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Comment adapter la gestion et la stratégie d'un club professionnel aux nouvelles exigences du football européen ?


par Guillaume Romeyer
Kedge Business School - Master 2019
  

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1.2. Les conséquences économiques de la financiarisation

1.2.1. De nouvelles sources de revenus pour les clubs : le passage de la structure SSSL au modèle MCMMG

La pénétration de ces nouveaux acteurs au sein de la sphère footballistique entraine avec elle une complexification du secteur, laquelle va profondément modifier les comportements des dirigeants. Ces transformations tendent à attirer de nouvelles parties prenantes qui vont alors chercher la maximisation de leurs intérêts et des profits. Les stratégies propres au monde de l'entreprise vont peu à peu se transposer aux clubs de football, en qui les investisseurs voient une nouvelle opportunité de développement de leurs activités. Ainsi, les clubs vont suivre des politiques managériales plus proches d'entreprises capitalistes multinationales plutôt que celles de clubs sportifs. L'accroissement des revenus et l'enrichissement du club deviennent primordiaux, parfois au dépend du sportif. Même si certains aspects propres à la gestion d'un club de football ne peuvent être remis en cause, il est indéniable de constater les répercussions de ce changement de paradigme.

Par conséquent, une des premières conséquences qui découle de ces changements structurels se trouve dans l'évolution du modèle économique des clubs. Ces derniers sont passés d'un modèle « spectateurs, subventions, sponsors, local » (SSSL) à un modèle « Media-Corporations-Merchandising-Markets-Global » (MCMMG)25. Dans le premier modèle, qui a perduré jusqu'aux débuts des années 1990 en France, les revenus des clubs provenaient majoritairement des recettes de billetterie (spectateurs), qui étaient complétées par toute sorte de subventions26 et par l'apparition des premiers sponsors. Enfin, toutes ces ressources étaient locales. Aujourd'hui, les revenus du football professionnel en France ont beaucoup évolué et se sont très largement globalisés. La structure SSSL ne permettait plus aux clubs de faire face à l'inflation salariale constatée alors27. Les nouveaux propriétaires des clubs ont donc cherché de nouveaux débouchés financiers, plus lucratifs que les postes de revenus historiques du modèle SSSL. Au courant des années 1990, les clubs des plus grands championnats européens ont progressivement modifié leurs sources de financement pour rendre plus efficient leur business

25 Concepts popularisés par Wladimir ANDREFF

26 Subventions publiques + donateurs privés + cotisations des membres

27 Les charges salariales représentaient 84% des dépenses des clubs français en 1982/83 (ANDREFF W. et STAUDOHAR P., 2000 & BASTIEN J. Le football professionnel européen dans un système capitaliste financiarisé en crise : une approche régulationniste des facteurs de changement institutionnel, Thèse, 2017)

31

model. La dépendance liée aux recettes au guichet (billetterie) a laissé place à la dépendance aux droits TV, que nous tâcherons de décrire ci-après.

Répartition des sources de revenus

 

1970/71

2016/2017

Billeterie

81%

11,1%

Subventions

18%

0,0%

Sponsors

1%

20,9%

Droits TV

0%

50,2%

Merchandising et autres

0%

17,8%

Sources : Auteur, d'après Andreff W., Zoudji B., La mondialisation économique du football, 2005 + DNCG, saison 2016-2017

Désormais, les droits TV constituent le principal poste de revenus des clubs, c'est-à-dire que le produit dérivé de l'activité d'un club (la télévision qui retransmet le produit principal, à savoir l'organisation d'un match) a supplanté le produit principal (la billetterie). L'évolution de la structure de financement des clubs marque le risque d'une télé-dépendance des clubs, qui indexent leurs charges et leurs dépenses sur cette variable, fragilisant ainsi leur pérennité. Par exemple, les revenus des clubs anglais de Premier League proviennent pour 61% des droits TV (3,221 milliards d'euros lors de la saison 2017/1728). En Ligue 1, la part de ces derniers est de plus de 50%, en attendant l'entrée en jeu du nouveau contrat lors de la saison 2020/2021 qui augmentera mécaniquement la part des recettes octroyées à ces droits. L'annexe n°6 tiré du rapport annuel de Deloitte permet de comparer l'importance des droits TV au sein des cinq grands championnats.

Les clubs n'ont jamais été aussi riches et les groupes audiovisuels n'y sont pas étrangers. Comme il en a été mention précédemment, le montant des droits de retransmission des matches n'a jamais été aussi élevé. Ce qui est perçu comme une aubaine par certains, est vu au contraire comme une limite sectorielle par d'autres : les clubs sont devenus très (trop ?) dépendants des recettes liées à ces droits TV. L'intérêt des chaines de télévision s'est accru à mesure du renforcement des équipes européennes. Disposant dès lors de moyens considérables grâce notamment à ces groupes de médias, les clubs ont pu investir plus massivement pour améliorer qualitativement et quantitativement leurs effectifs, alimentant ainsi une surenchère pour les

28 UEFA, Club Licensing Benchmarking Report: Financial Year 2017

32

meilleurs talents internationaux. L'arrêt Bosman en 199529 a contribué à renforcer ce phénomène, entrainant une plus grande mobilité pour les joueurs et la possibilité pour les clubs de recruter des joueurs européens sans limitation et sans restriction juridique. Les meilleures équipes des principales ligues ont dont pu se renforcer en ayant la possibilité de composer des effectifs plus importants (l'offre de joueurs est devenue beaucoup plus importante). Ces équipes sont alors devenues plus compétitives, ce qui a eu pour effet mécanique une hausse du nombre de diffuseurs intéressés et donc de l'intensité concurrentielle, provoquant une revalorisation de ces droits. Les mauvais résultats d'un club peuvent avoir des conséquences catastrophiques sur les revenus, et particulièrement sur les revenus télévisuels : une relégation de Ligue 1 en Ligue 2 entraine en moyenne une chute de 50% des revenus liés à ces droits30.

