Les bals de lycée dans l'Utah: Etude anthropologique d'un rite de liminalité : famille, adolescence et sexualitépar Christelle Lardeux Université Aix-Marseille - Master 1 : anthropologie sociale et culturelle parcours 1 2018 |
Partie III - Les bals au lycée en UtahI. L'organisation par le lycée Les dates des bals sont données en début d'année. Il y a 3 bals où ce sont les filles qui invitent et 3 bals où ce sont les garçons. Ce sont les garçons qui invitent aux bals les plus importants. Ainsi voici la succession des bals : Homecoming : garçons Halloween : filles Christmas : filles Sweetheart : garçons Senate : filles Prom : garçons L'année scolaire débute par le bal « Homecoming ». Il s'organise autour de l'ouverture des entrainements et des premiers matchs de football 37. C'est un bal important. Sweetheart qui correspond à « Valentine Day » (St Valentin) est le 4ème bal essentiel. Enfin le bal primordial est le « Prom ». C'est le bal où il faut être invité. Il y a une attente importante teintée de stress, de déception et de rebondissements. Pour ces trois « Dances »38 (bals en français), ce sont les garçons qui invitent. Je choisis de parler de « bals majeurs » dans ce cas de figure et de « bals mineurs » pour les autres.39 36 Voir annexe 37 J'entends par « football » : le football américain car le football de type européen s'appelle le « soccer ». Il est aussi beaucoup pratiqué en Utah et notamment là où je vivais. Mais il est essentiellement féminin. Les petites filles y jouent dès l'âge de 6 ans. 38 terme américain 39 Je prends conscience en écrivant cette phrase que je désigne par « majeur » les bals où ce sont les garçons qui invitent 34 Le « Senate » est un bal à thème qui change chaque année. A propos de la culture consommiste américaine.40. Les représentations données dans les films Américains se rapportant aux décorations d'Halloween et de Noël ne sont ni un mythe ni exagérés. Et il en va de même pour la St Valentin (Valentine Day). Les maisons sont surchargées de décorations et d'animations et les jardins investis par toutes sortes de figurines selon l'événement. Sur les murs des habitations sont projetés des fantômes au moment d'Halloween, et des coeurs quand il s'agit de la St Valentin. Le 14 février est considéré comme la fête de l'amour mais dans un sens beaucoup plus étendu que celui des amoureux. Avec Thanksgiving, c'est un moment de rappel des liens d'amour et de fraternité. Elle se fête aussi à l'école dès le plus jeune âge41. En tant que Française, c'est assez inimaginable car la St Valentin est une fête à connotation « commerciale ». Ce qualificatif pourrait aussi s'employer dans ce cas de figure, mais l'aspect culturel est plus important ici. La consommation de « gadgets » en tous genres touche tous les lieux de vie et ce, à la moindre occasion se présentant : les familles achètent des fidget spinner sortes de triskels qui tournent sur un axe, des ballons à l'hélium, beaucoup de bonbons aux formes originales, toutes sortes de petits jeux très bon marché. Dans le monde professionnel, régulièrement, les managers organisent un moment particulier avec un panier surprise. La directrice de l'école où j'exerçais nous préparait une table avec gâteaux, boissons chaque vendredi lors de notre réunion et organisait régulièrement un temps spécial (flash mob, déguisement, ice-cream soda...) avec un petit cadeau à la fin (pins, serviette de plage,...). Et enfin à l'école, l'enjeu de l'engagement scolaire ou comportemental des élèves est récompensé par des bonbons ou des gadgets divers. Les bals occasionnent donc aussi un certain nombre de frais. Les frais sont payés par celui qui invite : sont compris l'activité qui précède quelques jours avant le bal avec le repas ou la collation ; le restaurant le jour du bal ; les entrées au bal. Il faut compter entre 150 et 250 dollars pour un bal. II. Les principaux éléments du rite et « mineur » les bals où ce sont les filles 40 J'utilise ce terme que j'ai trouvé dans plusieurs revues ethnographiques et que je trouve juste dans ce cadre : pour exemple : Fournier, Laurent Sébastien. « Le jeu de « soule » en France aujourd'hui : un revivalisme sans patrimonialisation », Ethnologie française, vol. vol. 39, no. 3, 2009, pp. 471-481. 