La protection du droit de manifester dans l'espace publicpar Charles ODIKO LOKANGAKA Université de Kinshasa - Doctorat 2020 |
§3. Responsabilité disciplinaire et politiqueEn ce qui concerne la responsabilité administrative, elle venait d'être développée au paragraphe précédent. On va relever ici que les agents de l'administration, titulaires du pouvoir public, doivent insérer leur action dans un cadre légal précis sous peine de répondre disciplinairement devant la hiérarchie civile ou militaire. Les abus de plus en plus nombreux entraînent souvent la responsabilité au plus haut sommet, débouchant par des interpellations et même par la déchéance de certaines autorités suprêmes. 1. La responsabilité disciplinaire résultant des manifestations publiquesLa police nationale tient par la constitution et la loi la charge d'assurer la sécurité des personnes et de leurs biens, sous la direction de l'autorité civile. Aux termes de l'article 182 de la constitution du 18 février 2006, « la Police nationale est chargée de la sécurité publique, de la sécurité des personnes et de leurs biens, du maintien et du rétablissement de l'ordre public ainsi que de la protection rapprochée des hautes autorités ». L'article 2 de la loi organique n° 11/013 du 11 août 2011 portant organisation et fonctionnement de la Police Nationale Congolaise reproduit les mêmes termes à quelque différence près. La même loi organique inscrit la police dans la logique de l'État de droit en l'astreignant au respect de la constitution, des droits humains et libertés fondamentales de l'individu ainsi que des lois et règlements de la République628(*). Tout en imposant le respect de la dignité humaine par la police629(*), elle lui fait de même obligation de vérifier systématiquement la légalité des opérations qu'elle se propose de mener630(*). L'usage de la force est de même réglementé, mais en des termes de nature à favoriser un imbroglio ou un flou favorable à des violations intenses631(*). Cette situation a été décriée par Mfuamba Lobo et ne devrait pas laisser indifférent le juriste publiciste. En face de ce décor législatif perfectible certes toute pratique policière qui se distance du cadre légal est constitutif de faute disciplinaire conformément aux articles 168 et suivants de la loi n° 13/013 du 1er juin 2013 portant statut du personnel de carrière de la police nationale. La procédure est enclenchée par le chef hiérarchique direct du policier mis en cause, sans préjudice des dispositions pertinentes des articles 202 et suivants de la loi organique n° 13/013 du 1er juin 2013. 2. La responsabilité politiqueLes titulaires du pouvoir public peuvent toujours être appelés à répondre de leur gestion des manifestations publiques. Cette responsabilité peut revêtir une forme légale organisée par le droit positif, comme elle peut être inédite lorsque le titulaire du pouvoir souverain décide de prendre en mains son destin et en recourant notamment à la contestation. Les assemblées délibérantes jouent un rôle déterminant dans la sanction des atteintes aux droits fondamentaux. La fonction de contrôle leur permet d'étendre leur compétence d'information, mais aussi le champ de la responsabilité des organes exécutifs, au respect des droits fondamentaux. La fonction de représentation, quant à elle, crée un lien direct entre les assemblées et les victimes des violations de leurs droits, en lui donnant une compétence dans la résolution extrajudiciaire des litiges632(*). Espagne633(*) existe le droit d'interpellation, défini comme des « questions adressées au gouvernement sur des matières de caractère général ou d'une importance politique particulière provoquant généralement l'ouverture d'un débat se terminant, éventuellement, par la votation d'une motion par laquelle la Chambre fixe sa position relative au sujet débattu »634(*). Le mécanisme existe également en France mais, dans la mesure où il est indissociable de la procédure de la motion de censure en vertu de l'article 156 du Règlement de l'Assemblée nationale, il n'est pratiquement jamais utilisé635(*). Il se distingue des questions au regard du caractère plus large des problématiques abordées. Portant sur des matières de politique générale ou de politique sectorielle, l'interpellation permet de mettre en cause un dysfonctionnement des services placés sous l'autorité du gouvernement. Le droit de créer des commissions d'enquête est également commun à la France et à l'Espagne636(*). Les commissions d'enquête peuvent être définies comme des « organes parlementaires collégiaux et temporaires [...] chargés de vérifier et analyser une question d'intérêt général en vue d'exiger la responsabilité politique ou d'aider à l'épuration d'une éventuelle responsabilité juridique »637(*). En droit congolais, la responsabilité politique est organisée à tous les trois niveaux de l'organisation administrative du pays : à l'échelon national, les articles 138, 146 et 147 de la Constitution du 18 février 2006 réglementent le contrôle parlementaire et la responsabilité politique du gouvernement central. Aux termes de ces dispositions, « sans préjudice des autres dispositions de la présente Constitution, les moyens d'information et de contrôle de l'Assemblée nationale ou du Sénat, sur le Gouvernement, les entreprises publiques, les établissements et services publics sont : la question orale ou écrite avec ou sans débat non suivi de vote, la question d'actualité, l'interpellation, la commission d'enquête, l'audition par les Commissions. Ces moyens de contrôle s'exercent dans les conditions déterminées par le Règlement intérieur de chacune des Chambres et donnent lieu, le cas échéant, à la motion de défiance ou de censure, conformément aux articles 146 et 147 de la présente Constitution. (...) Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager devant l'Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme, sur une déclaration de politique générale ou sur le vote d'un texte. L'Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement ou d'un membre du Gouvernement par le vote d'une motion de censure ou de défiance. La motion de censure contre le Gouvernement n'est recevable que si elle est signée par un quart des membres de l'Assemblée nationale. La motion de défiance contre un membre du Gouvernement n'est recevable que si elle est signée par un dixième des membres de l'Assemblée nationale. Le débat et le vote ne peuvent avoir lieu que quarante-huit heures après le dépôt de la motion. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure ou de défiance qui ne peut être adoptée qu'à la majorité absolue des membres composant l'Assemblée nationale. Si la motion de censure ou de défiance est rejetée, ses signataires ne peuvent en proposer une nouvelle au cours de la même session. Le programme, la déclaration de politique générale ou le texte visé à l'alinéa 1er est considéré comme adopté sauf si une motion de censure est votée dans les conditions prévues aux alinéas 2 et 3 du présent article. Le Premier Ministre a la faculté de demander au Sénat l'approbation d'une déclaration de politique générale. Lorsque l'Assemblée nationale adopte une motion de censure, le Gouvernement est réputé démissionnaire. Dans ce cas, le Premier ministre remet la démission du Gouvernement au Président de la République dans les vingt-quatre heures. Lorsqu'une motion de défiance contre un membre du Gouvernement est adoptée, celui-ci est réputé démissionnaire ». A l'échelle provinciale, c'est la loi n° 08/012 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces qui consacre pareillement tous les moyens d'information et de contrôle prévus au niveau national et susceptibles d'être appliqués dans les rapports entre les assemblées provinciales et les gouvernements provinciaux. Au niveau local enfin, la loi n° 08/016 du 7 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec l'État et les provinces, institue pour chaque entité territoriale décentralisée deux organes : un organe délibérant et un organe exécutif. Elle établit les mêmes mécanismes de contrôle de l'exécutif pouvant déboucher par les mêmes effets, c'est-à-dire les motions de censure et de défiance. Dans la mesure où le maintien de l'ordre public dans sa juridiction relève de l'organe exécutif local, c'est ce dernier qui est fondé à recevoir les déclarations de manifestations et, partant, de procéder à d'éventuelles interdictions, sans compter que la gestion desdites manifestations lui incombe. En 2008, après que la police ait mené au mois de mars une attaque préventive en prévisions des manifestations de la secte politico-religieuse Bundu dia Kongo (BDK), le ministre de l'intérieur de l'époque, le général à la retraite Denis Kalume Numbi fut convoqué à l'assemblée nationale. Ce ministre est passé à côté d'une motion de défiance dont il a été sauvé de justesse par la Majorité parlementaire dont il relevait. Il faut noter que cette interpellation a été favorisée par le poids de l'opposition politique notamment l'opposition institutionnelle et le fracas causé par les évènements du Bas-Congo. Cette illustration est manifestement moindre et les