B. LES ACTEURS DES CONFLITS DANS LES KIVUS
Pour comprendre les conflits dans les Kivu, il paraît
nécessaire d'étudier les acteurs de ces conflits aussi bien du
point de vue national et régional. Il s'agit de mettre en avant
l'itinéraire de chaque acteur, le rôle que chacun de ces acteurs
joue dans ces conflits, leur degré d'intervention et/ou
d'ingérence (notamment pour les acteurs étrangers comme le
Rwanda, l'Ouganda et les groupes armés étrangère en
l'occurrence les FDLR, ADF). En étudiant également les rapports
de force entre ces acteurs, je montrerai en outre le degré d'influence
de chaque acteur, du moins ceux sous examen.
La compréhension de conflits à l'Est de la
République Démocratique du Congo nécessite le voyage dans
le temps long de l'histoire politique du pays. La situation de conflits n'est
pas identique dans tout l'Est de la RDC. Les conflits dans le Nord-Kivu qui est
aujourd'hui l'épicentre de violences, à la différence des
provinces du Sud-Kivu et de l'Ituri également affecté par
l'insécurité, remonte dans les années 1960. Ces conflits
présentent une double dimension. Il y a à la fois la dimension
inter-ethnique et intra ethnique. Déjà en 1963, les conflits
avaient pris de l'ampleur avec le déclenchement de la « guerre
kinyarwanda » qui opposait durant plus de deux ans les Banyarwandas aux
Nande, Hunde et Nyanga, suite au mouvement d'autonomistes ayant abouti à
la création de 21 provinces dans l'ancien Congo Belge jusqu'à
l'arrivée au pouvoir du président Mobutu qui optera pour 11
provinces en 1965.
1. Les acteurs étatiques et non
étatiques
Ce sous point s'attèle exclusivement sur les acteurs
locaux ou nationaux. Son objectif consiste à montrer les
différents points d'achoppement entre les nationaux et la Monusco. Parmi
ces acteurs locaux, nous avons l'État congolais, les milices
insurrectionnelles et contestataires.
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1 1. L'État au coeur des conflits et
violences
Les conflits et violences qui empoisonnent la vie sociale dans
les Kivus et en Ituri relèvent de l'incapacité de l'État
ou de ses limites du point de responsable à régler les
antagonismes entre groupes sociaux. L'État dans ses prérogatives
régaliennes est l'acteur principal des conflits dans les Kivu. Nous
partons ainsi de l'idée que « l'État est le siège et
l'instrument du pouvoir politique »140. Entant que siège
du pouvoir, l'État désigne les hommes et les assemblées
qui décident de l'intérêt public et des lois. Comme
instrument du pouvoir, l'État désigne pour ainsi dire les
institutions chargées d'appliquer les lois (gouvernement), de maintenir
de l'ordre et de garantir la sécurité (police, armée), de
rendre la justice (tribunaux). Dans cette perspective, l'État s'oppose
à la société civile, où règne les
intérêts privés comme la famille et l'économie
prennent le dessus. C'est donc à l'État que revient le «
monopole de la violence légitime » pour reprendre les termes de Max
Weber. On entend ici par la violence légitime, les moyens de garantir
les droits de peuples et non pas la justification de la violence envers le
peuple. Dans le même ordre d'idées, il convient de souligner que
les conflits locaux à l'Est de la République Démocratique
du Congo et leurs caractères originels sont à comprendre dans une
logique interne d'incompréhension et du déni de l'autre. En
effet, les principaux groupes sociaux qui composent et peuplent le Nord-Kivu
qui est aujourd'hui, je l'ai montré précédemment,
l'épicentre des conflits et violences sont les Nande, les Banyarwandas
(qui sont des populations d'origine rwandaise issues de plusieurs vaques
d'immigration), les Nyanga, les Hunde et le Tembo. Cette diversité des
populations est généralement repartie en deux catégories,
à savoir les autochtones d'une part, et les allochtones
(c'est-à-dire les groupes sociales issue des grandes vaques
d'immigration et les réfugiés des événements de
1959 au Rwanda) d'autre part. Ce qu'il convient encore de préciser,
c'est le fait que ces différents groupes sociaux, les Banyarwandas sont
les seuls à se trouver à la fois dans les deux catégories
tandis que les autres groupes sociaux se trouvent uniquement dans la
première catégorie. L'État entant qu'organisateur de la
société et du vivre ensemble harmonieux devrait en
réalité régler ces antagonismes sociaux de manière
efficace. Force est de constater que la situation est telle qu'il n'est pas
étonnant de remarquer l'absence de solutions efficaces qui seraient
l'émanation de l'État.
