Le renouvellement du journalisme environnemental au prisme de la décroissancepar Guillaume Lemonnier Sciences Po Lyon - Master 1 AlterEurope, Études européennes et internationales 2020 |
B) Une tension plus ou moins persistante en fonction des individus et des milieux1. Journaliste professionnel, engagé, militant ?Bien que les journalistes environnementaux alternatifs sachent conjuguer rigueur journalistique et militantisme, mes recherches m'indiquent néanmoins qu'il y a un certain refus du terme « journaliste militant ». Lors du premier entretien que j'ai réalisé avec le journaliste Pierre Thiesset du journal La Décroissance,à la question « Au sein du journalLa Décroissance, vous concevez-vous comme des militants, des professionnels ou les deux à la fois ? », le journaliste Pierre Thiesset répond : « Oui alors justement, humm.... J'ai dû mal à me consi... Enfin, moi je n'aime pas trop le terme de journaliste militant... justement, parce que je pense qu'on fait vraiment un travail de journaliste. Alors, certes, on a... on a un engagement et puis on revendique notre subjectivité, on revendique... on revendique notre ligne éditoriale très clairement. Humm, comparativement à des médias qui se disent neutre, objectif, mais qui... mais qui en fait, ont aussi un engagement. Et il y avait une lettre d'Hervé Kempf je crois, quand il est... quand il a démissionné du Monde où... fait intéressant là-dessus, où il disait que lui était considéré comme un journaliste militant en gros, parce qu'il défendait... enfin parce qu'il était écologiste tout simplement. Et, humm... il disait «mais par contre on ne considère jamais comme militant les journalistes... humm, spécialisés dans la rubrique économie par exemple, qui, qui vont sans-cesse défendre la croissance, le... le capitalisme mais qui, qui vont paraître neutres, etc...« Et je trouvais ça... moi je me reconnais pas mal dans ces propos-là.» Un refus qui peut s'expliquer par le fait que, dans beaucoup de médias alternatifs, il y a des journalistes qui ont fait des études de journalisme et quiont travaillé dans la presse quotidienne nationale, régionale ou locale. C'est notamment le cas de Pierre Thiesset qui, avant d'intégrer La décroissance, a fait un IUT de journalisme à Lannion. Puis, il a travaillé dans la presse locale au seind'un journal intitulé Le Béret Républicain, quotidien diffusé dans le département du Cher. Il dirige également la collection « Le pas de Côté » (qui était anciennement une maison d'édition) au sein d'une maison d'édition indépendante appelée L'échappée. Dès lors, il est compréhensible qu'il y ait un refus de ce terme, surtout qu'il peut être connoté négativement et utilisé à des fins de discréditation de la parole donnée. Cette tension entre la figure du journaliste et du militant, bien que persistante, n'est pour certains comme Hervé Kempf, qu'un faux débat.Invité lors d'une émission de France Culture sur le sujet « Peut-on être journaliste environnemental sans être militant »72(*), Hervé Kempf était confronté au journaliste environnemental Marc Cherki du Figaro.Durant leurs échanges, Hervé Kempf évoque qu'il peut y avoir « 2 façons d'aborder et de traiter (...) un sujet [écologique] qui est le même » sans pour autant refuser la rigueur journalistique. Il peut y avoir une façon factuelle et une façon plus indignée et engagée. De plus, ilsouligne que Reporterre - l'ancien mensuel écologique qu'il a créé en 1989, puis qu'il a relancé en format internet depuis 2007 - utilise, comme les autres médias, « les instruments journalistiques de vérification de l'information, de pertinence, de sens de la contradiction, de vérification des faits, etc... ». Il en va de même pour le journaliste Pierre Thiesset de La Décroissance. A cet égard, voici la suite de sa réponse concernant la question que j'ai déjà évoquée plus haut. « Et... quand je dis qu'on, qu'on.... qu'on... enfin que je me considère avant tout comme journaliste, c'est que le travail, c'est vraiment un travail de journaliste qui est basé sur une énorme documentation notamment, sur... des recherches assez... assez... enfin très longues, en fait on y passe énormément de temps à faire notre journal, euh... Et c'est voilà, on n'est pas seulement dans, dans l'affirmation de notre message... On a un soucis de rechercher... de faire des recherches historiques, de faire... voilà, d'alimenter toujours nos réflexions à partir de toute cette base documentaire quoi. » Cependant, il apparaît que la réfutation de l'appellation « journaliste militant » est beaucoup plus variable en fonction du parcours professionnel et personnel des individus. En effet, lorsque j'ai entretenu le rédacteur de la revue Silence, Guillaume Gamblin, il s'est avéré que l'appellation « journaliste militant » n'est pas forcément perçuede façon péjorative. Lorsque je lui ai posé la même question que j'avais posée à Pierre Thiessetlors du premier entretien, à savoir : « Au sein de la revue, vous concevez-vous comme des militants, des professionnels ou les deux à la fois ? », voici ce que Guillaume Gamblin m'a répondu : « (Rires) Oui c'est toujours un peu la question qui est (rires) pas évidente à dire. Est-ce qu'on est des militants, des professionnels ou les deux à la fois ? Moi je dirai que oui, on est un peu les deux à la fois. C'est-à-dire qu'à la fois on est des militants car clairement euh... il faut être militant pour être salarié et bien dans sa peau et bien dans le reste de l'équipe et du projet. Une personne qui serait à Silence juste pour ses attributions techniques ça ne marcherait pas quoi. Euh... et euh... aussi on a envie de... notre but c'est de transformer la société dans le sens de la décroissance, de l'écologie sociale, etc... Et professionnel dans le sens où on adopte quand même une éthique journalistique, on a des compétences, que ce soit au niveau de la gestion administrative, de la compta ou de... ou du journalisme. Euh... on a des compétences assez strictes, assez professionnelles euh... puis... et donc au niveau du journalisme on... on... bah voilà on essaye... on a une éthique de dire, de pas dire de choses fausses, de recouper les sources, de, de tant que possible... qui se rapproche des autres pratiques journalistiques plus classiques. Mais avec... ça n'empêche pas de le faire au service d'un combat global. » Cette conception différente des choses peut notamment s'expliquer par le fait que les journalistes au sein de la revue Silence n'ont pas suivi des études de journalisme mais se sont formés sur le tas. En effet, lorsque je lui ai posé la question suivante, « Est-ce que vous avez suivi des études de journalisme ou pas du tout ? », voici ce que Guillaume Gamblin m'a répondu : « Euh non non, je n'ai pas du tout suivi des études de journalisme et à Silence en fait, personne n'a jamais suivi des études de journalisme depuis la création de la revue en 1982 parmi les gens qui sont salariés ou les gens qui sont permanents, permanentes de la rédaction. C'est vraiment des personnes qui, qui se sont formées sur le tas, en tant que personnes qui sont d'abord pour leur engagement militant on va dire. » Cela nous permet de comprendre pourquoi Guillaume Gamblin ne réfute pas frontalement le terme de « journaliste militant » puisqu'il n'a pas connu la même intériorisation des normes journalistiques que peuvent le connaître des personnes ayant eu un parcours journalistique classique comme Pierre Thiesset ou Hervé Kempf. J'entends par « parcours journalistique classique » un parcours dans lequel un individua suivi des études de journalisme et a officié dans la presse traditionnelle, qu'elle soit locale, départementale, régionale ou nationale. Le fait que les rédacteurs et journalistes de la revue Silence n'aient pas suivi d'études de journalisme n'est pas quelque chose de disqualifiant. Par ailleurs, en feuilletant les différents numéros de la revue Silence, nous pouvons nous apercevoir qu'il n'y a pas vraiment de différence dans la reproduction des normes journalistiques. A titre d'exemple, nous retrouvons au sein de la revue Silence un sommaire clair et précis contenant quatre rubriques. Les rubriques ne sont pas classées par thèmes comme dans le journal La Décroissance mais par façon de traiter l'information73(*). Tout au long de la revue Silence, nous retrouvons perpétuellement des sources qui sont citées avec de nombreuses notes de bas de page, à la différence du journal La Décroissance qui en compte moins. Cela est sûrement dû au format du journal qui est plus contraignant que celui d'une revue, mais également parce que la revue Silenceva davantage surle terrain empirique (en relayant les alternatives écologiques dans les différentes régions de France74(*)) que le journal La Décroissance qui relève plus du journalisme de bureau, de combat des idées. C'est notamment ce que confirme Pierre Thiesset lors de notre entretien où il confie que le journal La Décroissance est davantage « un journal d'analyse et de réflexion »qui se consacre moins à des reportages de terrain que Reporterre par exemple. * 72 France Culture : « Peut-on être journaliste environnemental sans être militant ? », 9 juin 2018. [Cité le 17 mars 2020]. Disponible sur : https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-mediatique/peut-etre-journaliste-environnemental-sans-etre-militant * 73 Voir annexe 12 * 74 Voir annexe 13 |
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