41 Le jour de la St Valentin, les parents organisent toute sorte d'ateliers : loto avec des bonbons en forme de coeurs, préparation de cookies en forme de coeur, décoration de sachets... chaque enfant arrive avec des friandises qu'il a apportées pour tous ceux de sa classe. Chaque enfant repart avec son sac de st Valentin. 35 On trouve trois éléments principaux qui forment le substrat du rite : la constitution des groupes, les vêtements choisis par le groupe (couleur et tenue vestimentaire), et les lieux choisis pour avant, le jour du bal et après celui-ci. A Le choix de « la Date » D'abord, l'adolescent va se mettre à la recherche d'une «Date ». Normalement, la traduction est « rendez-vous amoureux ». Mais comme nous allons le voir avec ce sujet d'étude, ce n'est pas juste « le rendez-vous ». En France, le rendez-vous correspond à un événement, un lieu : « mon rendez-vous ». Le Larousse 42 le définit comme : Rencontre prévue entre deux ou plusieurs personnes à une même heure dans un même lieu : Prendre rendez-vous chez le médecin. Lieu où l'on doit se rencontrer : Être le premier à un rendez-vous. Lieu qui sert de point de rencontre, de réunion habituelle : Ce café est le rendez-vous des artistes. Rencontre aménagée entre partenaires sociaux pour discuter des problèmes en suspens. La « date » représente en anglais autant le meeting que la personne comme le précise « The Cambridge dictionary »43 : « a social meeting planned before it happens, especially one between two people who have or might have a romantic relationship : He asked her out on a date. She has a hot date (= an exciting meeting) tonight. MAINLY US a person you have a romantic meeting with : Who's your date for the prom?» Je choisis de faire quelques commentaires à ce propos. D'abord, certains comme Alexandre Cormont, coach, explique ce qu'est le « dating » aux USA et sa surprise la première fois qu'il a rencontré « sa date »44. Nous sommes très loin de la notion de romantisme. L'aspect matériel, financier et les perspectives maritales sont très vite explorés. Les questions sur la vie et les pratiques de vie. Pourtant comme le souligne le coach, c'est aux USA que le regard miroir, les yeux dans les yeux ont été inventés en Amérique. Une anecdote maintenant : nous avions invité Kaye Murdock à diner. En 2016, Kaye était la responsable du programme DLI45 sur tout l'Utah. Lorsqu'elle a demandé à mon compagnon pourquoi il quittait son emploi et sa situation en France ; il lui a répondu « par amour ». Elle a souri et déclaré « c'est très français ». Bruyère, ma fille a expérimenté cette croyance du français romantique. Et surtout du baiser français. Elle me raconta que ses amis lui avaient expliqué qu'on embrassait qu'exceptionnellement avec la langue et que ce baiser s'appelait le « french kiss ». Les Utahns sont très friands de « romantic love ». Néanmoins, 42 https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/rendez-vous/68143 43 https://dictionary.cambridge.org/fr/dictionnaire/anglais/date 44 https://www.alexandrecormont.com/comment-seduire/dating/ 45 RAPPEL : DLI : Dual Language Immersion 36 les bals aux lycées montrent que, c'est plus la mise en scène qui est recherchée que l'histoire romantique. Pour le « first date », il s'agira souvent d'un ami(e) ou d'une connaissance d'un ami(e). Le choix du partenaire ne se fait pas forcément avec une intention de poursuivre la relation, ni même sur des critères esthétiques. C'est avant tout le côté amical qui prime. L'adolescent se sent certainement en sécurité en choisissant un ami, une amie pour cette « première fois ». L'exigence de la performance est atténuée dans l'expérience d'inviter, de partager, s'essayer aux éventuels écueils. D'autre part, s'il fallait faire face à un imprévu, l'ami est sécurisant, on peut compter sur lui. La « date » peut être quelqu'un du lycée, un camarade d'une des classes, un ami d'un ami, celui peut-être le fils ou la fille d'amis des parents aussi. C'est une recherche à la fois individuelle et collective : le jeune réfléchit individuellement et en discute avec son groupe d'ami(e)s