La protection du droit de manifester dans l'espace publicpar Charles ODIKO LOKANGAKA Université de Kinshasa - Doctorat 2020 |
1. L'intolérance politique et socialeLe petit comité de parlementaires belges qui prépara l'annexion du Congo jeta les bases d'un « régime colonial modèle » qui devait être au-dessus de tout soupçon. Il élabora un système hiérarchique et paternaliste contrôlé par Bruxelles pour gérer la colonie de manière efficace et économiquement autonome, se débarrassant chaque fois que possible des tâches non administratives (enseignement, travaux d'infrastructure, médecine). Ce système fut aussi autoritaire : malgré la Charte coloniale, qui fit office de constitution du Congo belge, le travail obligatoire ne fut effectivement pourchassé qu'à partir des années 1930. Les libertés de presse, de réunion, d'association ne furent, elles, effectives qu'à partir de 1959. Dans les années 1950, les idéaux de modernisation matérielle renforcèrent la conviction que le Congo était une « colonie modèle ». Sans mauvaise conscience, les sections consacrées au Congo par l'Exposition universelle et internationale de 1958 communiquent un message rayonnant d'optimisme matériel287(*). Un peu plus avant, au cours des années 1900, l'État Indépendant du Congo a été accusé d'avoir toléré, sinon organisé, la mise en place d'un vaste « système » de brutalités et d'actes de barbarie, mutilations, actes de cannibalisme, représailles massives, etc. A. L'intolérance politiqueLe temps qui précède l'indépendance est une période de forte agitation politique justifiée par la grandeur de l'enjeu : l'indépendance du Congo belge. En prélude de cette période, plusieurs manifestations ont eu lieu. Celles-ci visaient l'élimination de toute forme de discrimination. Du point de vue juridique, la réglementation est fonction de l'appartenance au clan des colons ou à celui des autochtones. La période coloniale fut totalement négatrice de ce droit fondamental. Mais il faut souligner qu'au cours de cinq derniers mois qui précédaient le 30 juin date de l'indépendance plusieurs mutations sont intervenues pour éradiquer toute forme de violence et ainsi bannir l'intolérance. Tous les signes distinctifs sont obligés de disparaître. En raison de la notion de l'ordre public colonial, elle n'avait ni permis ni facilité la jouissance de la liberté de manifestation aux autochtones congolais. Cette période fut caractérisée par des fortes tensions. On a enregistré plusieurs manifestations. Certaines se sont muées en rebellions, d'autres en mutineries ainsi que en révoltes. Toutes ces formes de contestations traduisent la détermination des congolais de mettre fin au système colonial et son cortège d'actes autoritaires. Alors que la Constitution belge de 1831 disposait en son article 14 que la liberté de culte, celle de leur exercice public ainsi que la liberté de manifester288(*) ses opinions en toute matière étaient reconnues. Ce texte était appliqué au Congo belge au moyen la loi sur le gouvernement du Congo belge du 18 octobre 1908 dite « Charte coloniale » ainsi que par des lois particulières. Comme il découle des précédentes analyses, une discrimination était faite dans la jouissance de certains droits, dont celui de manifestation, à l'égard les indigènes et les belges vivants dans la colonie. Pour remonter aux origines, lorsque Henry Morton Stanley a établi l'autorité du roi en 1879 sur le pays, qui devint en 1885 l'État indépendant du Congo, propriété privée du roi de Belgique Léopold II, il a essayé d'introduire, à l'instar de tous les colonisateurs, les cadres politiques et administratifs qui lui étaient familiers en Europe, quoique sous une forme minimaliste et détournée de ses objectifs initiaux. Les structures administratives et étatiques furent imposées à une population qui disposait déjà, selon les régions, la langue et l'expérience historique, d'une grande variété d'organisations politiques. Parmi cette population, certains se considéraient comme descendants du royaume de Kongo, avec une organisation politique de forme hiérarchique et des schémas d'échanges commerciaux avec des terres lointaines ; d'autres étaient des paysans et des commerçants qui exerçaient leurs activités à une échelle plus réduite, locale ou régionale ; il y avait également les marchands d'esclaves au long cours, et enfin les sociétés acéphales vivant de la chasse et de la cueillette et ayant peu de contacts avec le monde extérieur289(*). Quelle que soit l'organisation de leur société, les sources de la légitimité de leurs dirigeants ou leurs pratiques et leurs conduites politiques, tous ces groupes se retrouvèrent soumis à la volonté de Léopold II et, après 1908, à l'idée belge consistant à imposer des structures étatiques modernes aux populations indigènes afin de créer la civilisation ou le développement. Les dirigeants de certains groupes se sont finalement vu garantir le statut d'autorité autochtone alors que d'autres n'ont pas obtenu ce statut. Tous étaient soumis la loi belge exercée par les autorités belges290(*). * 287 VELLUT (J.-L.), La mémoire du Congo. Le temps colonial, Op. cit., p. 11. * 288Lire à ce sujet l'article 14 de la Constitution belge de 1831. * 289 HESSELBEIN (G.), Essor et déclin de l'État congolais. Un récit analytique de la construction de l'État, London, Crisis States Research Centre, 2007, p. 19. * 290 Idem. |
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