Ce phénomène est entretenu par le système de ligues ouvertes qui prévaut en Europe31 alors qu'un système de ligue fermée privilégierait la sécurisation des revenus des clubs. La précédente dépendance des clubs aux revenus issus de la billetterie s'est reportée à ceux issus des droits audiovisuels, symptôme d'une industrie qui présente des imperfections et encore tributaire de variables qu'elle ne maitrise pas. Justement, malgré la hausse des tarifs, de la capacité des stades et donc de leur fréquentation, la part des revenus de billetterie n'a eu de cesse de décroitre. Les clubs mettent donc en place des stratégies pour attirer et fidéliser les spectateurs : outils de CRM, marketing et communication, package de matches, animations extra-sportives32... Ainsi, d'autres catégories socio-professionnelles (CSP) sont ciblées : les supporters historiques ne sont plus forcément le coeur de cible des nouvelles stratégies. Il y a une volonté de diversification de la population fréquentant le stade (femmes, CSP +, enfants). Il faut alors que les clubs soient vigilants à ne pas se tromper de stratégie : développer l'attachement reste le facteur le plus important33. Les spectateurs ne sont pas que de simples consommateurs, l'identité du club reste une donnée primordiale pour développer l'attractivité autour du stade. Bien sûr, les politiques d'amélioration du confort dans les stades ou la mise en place d'infrastructures de plus grande qualité ne peuvent pas à elles seules fidéliser les supporters, il faut accompagner ces transformations en développant l'attachement et l'identité du club, tout ceci en intégrant les supporters à cette identité.

29 « Depuis cet arrêt, il est n'est plus possible de limiter le nombre de joueurs étrangers ressortissants de l'Union européenne dans un club », https://fr.wikipedia.org/wiki/Arr%C3%AAtBosman

30 Étude CSA, Sport et télévision - Contributions croisées, 2017

31 Thème abordé dans la section 1.1.1.3. Vers la création d'une ligue fermée ?

32 Thème abordé dans l'étude de cas sur l`OL

33 https://www.ecofoot.fr/taux-remplissage-football-francais-1895/, consulté le 5 février 2019

33

L'influence des nouveaux propriétaires des clubs de football a été détaillée dans la section précédente. Il est simplement utile de rappeler leur importance dans les transformations entamées dans le système de gouvernance et de gestion des clubs, sans parler des fonds apportés.

L'arrivée de nouveaux acteurs à la tête des clubs et les répercussions de la financiarisation du secteur du football ont permis aux clubs de développer des activités commerciales sans précédent. Aujourd'hui, les clubs déploient de véritables stratégies commerciales et des départements entiers sont dédiés à ces opérations qui deviennent des sources de revenus importantes. Grâce à leur image de marque, les clubs développent de nouveaux concepts commerciaux. Le merchandising est ainsi devenu une ressource clé pour certains clubs. Les grands clubs européens sont de véritables marques internationales qui sont connues dans le monde entier. Par exemple, le Real Madrid, le FC Barcelone et Manchester United - les trois clubs les plus riches en 2018 - tirent chacun 47% de leurs revenus de leurs activités commerciales (respectivement 356 M€, 322 M€ et 316 M€)34, là où le PSG engrange 58% (313,3 M€) de ses revenus des activités commerciales. Au-delà des produits dérivés qui constituent un poste important de ses revenus commerciaux, l'internationalisation des clubs en tant que marque influe très positivement leurs revenus. Toutefois, il demeure difficile d'estimer les données chiffrées des recettes de merchandising car elles sont souvent confondues avec les revenus de sponsoring. Ainsi, dans la plupart des cas, les revenus de sponsoring restent supérieurs aux revenus issus de produits dérivés.

On note une très forte croissance de ce poste de revenus depuis quelques années, phénomène qui s'est renforcé depuis cinq ans, comme en témoigne le graphique ci-dessous qui prend en compte les revenus commerciaux des cinq clubs les plus riches du monde (Real Madrid, FC Barcelone, Manchester United, Bayern Munich, Manchester City). Ces revenus ont crû de plus de 46% en l'espace de quatre ans.

34 Les montants sont tirés de l'étude Deloitte Football Money League 2019

Revenus commerciaux 2014-2018 des 5 clubs les
plus riches (m€)

1610

1800

1505 1495

1600

1261

1400

1101

1200

1000

800

600

400

200

0

2014 2015 2016 2017 2018

34

Source : Auteur, d'après Deloitte Football Money League 2019

Avec la globalisation et l'internationalisation des marques, de plus en plus d'opportunités s'offrent aux clubs qui s'ouvrent à une audience planétaire. Alors qu'autrefois leur clientèle était essentiellement locale, voire nationale pour certains, le développement de la popularité des clubs à travers le monde influe sur leurs stratégies commerciales et marketing, qui ne se fondent plus seulement sur le bassin régional. Les innovations stratégiques liées à ces stratégies prennent plusieurs formes et les clubs se transforment en industrie du divertissement, comme l'attestent les propos du nouveau directeur exécutif des Girondins de Bordeaux, Frédéric Longuépée « Je suis convaincu qu'un club de football ne fait pas partie de l'industrie du sport mais de celle du divertissement »35. De nombreux moyens sont utilisés par les clubs pour développer leurs revenus commerciaux, comme nous le verrons avec le cas de l'Olympique Lyonnais. Il est donc intéressant de relever que les revenus de ces équipes sont de plus en plus tirés par des facteurs extérieurs à leur activité initiale. Comme stipulé dans la section 1.1.2.2. Les investisseurs privés, les sponsors sont toujours une source de revenus conséquente dans le financement des clubs (20,9% des revenus des clubs de Ligue 1 en 201736). L'intensité concurrentielle accrue des équipementiers sportifs renforce le montant des contrats signés avec les clubs. En effet, alors que les indéboulonnables Nike et Adidas restent leaders sur le marché, de nouveaux arrivants (Under Armour, New Balance) ou des marques historiques (Le Coq Sportif) sont venus redynamiser un secteur toujours plus lucratif. Les trois équipementiers historiques (Nike, Adidas et Puma) ont changé de stratégie afin de concentrer majoritairement leurs investissements sur des grosses écuries européennes, provoquant un

35 https://www.ecofoot.fr/girondins-bordeaux-modele-autosuffisant-4487/, consulté le 5 février 2019

36 DNCG, saison 2016-2017

35

éclatement des équipementiers des clubs plus modestes. Ainsi, parmi les 20 clubs de Ligue 1, on dénombre 12 équipementiers différents (Nike ne sponsorise plus que le PSG, Monaco et Montpellier tandis que Adidas ne sponsorise plus que l'Olympique Lyonnais et Strasbourg). A l'échelle européenne, une étude de PR Marketing valorise les contrats équipementiers des 98 équipes des cinq grands championnats européens à 861 millions d'euros pour la saison 2018/2019. Des records de montant sont régulièrement battus, avec un club comme Manchester United qui a signé un partenariat sur 10 ans avec Adidas à compter de 2015 pour un montant de 946 millions d'euros. On peut également citer l'exemple du FC Barcelone qui a renouvelé son partenariat avec Nike, lui assurant un paiement fixe de 60 millions d'euros par saison plus une part variable sous forme de royalties en fonction du nombre de maillots vendus (estimé à 45 millions d'euros annuels)37.