proche. Souvent c'est une copine ou un copain qui propose quelqu'un. Cette communication est particulièrement importante chez les filles. Mes observations m'ont montré que le couple des bals est éphémère, il existe le temps de l'événement. C'est très rare lorsqu'il débouche sur une relation plus sérieuse. La plupart du temps, les « dates » de ma fille étaient des camarades de classes avec qui elle s'entendait bien. Une seule fois, elle a décidé par défi, d'inviter quelqu'un de « populaire » : Sam, joueur de football américain au lycée et qui fait aussi parti du SBO (les élèves qui organisent des manifestations). Autre point, nous avons souvent été surpris de voir des couples disharmonieux d'un point de vue esthétique : l'un des deux partenaires était particulièrement beau (critère subjectif et culturel) et l'autre ingrat. L'aspect esthétique semble moins important que la personnalité. Pourtant, la recherche du paraître est très importante notamment dans l'élaboration vestimentaire. La recherche ethnologique chez certains chercheurs (D'ERRICO & VANHAEREN, 2011 et MONJARET, 2005) tendent à montrer que l'aspect esthétique intervient comme outil pour signifier un changement de statut. C'est ce que je développe dans les parties suivantes. B Les groupes Souvent le groupe se dessine avant d'avoir trouvé la « date ». Parfois, l'adolescent devra changer de groupe et finalement aller avec son partenaire. Cela se fait par consensus. Les groupes changent à chaque bal. Souvent un ou plusieurs membres se retrouvent. C'est donc informel. Parfois, des amis ont la surprise de se retrouver dans le même groupe sans le savoir. Ils se découvrent lors de la première sortie. Les membres choisissent d'abord les vêtements : robe de soirée, costumes, jeans, chemise/pantalon... Et déterminent les lieux de sortie avant et après le bal. En général, le groupe ne doit pas être trop important, c'est le choix de beaucoup d'adolescents. Le 37 but étant la communication. Tout le monde doit pouvoir se parler au moins une fois dans la soirée. Cet aspect se rapproche des rallyes français qui sont organisés pour augmenter ses connaissances. Ce type d'organisations permet d'étendre son réseau social et de faire l'exercice de construire ses critères de sélection matrimoniale. C Les vêtements et accessoires Les bals majeurs occasionnent plus de frais vestimentaires. Lorsqu'il s'agit d'un bal mineur, en général l'adolescent puise dans sa garde-robe. Il peut aussi emprunter à un autre adolescent. Pour les bals majeurs, les garçons Mormons ont leur costume qu'ils utilisent tous les dimanches pour l'Église. Le costume des Mormons est un complet : veste et pantalon de couleur sombre ou gris, chemise blanche et cravate. Néanmoins les non-Mormons ont souvent aussi un costume de même type ou à cette occasion, ils en achètent un. Courtney Pirouznia, que j'ai interviewée me disait qu'Isaac, son fils n'avait pas de costume lors de son premier bal. Elle a mis presque 100 dollars et elle sait qu'elle devra lui en acheter un pour chaque bal. les Lowe (famille mormone) Isaac Pirouznia non-mormon Pour les bals majeurs, les filles sont en robe de soirée. Elles en changent à chaque fois. Les deux premières années, nous allions en acheter dans des magasins de solderie. Cette année, Bruyère a récupéré celle d'une amie qui est partie en mission. En général, elles portent des talons hauts jusqu'à la prise des photos puis elles prévoient une autre paire de chaussures pour la danse. Pour les bals mineurs, cela dépend du thème du groupe ou de la soirée. Cela peut-être déguisement et maquillage particuliers pour Halloween ; les années 70 ; le jeans ; une couleur.... Chaque partenaire pourvoit à son habit. 