Le renouvellement du journalisme environnemental au prisme de la décroissancepar Guillaume Lemonnier Sciences Po Lyon - Master 1 AlterEurope, Études européennes et internationales 2020 |
B) Une critique radicale pour peser sur l'écologie politiqueAprès avoir évoqué l'influence des idées décroissantes sur le champ militant non conventionnel, il convient ici d'aborder le poids qu'a pu exercer ce nouveau courant écologique sur le champ politique. Au-delà du fait que les décroissants peuvent être très critiques à l'égard du parti Europe Ecologie Les Verts (EELV), ils partagent en commun l'antiproductivisme. C'est ce qui a été à la base de la création du parti en 1984 et constitue selon Damien Zavrsnik, un « invariant politique de long terme »33(*). Les décroissants ont une stratégie de peser sur le débat public et sur le parti EELV. La décroissance, bien que radicale, a également influencé les débats politiques internesdu parti écologique. On peut notamment évoquer la motion ponctuelle proposée à l'automne 2004 au sein du parti EELV et intitulée « Pour une décroissance sélection et équitable : concept à apprivoiser (d'urgence), non à écarter ! »34(*). Une motion adoptée par une majorité d'adhérents (55%) et intégrant donc les fondements du parti écologiste, malgré l'opposition de la plupart des hommes politiques du parti. On retrouve également le dépôt, par Franck Pupunat, d'une motion décroissante dénommée « Utopia »35(*) lors du congrès du parti socialiste de 2005 mais qui ne sera pas soutenue par les adhérents et cadres du parti (1,05% des voix). La mouvance décroissante n'a donc pas uniquement comme but d'influencer culturellement les militants écologistes mais également de trouver des relais sur la scène politique. La pénétration des débats internes du parti écologique a été un moyen de pression afin d'influencer les cadres du parti. A cet égard, on retrouve plusieurs ténors du parti comme Yves Cochet, Noël Mamère, Mireille Ferrin, Alain Liepietz et Denis Baupinqui ont signé un tribune intitulée « Pour une décroissance solidaire »36(*) à la veille de l'Université d'été de 2009 du parti. Selon Damien Zvarsnik, le courant décroissant oeuvre sous une double stratégie afin d'influencer le jeu politique, « une stratégie de minorité active » et une stratégie faisant le jeu des élections. La première stratégie est un concept repris d'un livre de psychologie sociale de Serge Moscovici37(*) qui désigne les actions d'une minorité ayant pourfinalité d'imposer ses points de vue à la majorité.Cette stratégie a notamment été revendiquée par Serge Latouche, dans son livre Petit traité de la décroissance sereine publié en 2007 où il affirme que la principale ambition des objecteurs de croissance devrait être de « peser dans le débat, d'infléchir les positions des uns et des autres, de faire prendre en considération, certains arguments, de contribuer à faire évoluer les mentalités ».L'objectif ici est de tenter d'influencer le débat public sans passer par le système partisan et électif. Cette question divise chez les décroissants car il y a un effectivement un sentiment « anti-parti » et une critique de l'institutionnalisation du parti écologique qui aurait modéré son discours pour maximiser les gains électoraux. Par ailleurs, de par son influence au sein du parti écologique et de par les critiques régulières qu'elle produit envers ce dernier - on peut citer ici les multiples « éco-tartufes » désignés par le journal La Décroissance comme Dominique Voynet qui avait fait campagne sur le thème du développement durable lors de l'élection présidentielle de 2007- le courant décroissant arrive à conserver l'orientation du débat de l'écologie politique. A titre d'exemple, le dernier « projet écologiste », issu de multiples commissions thématiques, affiché sur le site du parti EELV38(*), comporte une partie entière dénommée « Vers une société post-croissance » dans laquelle on retrouve sous des termes plus nuancés les