Le personnel politique et diplomatique camerounais dans le fonctionnement et le processus de prise de décision à l'assemblée générale des nations-unies (1960-2017)par Ezekiel ZANG NGBWA Université de Yaoundé I - Master 2021 |
CHAPITRE II :LES ACTEURS POLITIQUES ET DIPLOMATIQUES CAMEROUNAIS DANS LA DÉFENSE DES INTÉRÊTS DU CAMEROUN
Certains spécialistes des questions internationales définissent la politique étrangère comme étant «l'ensemble des moyens et stratégies mis sur pieds par un Etat pour implémenter sa diplomatie».143(*) Cette notion repose sur un certain nombre de principes et d'instruments, aussi bien qu'elle obéit à un certain nombre de déterminants tant structurels que conjoncturels. Au rang des déterminants conjoncturels, il y a les déterminants historiques, la politique intérieure, la politique internationale, et l'intérêt national. Il faudrait cependant signaler que parmi ces déterminants, le dernier est on ne peut plus primordial dans la politique extérieure de tout Etat. Car on a coutume de le dire, et on ne le dira sans doute jamais assez : les relations internationales sont essentiellement basées sur la recherche par chaque Etat de son intérêt individuel. Ainsi, que l'on se situe dans l'Antiquité, au Moyen-Âge, aux temps modernes ou encore à l'époque contemporaine, aucun Etat n'a jamais dérogé à cette règle, qui apparaît donc comme une règle d'or dans le jeu diplomatique. Ainsi, tout acte posé par un Etat en matière de diplomatie vise essentiellement la recherche de l'intérêt national, même si les politiques ont très souvent tendance à habiller l'essence de ces actes par des discours à caractère philanthropique, voire humaniste... Ce n'est donc pas le Cameroun, Etat appartenant à un ensemble géopolitique plutôt défavorisé, et, de surcroît, comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, confronté à de nombreuses difficultés d'ordre économique et sécuritaire, qui fera une exception à la règle. En effet, tant dans le cadre de sa diplomatie bilatérale que multilatérale, la recherche de l'intérêt national a toujours constitué pour les autorités de Yaoundé un déterminant primordial. Ces différents éléments ainsi mis en exergue conduisent donc à une question : dans le cadre de l'Assemblée générale des Nations-Unies, comment les personnels politiques et diplomatiques camerounais se déploient-ils pour assurer la défense et la sauvegarde des intérêts de leur pays ? La réponse à cette problématique nous conduira à mettre un accent particulier sur les deux aspects suivants : la défense des intérêts du Cameroun et la diplomatie de l'image et du rayonnement. I. LES POLITIQUES ET DIPLOMATES CAMEROUNAIS FACE AUX QUESTIONS D'INTÉRÊT NATIONALL'évocation des questions d'intérêt national renvoie ici à la défense de la cause du pays à chaque fois qu'il s'est retrouvé confronté à un litige ou à un conflit avec un Etat tiers. Dans cet ordre d'idée, trois principaux cas retiennent l'attention : le dossier de la réunification avec le Cameroun britannique, les ingérences chinoises et le conflit avec le Nigeria au sujet de la péninsule de Bakassi. 1. Le dossier de la réunification avec le Cameroun britanniqueLe mouvement nationaliste au Cameroun, dont le 10 avril 1948 reste une date mémorable, tournait autour de deux grands axes : l'indépendance immédiate du Cameroun sous tutelle française, laquelle devait être précédée par la réunification avec le Cameroun sous tutelle britannique. D'abord combattue au début, cette idée fut acceptée progressivement par l'administration coloniale. Cependant, elle était loin de faire l'unanimité au sein de la classe politique camerounaise quant à la forme et aux modalités. Les principales problématiques qui se posèrent à ce propos furent les suivantes : la question à poser à l'électorat du Cameroun britannique, et l'attitude à adopter par les Nations-Unies. Déjà, il conviendrait de noter que, bien que l'idée de la réunification commençât à être admise au sein de la classe politique, elle ne continuait pas moins à faire des sceptiques. En effet, pour les « Camerounais français `' comme pour les « Camerounais anglais'', les différents territoires constituaient, pour les uns comme pour les autres, une terra incognita.144(*) D'une part, les Camerounais francophones, et notamment leur chef de file Ahmadou Ahidjo, considéraient la réunification avec le Cameroun britannique comme une potentielle entrave aussi bien à l'idéologie qu'au processus de construction nationale, si chers au président Ahidjo. De leur côté, les ressortissants du Cameroun britannique, marginaux au sein de la fédération nigériane, craignent aussi de subir le même sort dans la République (fédérale) du Cameroun, parce qu'anglophones, et de fait numériquement minoritaires.145(*) Néanmoins, un certain nombre de facteurs d'ordre surtout politique et stratégique vont inciter aussi bien les acteurs du pouvoir que ceux de l'opposition dans les deux Cameroun à militer en faveur de l'aboutissement du processus de réunification. Du côté du pouvoir, le Premier ministre (et futur président) du Cameroun français, Ahmadou Ahidjo, voit en la réunification une occasion de revigoration politique, notamment à travers une éventuelle alliance peule constituée par les populations du Northen Cameroons. Par ailleurs, Ahmadou Ahidjo considère également la réunification comme un atout géopolitique, dans le sens où celle-ci pourrait être utile pour l'agrandissement du territoire national. Les opposants pour leur part reprennent l'analyse d'Ahidjo, mais, évidemment, dans le sens inverse : ils voient en la réunification avec le Cameroun britannique l'occasion de se