38 Thème : les années 70 et bal d'Halloween L'habit est mis en valeur. Il occupe de fonction de séduction à la fois du partenaire mais aussi du groupe dans lequel l'adolescent est. L'accessoire principal est la fleur. Pour les filles, il s'agit d'une fleur montée en bracelet et pour les garçons c'est une boutonnière. Les fleurs peuvent être réelles ou artificielles. Le jeune garçon et la jeune fille s'offrent mutuellement l'accessoire, le soir du bal. C'est souvent l'adolescente qui met la boutonnière à la veste du garçon. Les fleurs sont choisies en fonction de la couleur que le groupe aura décidé. Il faut compter entre 9 et 12 dollars (soit 8 à 10 euros). Pose de la boutonnière sur la veste La fleur toujours très chargée autour du poignet Le plus souvent la fleur est une rose mais pas toujours les lys, les magnolias s'utilisent. Le thème de la rose dans les contes traditionnels (la Belle au Bois Dormant) lié à celui de la jeune fille est fréquent. L'expression « qui s'y frotte, s'y pique » renvoie aux rosiers mais aussi à ce que les jeunes appellent aujourd'hui « le risque de se prendre un vent ». (MONJARET, 2005)46 46« Les plantes et les fleurs associées aux jeunes filles ne renvoient pas à n'importe quelles variétés, elles doivent, semble-t-il, piquer comme l'épingle. C'est sans doute cela qui a fait qualifier les menstrues de «tante Rose» et baptiser la princesse de La Belle au bois dormant, selon les versions, «Rose Épineuse», «Fleur-d'Épine» (Von Franz: 1979: 38, 39 Dans « L'émergence du corps paré », Marian Vanhaeren et Francesco d'Errico 47 étudient le support de l'accessoire. L'idée, concernant notre sujet d'étude, peut être de penser que la fleur se met autour du poignet; comme plus tard, l'alliance se mettra autour de l'annulaire. Le support révèle alors le statut de la jeune fille à ce moment là. On peut parler de « parure »48 (MONJARET, 2005) :« Ce changement d'état se concrétise encore dans d'autres usages, et en particulier par l'obtention de nouvelles pièces de vêtement: la coiffe en dentelle et le soulier (le chapeau et les chaussures vers le début du XXe siècle) (Verdier 1979). Les mères accompagnent leur fille en ville pour l'achat de parures d'hiver et d'été. » L'achat de la robe et des accessoires avec la mère. Comme mentionné plus haut, les filles portent des talons hauts qu'elles retireront plus tard pour danser. Cet accessoire ne semble pas avoir le statut qu'il peut avoir dans d'autres rituels tels que décrit dans « de l'épingle à l'aiguille » (MONJARET, 2005) Rappelons que les artefacts sont autant des marqueurs d'appartenance qu'ils servent à construire la personne : ici l'accessoire marque l'adolescent passant à l'âge nubile, et, en même temps, il signifie à l'adolescent lui-même qu'il est prêt à franchir une étape de sa vie49 (D'ERRICO 41) ou encore «Rose d'Épine», «Rose Dormante» (Saintyves 1987: 86). Madeleine Blondel note d'ailleurs que dans le mâconnais l'expression «epenessi sa foeye» ou «épinasser sa fille» désigne le fait «de l'entourer, au figuré, d'épines, objets piquants qui remplacent l'épingle, pour la protéger de prétendants trop nombreux car... «qui s'y frotte s'y pique»!» (1995). 47 « L'ethnographie nous apprend aussi que dans la confection de la parure, les sociétés traditionnelles utilisent une grande diversité de supports dépassant souvent celle utilisée dans les activités de subsistance (Paulme & Brosse 1956). Ces supports ne sont pas choisis au hasard : chacun implique un jugement de valeur et est chargé de connotations symboliques connues, au moins à un certain niveau, de tous les membres de la société. » 23 ; Civilisations, 59-2 | 2011, 59-86. 48 MONJARET, Anne, 2005 « De l'épingle à l'aiguille », L'Homme 173 |, mis en ligne le 01 janvier 2007, URL : http://journals.openedition.org.lama.univ-amu.fr/lhomme/25033 ; DOI : 10.4000/lhomme.25033 et (D'ERRICO & VANHAEREN, 2011) 49 « Selon les sociétés, les groupes sociaux sont déterminés par le sexe de l'individu (O'Hear 1998, Meisch 1998), par son âge (enfance, adolescence, maturité, vieillesse) et/ou par le franchissement, au cours de sa vie, de certaines étapes 40 & VANHAEREN, 2011) 50. Il est à noter que le statut de l'objet comme le font remarquer les auteurs peut être un prêt et restitué après le cérémonial, ou conservé par l'utilisateur. Ici la fleur est symbolique le temps du bal. L'adolescent la conserve quelques jours seulement. « L'ethnographie nous enseigne que la parure répond rarement à un seul ... impératif. » (D'ERRICO & VANHAEREN, 2011). On peut aussi conclure que le message véhiculé est moins vers le partenaire que vers la communauté et les autres potentiels de trouver