Le personnel politique et diplomatique camerounais dans le fonctionnement et le processus de prise de décision à l'assemblée générale des nations-unies (1960-2017)par Ezekiel ZANG NGBWA Université de Yaoundé I - Master 2021 |
6. Clarification conceptuelleComme mots-clés de cette thématique, on a les notions de politique, diplomatie et politique étrangère. Il s'agit, dans la présente articulation, de les définir et de les clarifier du point de vue des maîtres des différentes écoles de pensée. Nous entendons notamment mettre l'accent sur la nature et la qualité des acteurs, ainsi que sur l'esprit, ou mieux, l'orientation de leurs actions. Dans l'Antiquité grecque, la vie sociale était organisée essentiellement au sein d'entités territoriales appelées « cités `', en langue grecque polis. C'est donc de là que dérive le mot « politique `', compris ici comme étant « la gestion des affaires de la cité `'.11(*) Le traité de Westphalie, avec lequel on va assister à la naissance de l'Etat tel qu'elle est connue actuellement, nous amènera à comprendre la politique comme étant la gestion des affaires publiques. La chute du mur de Berlin a joué un très grand rôle dans l'évolution de la considération du concept de politique. Il est vrai que des systèmes politiques tels que le multipartisme existaient déjà depuis au moins la moitié du XIXème siècle. Cependant, cette notion devient encore plus universelle après la fin (officielle) de l'affrontement entre les deux blocs, capitaliste et socialiste. Car il faut noter que, durant cette période de bipolarisation, bon nombre de pays dans le monde disposaient de régimes monolithiques, et donc de systèmes à parti unique. Il était alors plus ou moins aisé de donner à la notion de politique sa définition première, à savoir la gestion des affaires de la cité, ou encore, dans un sens plus élargi, la gestion des affaires publiques. Les lendemains de la Guerre Froide donnent naissance à deux grands courants de pensée sur la nature de la politique et la qualité de ces acteurs : le courant étatiste, et le courant globaliste. Le courant étatiste donne la priorité à la première conception de la notion de politique. Selon ce courant, parler d'action politique renvoie essentiellement à parler d'action publique. Il met donc au centre des personnalités publiques tel que les chefs d'Etat, les chefs de gouvernement, les ministres etc... Selon l'école étatiste, parler de personnalités politiques renvoie essentiellement aux acteurs du pouvoir exécutif. Toutefois, il faut relever que, depuis plusieurs décennies aujourd'hui, l'architecture politico-institutionnelle a considérablement évolué, donnant ainsi naissance à plusieurs catégories d'acteurs. Ainsi en est-il des lois sur la décentralisation intervenues en France et au Cameroun en 1981 et en 1996,12(*) lesquelles donnent une grande importance aux élus locaux dans la gestion des affaires publiques. Dans la même lancée, on note l'adoption, dès le début des années 1990, du multipartisme par bon nombre d'Etats dans le monde. L'avènement de ce système a donc entraîné l'émergence d'une nouvelle classe d'hommes politiques, à savoir les dirigeants des partis politiques, dont l'importance cruciale dans la vie des sociétés étatiques contemporaines n'est plus à démontrer. Enfin, un regard rétrospectif sur la configuration géopolitique interne des Etats, surtout depuis les antiquités grecque et romaine, met en exergue une autre catégorie d'acteurs politiques tout aussi capitaux : les parlementaires, qui constituent, dans la plupart des pays de l'époque contemporaine, une plaque tournante dans le processus de décision et d'action politique. De tout ce qui précède, il ressort donc que le monopole de l'exercice du pouvoir politique ne saurait être détenu par les seuls membres de la caste exécutive. D'où notre école de pensée globale, selon laquelle la politique peut, de façon synthétique, être définie comme l'ensemble des moyens et stratégies visant à conquérir le pouvoir et à manager les hommes. Cependant, pour autant que notre thématique est concernée, il faudrait donner la priorité à la première école qui épouse parfaitement la logique qui est ici développée. À titre de rappel, ce travail porte sue l'action du personnel politique et diplomatique camerounais à l'Assemblée générale des Nations-Unies. Il se propose ainsi d'étudier l'élaboration et les stratégies de mise en oeuvre d'un pan de la diplomatie onusienne du Cameroun. Or, comme nous nous évertuerons à le démonter tout au long de la présente étude, les acteurs du pouvoir exécutif, que sont le Président de la République et le Ministre des Relations Extérieures, jouent un rôle cardinal dans l'élaboration et la mise en oeuvre de cette diplomatie. Cette approche étatiste du concept de politique va également nous amener à examiner les notions de diplomatie et de politique étrangère à la lumière d'un certain nombre de