Du point de vue administratif, le Nord-Kivu qui est
aujourd'hui en « état de siège » est divisé en
cinq subdivisions territoriales plus la ville de Goma qui est le chef-lieu de
la province. Parmi ces territoires, nous avons Beni, Lubero, Masisi, Rutshuru
et Walikale. Cependant,
140 Hervé Boillot (dir), Le petit Larousse de la
philosophie, Piolitello, Rotolito Lombard, 2018, p. 709.
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lorsqu'il s'agit de tenir compte de répartition
ethnique et des deux catégories de population que je viens
d'évoquer précédemment, la province de Nord-Kivu
s'organise autour de trois pôles. Il y a en premier lieu la zone de Beni
et Lubero qui sont exclusivement peuplé par le peuple Nande ; il y a en
deuxième lieu la zone de Rutshuru qui est majoritairement occupée
par les Banyarwandas ; la troisième zone qui est celle de
Goma-Masisi-Walikalé quant à elle, bien au-delà de son
caractère hétérogène du point de vue ethnique
(parce qu'on y trouve aussi bien les Hunde, Tembo et les Banyarwanda dans le
Masisi, et les Nyanga à Walikalé), présente un
caractère commun. C'est d'ailleurs dans cette région que sont
majoritairement concentrés les Banyarwandas immigrés ou «
transplantés »141 pour reprendre l'expression
d'Étienne Rusamira et les réfugiés de 1959. Je
précise aussi que c'est dans cette troisième zone qu'il se pose
le problème de conflits fonciers que j'ai fait allusion
précédemment, notamment dans le territoire de Misisi et de
Walikale.
Outre le caractère géographique, deux autres
paramètres alimentent les conflits entre groupes sociaux, à
savoir les aspects démographiques et
politico-économique142. Du point de vue démographique,
le peuple Nanda et les Banyarwandas sont les deux groupes sociaux majoritaires.
De ce point de vue, ils se disputent toujours le leadership économique
et politique de cette riche province.
Pendant des années auparavant, le conflit opposait les
Banyarwandas composés des Hutus et des Tutsis du Masisi d'un
côté, et de l'autre côté les Nande, le Hunde et le
Nyanga. De par sa puissance, l'État en utilisant ses pouvoirs
régaliens avait réussi non seulement à supprimer les
petites provinces qui composaient le Kivu, mais également à
dissoudre les forces de police et à muter les autorités
politico-administratives qui étaient impliquées dans ce conflit.
Cependant, toute ces mesures avaient mis fin à ce conflit, sans pour
autant réparer durablement les liens brisés dans les relations
entre les groupes sociaux opposés, qui ne le resteront toutefois pas
jusqu'à aujourd'hui.
Dans le contexte actuel, d'autres paramètres entrent en
jeu, rendant ainsi la situation encore beaucoup plus complexe à
l'État. L'arrivée en masse de réfugiés rwandais au
moment des événement du génocide, l'exil de Tutsi au
Rwanda à partir de 1995, la première guerre du Congo en 1996 et
la deuxième guerre en 1998 ont ainsi modifié de façon
considérable les éléments sur lesquels reposait la
dynamique des conflits et violences à l'Est de la République
141 Étienne Rusamira, « La dynamique des conflits
ethniques u Nord-Kivu : une réflexion prospective », In Afrique
contemporaine, 2003/3 (N°207), pages 147 à 163.
142 Étienne Rusamira, « La dynamique des conflits
ethniques au Nord-Kivu : une réflexion prospective », Op. Cit.,
p. 148.
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Démocratique du Congo, notamment dans le Nord-Kivu. Ce
changement de paradigme a comme effet majeur l'émergence des milices
rebelles et contestataires à l'Est de la République
Démocratique du Congo.
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