1. Régime de contestation et gouvernance
locale
Depuis plus de dix ans, la résistance contre la Mission
des Nations-Unies pour la stabilisation de la République
démocratique du Congo a pris de proportions variables. En effet, les
contestations à l'égard de la Mission s'inscrivent dans un
contexte local marqué par l'instabilité politique et
l'incertitude sociale. La pérennité des violences depuis le
début des années 1990 à l'Est du pays, traduisent la
routinisation du phénomène des mobilisations contestataire
parfois marqué d'extrême violences et même
militarisés. Les multiples recompositions politiques, notamment le
changement de régime, accords de paix, disparation et
réapparition des groupes armés, vagues d'intégration des
belligérants dans l'armées nationales ou régulière
n'ont fait que nourrir l'incertitude. D'ailleurs cette situation a fait l'objet
d'une attention particulière de la part des chercheurs. Si certains
s'attarder sur l'interprétation mobilisant les théories
économiques des conflits et la notion d'États
faillis56. D'autres sont
55 Pierre Englebert, Denis Tull, Contestation,
négociation et résidence : L'État congolais au
quotidien, Karthala / « Politique africaine », 2013/1 N°
129, pages 5 à 22.
56 Cette interprétation est développée
par les chercheurs comme Timothy Raeymaekers, Ken Menkhaus, Koen Vlassenroot,
« States and Nonstate Regulation in African Protracted Crises : Governance
without Governance »,
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attentifs aux contextes locaux dans lesquels ces mobilisations
interviennent en mettant l'accent sur les antagonismes intercommunautaires
relatif à la question foncière que j'aborderai dans la
deuxième partie, et aux enjeux de pouvoir qui y sont
inséparables57. Ces études avancent l'argument de la
marginalisation sociale et économique d'une frange considérable
de la jeunesse. Du coup, l'engagement au sein des structures combattantes
pourrait traduire une volonté de contester l'ordre sociale et de
renégocier la place occupée à son sein58. Il y
a également des chercheurs qui mettent parallèlement en
lumière le rôle des accords de paix et des processus erratique
d'intégration des ex-belligérant qui en découlent dans la
reproduction de ces mobilisation59. D'autres enfin,
s'intéressent à l'architecture sociale sous-jacente aux groupes
armés tout en soulignant la diversité de leurs réseaux
dans ces mobilisations violentes60. Dans une récente
étude, à la différence des autres chercheurs, Mehdi Belaid
s'intéresse plutôt aux trajectoires des acteurs de violence en se
basant sur la sociologie des mobilisations militantes61. Toutes ces
études permettent de comprendre le paysage socio-politique dans lequel
les contestations contre la Monusco s'enracinent.
Ce cadre socio-politique permet de saisir l'essentiel du
politique congolais marqué par sa complexité. Le cycle de
violence sans arrêt dans les provinces du Kivu, la violation continue des
droits de l'homme, l'échec de la réforme du secteur
sécuritaire, les intimidations et les répressions
étatiques, ajouté à cela l'effritement du processus de
démocratisations, sont des signes qui rappelle la persistance de la
crise. Ce malaise sociétal occasionne la contestation susceptible de
générer de la violence.
Le régime de contestation trouve son point
d'irréversibilité lors des guerres de 19961997 et de 1998-2002,
même si on se demander comme estiment Pierre Engelebert et Denis Tull,
« si cette périodisation et cette césure entre les deux
guerres ne devrait pas être abandonnée pour parler d'un conflit
unique »62. La violence insurrectionnelle en 2012 à
l'initiative du groupe Mouvement du 23 mars (M23) qui est
l'émanation de l'ancien CNDP rappelle les formes
Afrika Focus, 21 (2), 2008, p. 7-22 ; Roland Marchal,
Christine Messiant, « De l'avidité des rebelles. L'analyse
économique de la guerre civile selon Paul Collier », Critique
internationale, 16, 2002, p. 58-69.
57 Pour ce courant de pensée, on peut citer
Séverine Autesserre, The trouble with the Congo: Local violence and
the Failure of International Peacebuilding, Cambridge, Cambridge
University, 2010.
58 Cfr. K. Vlassenroot, « Négocier et contester
l'ordre public dans l'Est de la RDC », Politique africaine, 111,
2008, p.44-68.
59 Cfr. Maria Eriksonn Baaz, Judith Verweijen, « The
Volatility of a Half-Cooked Bouillabaisses: Rebel-Military Integration and
Conflict Dynamics in the Eastern DRC», African Affairs, 112
(449), 2013, p. 563-582.