doctrines inspirées de la théorie réaliste qui, comme on le verra plus loin, met l'Etat au centre de l'action diplomatique. Selon les réalistes classiques, les relations internationales reposent essentiellement sur la centralité de l'Etat, l'anarchie internationale, la recherche de l'intérêt national, et la normalisation du fait conflictuel. Le philosophe britannique Thomas Hobbes apparaît comme l'un des pionniers de ce paradigme. Selon sa théorie de l'état de nature, l'Etat serait né de la volonté des hommes de se rassembler en une communauté organisée, lassés qu'ils étaient des exactions des plus forts. Ce sont cette volonté et cette détermination qui les auraient conduits à abandonner une partie de leur liberté initiale à une entité supérieure, qui devint de ce fait le dépositaire exclusif du droit de recours à la force.13(*) L'Etat devient, par la même occasion, le dépositaire exclusif des pouvoirs de justice et de sécurité. Cette conception hobbesienne de l'Etat attribue donc aux acteurs étatiques la primauté et la légitimité dans la défense des intérêts de la nation, ceci tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Poursuivant avec sa pensée, l'auteur considère que l'homme, qui est de nature égoïste et calculateur, ne s'associe à ses semblables que par peur, et par intérêt. C'est ce même intérêt qui le motive à renoncer à sa liberté, et à respecter le Pacte social.14(*) Cette philosophie de Hobbes peut conduire à au moins deux déductions, notamment du point de vue de la politique internationale des Etats. Premièrement, elle vise avant tout, pour les gouvernants de ceux-ci, la recherche de leurs seuls intérêts, et deuxièmement, elle stipule que les Etats s'associent généralement pour préserver leur sécurité. Un autre précurseur du réalisme classique fut le célèbre penseur et conseiller politique florentin Nicolas Machiavel. Partant du postulat selon lequel la société internationale serait essentiellement dominée par l'anarchie et le conflit, il préconise et donne de la légitimité à l'usage de la force par les plus forts pour le triomphe de leurs intérêts : « C'est chose vraiment naturelle et ordinaire que de désirer d'acquérir. Et toujours, quand le font les hommes qui peuvent, ils en seront loués, et non blâmés (...) `'.15(*). Ainsi, du point de vue de Machiavel, la politique étrangère doit privilégier l'instrument militaire comme principal moyen de mise en oeuvre de la politique étrangère. Elle devrait avoir pour objectif ultime la recherche de la puissance de l'Etat.16(*) Allant à peu près dans le même sens, Thucydide explique les alliances entre Etats par la crainte des différents membres de la communauté internationale de se voir détruire militairement par un de leurs semblables. Selon ses disciples et lui-même, `' c'est lorsque qu'un État croit que sa puissance politique et militaire est menacée par un autre Etat qu'il lui déclare la guerre `'.17(*) Dans cette vision des relations internationales selon Thucydide, il apparaît un élément important dans la diplomatie multilatérale des Etats : la recherche de l'assurance sécuritaire. L'auteur entre ainsi en parfaite cohésion avec Guillaume Devin et Marie-Claude Smouts pour qui l'adhésion d'un Etat à une organisation internationale tient compte de la présence, au sein de cette organisation, de puissances ayant une force de contrainte sur d'autres puissances qui pourraient nuire à leur stabilité et à leur sécurité. Somme toute, les réalistes classiques considèrent la politique étrangère comme un ensemble de moyens et stratégies déployés par les autorités étatiques, et visant à préserver la sécurité et les intérêts nationaux, au moyen notamment de la force et/ou de la contrainte. Cette prépondérance accordée à l'usage de la force se justifie par la nature de bellicisme permanent de la société internationale. Cependant, ces thèses ont fortement été contredites par Kenneth Waltz, lequel est considéré par une grande partie de la communauté des internationalistes comme le précurseur du néo-réalisme, à travers notamment son ouvrage Theory of International Politics. Tout en réaffirmant la primauté du politique dans les relations internationales, il récuse l'idéologie des réalistes classiques selon laquelle la recherche de la puissance internationale implique obligatoirement l'usage de la force. Comparant la politique étrangère à une entreprise, il stipule que l'usage, par les acteurs étatiques de l'instrument militaire est soumis au préalable à une évaluation de ce qu'on peut appeler la balance coûts-bénéfices.18(*) En d'autres termes, le recours à la guerre par un Etat doit d'abord tenir compte des enjeux ambiants, de l'aspect financier de la guerre, et de ses retombées. Waltz récuse également la pensée réaliste classique selon laquelle l'Etat serait le dépositaire unique de la violence organisée. En effet, selon les partisans du réalisme classique, l'Etat est