle est toujours orienté par les
buts. Chacun est actif dans une direction qu'il suit vers ses propos objectifs
»
Pour mieux comprendre l'interactionnisme, nous passons en
revue des cinq concepts principaux de la théorie de l'interactionnisme
de ROJOT.
L'acteur : c'est un individu ou groupe
d'individus membre d'une communauté qui pose des actes selon les
objectifs qu'il vise. Plus simplement, l'auteur est la personne qui est
à l'origine de quelque chose. Dans le champ de notre étude, les
acteurs des conflits liés à la mobilité pastorale sont :
les usagers (les éleveurs, les agriculteurs, les bouviers et
accessoirement les pêcheurs) et les institutions étatiques et
non-étatiques. Les premiers concernés sont les éleveurs,
qui sont les propriétaires de bétail. Ces éleveurs, dans
la zone du
62 Les actions réciproques entre les
individus.
63 CROZIER (Michel) et FRIEDRENG (Erhard) cité
DJINGAM-OUDAL RATEBAYE (Edmond) op cit. p. 28.
64 ROJOT (Jacques), cité par DJINGAM-OUDAL
RATEBAYE (Edmond) op cit. p. 28.
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Mayo-Kebbi Ouest sont les peuls et les haoussas, tous des
musulmans. À ceux-ci, il faut ajouter les commerçants, des
militaires, les administrateurs qui sont détenteurs des capitaux
investis préférentiellement dans le bétail. C'est sont
ceux-là que le code pastoral nomme expressément « les
propriétaires de capital-bétail ». Les seconds sont les
agriculteurs. Ces agriculteurs sont des sédentaires. Dans la
région, à part les groupes sus cités, tous les groupes
sont des agriculteurs, chrétiens et animistes. Il y a une autre
catégorie d'acteurs, souvent négligée par tout le monde,
pourtant ils sont les acteurs les plus importants, c'est sont les bouviers. Ils
sont les employés des éleveurs et c'est eux qui sont au-devant de
la scène. Ils sont malproprement qualifiés d'éleveurs. Les
derniers usagers concernés sont les pêcheurs, ces derniers entrent
en conflit avec les éleveurs transhumants quand les animaux, au passage
détruisent les filets de pêche. Les conflits entre les
éleveurs et les pêcheurs sont assez rares, car le Mayo-Kebbi Ouest
n'est pas une zone d'intense pêche, excepté le Lac
Léré. Même si ces conflits ont eu lieu autrefois autour du
Lac Leré, ils restent très limités. Les institutions
étatiques entrent en conflit avec les pasteurs lors des
déplacements, quand les animaux des éleveurs côtoient les
aires protégées (forêts classées, réserves de
faune, forêts sacrées, parcs nationaux, sanctuaires...). Ces
conflits peuvent également opposer les pasteurs transhumants aux
institutions non-étatiques à l'instar des ONG.
L'objectif : c'est l'idéal qu'un
acteur veut atteindre en posant un acte. Tout acte posé est en
réalité pour atteindre un but plus ou moins manifeste, les
objectifs ne sont jamais clairs, ni explicites voire contradictoires, c'est
là tout le sens du célèbre dicton « il n'y a pas
d'acte gratuit ». C'est en considérant ce dicton que les
agriculteurs refusent catégoriquement de comprendre l'argument le plus
souvent avancé par les éleveurs. Les éleveurs
prétendent toujours que, c'est à leur insu que les animaux
détruisent les champs. L'objectif des éleveurs, c'est d'avoir en
suffisance de pâturages et de l'eau pour les animaux. Les agriculteurs
quant à eux ont pour objectif de protéger leurs champs de toute
dévastation. Pour leur tour, les pêcheurs ont pour objectif de
préserver aussi longtemps que possible les filets pour avoir une
quantité suffisante de poissons.
Les ressources : c'est sont des moyens dont
disposent les acteurs pour la réalisation de leurs objectifs. C'est
ainsi que le code pastoral parle de ressources pastorales, qui sont l'
« ensemble des ressources clés nécessaires à
l'alimentation des animaux en élevage extensif. Exemple : l'eau, le
pâturage, les résidus de cultures, le foin stocké, les
terres
salées... »65 Pour les
agriculteurs, les ressources sont constituées des terres cultivables,
les tracteurs, la houe, l'eau... et en fin pour les pêcheurs, les
ressources sont les eaux, les filets, les pirogues, les bâches...
Les contraintes : c'est des choses qui
empêchent aux acteurs d'atteindre leurs objectifs, elles peuvent
être propres ou externes à l'auteur. Leurs importances sont
proportionnelles aux objectifs à réaliser. Dans le cadre de notre
étude, la majorité de ces contraintes sont naturelles. C'est
d'ailleurs ces contraintes qui sont à l'origine de la mobilité
pastorale au rang desquelles la diminution de la pluviométrie,
l'accroissement de la population, le retard des pluies... Pour les
agriculteurs, ces contraintes sont le retard des pluies, le manque d'espaces
pour cultiver, le manque de moyens modernes de culture, les criquets
pèlerins, les oiseaux dévastateurs... Pour les pêcheurs,
les contraintes sont entre autres le retard des pluies, le tarissement des lacs
ou rivières, le manque de moyens modernes de pêche...
La stratégie : est l'action de
l'auteur, qui pour réaliser une action, prend en compte les ressources
disponibles et les contraintes auxquelles il sera confronté dans une
situation donnée. Ainsi, toutes ces communautés ont
développé des stratégies dans leur domaine respectif. Les
stratégies des éleveurs sont la politique de contrôle
foncier, la recherche d'équilibre économique... Pour leur part,
les agriculteurs ont développé des stratégies telles que
l'appropriation des terres, la tendance vers une gestion individuelle, la
pratique de l'élevage, la préservation du niveau de vie, la
recherche de la sécurité alimentaire et des revenus
monétaires... et les pêcheurs ont développé cette
stratégie de s'adonner aux cultures riveraines, l'occupation de l'espace
lacustre...
L'interactionnisme stratégique nous a permis ainsi de
connaitre les acteurs des conflits liés à la mobilité
pastorale, leurs objectifs, leurs ressources, les contraintes auxquelles ils
sont confrontés et leurs stratégies. Dans le cadre de notre
travail, nous utilisons l'interactionnisme pour expliquer la difficile
cohabitation entre ces communautés, motivées chacun par des
intérêts personnels.
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65 Article 4 du code pastoral.
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