60 Jason Strearns, « Repenser la crise au Kivu :
mobilisation armée et logique du gouvernement de transition »,
Politique africaine, 129, 2013, p. 23-48.
61 Mehdi Belaid, « Les mobilisations armées
à l'Est de la République démocratique du Congo : Dynamique
sociales d'une pratique ordinaire », Critique internationale,
2019/1 N°82, p. 31-49.
62 Pierre Englebert & Denis Tull, « Contestation,
négociation et résistance : L'État congolais au quotidien
», Politique africaine, 2013/1 N°129, p. 5-22.
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de contestations violentes. Pendant ce temps, la Monusco s'est
avérée incapable de jouer un rôle autre que
marginal63. Dans l'entre-temps, on recense un nombre important de
groupes armés, milices ou alliés du gouvernement qui contestaient
le pouvoir en place et demandaient l'accès à l'emploi public, la
reconnaissance de droits fonciers, l'accès aux minerais et leur trafic,
les défenses de communauté locales et l'hostilité aux
étrangers. Ces mouvements contestataires et parfois insurrectionnels
naissent, grandissent, se divisent, disparaissent pour enfin du compte
réapparaitre sous d'autres formes.
Dans cette perspective, Jason Stearns illustre la logique
interne de l'usage de la contestation violente parmi les groupes armés.
Il montre par exemple que la décision d'appartenir à ces
mouvements violents tels que le CNDP, le mouvement hutu Pareco ou la
milice Maï-Maï Raia Mutomboki, n'est pas simplement le
résultat de grief locaux ou de la fameuse « malédiction des
ressources »64. Cette violence est plus largement en rapport
avec la capacité de mobilisation sociale de ces groupes. Pour comprendre
une telle mobilisation, il est nécessaire de saisir la manière
dont ces groupes s'insèrent dans la société, que ce soit
par des réseaux sociaux, par opportunisme, ou par alliance avec divers
politiciens. Il s'agit ici d'une conception de la violence imposée aux
sociétés locales par les combattants eux-mêmes. En
revanche, Pierre Englebert et Denis Tull conceptualisent la logique locale de
la violence et sa participation à une panoplie plus large de types de
rapports sociaux65. Dans un contexte politique toujours
contesté, le fait de pouvoir mobiliser des acteurs armés semble
présenter un atout. Cette violence est aussi un moyen de communication
et de négociation pour rééquilibrer les rapports de force
dans les configurations politiques. Ce qui permet aux contestataires,
écrit Waal, de s'intégrer dans le systèmes politique en
dehors duquel les opportunités sociales et économiques sont
rares66. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'on peut dire que
l'Est du pays n'a pas le monopole de la contestation mais une
réalité nationale. Malgré l'intervention des forces
onusiennes, la République démocratique du Congo n'a pas
été pacifiée au sens propre du terme après les
élections de 2006. Des violences et confrontations ont eu lieu dans
diverses provinces de la république, notamment au Bas-Congo en
2007-2008, le grand Équateur en 2009, au Katanga il y a de la violence
presque chaque année, dans le grand Bandundu en 2010,
63 Ibid.
64 Ibid.
65 Pierre Englebert & Denis Tull, «
Contestation, négociation et résistance : L'État congolais
au quotidien », Op. Cit. p. 13.
66 A. de Waal, « Mission without End?
Peacekeeping in the Africa Political Marketplace», International
Affairs, Vol. 85, n° 1, Janvier 2009, p. 99-113.
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à Kinshasa en 2011, dans le grand Kasaï en
2017-2018 et tout récemment à Beni jusqu'à nos jours.
Bien au-delà de la violence, la contestation fait
également le quotidien de la classe politique congolaise. Les
élections de 2006 ont été marquée par des grandes
contestations. Celles de 2011 ont été également
contestées et hautement controversée. En 2018, la
République démocratique du Congo a connu aussi un moment
électoral avec des résultats extrêmement contestés.
Comme on peut le remarquer, la République démocratique du Congo
sort régulièrement de chaque période électorale
sous le choc, difficile jusqu'alors de réparer les déchirures
sociales et la pénurie de la confiance engendrée dans
différents scrutins.
Au regard de ce qui précède, il reste donc
à s'interroger sur les vraies causes de ces contestations qui sont quasi
permanentes. Sont-elles la résultante de l'instabilité
l'insécurités grandissante ou de dynamiques historiques de plus
long terme ? Sont-elles dans la continuité des logiques et pratiques
politiques sur lesquelles repose l'État congolais à travers les
mécanismes de négociation ?
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