la seule organisation politique capable d'opposer une violence avec pour exécutants des hommes (et femmes) appartenant à une force bien organisée et bien structurée. Ainsi, il préfère utiliser la notion de « violence légitime `'.19(*). En grosso modo, la politique internationale selon Waltz, se veut rationnelle quant à l'usage de ses instruments, notamment l'instrument de la force. Cet usage doit tenir compte à la fois des enjeux, des coûts, et des retombées ainsi que du contexte ambiant. Allant à la suite du néo-réalisme tel que conçu par Waltz, Barry Buzan, Charles Jones et Richard Little proposent un courant néo-réaliste plus actuel et plus complet. Ce courant reconnaît la prééminence de la sphère et de la classe politiques dans le système international contemporain, mais reconnaît aussi l'existence d'autres acteurs dans le jeu international, notamment des acteurs sociaux et économiques. Il prône également la prise en compte des facteurs idéologiques dans l'analyse des faits internationaux.20(*) A l'analyse, le réalisme structurel caractérise donc l'architecture exacte du système international contemporain, avec au centre les gouvernements, et à la périphérie, les acteurs économiques et sociaux que sont les firmes multinationales et les organisations internationales. La politique étrangère devient ainsi un ensemble de stratégies reposant sur des bases et des moyens aussi divers que variés, et dont l'objectif demeure la recherche de l'intérêt national. Mais contrairement à toutes ces doctrines réalistes qui, il faut le relever, ont en commun la vision d'un monde essentiellement anarchique et belliqueux, le réalisme libéral rejette l'idée selon laquelle les Etats sont condamnés à vivre perpétuellement à l'ombre de la guerre. Si les partisans de ce courant ne rejettent pas totalement le paradigme hobbesien de l'état de nature, ils estiment néanmoins que la compétition, qui résulte de l'anarchie de la scène internationale, peut tout aussi bien conduire à la coopération.22(*) Cette idéologie demeure réaliste du fait de la prépondérance accordée à l'Etat, mais embrasse la théorie libérale en associant à l'action étatique d'autres réseaux de coopération, notamment les organisations internationales.23(*) Cette approche doctrinale rejoint donc l'esprit de l'approche structuraliste, dans la mesure où elle préconise à la fois la coopération entre les différents acteurs des relations internationales, et l'utilisation rationnelle de ceux-ci par les Etats comme moyens et instruments de mise en oeuvre de leur politique internationale. Elle s'en démarque toutefois ^dans le sens où elle préconise une autonomie et une indépendance entre ces acteurs. Elle apporte une innovation sémantique aux notions de relations internationales, de diplomatie et de politique étrangère, qui deviennent un système d'interactions entre les différents maillons de la chaîne. Au regard de tout ce qui précède, il nous semble que l'approche doctrinale qui marie le plus avec cette étude, c'est le réalisme classique. Car, comme on le verra plus loin, l'adhésion du Cameroun à l'Organisation des Nations-Unies, ainsi que sa politique générale au sein de l'Assemblée générale de ladite organisation, sont essentiellement fondées sur des préoccupations liées à la sécurité nationale, au rayonnement international, et, de façon plus globale, à la recherche de l'intérêt national. Il faudrait donc retenir, au final, que la politique étrangère est l'ensemble des moyens et stratégies mis en oeuvre par un Etat pour implémenter sa diplomatie.24(*), cette diplomatie elle-même étant comprise comme l'ensemble des moyens d'implémentation de la politique étrangère.25(*) Il apparaît donc, de ce fait, une relation de réciprocité entre les deux notions. * 11 G. Tate, La Grèce antique, Paris, Hachette, 1990, p. 11. * 12 Au Cameroun, cette loi a été récemment modifiée en décembre 2019 par l'adoption et la promulgation d'un nouveau Code général des Collectivités Territoriales Décentralisées. * 13 J.-J. Roche, Théories des relations internationales, Paris, Montschrétiens, 2001, p.23. * 14 Ibid. * 15 N. Machiavel, Le Prince, Paris, Garnier-Flammarion, 1992, chap. XXI. * 16 Marchstein, Introduction aux relations internationales... p.19. * 17 mapageweb.unmontreal.ca, « Classification des théories des relations internationales `', consulté le 07 février 2020. * 18 Roche, Théories des relations internationales... p.52. * 19 Ibid., pp. 51-52. * 2021 B. Buzan et al., The logic of anarchy. Neorealism to structural realism, New-York, Columbia University Press, 1993. * 22 R. Little, «Structuralism and Neo-Realism», in International Relations, A Handbook of Current Theory, Light and Groom, Boulder, Lynne Rienner, p.75. * 23 Ibid. * 24 M.-C. Smouts et al., Dictionnaire des relations internationales, Paris, Dalloz, 2006, pp. 138-143. * 25 Ibid. |
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