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Le renouvellement du journalisme environnemental au prisme de la décroissance


par Guillaume Lemonnier
Sciences Po Lyon  - Master 1 AlterEurope, Études européennes et internationales 2020
  

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2. Quelques éléments de comparaison avec le journalisme agricole

En outre, la question de la « formation sur le tas » et de la neutralité journalistique ne se pose pas que dans le cadre du journalisme environnemental. Dans d'autres « sous-champs spécialisés » du journalisme, comme le journalisme agricole, nous retrouvons beaucoup de personnes qui se sont également formées sur le tas. Pour appuyer notre propos, nous pouvons citer les travaux d'Ivan Chupin et Pierre Mayance qui ont étudié l'échec de la création d'une filière de journalisme agricole à l'Ecole Supérieure du Journalisme de Lille75(*).Ils ont notamment montré que les « bonnes pratiques » de la presse généraliste, le mythe de l'objectivité et de la distanciation vis-à-vis des sources est assez difficile à exporter dans une presse agricole où les journalistes ont eux-mêmes été des acteurs du champ agricole ou des individus socialisés aux valeurs du monde agricole et qui se sont formés journalistes sur le tas. Ils mettent en lumière que le paradigme dominant dans la presse agricole est que « la formation sur le tas est la seule formation légitime et largement répandue ». Par ailleurs, même lorsque cette filière à l'ESJ de Lille était opérationnelle, « les directeurs de journauxcontinu[ai]ent d'avoir recours principalement à des candidats diplômés de BTA (brevet de technicien agricole) et BTS (brevet de technicien supérieur) ou à des ingénieurs spécialisés dans des domaines agricoles pour écrire dans leurs titres »76(*).

Si on compare avec le journalisme environnemental, ce n'est pas la même configuration que dans la presse agricole. Si à un certain moment, notamment dans les années 1970, il y a pu avoir une sorte de pré-carré médiatique réservé aux « militants écolos purs et durs », très vite les journalistes classiques ont eu accèsau journalisme environnemental, y compris dans La Gueule Ouverte(notamment après la mort de Pierre Fournier) et surtout Sauvage.

Dorénavant, que ce soit dans les rubriques « écologie » ou « environnement » deLibération, Le Mondeou Le Figaro, il s'agit avant tout de personnes ayant suivi des études de journalisme classique. Si on s'intéresse au modèle alternatif de Silence ou La Décroissance, on retrouve aussi bien des parcours classiques comme Pierre Thiesset que des militants formés journalistes sur le tas comme Guillaume Gamblin. Il en va de même pour le premier site d'information écologique alternatif de France,Reporterre, où leur équipe est composée de parcours mixtes. Cette différence entre ces deux sous-champs spécialisés (journalisme agricole et journalisme environnemental) peut notamment s'expliquer par des parcours de socialisation différents qui permettent une institutionnalisation beaucoup plus simple de l'écologie, de l'environnement au sein du champ journalistique que le « monde agricole ». Par ailleurs, disposer en son sein de personnes ayant eu un pied dans le système médiatique dominant (Vincent Cheynet) ou le journalisme traditionnel (Pierre Thiesset) peut être une véritable ressource pour la pérennité d'un journal, que ce soit en termes de capital relationnel ou de connaissances du système pour mieux le parasiter avec ses propres codes et capter des nouveaux lecteurs.

A la lumière de ces éléments, nous pouvons avancer qu'il est tout à fait possible d'être un journaliste alternatif et d'avoir les mêmes contraintes de rigueur et de restitution des faits qu'un journaliste mainstream. Comme l'évoque Benjamin Ferron, un journaliste alternatif est donc pris dans un équilibre « entre engagement et distanciation »en raison d'un double enjeu de légitimation, à la fois auprès des militants et à la fois auprès du corps journalistique et du grand public. De plus, les contraintes qui pèsent autant sur un journal (contraintes financières, cohérence éditoriale, éviter les critiques) que sur leurs journalistes (intériorisation des normes grâce au passé étudiant et professionnel) rendent difficile l'existence d'un discours entièrement militant visant à manipuler l'opinion. Par ailleurs, face à la montée de certains discours climato-sceptiques, des médias comme Silence, La Décroissance ou Reporterre ne peuvent se permettre de produire ou de relayer des fausses informations car cela pourrait d'autant plus se retourner contre eux et ainsi décrédibiliser leur image.

* 75 CHUPIN Ivan, MAYANCE Pierre. « Une formation hors de son champ. L'échec de la filière journalisme agricole à l'ESJ », Études rurales, vol. 198, no. 2, 2016, pp. 39-58.

* 76 CHUPIN Ivan, MAYANCE Pierre, ibid.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault