Le personnel politique et diplomatique camerounais dans le fonctionnement et le processus de prise de décision à l'assemblée générale des nations-unies (1960-2017)par Ezekiel ZANG NGBWA Université de Yaoundé I - Master 2021 |
3. Les ingérences chinoisesLe 1er janvier 1960, le Cameroun accède à l'indépendance et à la souveraineté internationale dans un contexte plutôt difficile et ambigu. En effet, la lutte pour la conquête de l'indépendance au Cameroun s'est faite par deux camps antagonistes, à savoir le camp des nationalistes radicaux (UPC) d'une part, et le camp des nationalistes « modérés `' d'autre part. Les soutiens extérieurs aux deux camps étaient révélateurs de la configuration et de l'ambiance mondiale de l'époque, qui était celle de guerre froide. C'est ainsi que les radicaux bénéficièrent du soutien des pays socialistes et communistes (en particulier la Chine et l'URSS), tandis que leurs adversaires bénéficièrent de l'aide du bloc capitaliste (en l'occurrence la France). La reconnaissance de l'Etat et du gouvernement camerounais au lendemain de la proclamation de son indépendance par une grande partie de la communauté internationale169(*), et l'affluence internationale qui s'ensuivit sur le sol camerounais, ne changèrent pas grand-chose à la position chinoise. Les autorités de Beijing choisirent en effet de ne pas suivre l'exemple de leurs homologues soviétiques, qui avaient reconnu le gouvernement de Yaoundé, et s'étaient même fait représenter à la cérémonie solennelle d'indépendance par Frol Kozlov, deuxième secrétaire du Parti communiste, et Nicolas Firyubine, ministre adjoint des Affaires étrangères.170(*) Bien au contraire, non seulement elles ne reconnaissaient toujours pas le gouvernement camerounais171(*), mais aussi elles continuaient d'apporter leur soutien aux rebelles upécistes en termes politiques, logistiques et financiers. Sur le plan politique, la capitale chinoise abrita de nombreux nationalistes upécistes, et sur le plan logistique, on assista à l'armement par Pékin de nombreux insurgés de l'UPC intérieure. Cette ingérence chinoise dans la politique intérieure du Cameroun eut des incidences sur la politique extérieure du pays, et plus particulièrement dans sa diplomatie onusienne vis-à-vis de la Chine. En effet, outre le fait qu'il n'existait pas de relations diplomatiques formellement établies entre les deux pays (le Cameroun avait plutôt signé des accords de coopération diplomatique avec Taiwan en 1960), les autorités de Yaoundé ne reconnaissaient pas celles de Beijing comme gouvernement légitime de la République chinoise.172(*) En 1967, le président Ahidjo déclara devant l'Assemblée générale des Nations-Unies que la reconnaissance du gouvernement de Beijing serait conditionnée par la cessation par ce dernier des ingérences dans les affaires intérieures des autres Etats. Cependant, la position camerounaise sur la problématique chinoise ne demeura pas statique. On assista en effet à une évolution notoire après l'exécution d'Ernest Ouandié, dernier chef historique de la rébellion upéciste, le 18 janvier 1971. Le 26 mars 1971, les deux pays s'engagèrent à coopérer dans le strict respect de leur souveraineté, de leur indépendance et de leur intégrité territoriale.173(*) Ceci fut l'une des clauses majeures de l'accord de coopération diplomatique alors signé entre les deux pays. Yaoundé reconnaîtra officiellement le gouvernement de Beijing en septembre de la même année, devant l'Assemblée générale des Nations-Unies. En 1972, sur hautes instructions du président Ahmadou Ahidjo, une mission de bonne volonté séjournera en Chine et en Corée du Nord pour renforcer les liens d'amitié nouvellement établis avec ces deux pays.174(*) Si au regard de ces faits on peut logiquement et indéniablement déduire que les différentes positions camerounaises à l'Assemblée générale de l'ONU furent essentiellement tributaires des aléas de la politique intérieure du pays, il ne faut cependant pas perdre de vue un certain nombre de faits importants, qui auraient pu influencer la diplomatie du Cameroun vis-à-vis de la Chine. Au rang de ces faits, deux sont particulièrement dignes d'attention : l'évolution de la conjoncture internationale, et les perspectives d'avenir de la Chine. Du point de vue de la conjoncture internationale, on avait assisté à une évolution relativement considérable des relations entre les deux blocs antagonistes (capitaliste et socialiste). Depuis 1953, les deux dirigeants américain et soviétique, Eisenhower et Khroutchev avaient opté pour la pratique d'une politique et d'une diplomatie de détente. Cette option des deux grands s'était alors concrétisée, entre autres faits, par la reconnaissance du gouvernement chinois en 1971 par le président américain Richard Nixon,175(*) reconnaissance qui avait entraîné une grande partie des membres de la société internationale, parmi lesquels le Cameroun. S'agissant des perspectives, il apparaissait évident, aux yeux de tout observateur averti de la scène internationale, que la Chine était une grande puissance en devenir.176(*) Déjà qualifié de « géant aux pieds d'argile `' au IXème siècle, membre du club des cinq décideurs de la planète (G5), disposant d'une élite visionnaire et d'une population nombreuse, la Chine regorgeait en effet d'atouts suffisants pour être propulsée en avant de la scène mondiale. Cet état de choses a dû motiver et amener les dirigeants de Yaoundé à revoir leur position, tant au niveau bilatéral qu'au niveau multilatéral, et notamment aux Nations-Unies. En somme, on peut retenir que la défense des intérêts du Cameroun devant l'Assemblée générale des Nations-Unies est sous-jacente à deux éléments cardinaux : l'idéologie diplomatique et les enjeux divers, qui peuvent être d'ordre géopolitique, géostratégique ou économique. La diplomatie de l'image et du rayonnement n'échappe pas à ces conditionnements. * 169 Voir Gaillard, Ahmadou Ahidjo... * 170 Ibid, p.104. * 171 Du moins officiellement. Néanmoins, le Premier ministre Chou En Lai avait transmis un télégramme de félicitations à son homologue camerounais, Ahmadou Ahidjo, au lendemain de la proclamation de l'indépendance. * 172 À cette époque, il existait, en Chine, deux gouvernements parallèles et antagonistes qui revendiquaient chacun la légitimité à l'international, à savoir le gouvernement de Pékin, dirigé par Mao Zedong, et le gouvernement taiwanais, dirigé par Tchang Kai Tchek. D'où la problématique de la reconnaissance internationale de la Chine qui se posait alors. * 173 J. R. Booh Booh, « Cameroun : Dans les coulisses des relations avec la Chine il y a 40 ans `', https : //www.pairault.fr, consulté le 14 janvier 2020. * 174 Ibid. * 175 Ibid. * 176 Entretien avec Fabrice Onana Ntsa, environ 36 ans, professeur de lycées, spécialiste de la politique africaine de la Chine, le 22 avril 2019 à Yaoundé. |
|