Lorsque Andreff évoque les marchés, il fait référence à deux nouveaux marchés qui se sont ouverts aux clubs. Tout d'abord, l'évolution juridique des clubs leur a donné l'opportunité de se financer sur les marchés financiers. Toutefois, cette ouverture au marché du capital n'a pas répondu aux attentes encourageantes. Alors que plus de 40 clubs étaient côtés sur les marchés au début des années 2000, seulement 21 sont encore présents sur les marchés européens. La stratégie des dirigeants introduisant leur club en bourse est souvent motivée par la volonté de financement d'un projet, comme ce fût le cas pour l'Olympique Lyonnais qui a pu construire son stade en levant 100 millions d'euros sur le marché boursier. Néanmoins, comme le révèle l'annexe n°7, les résultats s'avèrent décevants, avec une dévaluation du titre de plus de 88% depuis son introduction en bourse en 2007.

Un autre marché s'est développé en parallèle depuis la professionnalisation du monde du football : celui du marché des joueurs. L'évolution législative du travail en Europe a eu d'énormes répercussions financières et sportives. L'arrêt Bosman, en 1995, a permis la libre circulation des joueurs au sein de l`Union Européenne, sans restriction du nombre de joueurs étrangers (issus de pays membres de l'UE) par équipe. Dès lors, la fréquence et le montant des transferts ont explosé, phénomène qui a connu une forte accélération au tournant des années 2010. Les clubs les plus puissants et issus des ligues les plus riches ont alors pris un ascendant

37 https://www.sportbuzzbusiness.fr/analyse-contrat-sponsoring-record-entre-fc-barcelone-nike.html, consulté le 5 février 2019

36

sans précédent sur le marché des transferts, et il est devenu difficile voire impossible de lutter pour des clubs plus modestes.

Il y alors plusieurs stratégies qui ont découlé de ce nouveau marché. Des clubs se sont mis à spéculer sur des joueurs en ne les considérant que comme des actifs. L'objectif recherché ici est de réaliser des plus-values sur des joueurs à fort potentiel, achetés dans l'optique de les développer footballistiquement et de les revendre plus tard à un prix plus élevé, ou alors de développer des structures de formation efficientes pour pouvoir vendre des joueurs qui n'auront quasiment rien coûté au club. Ainsi, des ligues sont devenues spécialisées dans la vente de joueurs ; pour les clubs n'ayant pas les moyens de rivaliser financièrement avec le gratin européen, la vente des joueurs devient une composante fondamentale pour leur équilibre financier. Certains championnats sont donc dépendants de ces activités de transferts et se sont spécialisés dans la revente de joueurs qui s'apparentent désormais à de véritables actifs financiers. Les clubs français sont plutôt doués sur ces points, comme en témoigne la surreprésentation de clubs dans les meilleurs bilans financiers (balance des transferts) des ligues du top 5 constatée dans l'annexe n°8.

Il y a donc une dichotomie qui s'est créée entre certaines ligues qualifiées d'importatrices de talents (Premier League, Liga, Bundesliga, Serie A, Süper Lig Turque, la Première Ligue Russe notamment) et d'autres dites exportatrices de talents (Eredevise aux Pays-Bas, Liga NOS au Portugal, ou encore Jupiler League en Belgique ...). Hormis le PSG, la Ligue 1 se situe plutôt dans la seconde catégorie ; les clubs français disposent de centres de formation de qualité et bon nombre d'entre eux privilégient l'achat de joueurs sous-évalués qu'ils vont chercher à revendre pour des montants plus élevés par la suite. Le manque de revenus et la difficulté pour les clubs de Ligue 1 à rivaliser avec les autres puissances financières du top 5 les forcent à redoubler de créativité afin de cerner les joueurs répondant le mieux à ces caractéristiques.

Transferts Ligue 1 hors PSG (en millions d'euros)

2014/15

2016/17

2013/14

2015/16

200

124,5

74

129

Ventes de la la Ligue 1 à l'étranger

Achats de la Ligue 1 à l'étranger

198,5 368,1

17,5 138

-55

75,5

Balance des trasnferts

181 172

Source : calculs de l'auteur, d'après Transfermarkt + DNCG, saison 2016-2017

37

Enfin, le football est passé d'un modèle local à un modèle global : il représente l'industrie la plus vaste et la plus mondialisée du marché des spectacles sportifs. La mondialisation du football existe par le prisme de plusieurs vecteurs. Comme il en a été question précédemment, le marché des joueurs s'est ouvert à l'international et la composition des effectifs des clubs européens n'a plus grand chose à voir avec leur pays d'affiliation38. Globalisation également quand on se réfère aux droits TV internationaux : le marché audiovisuel est mondialisé car les ligues nationales vendent leurs droits de retransmission à l'étranger. Pour finir, les équipementiers sportifs et les sponsors qui financent les clubs sont mondiaux : des multinationales de tous les continents sponsorisent le football européen. L'oligopole mondial des équipementiers sportifs est au coeur de la mondialisation à travers deux intermédiaires : les ventes des maillots et des articles de sport des clubs de football s'internationalisent de plus en plus et la main d'oeuvre nécessaire pour la fabrication de ces articles est internationale. En somme, le football ne représente qu'un miroir grossissant du monde qui nous entoure et de notre économie. Il n'est donc pas étonnant d'observer les dérives d'un système qui n'est assujetti qu'a très peu de limite et de régulation. Les conséquences économiques de la financiarisation sur l'industrie footballistique ont donc des incidences sur d'autres aspects de son environnement sectoriel.

1.1.1. Le modèle européen arrive-t-il à ses limites ?

1.1.1.1. Des revenus toujours plus élevés mais toujours plus inégaux

Dans sa globalité, le monde du football européen ne s'est jamais aussi bien porté financièrement. Pourtant, une des caractéristiques fondamentales propre au plus populaire des sports s'effrite. La « glorieuse incertitude du sport » chère aux supporters se fait de plus en plus rare et les plus gros clubs squattent quasi systématiquement les plus belles places en championnat et en LDC. Les déséquilibres financiers entre les tops clubs européens qui engrangent des profits démentiels et les clubs plus modestes qui accumulent les déficits n'ont jamais été aussi importants. La corrélation entre les revenus des clubs et leur résultat s'avère très importante. Et lorsque l'on sait que les douze clubs les plus importants captent un tiers des recettes totales du football39, il ne fait guère d'illusions sur le sort des compétitions. L'UEFA a

38 En 2005, l'équipe d'Arsenal a présenté une équipe uniquement composée de joueurs étrangers (incluant les remplaçants) : six Français, trois Espagnols, deux Néerlandais, un Allemand, un Brésilien un Camerounais, un Ivoirien, et un Suisse.