un partenaire. Le vêtement de la jeune fille particulièrement serait sans doute une trace au même titre que le journal intime. Il est un élément biographique marquant un changement d'état visible. « Nous sommes là au coeur de la problématique passage / identité, puisque ces états successifs que sont les états de jeune fille, de fiancée, de mère, puis de grand-mère, à défaut d'être encore aussi marqués que jadis par des rituels de « prise d'âge » (Maisonneuve, 1988, p. 41). C'est « une trace, non pas géographique cette fois, mais scripturaire. Journal intime, correspondance amoureuse, « Journal de Bébé », « Album de grand-mère », etc. : dans leur diversité, ces façons d'écrire s'enracinent dans la perdurance de certains modèles identitaires féminins, en même temps qu'elles accompagnent des situations toute nouvelles. » (SOUDIèRE, 2000) D Les lieux Des « activités » (« activities » en anglais) sont organisées quelques jours avant le bal, et le soir après le bal. En général, celle qui précède le bal est une sortie autour de jeux : bowling, paint ball, laser game, ... Le but étant que les participants qui ne se sont jamais rencontrés puissent apprendre à se connaitre. En effet, chacun amène sa « date » qui n'a pas forcément été trouvée dans le lycée ou qui n'est pas forcément connue des autres. L'activité est précédée d'un repas (pizza, hamburger) ou d'une collation (glaces). E Le rôle des parents Il est d'abord financier. Chaque bal demande un investissement financier important surtout pour les filles. Il y a la robe ou le vêtement choisis, la fleur et les sorties. Mais là aussi tout est possible, et la plupart du temps, les adolescents s'organisent pour trouver des activités ou des vêtements sans dépenser de façon dispendieuse. La dépense principale en matière de vêtement sera biologiques (puberté, ménopause) et relationnelles (célibat, mariage, veuvage). Les adolescentes Turkana du Kenya ont longtemps porté des tabliers triangulaires, bordés de perles en oeuf d'autruche, qui deviennent de plus en plus longs quand l'âge de se marier approche (Dubin 1987). Les enfants de cette même population ne portent, traditionnellement, que de simples brins de perles. » D'ERRICO, F., & VANHAEREN, M., 2011, « L'émergence du corps paré ». Civilisations ( 59-2 ), pp. 56-89. 50 L'article cité est une étude archéologique sur la parure au paléolithique. Les auteurs se sont inspirés des travaux ethnologiques pour établir les fonctions de la parure dans le passé. 41 la robe de la jeune fille et les chaussures. Puis la fleur pour les filles et la boutonnière pour les garçons. Les autres dépenses sont les activités et l'entrée du bal. La plupart des adolescents ont déjà un petit emploi. C'est très valorisé même si les parents ont des revenus financiers corrects, voire importants. Ainsi le « teenager » assure lui-même les dépenses. Il arrive que les parents s'occupent entièrement de la soirée avant le bal, ainsi ils décorent la pièce et préparent le repas des adolescents. Bruyère m'a dit « on se serait cru au restaurant ». Au 10ème grade (seconde) dans notre cursus, les adolescents ne peuvent pas encore conduire seuls (voir le chapitre sur les adolescents dans l'Utah), les parents s'organisent pour véhiculer tout le monde aux différents lieux. Les années suivantes, les adolescents s'organisent entre eux. Les soirées se terminent souvent chez l'un des adolescents. Les parents ont alors prévu snacks et boissons. Location d'un bus pour transporter les « teenagers » et le repas et les préparatifs assurés par les parents III. Le déroulement A Les préliminaires 1. Phase 1 Un fois la « date »51 choisie, l'adolescent prépare son invitation. Elle se décline par un mot, une carte avec une ou plusieurs phrases le plus atypique possible. Souvent, les jeux de mots sont employés. L'adolescent se renseigne sur les goûts de l'autre, il essaye de prendre des éléments des instants où il a été avec lui/elle en classe (le type d'inscription sur son tee-shirt peut indiquer quel sport, quelle équipe il affectionne particulièrement...). Cette partie est accompagnée d'un présent qui peut être une boite de chocolat, des boissons, des ballons, des gâteaux... C'est la partie qui requiert créativité et originalité. 