C.
Facteur de la fragilité de la liberté de manifestation
Le décret-loi sous examen s'illustre par son
ambiguïté. Son article 4 consacre deux régimes d'exercice du
droit de manifester : les manifestations sont soumises à une
déclaration préalable auprès des autorités
administratives compétentes. Toutefois, les manifestations
organisées sur le domaine public peuvent être subordonnées
à une autorisation préalable.
La lecture de cette disposition soulève des questions
juridiques non sans importance : quelle est la portée du concept
« domaine public » employé par le
législateur ? Le décret-loi offre une possibilité
à l'autorité politico-administrative de soumettre une
manifestation au régime de l'autorisation. Il importe de s'interroger
sur la limite à franchir pour passer du régime de la
déclaration à celui de l'autorisation. La loi reste peu
parcimonieuse à ce sujet, et l'absence de tout critère
déterminant, laissant ainsi un très large pouvoir
discrétionnaire à l'administration, ce qui est périlleux
pour les droits et libertés des citoyens.
Néanmoins, une interprétation de cette
disposition est possible pour juguler toute équivocité. Le
caractère public d'une manifestation découle de trois
éléments dont deux ont trait au lieu de sa tenue : sont
considérées comme publiques les manifestations organisées
sur la voie publique ou dans les lieux publics ouverts, non
clôturés ou celles auxquelles le public est admis ou
invité.
Il en découle que, par rapport au lieu de son
organisation, la manifestation peut se tenir dans le domaine public ou
privé de l'État, et même dans les domaines des
privés. Il en est par exemple d'une manifestation sédentaire
tenue dans une concession privée, à laquelle le public est
invité. C'est une manifestation publique par l'assistance du public,
mais, se tenant sur un domaine privé, ne saurait être soumis au
régime de l'autorisation.
L'emploi du concept « domaine public »
doit être précisé ici. Le domaine public de l'État
doit être entendu comme l'ensemble de toutes les terres affectées
à un usage ou à un service public. Ce bloc comprend deux
catégories des terres : celles dont l'accès est
subordonné à l'obtention d'un titre par les pouvoirs publics et
celles dont l'accès est libres.Les voies publiques font partie du
domaine public, et, étant la chasse gardée des manifestations
publiques, sont directement visées par cette disposition.
L'autre aspect qui mérite une attention
particulière, c'est celui relatif aux modalités d'exercice de la
déclaration. Le dépôt la déclaration n'est pas
suffisant pour la tenue d'une manifestation, encore faudrait-il que
l'autorité administrative en prenne acte. Cette exigence légale
ne peut être minimisée. En effet, l'autorité administrative
saisie dispose de trois jours pour prendre acte. Dépassé ce
délai, il est supposé avoir pris acte de la déclaration.
En conséquence, lorsque l'autorité politico-administrative
reçoit la déclaration, les organisateurs sont tenus en
état. Cette période de trois jours servira cependant à
l'autorité administrative pour s'enquérir sur tous les
impératifs ponctuels de l'ordre public et prendre toutes les mesures
nécessaires à l'encadrement des manifestants.
Il est à noter cependant que ce décret laisse
non réglées plusieurs situations que suscite l'exercice de la
liberté de manifestation, lesquelles situations seront analysées
dans la suite. En outre le caractère hybride du régime laisse
l'idée du floue conduisant les autorités politico-administratives
à recourir au régime d'autorisation, que nous qualifions a juste
titre de régime d'exception ; qu'au régime de
déclaration préalable qui est un régime initialement
consacré. Ce choix qui s'apparente au régime autoritaire. Car il
empêche la jouissance d'une liberté parmi les plus essentielles.
Nous pouvons bien conclure avec Patrick Waschsmann pour qu'il ne soit pas de
démocratie authentique, c'est-à-dire de démocratie
pluraliste, si certaines libertés essentielles ne sont pas garanties.
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