39 https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Football-leaks-quand-l-uefa-s-inquiete-des-inegalites-croissantes-dans-le-football-de-clubs/957181, consulté le 19 févr. 19

38

beau s'être félicitée de l'assainissement de la gestion du football européen depuis l'instauration du fair-play financier (FPF), le creusement des inégalités économiques l'inquiète, comme en attestent les divulgations faites par Mediapart lors de l'éclatement des Football Leaks40. Ces révélations font état d'un cartel des plus gros clubs soumettant littéralement l'UEFA. Cette dernière s'inquiète du manque d'intérêt que pourraient susciter des compétitions toujours plus inégalitaires, où l'incertitude n'aurait plus sa place. Le risque serait de voir les spectateurs se détourner de ces compétitions. Comme le souligne Andreff, l'intérêt des supporters est d'autant plus fort que l'issue des matches est « incertaine et imprédictible ». Le système de ligue ouverte présent en Europe incite les propriétaires à investir massivement dans le sportif car le spectre de la relégation est présent au contraire d'une ligue fermée. Les clubs régulièrement en Coupe d'Europe profitent de gains considérables par rapport à leurs concurrents au sein de leurs ligues. La relation de réciprocité entre performance sportive et revenus associés alimente un cercle vertueux ou vicieux, selon l'angle de vue. Le graphique du cabinet A. Kearney présent en annexe n°9 ci-dessous reflète bien ce phénomène s'autoalimentant.

Ce que le président de l'UEFA - Aleksander Èeferin - appelle la « magie du football » n'a jamais été aussi menacée. En dépit des appels de l'instance européenne pour « aider le football à créer des mesures pour rendre le jeu plus juste et mieux réglementé et ainsi améliorer son éthique et sa solidarité »41, les clubs des meilleures ligues européennes affirment toujours plus leur supériorité. La dernière réforme en date concernant la reine des compétitions européennes, la LDC, garantit la moitié des places (quatre tickets pour chacun des pays) aux clubs des quatre grands championnats (Espagne, Angleterre, Italie, Allemagne). Ce n'est pas la première réforme allant dans le sens des clubs des grandes ligues depuis que l'obsolète Coupe d'Europe des Clubs Champions est devenue la LDC en 1992. L'objectif à peine dissimulé derrière toutes ces évolutions est de réduire l'aléa sportif pour les clubs au bénéfice de la logique économique42. Karl-Heinz Rummenigge, alors président du conseil exécutif du Bayern Munich se plaignait en 2016 que son club soit « dépendant du sort ». Cette déclaration lourde de sens témoigne de la volonté des super-clubs de sécuriser les investissements et de former un groupe de super clubs qui ne doit pas être remis en cause par l'hégémonie de nouveaux arrivants.

40 https://www.mediapart.fr/journal/international/081118/l-uefa-discreditee-le-football-en-peril, consulté le 19 févr. 19

41Aleksander Èeferin devant le 13e Congrès extraordinaire de l'UEFA, Genève 2017

42 http://latta.blog.lemonde.fr/2016/09/20/ligue-des-champions-luefa-privatise-son-carre-vip/, consulté le 19 févr. 19

39

Pour comprendre la résultante de ces inégalités, il est indispensable de se pencher sur le rôle joué par le cartel des super clubs, qui usent de leur influence et de leur poids pour peser sur les réformes prises par l'UEFA. Ces derniers savent au combien ils sont importants pour l'UEFA, qui tire la majorité de ses revenus grâce à leur présence au sein des compétitions. Ainsi, il est intéressant de constater l'évolution des fonctions de chacun et la prise de pouvoir progressive des grands clubs au détriment de l'instance autrefois dirigée par Michel Platini. Pour exercer cette pression, ces derniers n'ont pas hésité à menacer l'UEFA de la création d'une superleague, c'est-à-dire une ligue fermée concurrente des compétitions que l'UEFA organise, et ce dès 1998. Les gros clubs sont de moins en moins enclins à distribuer et en viennent parfois à contester les mécanismes de solidarité mis en place pour tenter d'endiguer ce phénomène inégalitaire. Au contraire, les trois principaux clubs du championnat hollandais (Eredevise), à savoir l'Ajax Amsterdam, le PSV Heindoven et le Feyenoord Rotterdam ont fait une proposition officielle pour pallier le manque de compétitivité que peut entrainer une redistribution trop inégalitaire des revenus issus des compétitions européennes. Ainsi, ils proposent de reverser une partie de ces revenus aux autres clubs de la ligue pour les rendre plus compétitifs et rendre le championnat plus attractif. C'est bien là que va se jouer le futur du football européen : comment parvenir à rééquilibrer les revenus des clubs les plus riches et ceux des plus modestes. Il y a donc un réel risque systémique concernant la pérennité et l'avenir des compétitions telles que nous les connaissons aujourd'hui. De tels écarts de ressources ne peuvent conduire qu'à une réforme profonde du système, auquel cas l'intérêt des compétitions se retrouvera réduit au néant. Le constat d'un rapport de corrélation élevé entre les revenus d'un club et son classement final n'est pas nouveau et est illustré par ce graphique issu d'une étude du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA) présent en annexe n°10.

