Les conséquences du principe que de responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounaispar Ivan De Nguimbous Tjat Limbang Université de Yaoundé II - Soa - Master en droit privé 2018 |
§-1 La riposte des autorités de poursuites contre les causes d'irresponsabilité non conventionnelles par les moyens touchant la personne morale188. Les causes d'irresponsabilité conventionnelles sont celles qui ne sont pas liées aux causes d'irresponsabilité objectives et subjectives classiques. Il s'agira pour les autorités de poursuites de préparer une riposte contre les personnes morales délinquantes n'ayant pas de personnalité morale, ou ayant perdu leur personnalité morale avant, pendant ou après la mise en mouvement de l'action publique. En attendant que le législateur prenne ses responsabilités pour mettre fin aux failles du principe général de responsabilité pénale des personnes morales qu'il semble avoir omises, il semble quedes moyens certes limités peuvent être mis en oeuvre pour trouver une solution à l'irresponsabilité des personnes morales liées à la question de la disparition de la personnalité juridique. Ces solutions peuvent être jurisprudentielles (B), mais elles peuvent en amont venir du ministère publique (A). A- Les solutions pouvant être utilisées par le ministère public 189. Lorsqu'on adopte un regard tourné vers le droit pénal spécial, l'on se rend compte que certaines infractions contenues dans le code pénal, et même hors code dépendent de la réalisation ou de la tentative de réalisation première infraction. Il s'agit ainsi des infractions de conséquences et de la complicité. De ce fait, plusieurs infractions de conséquences peuvent être caractérisées chez l'entreprise qui a absorbé ou repris les actifs d'une personne morale délinquante (1), dans d'autres cas, elle peut même être poursuivie en tant que complice (2). 1- La poursuite de la personne morale absorbante ou détenant des actifs d'une société délinquante par le biais des infractions de conséquences 190. Les infractions de conséquences sont celles qui nécessitent l'existence d'une infraction préalable dite principale. Il est très souvent question pour que l'infraction de conséquence soit caractérisée, que l'agent dispose soit du produit d'une première infraction, soit du délinquant ayant commis une infraction. Les deux archétypes sont le recel et le blanchiment de capitaux. Pour mettre en oeuvre la responsabilité pénale de la personne morale absorbante ou détenant des actifs d'une autre société incriminée, le ministère public doit d'abord caractériser une infraction préalable chez la personne morale absorbée. 191. De ce fait, la personne morale absorbante pourrait être poursuivie pour recel de malfaiteur446(*), si elle a en connaissance de cause acceptée l'opération de fusion, ou accepté de recevoir le patrimoine d'une société par le biais de la scission dans l'optique de soustraire celle-ci à toute responsabilité pénale447(*). Pour caractériser le recel de malfaiteur, nul besoin que la personne morale absorbée ne soit déjà condamnée ou bien que l'action publique ait déjà été mise en mouvement. Selon les termes de l'article 100 du code pénal camerounais, il suffit de soustraire le malfaiteur aux recherches. Appliquée à la personne morale, le fait qu'une plainte ait déjà été déposée ou que l'infraction d'origine soit punissable448(*) peuvent permettre la qualification de recel. La responsabilité pénale de la société absorbante peut également être engagée pour recel de chose dans la mesure où les opérations de fusion entrainant transmission à titre universel du patrimoine, la société absorbante ayant eu connaissance l'origine infractionnelle des biens constituant le patrimoine de la société qu'elle a absorbée se rend coupable de recel. La responsabilité de la société absorbante peut également être engagée pour blanchiment de capitaux si celle-ci réinvestit dans des activités légales des capitaux acquis de façon illégale par la société absorbée449(*).Les qualifications de recel et de blanchiment de capitaux peuvent également être retenue contre les personnes morales organisent leur propre dissolution et qui rouvrent sous un autre nom avec une nouvelle personnalité juridique, mais fonctionnent avec le même patrimoine et les mêmes membres qu'avant la fermeture. Dans le même sens, la personne morale nouvellement admise comme telle, peut se voir poursuivie pour recel lorsqu'elle reprend certains engagements pris pendant la période de formation450(*). La personne morale absorbante peut également être poursuivie pour complicité. 2- La poursuite de la personne morale absorbante ou détenant des actifs d'une société délinquante en tant que complice 192. Le complice « est celui qui provoque, de quelque manière que ce soit, la commission de l'infraction ou donne des instructions pour la commettre ; celui qui aide ou facilite la préparation ou la consommation de l'infraction »451(*). La personne morale peut avoir facilité la consommation de l'infraction par la personne morale absorbée si celle-ci par ses organes ou représentant a aidé le passage à l'acte par une promesse de fusion, par la fourniture de moyen ou de structure sociétaire pour l'aider à dissimuler une démarche délictueuse.452(*) Pour être appliqué le magistrat doit se rassurer que l'aide apportée soit bien antérieure à la commission ou concomitante de l'infraction, ce qui distingue le recel de la complicité. La jurisprudence a également un rôle à jouer dans cette dynamique. B- Les solutions pouvant être dégagées par le juge 193. L'apport de la jurisprudence dans la systématisation de la responsabilité pénale des personnes morales n'est plus à démontrer, Elle y a même souvent joué un rôle moteur.453(*) Dans les systèmes étrangers, il se développe une théorie jurisprudentielle de fraude à la loi pénale dans le cas des opérations de restauration. Cette théorie mérite qu'on y accorde une importance particulière (1) même si elle est difficilement applicable (2). 