51 Je conserve le terme anglais 42 Invitation du garçon pour Prom et la réponse Il faut aussi obtenir l'adresse du futur invité et le numéro de téléphone. En général, d'autres adolescents se chargent par connaissances interposées de récupérer les coordonnées. Le partenaire apprend donc par personnes intermédiaires que quelqu'un souhaite l'invité. Cela ne signifie pas forcément qu'il sera invité. Il y a une certaine attente et l'apprentissage du lâcher-prise. J'utilise mon témoignage comme support dans cette partie. Le protocole est toujours le même. L'adolescent a passé un moment à préparer son invitation : colle et ciseaux à la main. Ensuite ma fille et moi, nous rendons à l'adresse du jeune homme. En général, les adolescents s'assurent par SMS ou autre, qu'au moment où ils porteront leur message, l'autre sera présent chez lui. D'abord, nous « repérons » l'endroit, nous faisons donc un tour du quartier. Puis je gare la voiture le plus près possible (en général au pied de la maison, imaginez la discrétion avec une voiture 4*4 de 8 places) mais prête à repartir le plus vite possible. Ma fille souffle un grand coup, ouvre la porte qu'elle laisse ouverte et court jusqu'à la porte d'entrée. Elle dépose l'invitation sur le perron, et sonne. Elle repart en courant, claque la porte (bruyamment), évidemment, j'ai laissé le moteur tourner, et nous repartons immédiatement. Ma fille, le regard rivé sur la porte d'entrée pour voir si c'est bien le garçon en question qui récupèrera l'invitation. Il arrivera qu'elle verra qui a récupéré le paquet mais pas toujours. Cette année, elle fait cette même procédure mais avec ses amies, et elles restent cachées dans la voiture. Je le dis avec humour car c'est un moment de jeu, d'excitation, de complicité et de rires. L'invitation postée. C'est un temps d'attente qui commence. Plusieurs demandes peuvent avoir été données. Souvent, le premier qui a invité sera retenu même si le protagoniste aurait voulu aller avec quelqu'un d'autre. Il y a un respect du courage entrepris. L'autre aspect peut être économique : le coût du bal peut occasionner un refus même si, les bals où l'adolescent est invité occasionnent moins de frais pour lui. Ensuite, la même procédure s'applique pour la réponse : un présent élaboré par le jeune avec un mot de réponse et un cadeau qui l'accompagne, tout cela déposé à l'entrée du lieu d'habitation. Cette phase a lieu deux semaines environ avant la date.
Les adolescents s'organisent alors pour la soirée en elle-même : qui vient chercher qui ? Où se retrouve-t-on ? Quel restaurant ? Qui ramènera qui ? Quand fait-on les photos et où ? Et pour les filles : qui maquillera qui ? Qui coiffe ? Où se prépare-t-on ?... L'entretien des cheveux et les coiffures sont très importants. Les femmes mettent beaucoup en valeur leurs cheveux et elles sont souvent très maquillées. Les tutoriels de coiffures sont très nombreux. Et quotidiennement, les jeunes filles se font une coiffure qui peut être très compliquée pour se rendre au lycée. Cet apprentissage commence très tôt. Dans ma classe de CP, j'étais tous les jours impressionnée par la complexité des coiffures de mes élèves. Toutes les filles étaient coiffées impeccablement. Le budget dépensé est assez important. Ainsi la coiffure est l'élément le plus important après la robe. Le maquillage est comme l'apanage du plumage chez certaines espèces d'oiseaux, pour séduire le partenaire. B Le jour J Le garçon quelque soit le bal passe prendre la jeune fille. Au fur et à mesure des bals, Bruyère perfectionnait son entrée afin que sa « date » la découvre. A chaque fois, c'est un moment d'émotions : le jeune homme adopte des attitudes « de gentleman » ce qui lui occasionne un stress visible, on peut parler d'émoi, et parallèlement, il découvre la jeune fille qui en général est rayonnante, ce qui lui apporte une immense fierté. A ce moment, il n'y a pas de gestes de contact avec l'autre : ni embrassade, ni accolade (ce que les Américains adorent). C'est plutôt une certaine timidité, une réserve qui est de mise. Les deux protagonistes s'offrent ensuite leur fleur. La jeune fille, souvent aidée de la mère met la boutonnière au garçon. 