Ce phénomène se traduit déjà dans les faits à l'échelle européenne, avec la LDC qui cristallise ce creusement des inégalités, lesquelles s'étendent sur deux niveaux. Le premier est l'accès pour un nouveau club à la phase de poules de la LDC. D'une année sur l'autre, 80% des clubs sont les mêmes, il y a une forte corrélation entre les revenus tirés de la LDC et son impact sur le classement final au sein de la ligue. Le second volet de déséquilibre se situe au niveau des performances sportives au sein de la compétition. Depuis 1993, toutes les réformes de la LDC avaient pour effet d'amoindrir le poids des clubs des ligues mineures. Et cela se ressent sur les résultats dans ces compétitions : en dépit d'un nombre de clubs croissant dans la compétition depuis cette date, les quatre principales ligues (Espagne, Angleterre, Italie, Allemagne) se sont partagées 23 des 26 victoires finales. Plus marquant encore, sur les dix dernières saisons, 39

40

équipes demi-finalistes sur 40 étaient issues de ces quatre ligues. A titre de comparaison, lors des dix éditions de 1985 à 1996, 24 des 40 demi-finalistes provenaient d'autres championnats43. Ce constat est le même pour la présence en quarts de finales des clubs :

COUPE DES CLUBS CHAMPIONS (1970-92)

LIGUE DES CHAMPIONS (1993/2015

Présence en quarts de finale

Nombre de championnats Nombre de clubs

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90

18

25

51

78

Source : Auteur, d'après Les Cahiers du Football

Cette compétition est désormais une compétition quasi fermée, où les mêmes grands clubs des mêmes grandes ligues monopolisent les meilleurs résultats. La présence dans le dernier carré des mêmes clubs est une constante depuis quelques années. Cette domination est illustrée par les clubs espagnols, qui ont remporté neuf des dix titres européens depuis 2014, avec en tête le Real Madrid qui vient de remporter les trois dernières éditions de la LDC. Ce n'est pas une surprise de constater que le club madrilène est le club le plus riche au monde, illustrant une fois de plus la corrélation entre les ressources d'un club et ses performances sur le terrain. En définitive, le règne de l'argent dans le beautiful game serait-il en train de dénaturer les attraits qui ont contribué à le rendre si populaire ou permet-il aux clubs de se renforcer et d'offrir de meilleures conditions aux joueurs et aux managers pour un meilleur rendement ? Toujours est-il que le creusement des inégalités a entrainé une intensification des transactions (achats et ventes de joueurs) et une surenchère des salaires des joueurs, permettant aux plus grands clubs de pouvoir constituer des sureffectifs, et ne laissant que les miettes aux clubs plus modestes.

43 http://latta.blog.lemonde.fr/2016/09/20/ligue-des-champions-luefa-privatise-son-carre-vip/, consulté le 19 févr. 19

41

1.1.1.2. Une inflation salariale et un accroissement de la mobilité des joueurs

La financiarisation du football a contraint les clubs à repenser leur façon de procéder sur la question des transferts. On parle de transfert lorsque le club acheteur acquière les années de contrat restantes au joueur du club vendeur : ce premier doit alors verser des indemnités de mutation à ce dernier. Plusieurs facteurs viennent expliquer ces évolutions. Le cadre de notre étude commence au lendemain de l'arrêt Bosman en 1995. Cette décision de justice acte « l'obligation faite à un club de verser une indemnité libératoire au club quitté par un joueur en fin de contrat, ainsi que le principe de quotas de joueurs étrangers jouant dans chaque club, tous deux considérés comme non conformes au principe de libre circulation des travailleurs »44. Les conséquences de cette résolution rendue par la Cour de justice des Communautés Européennes couplées à l'accroissement des inégalités entre clubs ont contribué à redessiner le marché des transferts européens. L'arrêt Bosman agira donc en faveur de l'intensification de l'internationalisation des transactions de joueurs en Europe. Désormais, les joueurs sont devenus plus mobiles et leur pouvoir de négociation s'est retrouvé démultiplié.

Les grands clubs européens ont dès lors eu la possibilité de confectionner des effectifs en empilant des stars européennes, s'appuyant sur la course à l'armement engendrée par ces évolutions juridiques. Les meilleurs joueurs étaient donc plus demandés qu'auparavant, ce qui a eu pour effet une surenchère de leur salaire.

Les clubs n'avaient pas forcément les ressources nécessaires pour répondre à cette dérive inflationniste. De ce fait, les clubs ont fait évoluer leur besoin de financement pour répondre à cette tendance. Par la suite, les salaires ont suivi la tendance haussière des ressources du secteur du football. En Europe, les revenus des clubs ont été démultiplié par 504% (408% en France) en l'espace de vingt ans. Les salaires, dans le même temps, ont connu une hausse de 607% (471% en France) comme le révèle le tableau créé par Jérémie Bastien et présent en annexe n°11.

Les salaires ont augmenté plus rapidement que les recettes des clubs ; derrière ce constat se cachent des inégalités profondes. En effet, les salaires des joueurs les plus talentueux ont augmenté bien plus rapidement que les autres. Au même titre que les inégalités de rémunération qu'il est possible d'observer dans l'économie réelle, les rétributions financières des plus riches

44 Jean-François Brocard - Marché des transferts et agents sportifs : le dessous des cartes, Géoéconomie 2010 n°54

42

captent une part de plus en plus importante des revenus totaux distribués. Ainsi, la part des 10% des footballeurs les mieux payés a crû de huit points de pourcentage en sept ans45 (passant de 40,5 % à 48 %). Un des meilleurs exemples de ce phénomène se trouve dans l'évolution des dépenses salariales du FC Barcelone. L'été 2017 s'est avéré charnière pour le club blaugrana, avec de nombreux joueurs importants proches de leur fin de contrat. Dès lors, pour éviter de perdre ces joueurs gratuitement, il y a eu une vague de renouvellement de contrat pour ces cadres, accompagnée de l'arrivée de nouvelles recrues phares (le Brésilien Coutinho est arrivé en provenance de Liverpool pour un montant avoisinant les 160 millions d'euros, et le champion du monde français Ousmane Dembélé venu de Dortmund pour 130 millions d'euros). Ces nouveaux contrats ont contraint le club à allouer des sommes colossales aux salaires des joueurs. Près de 81% des revenus du club sont désormais octroyés aux rémunérations des joueurs et du staff contre 62% lors de la saison précédente (voir annexe n°12).

Cette gestion, qui peut paraitre disproportionnée voire calamiteuse, doit prendre en compte la dimension de l'importance de superstars au sein d'une équipe. Pour comprendre cette importance, il convient de compter sur l'effet superstar théorisé par Sherwin Rosen. Il tente d'expliquer « Pourquoi un nombre réduit de personnes domine-t-il un champ économique en gagnant énormément d'argent ? ». Selon les conclusions de l'économiste, des petites différences dans un domaine très concurrentiel amènent de grandes différences de revenus. On peut également parler de rémunération marginale : comme dans tous les secteurs, les meilleurs éléments permettent de capter de la valeur pour l'employeur (le club en l'occurrence), qui le rémunérera en conséquence. Pour un club, une qualification en LDC peut être tellement rémunératrice qu'il sera plus rentable in fine d'investir sur un avant-centre plus cher pour augmenter ses chances de se qualifier. Les superstars représentent un facteur rare pour les clubs dans la mesure où ces derniers sont en excès de demande pour ces profils. C'est ce qui explique le salaire mirobolant de Lionel Messi qui percevrait plus de 100 millions d'euros par an de la part du club catalan46. Il n'est pas étonnant que ce type de joueurs, qui cumulent les trois valeurs du joueur captent une partie importante des produits d'un club.