idées du courant décroissant. En outre, il faut aussi concevoir le courant décroissant dans un champ pris par des luttes symboliques avec d'autres acteurs, qui sont les associations écologistes. Fabrice Flipo, Denis Bayon et François Schneider soulignent notamment que « l'objection de croissance met aussi en cause les associations «écologistes«, que les partis écologistes considèrent généralement comme leur vivier naturel. Il y a un accord fort [au sein des décroissants] pour estimer que l'action de ces associations reste dangereusement confinée à l'«environnementalisme«, c'est-à-dire à un souci de la protection des milieux naturels sans réelle prise en compte des implications sociales et politiques »39(*). Enfin, l'autre stratégie du courant décroissant est de faire le jeu du légalisme et de se présenter à certaines élections. Toutefois, il serait vain de penser que les décroissants sont unis politiquement et ne sont pas traversés par des divergences idéologiques. En effet, il y a mille et une façon d'être décroissant, certains penseurs s'arriment volontiers à l'extrême gauche comme Paul Ariès ou Serge Latouche, d'autres prônent le « ni gauche ni droite » comme Vincent Cheynet y voyant là le même mal productiviste, d'autres, comme Alain De Benoist sont d'extrême droite. Toutefois, il y a eu des tentatives de rassemblement des décroissants au sein d'un parti, le Parti pour la Décroissance (PPLD), créé en avril 2006 par Vincent Cheynet et Bruno Clémentin et qui présente huit candidats aux élections législatives de 2007 dans le département du Rhône et de la Loire, obtenant des scores symboliques. Cette tentative d'union ne serait que temporaire, puisqu'une scission apparaîtra rapidement au sein de ce parti et une autre structure verra le jour, le « Mouvement des Objecteurs de Croissance » (MOC). Malgré cela, il y a quand même des moments de convergence pour certaines élections comme les élections européennes où les deux structures partisanes principales, le PPLD et le MOC, se réunissent au sein de « l'Association des Objecteurs de Croissance » pour présenter une liste commune intitulée « Europe Décroissance » dès les élections européennes de 2009. De plus, les deux structures présentent régulièrement, chacune de leur côté, des candidats aux différentes élections, quel que soit l'échelon, comme aux élections présidentielles de 2012,où le militant écologiste Clément Wittmann avait été désigné pour représenter le PPLD. En outre, l'utilisation de la politique n'est pas tant de réaliser des bons scores que de médiatiser la cause décroissante, de frapper les esprits. En réalité, comme l'évoque Mathieu Arnaudet, « le rapport au politique s'avère distancié et apparaît seulement comme un levier supplémentaire pour la création d'une éventuelle société de «décroissance soutenable« »40(*). Il faut donc concevoir l'engagement politique, non pas comme des tentations individualistes de récupérer un mouvement (qui est tout sauf homogène idéologiquement), mais comme un moyen, un outil complémentaire à la stratégie de minorité active. * 33 ZAVRSNIK Damien, ibid. * 34 LESNE Philippe, « Décroissance », Le Monde Diplomatique, août 2009. [Cité le 17 mars 2020]. Disponible sur : https://www.monde-diplomatique.fr/2009/09/A/18185 * 35 BAYON Denis, FLIPO Fabrice, et SCHNEIDER François, ibid., p.13 * 36COCHET Yves,MAMERE Noël, FERRIN Mireille, LIPIETZ Alain et BAUPIN Denis, « Point de vue : Pour une décroissance solidaire », le 20 août 2008. [Cité le 17 mars 2020]. Disponible sur : https://www.lesechos.fr/2008/08/point-de-vue-pour-une-decroissance-solidaire-513490 * 37 MOSCOVICI Serge, Psychologies des minorités actives. Presses Universitaire de France, 19991 * 38 EELV, « Le projet bien vivre ». [Internet]. [Cité le 17 mars 2020]. Disponible sur : https://eelv.fr/bienvivre/ * 39 BAYON Denis, FLIPO Fabrice, et SCHNEIDER François, ibid., p.71 * 40 ARNAUDET Mathieu, ibid. |
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