1- Le développement prétorien de la théorie de la fraude à la loi pénale 194. La fraude à la loi est déjà appliquée dans d'autres branches du droit454(*), et très souvent sanctionnée soit par la nullité soit d'inopposabilité. En droit international privée elle s'entend de la manipulation d'un facteur de rattachement pour évincer une loi qui avait normalement vocation à s'appliquer455(*). Transposée en droit pénal, et dans le contexte de notre analyse, la fraude à la loi pénale peut se matérialiser lorsque la personne morale adopte un comportement qui a vocation à mettre en échec les poursuites qui pourraient être engagées contre elle456(*). Le mécanisme renvoi donc à l'instrumentalisation d'une opération de restructuration pour dans le but d'éluder les poursuites. En France, le ministère public avait requis la nullité de l'opération de restructuration dans une affaire dans laquelle une société avait été dissoute sans liquidation au profit d'une autre à peine cinq jours après son renvoi devant le juge pénal. Le tribunal de commerce de Versailles avait donné suite favorable par un jugement daté du 18 mars 2015. Mais la Cour d'Appel infirma le jugement457(*). Cette théorie semble néanmoins difficile à admettre en droit pénal. 2- Une théorie difficilement admissible 195. Plusieurs auteurs ont déjà démontré que la loi pénale étant d'interprétation stricte, celui « qui ne fait pas exactement ce que la loi pénale interdit ne commet pas d'infraction, ne viole aucune règle obligatoire »458(*). Ainsi la frontière entre la fraude et l'habilité doit nécessairement être tracée459(*). Une telle institution aura du mal à s'imposer si tant est qu'elle s'impose un jour. Le seul moyen de l'admettre tient de la pénalisation même de la restructuration frauduleuse, ce qui s'avère être plus compliqué car il faudra pour le législateur en définir les contours460(*). Même si les contours d'une telle infraction sont définis, comment les autorités de poursuitevont-ilsapporter les preuves concrètes qu'une telle infraction aurait été commise par une société qui dès lors n'existe plus ? Pour pallier le vide du droit pénal camerounais, les organes ne la procédure pénale peuvent également user de mécanismes contournement liés à la structure du groupement afin de juguler l'impunité. * 446 Art 100 et art 194 CP camerounais. * 447 Cette solution est également envisagée par la doctrine française, V. BOULANGER (A.), Restructurations sociétaires et responsabilité pénale. Nouvelle édition [en ligne]. Op.cit 497 et s. * 448 BOULANGER (A.), ibid. Gallois (A.), « La responsabilité pénale de la société absorbante en cas de fusion-absorption », Dr. sociétés 2010, ét. 7, spéc. n° 20. * 449V. le règlement communautaire CEMAC?n°01/031 du 4 avril 2003 portant prévention et répression du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme en Afrique centrale. * 450 V. KOLB (P.) LETURMY (L.), Cours de droit pénal général, Issy-les-Moulineaux, Lextenso, 5e éd. 2020. p. 225 « Par principe, la personne morale en cours de formation ne répond pas pénalement des engagements passés en son nom. Toutefois, au moment de la « reprise » de ces engagements, elle pourrait très bien être poursuivie par exemple pour recel (la reprise portant sur des biens volés) ou un peu plus largement pour des infractions se réalisant pleinement après la reprise (remise de la chose, résultat d'une escroquerie) voire pour des infractions continues (puisqu'elles se renouvellent d'instant en instant). ». * 451 Art. 97 CP camerounais. * 452 BOULANGER (A.), op.cit. pp. 497 et s. * 453 En dans le système anglais, ce sont les juges qui ont posé les jalons de l'abandon de ce qui était à l'époque le principe de l'irresponsabilité pénale des personnes morales d'abord pour les infractions d'omission puis ensuite pour ceux de commission. Ensuite seulement le législateur est intervenu. * 454 Il s'agit surtout du droit civil, du droit fiscal, et du droit international privé. * 455KENFACK (P-E.), cours polycopié de de droit international privé, dispensé en Master I, année académique 2017-2018. * 456 Pour plus de précision sur la possible fraude à la loi pénale voir BOULANGER (A.), Restructurations sociétaires et responsabilité pénale. op.cit. pp. 497 et s. * 457 V. ibid. * 458Vidal (J.), Essai d'une théorie générale de la fraude en droit français : « le principe frausomniacorrumpit », (préf. G. Marty), Dalloz, 1957, p. 103 et s. * 459 LE NABASQUE (H.), « La règle de la personnalité des poursuites et des peines ne permet pas, sauf fraude, d'appliquer des sanctions aux sociétés qui sont issues d'une scission lorsque les manquements constatés sont ceux de la société scindée », note sous CA Paris, 14 mai 1997, SNC Compagnie générale d'immobilier George V et autres c/ Agent judiciaire du Trésor, op.cit. * 460 V. BOULANGER (A.), ibidem. L'auteur a essayer de ressortir un régime applicable à la fraude à la loi. |
|