Car oui, désormais, le talent footballistique seul peut ne pas être la seule explication de rémunération. Ainsi, certains joueurs seront rémunérés très grassement pour répondre à des fins

45 Jérémie Bastien, « Le football professionnel en Europe est-il en crise ? Une réponse régulationniste », Revue de la régulation [Online], 21

46 https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Les-chiffres-vertigineux-du-contrat-de-lionel-messi-paye-plus-de-100-m-euro-par-an-au-fc-barcelone/866154, consulté le 25 févr.-19

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pas nécessairement sportives. On parle alors de triple valeur du joueur : la valeur sportive, la valeur marketing et la valeur comptable. Un joueur peut être recruté par un club européen pour s'ouvrir à un nouveau marché. Par exemple, lorsque le Real Madrid a recruté James Rodriguez pour 80 millions d'euros à l'issue de sa Coupe du Monde 2014 très réussie, le sportif n'est pas le seul argument. En effet, le club merengue souhaitait s'attacher les services d'une superstar Sud-Américaine ; chose faite avec l'arrivée d'un des joueurs les plus populaires du monde auprès d'une audience plus globale que les seuls amateurs de football. De telle sorte que le prodige Colombien s'est classé numéro 1 des sportifs les plus recherchés sur Google en 2014. Même constat pour l'achat d'un joueur asiatique pour un club européen. Cette transaction peut être motivée par la volonté de développer la notoriété du club sur ce marché très dynamique. Lorsque Cristiano Ronaldo quitte le Real Madrid pour la Juventus de Turin, la motivation sportive n'est pas la seule explication de la transaction : le club piémontais engage par la même occasion toute l'attractivité et la notoriété autour du quintuple ballon d'or. Preuve en est, entre la date des premières rumeurs de son transferts en juin 2018 jusqu'au début de saison trois mois plus tard la côte des actions boursières de la Vieille Dame a bondi de 170%.

L'évolution de notre société fait que les jeunes générations sont de moins attachées à une équipe et sont plus versatiles quant à quel club suivre. L'engagement des fans évolue ; la starification des acteurs du sport en est une des causes. Le prisme des récompenses individuelles et l'avènement des statistiques conduisent à individualiser de plus en plus ce sport collectif. Le fan moderne supporte un joueur, un entraineur, plus nécessairement une équipe. L'attachement aux « athlètes stars dépasse désormais l'attachement que les fans pourraient ressentir pour une équipe »47. Le rôle des individualités dans le fonctionnement des clubs et des ressources (recettes, engagement des communautés, visibilité...) qui en découlent progresse. C'est pourquoi il devient incontournable pour les grands clubs d'avoir des joueurs « bankables » au sein de leur effectif. A mille lieux des valeurs de la mouvance ultra, cette nouvelle génération de fans ne voit pas d'inconvénient à changer de club, voire même de sport48. Pour ce nouveau fan, le sport s'assimile à un divertissement de plus avec des joueurs adversaires mais dépendants l'un de l'autre. Le paroxysme de cette tendance est la « rivalité » Messi-Ronaldo, exacerbée par les médias et les annonceurs. En définitive, l'évolution de ce rapport de force entre joueurs et

47 https://www.letemps.ch/sport/fan-moderne-revolutionnaire, consulté le 25 février 2019

48 Il est intéressant de se pencher sur le rôle joué par les sponsors et les joueurs dans ce phénomène avec la multiplication de rencontres entre sportifs issus de disciplines différentes. Ainsi, un joueur comme Griezmann multiplie les apparitions sur les terrains NBA, pouvant provoquer l'émergence de nouvelles passions chez ses fans.

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institutions pose la question de savoir si les superstars ne sont pas devenues plus influentes et plus importantes que les clubs ? Des joueurs ayant acquis des statuts immuables au sein d'institutions fortes ont partiellement répondu à la question en dictant des choix à leur direction.

Les indemnités de transferts ont suivi la même tendance inflationniste qu'ont connue les salaires. Au sein des cinq ligues majeures, la décennie 2010 a marqué un tournant en ce qui concerne les montants investis. En l'espace de huit saisons, le montant des investissements en matière de transferts a suivi une augmentation de près de 278%, passant d'un total de 1,541 milliard d'euros dépensés en 2010 à plus de 5,820 milliards d'euros en 2018 (voir annexe n°13).

En s'y penchant de plus près, il est intéressant de constater que ces montants astronomiques sont principalement portés par les clubs les plus puissants. Les dépenses des clubs des cinq principaux championnats ont représenté 77,5% du montant total des dépenses de transferts mondiales. Comme vu précédemment, des clubs sont devenus des experts dans la formation de jeunes joueurs en vue de les vendre ou les revendre à des clubs plus puissants.

Cette inflation est également le fruit d'une plus grande mobilité des joueurs, qui négocient dorénavant plus de contrats au cours de leur carrière. Cette mobilité a été encouragée par les nouveaux acteurs précédemment décrits ; les groupes audiovisuels ont vite remarqué les bénéfices potentiels qu'ils pouvaient tirer d'effectifs cosmopolites remplis de stars et les nouveaux propriétaires ont accueilli la jurisprudence Bosman comme une aubaine.

Selon une étude du CIES Football Observatory 49 au sein des 31 ligues professionnelles européennes, de 2010 à 2017, le pourcentage de nouvelles recrues dans les effectifs a augmenté de manière importante en passant de 36,7% à 44,9%. Les effectifs sont donc de plus en plus instables, et la part de joueurs étrangers au sein des équipes progresse chaque année. La Premier League est le symbole de cette évolution, avec des équipes constituées de profils très hétéroclites. Toutefois, ce concentré de superstars peut avoir des effets négatifs sur la compétitivité de l'équipe nationale et du championnat à terme, avec une place accordée aux jeunes joueurs formés localement qui s'amoindrit. Encore une fois, l'Angleterre est l'exemple parfait de ces transformations avec un nombre de transactions réalisés avec l'étranger toujours plus élevé (voir le nombre de transactions en annexe n°14).

49 Rapport mensuel de l'Observatoire du football CIES n°34 - Avril 2018

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En somme, la course à l'armement initiée après l'arrêt Bosman ainsi que la progression du pouvoir de négociation des joueurs les plus talentueux expliqueraient en partie l'inflation salariale dans le football. Ce phénomène est à la fois une conséquence et une cause de la financiarisation du football européen.