1. Les photos : Le choix du lieu est important : cela peut-être un parc, le Capitol de Salt Lake City, près 44 d'une rivière ou d'un lac. Les photos sont prises avant le restaurant, en début de soirée. Il y a toujours une photo du groupe des filles, une du groupe des garçons, une pour chaque couple, une du groupe entier ensemble, une humoristique ou avec des positions particulières. C'est souvent un parent ou un adulte plus âgé (une tante, un oncle) qui prend les photos. Source : Album personnel : photos des différents bals On peut se rapprocher de l'analyse d'Anne Monjaret en parlant des veillées « Les veillées dont le cycle s'amorce vers la fin de l'automne en sont d'autres, non seulement parce qu'il s'y raconte des histoires et des contes, mais aussi parce que les femmes s'y retrouvent pour filer la quenouille et qu'il s'y déroule des rituels de courtoisie qui incitent les jeunes gens à faire l'apprentissage des relations amoureuses sous l'oeil attentif de la collectivité (Belmont 1978b; Monjaret 1997: 26-28). Ainsi, la fileuse laissera tomber son fuseau pour que son galant le ramasse et le lui rende en échange d'un baiser » (MONJARET, 2005). Ce n'est plus le temps des contes qui occupent la soirée mais la danse et surtout ce qui précède et s'en suit. Et ce n'est pas le fuseau qui amènera peut-être le baiser mais le slow. Le bal en lui-même dure en général entre deux et trois heures. Il commence vers 21h et finit à 23h. Les occasions de danser à deux sont rares. Une à deux séries de slow est proposée. De même peut-on constater, que si l'adulte responsable : parent ou institutionnel comme le lycée ne sont pas omniprésents, ils chaperonnent toujours. Dishion et MacMahon (cité par CLAES, 2003 ) développent la notion de « supervision parentale » : « ce qui 45 renvoie à la quantité et à la justesse de l'information que les parents détiennent sur ce qui se passe dans la vie quotidienne des adolescents, particulièrement en dehors de la sphère familiale, à l'école ou avec les amis ». Après le bal, la soirée se poursuit en général chez un des protagonistes du groupe de référence. Là, les adolescents se retrouvent pour jouer à des jeux de société en général, quelques fois pour regarder un film. Une collation : type glace, pancakes, avec soda est offert par la famille qui accueille. Puis les conducteurs (parents ou jeunes selon les circonstances et l'âge) ramènent chacun. L'après-bal se vit comme un dernier moment entre soi. L'adolescent expérimente un dernier temps ce monde idéal où tout le monde est beau et tout le monde est gentil. (CHERBLANC, 2011, 69). C L'après bal Ainsi, j'ai pu observer que très peu de couples restent ensemble et se forment vraiment. Il s'agit avant tout d'une expérimentation des protocoles amoureux..... On peut penser aussi que le projet de partir en mission un an ou deux après, empêchent les adolescents de vraiment s'engager. Il y a des missionnaires qui ont une relation amoureuse avant de partir. Certains resteront ensemble malgré cette période (rappelons-le : les communications sont réglementées, une à deux fois pendant la mission et les familles sont privilégiées. Une petite amie ou un petit ami n'a pas de statut légal). Néanmoins la plupart se sépareront. Est-ce par peur de cette épreuve de la fidélité ? Y-a-t-il la question de la sexualité : oser l'interdit avant de partir en mission ? Ce qu'a pu me rapporter Bruyère sur les relations des adolescents Mormons entre eux me permet d'émettre l'hypothèse que la sexualité est l'objet principal des questionnements. Si les Utahns et particulièrement les Mormons se marient jeunes (voir l'annexe), ils le font juste après leur mission. En deux ans, trois des missionnaires se sont mariées dans l'année qui a suivi. Et dans les familles mormones que nous fréquentions, nous avons souvent été surpris de constater que les jeunes que nous avions rencontrés au sortir de leur mission, se retrouvaient quelques mois plus tard mariés et avec un enfant qui allait naitre alors que souvent ils n'avaient pas de relation suivie connue auparavant. |
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