constituer une «alliance bantoue» avec les populations du Southerns Cameroons, ce qui, selon eux, devrait contribuer à affaiblir le Premier ministre.146(*) Ainsi, au Cameroun français, les leaders politiques sont partisans du rattachement à l'une ou à l'autre partie du Cameroun britannique, selon leurs convenances politiques. Les politiciens du Cameroun britannique ne sont pas épargnés par ces considérations ethnico-politistes. John Ngu Fontcha, Premier ministre depuis 1959, considère la réunification comme une opportunité de ralliement avec «les cousins bamiléké et bamoun». De plus, il est conscient du fait que ce processus, une fois arrivé à terme, lui attirerait inéluctablement l'hostilité de Londres. Ainsi dépourvu du soutien d'un allié aussi stratégique, il aurait donc besoin du soutien à la fois des autorités de Yaoundé et des autorités... de Paris.147(*) Toutes ces considérations ethnico-politiques et stratégiques amenèrent donc les acteurs internes et externes à se mettre résolument au travail pour l'aboutissement heureux du processus de réunification. Cependant, il se posait, comme nous l'avions déjà dit plus haut, deux principaux problèmes : la question à poser à l'électorat et l'attitude à adopter par l'ONU. Concernant la question à poser à l'électorat, elle constituait notamment un point de divergence entre les deux principaux leaders du Cameroun britannique, John Ngu Foncha et Emmanuel Endeley. Le premier prône pour une indépendance préalable à toute consultation populaire, tandis que le second voudrait que soit clairement posée la question de savoir si les populations souhaitaient la réunification avec le Cameroun français ou avec le Nigeria.148(*) Les Nations Unies, quant à elles se montrent perplexes quant à l'attitude à adopter. Même si sa quatrième mission de visite a conclu que l'indépendance et la réunification ne sauraient faire l'objet d'une consultation populaire parce que faisant l'unanimité, elle préfère que cette question soit décidée par voie de plébiscite le 7 novembre 1959. L'attitude de l'organisation de Brooklyn peut sans doute s'expliquer par le fait que la question de la réunification pose un important problème de conflit d'intérêt entre deux grandes puissances notoires, à savoir la France et la Grande Bretagne, face auxquelles elle s'avère, somme toute, impuissante, et préfère par conséquent adopter une politique de prudence. Le vote du 7 novembre se soldera, entre autres, par le vote du Cameroun septentrional contre l'intégration au Nigeria (62%). Mais la question de la réunification n'est pas réglée pour autant. Néanmoins, il est décidé, lors de la session de l'Assemblée générale du 12 décembre 1959, de l'organisation d'un plébiscite au Cameroun septentrional entre le 30 septembre 1960 et le 30 mars 1961 sur la base de deux questions : Désirez-vous accéder à l'indépendance en vous unissant à la République camerounaise indépendante Ou Désirez-vous accéder à l'indépendance en vous unissant à la Fédération nigériane indépendante ?149(*) Dans l'optique de faire triompher le point de vue du gouvernement camerounais, Ferdinand Léopold Oyono, alors représentant permanent du Cameroun à New-York, fut dépêché en «mission d'explication et de lobbying» auprès de certains chefs d'Etat influents du continent, notamment ceux du Ghana, du Mali et du Maroc, afin d'obtenir leur soutien lors d'un éventuel vote à l'Assemblée générale. Ainsi, le rôle d'Oyono (qui soit dit en passant, était accompagné pour l'occasion du député travailliste Bebey Eyidi), consista en un jeu qui se joua en grande partie hors de la tribune des Nations-Unies. Lorsqu'on considère l'aura dont étaient revêtus les dirigeants des quatre pays suscités (en l'occurrence Kwame Nkrumah du Ghana, Hasan II du Maroc et même, dans une certaine mesure Sékou Touré de la Guinée), on peut dire que le jeu était plutôt bien calculé, notamment de par l'influence que ceux-ci devraient exercer sur leurs pairs africains en particulier, et tiers-mondistes en général. Il convient à cet effet de souligner que l'Afrique dispose d'un bon capital numérique à l'Assemblée générale de l'ONU ( le tiers de la totalité des Etats membres).150(*) Le résultat de tout cet ensemble de tractations fut globalement satisfaisant. En effet, le 11 février 1961, les populations du Cameroun méridional optèrent, à 70,49%, pour la réunification avec la République du Cameroun, tandis que celles du Cameroun septentrional votèrent pour le rattachement avec le Nigeria. Ainsi, grâce à l'action de Ferdinand Oyono, l'idéologie et le processus de réunification du gouvernement camerounais triomphèrent, même si la victoire ne fut que partielle. Toutefois, une autre affaire vint se greffer à ce processus de réunification inachevé : l'affaire Bakassi, laquelle nécessita une fois de plus, l'exhibition et le déploiement des talents diplomatiques des personnels camerounais devant les tribunes onusiennes. * 143 Smouts et al., Dictionnaires des relations internationales.... * 144 Expression utilisée par Gaillard, Ahmadou Ahidjo...p. 98. * 145 Ibid. Les autres analyses qui vont suivre sur la question découlent du même ouvrage. * 146 Cette analyse est beaucoup plus valable pour des opposants comme Paul Soppo Priso, qui appartient à l'aire culturelle sawa, aire à laquelle appartiennent également les populations originaires de la région de Buea. * 147 Abwa, Cameroun, histoire d'un nationalisme... * 148 Gaillard, Ahmadou Ahidjo... p.100. * 149 Etoa Oyono, «Ferdinand Oyono...« p.30. * 150 Voir A. Lewin, « Les Africains à l'ONU `', in Cairn. Info, consulté le 31 mai 2019. |
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