1.1.1.3. Vers la création d'une ligue fermée ?

La question qui se pose est de savoir si le football européen est soutenable dans sa forme actuelle. L'hyperconcentration des richesses remet en cause l'intérêt des compétitions et réduit l'incertitude sportive. La contrainte budgétaire molle ainsi que le format de ligues ouvertes qui prévalent n'incitent pas à la bonne gestion des clubs.

Le fonctionnement des ligues ouvertes se rapproche d'un modèle libéral avec une dérégulation croissante. Dans le même temps, le modèle des ligues fermées suivi aux États-Unis est paradoxalement un modèle quasi-socialiste dans le sens où une forte régulation est de rigueur et une meilleure répartition des revenus s'opère.

Un des problèmes que l'on retrouve au sein des ligues ouvertes est le fait que tous les clubs européens soient en concurrence pour les meilleurs joueurs et suivent un objectif de maximisation des victoires. Cela a entrainé une explosion des masses salariales et un endettement massif de la part des clubs qui ont compris l'absence de régulation et de sanctions à leur égard. Avant la mise en place du FPF, il y avait une incitation tacite à l'endettement qui se justifiait ex ante par la hausse de productivité proportionnelle et in fine une hausse des revenus. Les clubs les plus puissants ont vu le déséquilibre compétitif comme une aubaine. Et c'est dans ce sens que certains dirigeants des clubs les plus influents du continent ont émis l'idée dès 1998 de la mise en place d'une ligue fermée. La fuite de millions de documents confidentiels révélés au grand public lors des Football Leaks en 2016 puis en 2018 ont révélé les rêves de certains des clubs européens les plus prestigieux de concentrer encore davantage les revenus en créant une super ligue privée50. Ces discussions initiées par l'Association européenne des clubs (ECA) ont été démenties par les clubs concernés, mais leur ont permis d'influencer la décision de l'UEFA sur la nouvelle réforme de la LDC afin d'étendre leur domination (16 clubs sur 32 sont maintenant issus des quatre championnats majeurs).

50 http://www.leparisien.fr/sports/football/football-leaks-quand-certains-clubs-europeens-veulent-une-competition-fermee-03-11-2018-7934487.php, consulté le 26 févr. 19

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Avant d'analyser la faisabilité de la mise en place d'un système de ligue fermée, il est essentiel de comprendre les différences organisationnelles entre ces deux formats.

Les principales caractéristiques que l'on retrouve en ligue fermée peuvent paraitre surprenantes lorsque que l'on pense au fait qu'elles sont nées et sont utilisées principalement aux États-Unis. Andreff parle même de « fonctionnement d'économie centralement planifiée » dans le sens où est exercé une restriction du nombre de « franchises », si bien qu'il est mention d'excès de la demande voire « d'économie de la pénurie » selon Kornaï. Les ligues américaines présentent donc des attributs se référant à la pensée socialiste, et ce sur plusieurs points. Parmi lesquels le partage des revenus issus des droits TV, mais également l'entrée dans une ligue qui est donc contrôlée en amont par une organisation qui émet des barrières à l'entrée. Cette institution est en situation de monopole et elle décide quels nouveaux acteurs pourront prendre la place d'autres acteurs. De plus, les rémunérations des joueurs sont déterminées par négociation collective, avec un nombre très important de joueurs syndiqués. Une des différences fondamentales avec le système de ligue ouverte réside dans la divergence des modes de rééquilibrage des forces sportives. Dans le système nord-américain, un système de draft51 couplé à la mise en place d'un salary cap52 existe afin d'éviter la concentration de talent au sein d'une seule équipe. Ainsi, les équipes les moins bien classées de la saison régulière auront les premiers choix concernant les nouveaux joueurs. Le salary cap quant à lui permet de réguler la masse salariale des franchises pour réduire les inégalités entre elles. L'objectif des franchises est la maximisation de leur valeur et du profit.

Le système de ligue ouverte prévalant en Europe tend à créer un déséquilibre compétitif profond dans sa forme actuelle. Ce déséquilibre est alimenté par des disparités financières énormes entre les clubs. L'absence de régulations financières et salariales joue un rôle fondamental dans cette détérioration de l'équilibre compétitif. Le rééquilibrage compétitif s'opère avec le système de rétrogradation des équipes les plus faibles et de promotion pour les meilleures équipes des divisions inférieures. L'instauration du FPF en 2013 est une première étape dans la nécessité d'instituer une plus forte régulation au sein du football européen. Dorénavant, les clubs ne

51 Selon Wikipedia, la draft « est un événement annuel majeur dans la ligue de basket-ball nord-américaine. Elle est comparable à une bourse de joueurs qui vont débuter dans la ligue : lors d'une soirée où sont réunis le commissaire de la NBA et les dirigeants des 30 équipes, chaque équipe va sélectionner à tour de rôle un joueur issu de l'université, du lycée, ou de l'étranger. La draft est le point d'entrée principal pour la majorité des joueurs évoluant en NBA. »

52 Plafonnement de la masse salariale des franchises

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peuvent plus dépenser plus que les recettes qu'ils perçoivent. Ils doivent parvenir à se financer sans avoir recours à des apports de fonds privés (banques ou actionnaires). L'objectif est donc d'inciter les clubs à tenir une gestion plus saine de leurs comptes ; car de par sa nature, la ligue fermée incite les clubs à surinvestir en talent. Néanmoins, la mise en place du FPF n'a pas eu tous les effets positifs recherchés. Plusieurs facteurs d'explication à cela ; pour commencer seuls les clubs qualifiés en Coupe d'Europe sont assujettis aux sanctions du FPF. Il y a donc une majorité de clubs européens qui ne sont pas concernés. Ensuite, il est question de son manque de rétroactivité. Les grands clubs historiques européens (Real Madrid, FC Barcelone, Manchester United, ...) sont aujourd'hui les clubs les plus riches et puissants, ils ont des revenus très élevés qui leur permettent de pouvoir dépenser des montants faramineux sans être inquiétés par le FPF. Toutefois, cette croissance de leur chiffre d'affaires a été rendue possible par des niveaux d'endettement très élevés il y a quelques années. Les nouveaux arrivants, soutenus souvent par de forts apports en capitaux de la part d'investisseurs étrangers n'ont donc pas la possibilité d'adopter des modèles similaires. Ils sont aujourd'hui contraints par les règles du FPF. En effet, les revenus pris en considération dans les calculs du FPF ne prennent pas en compte les apports de capitaux53. Le FPF agit quasiment comme une barrière à l'entrée pour des clubs plus récents qui souhaitent rejoindre l'élite du football mondial, en limitant leurs capacités d'investissements. Enfin, le manque d'indépendance de l'UEFA pose question sur ses réelles motivations. L'institution européenne assure les rôles d'organisateur des compétions dont elle tire la majorité de ses revenus et donc de sanctionnateur vis-à-vis des clubs qui jouent ces compétitions. Les revenus commerciaux qu'elle tire de ces compétitions ne sont que plus importants lorsque les grands clubs y participent ; comment alors sanctionner des clubs qui lui permettent d'optimiser ses revenus. De plus, l'importance croissante des grands clubs qui n'hésitent pas à faire planer le doute sur l'éventualité de la création d'une super ligue privée hors des filets de l'UEFA ne jouent pas en la faveur d'une réelle indépendance de l'instance.