élus devraient redynamiser le contrôle de l'action gouvernementale au-delà des clivages politiques pour jouer pleinement son rôle dans la consolidation de l'État de droit et dans la promotion du constitutionnalisme en RDC. L'autre dimension de la responsabilité politique qui mérite d'être explorée, c'est la responsabilité devant le peuple souverain. Non organisée en ce sens qu'il n'existe pas de dispositions juridiques qui précisent sa portée réelle, cette responsabilité n'est pas moins évidente. Si d'autres types de responsabilité trouvent leur fondement dans les instruments juridiques divers, la responsabilité politique peut être considéré comme une responsabilité aléatoire et incertaine. En droit congolais elle trouve l'un de ses fondements dans les dispositions de l'article 64 de la Constitution. Le premier alinéa de cet article est ainsi libellé : « Tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d'individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l'exerce en violation des dispositions de la présente Constitution ». Le contenu de cette disposition suscite la curiosité scientifique et des questions que nous avons choisi d'escamoter dans la cadre de la présente étude. Il sied seulement de relever que le peuple peut procéder par des manifestations publiques pour réclamer la fin d'un régime. Si la République Démocratique du Congo n'a pas de recette en termes de responsabilité politique devant le peuple, on peut en trouver autant dans les exemples égyptiens, tunisiens, sud-soudanais et burkinabés. Parmi les griefs retenus en charge des anciens dirigeants notamment de ces trois pays, nous pouvons citer la violence contre les manifestants ou autres comportements constitutifs d'entrave au droit de manifester pacifiquement. Dans le cas burkinabé notamment, la revendication originaire des manifestants portait sur le projet de révision de l'article 37 de la Constitution du Burkina Faso qui était en débat au parlement tendant à faciliter une nouvelle candidature de Blaise Compaoré. C'est la violence de la répression qui a excité l'ire des manifestants ; ceux-ci exigeront le départ immédiat du président Compaoré, ce qui débouchera sur la révolution du 30 octobre 2014. .
L'État est un système juridique global et complet. Phénomène juridique à part entière, il se veut être un ensemble normatif cohérent au sommet duquel trône la Constitution. La constitution a vocation d'être la créatrice de l'ordre juridique, la norme-mère de laquelle toutes les autres normes tirent leur validité. C'est pourquoi il lui a valu, l'appellation de la norme fondamentale. La consécration d'un droit dans la constitution lui confère la plus haute sécurité juridique et le met à l'abri des atteintes ordinaires de niveau inférieur, pourvu que la hiérarchie des normes, gage de leur effectivité (Section 1), soit respectée. C'est au nom de cette hiérarchie que le législateur congolais est tenu de déférer à l'obligation constitutionnelle de mettre en oeuvre la liberté de manifestation (Section 2) en conformité, non seulement avec les principes constitutionnels de l'article 26, mais aussi avec le dispositif conventionnel en vigueur en République Démocratique du Congo (Section 3). * 628 Article 4, alinéa 2 de la loi SESSANGA, Op. cit.. * 629Article 7Article de la loi SESSANGA, Op. cit. * 630Article 10, Idem. * 631En effet, l'article 8 de la loi organique sous examen prévoit que la Police Nationale peut recourir à la force en cas de nécessité absolue et uniquement pour atteindre un objectif légitime. Il revient ainsi aux agents de la police d'apprécier la nécessité et la légitimité de l'objectif à atteindre par l'emploi de la force, notamment des armes à feu. Nous trouvons dangereux et même imprudent de laisser ce pouvoir d'appréciation à la police dans un Etat où la culture démocratique peine à connaître un ancrage réel. * 632 LÖHRER (D.), Op. cit.p. 114. * 633 Art. 111 de la Constitution espagnole, Op. cit. * 634 ALONSO de ANTONIO (J.-A.) et. ALONSO de ANTONIO (Á.-L), Introducción al derecho parlamentario, Madrid, Dykinson, 2002, p. 206. * 635 Sur ce point, v. AVRIL (P.) et GICQUEL (J.), Droit parlementaire, Montchrestien, Domat droit public, Paris, 4ème éd., 2010, p. 286. * 636 En France, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, ce droit est expressément consacré par l'article 51-2 de la Constitution. En Espagne, il est prévu par l'article 76-1 de la Constitution. * 637 ALONSO de ANTONIO (J.-A.) et. ALONSO d'ANTONIO (Á.-L), Op. cit, p. 208. |
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