Dans ces conditions, les questions qui se posent sont les suivantes : la création d'une super ligue est-elle inévitable ? Si non, quels seraient les mécanismes qui permettraient de rétablir un équilibre compétitif viable à terme ? Les réponses semblent être nuancées, mais de nombreux observateurs s'accordent à dire que la LDC est déjà en soi une ligue semi fermée, dans le sens où les mêmes grands clubs se qualifient chaque année. Ces mêmes grands clubs se qualifient

53 Sont pris en compte les revenus des droits TV, de la billetterie, des ventes de joueurs, de merchandising et de sponsoring.

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pour les phases finales sans réelles difficultés ; avec des écarts de plus en plus importants. Le rapport mensuel de l'Observatoire du football CIES n°42 du mois de février 2019 intitulé « Évolution de l'équilibre compétitif en Ligue des Champions »54 vise à conclure que l'épreuve reine tend vers « moins d'équilibre et plus de prévisibilité ».

L'actuel président de l'UEFA, Aleksander Ceferin, se retrouve face à plusieurs impasses quant à cette problématique. Le déséquilibre compétitif qui règne en Europe inquiète les dirigeants des institutions, qui voit là une potentielle perte d'intérêt des spectateurs. Pour répondre à cette tendance, Ceferin a annoncé la création d'une troisième Coupe d'Europe dès 2021 pour les clubs plus modestes. Néanmoins, pour agir sur le fond du problème, il est à se demander si l'organisation basée à Nyon a réellement un pouvoir de décision, sans se heurter au cartel des gros clubs. Une des solutions envisagées pour rééquilibrer les compétitions serait d'allouer une meilleure répartition des recettes entre la LDC et l'Europa League, avec la mise en place d'un mécanisme de solidarité plus opérant que celui actuellement établi. Une des hypothèses du rapport du CIES concerne la formation des joueurs. Selon eux, une part des revenus gagnerait à être versée aux clubs formateurs des joueurs participant à la LDC. Un dispositif de la sorte viendrait récompenser les clubs qui exercent un travail de qualité sur la formation, travail qui bénéficie in fine aux plus grands clubs.

Finalement, il est à se demander si la création d'une super ligue est réellement souhaitée par les membres de l'ECA ou si elle sert d'argument de menace pour assujettir l'UEFA. La domination des puissants est le fruit d'un énorme déséquilibre financier, phénomène qu'il est difficilement envisageable de se voir contrarié. Les arguments ne manquent pas pour les clubs concernés : une super ligue leur permettrait d'engranger encore plus de revenus et de capter des financements croissants de la part des investisseurs. Ces revenus seraient alors départagés entre les quelques équipes en question, la distribution serait donc moins étalée. Financièrement, cette approche apparait comme une opportunité alléchante pour le cartel. Et comme l'évolution de l'objectif de certains clubs a déjà pris un tournant priorisant la maximisation du profit au détriment du sportif, il n'est pas étonnant de voir cette idée ressurgir. Un club comme Manchester United, sous l'impulsion de ses propriétaires - la famille Glazer - a clairement réorienté sa stratégie vers une logique marketing et financière. Les résultats sportifs se détériorent d'année en année malgré des revenus historiquement élevés. Au regard des récentes

54 http://www.football-observatory.com/IMG/sites/mr/mr42/fr/, consulté le 28 févr. 19

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déclarations des présidents de l'ECA et l'UEFA55 et des réels bénéfices potentiels pour les clubs, il n'est pas impossible de voir la super ligue comme un moyen de pression exploitée par l'oligopole européen pour gagner en influence auprès de l'UEFA. Il sera intéressant d'observer l'influence et le rôle des principaux financeurs du football européen dans ce projet. En effet, les groupes audiovisuels ainsi que les sponsors verraient d'un bon oeil l'intensification des rencontres entre gros clubs. Une ligue fermée serait pour eux une occasion en or de pouvoir offrir des chocs sportifs à intervalle régulier. Somme toute, ces acteurs constitueraient les instigateurs privilégiés d'une telle réforme institutionnelle du football européen. Toutefois, la transposition du modèle nord-américain semble difficile au vu des différences culturelles avec l'Europe. L'attachement territorial reste un marqueur très fort en Europe. Un club n'est pas transposable dans n'importe quelle ville au contraire d'une franchise NBA par exemple. L'histoire du football européen est ancrée sur cette culture d'ouverture au plus méritant sportivement. Et ce ne sont pas les déclarations d'Aleksander Ceferin qui contrediront ces spécificités : "En respectant la pyramide du football, en respectant le principe de compétitions ouvertes à tous, en respectant le système de promotion/relégation qui est au coeur de notre culture sportive, en respectant les résultats obtenus sur le terrain qui diffèrent parfois de ceux des livres de comptes, en respectant les supporters (...) vous êtes restés de grands clubs aux yeux du monde. Les plus grands clubs de l'histoire. Pour l'éternité. Merci de l'avoir compris et, croyez-moi, vous ne le regretterez pas"56.

55 Agnelli et Ceferin ont assuré qu'il n'y aurait pas de projet de super ligue tant qu'ils présideront leurs instances respectives https://www.lesechos.fr/sport/football/afp-00667979-uefa-pas-de-super-ligue-tant-que-ceferin-et-agnelli-sont-la-2242907.php, consulté le 28 févr. 19

56 https://www.lesechos.fr/sport/football/afp-00667979-uefa-pas-de-super-ligue-tant-que-ceferin-et-agnelli-sont-la-2242907.php, consulté le 28 févr. 19

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