C. La naissance et le développement des expositions
artistiques et de la première la Société des Amis des Arts
en Touraine (1835-1841)
Hormis la Société médicale du
département d'Indre-et-Loire et la Société d'Agriculture,
Sciences, Arts et Belles-Lettres, la Touraine ne comprend aucune autre
société savante avant 184081. De surcroît, seule
la Société d'Agriculture porte de l'intérêt à
la thématique artistique, en développant le goût des
recherches scientifiques et les arts appliqués. Pourtant, la
problématique liée à la question des Beaux-Arts occupe une
place relativement modeste dans la société, ce qui semble pousser
l'un de ses membres à formuler auprès du maire de Tours,
Jean-Joseph Febvotte (1770-1853 ; 1832-1835), alors membre honoraire de la
Société d'Agriculture, une demande d'organisation d'une
exposition industrielle et artistique ainsi que la formation d'une
société des Amis des Arts en début de l'année
1835.
a) À l'origine des expositions d'art et d'industrie
tourangelles : l'intervention de Raoul de
CroØ
Propriétaire du château de la Guerche reçu
en dot de son mariage avec Victorine d'Argenson (1804-1880) et membre
associé de la Société d'Agriculture du département
d'Indre-et-Loire, André-Rodolphe, dit Raoul de CroØ (1802-1879),
qui a reçu une formation à la peinture dans les ateliers
parisiens de Pierre-Henri de Valenciennes (1750-1819) et de Pierre-Auguste
Vafflard (1777-1837)82 projette d'établir à Tours une
exposition prenant à l'évidence
79 THIESSE, Anne-Marie, La création des
identités nationales, Paris, Éditions du Seuil, 1999, p.
206.
80 BABONAUX, Yves, « L'industrialisation de Tours
», Annales de Géographie, t. LVII, n°307, 1948, p.
248.
81 [ANONYME], Annuaire historique, statistique
et commercial du département d'Indre et Loire, Tours, Ad. Mame et
Cie, 1825 à 1840, Tours, A.D., IN16°1/22 à 37.
82 BELLIER DE LA CHAVIGNERIE, Émile, AUVRAY,
Louis, Dictionnaire général des artistes de l'École
française depuis l'origine des arts du dessin jusqu'à nos
jours, t. Paris, Librairie Renouard, 1882-1885, p. 323.
32
pour modèle celles « du Louvre ; et celles de
l'industrie [qui] ont amené vingt mille étrangers à Paris
et créé une circulation nouvelle de plus de soixante millions
» (ann. 2.2.1.1)83.
Si le Salon se réunit annuellement au Louvre depuis la
première moitié du XVIIIe siècle, il est au
contraire un événement culturel parisien plus récent qui a
pour but l'encouragement de l'économie nationale : l'exposition des
produits de l'industrie française. La première édition de
cette manifestation se tient au Champs de Mars en 1798, avant de s'ouvrir dans
la Cour carrée du Louvre à partir de 1801, à la demande du
ministre de l'Intérieur Jean-Antoine Chaptal (17561832)84.
À travers l'organisation de cet événement, le gouvernement
cherche manifestement à encourager l'industrie nationale et à
lutter contre la concurrence étrangère, en offrant un panorama
complet des productions des diverses branches de l'industrie
française85. Quelques semaines seulement après la
fermeture de cette exposition, qui propose notamment pour la section artistique
la présentation des chefs-d'oeuvre ramenés d'Italie, est
créée le 2 novembre 1801 (9 Brumaire An X) sous l'impulsion de
Chaptal et la souscription de Napoléon Bonaparte (1769-1821) et du
deuxième consul Jean-Jacques-Régis de Cambacérès
(1753-1824), la Société d'Encouragement pour l'Industrie
Nationale, qui vise « à seconder les progrès des arts utiles
et de propager l'instruction sur tous les objets qui les intéressent
»86. Cette société qui réunit les
élites intellectuelles et scientifiques participe à la
coordination des expositions industrielles qui sont organisées à
rythme quinquennal à partir de 180287.
La proposition de Raoul de CroØ résulte à
l'évidence d'un courant d'émulation national qui prend ses
racines à Paris avant de se diffuser dans l'ensemble des régions
françaises. En effet dans la majorité des chefs-lieux sont
organisées des expositions d'art et d'industrie qui semblent s'inspirer
du modèle parisien. Si « Lyon, Caen, Nantes ont leurs expositions
» 88, plus proche de Tours « Angers suit leur exemple, et
cette dernière ville va même ouvrir
83 CROÙ D'ARGENSON, Raoul de : Lettre
adressée au maire de Tours au sujet de l'établissement d'une
exposition de Beaux-Arts au printemps 1835 et la création d'une
Société des Amis des Arts, 10 février 1835, f° 2,
Tours, A.M., 2 F Boîte 14.
84 ANDIA, Béatrice de (éd.), Les
expositions universelles à Paris de 1855 à 1937, Paris,
Action artistique de la ville de Paris, 2005, p. 11.
85 ALCOUFFE, Daniel (éd.), DION-TENENBAUM,
Anne (éd.), ENNéS, Pierre (éd.), Un âge d'or des
arts décoratifs 1814-1848, cat. exp., Paris, Grand Palais, Paris,
Éditions de la Réunion des musées nationaux, 1991, p.
116.
86 [ANONYME], « Avertissement »,
Bulletin de la Société d'encouragement pour l'industrie
nationale, Paris, Imp. Huzard, 1802, p. 3.
87 BENOIT, Serge (éd.), EMPTOZ,
Gérard (éd.), WORONOFF, Denis (éd.), Encourager
l'innovation en France et en Europe. Autour du bicentenaire de la
Société d'encouragement pour l'industrie nationale, Paris,
CTHS, 2006.
88 [ANONYME], « Tours », Journal
d'Indre-et-Loire, n° 65, 23 avril 1835, p. 1.
33
prochainement une exposition spéciale pour les tableaux
»89. Dès 1825, la ville de Nantes organise par exemple
une première exposition des produits de l'industrie de la
Loire-Inférieure, dont une section est réservée aux
Beaux-Arts90. De cette exposition, les édiles angevins
semblent s'inspirer pour organiser leur exposition de 1835, qui se compose de
quatre sections industrielles et une section de Beaux-Arts proposant à
la fois des tableaux d'histoire, de genre, de paysage ainsi que des
portraits91. Ces expositions régionales se tenant à
proximité de Tours incitent probablement Raoul de CroØ à
lancer l'initiative d'une exposition à Tours. Celui-ci démontre
la fertilité du terreau tourangeau à recevoir une exposition
annuelle des produits des arts et de l'industrie en insistant notamment sur la
présence d'un musée et d'une bibliothèque ainsi que sur la
situation géographique favorable de la ville.
Depuis longtemps, Lyon, Bordeaux, Lille, Valenciennes,
Cambrai, Douai, offrent à des époques rapprochées des
expositions de Beaux-Arts. Pourtant, aucune de ces cités n'est
placée comme le chef-lieu de notre Touraine pour leur servir de
sanctuaire. Ici, le centre de la France, ici un beau et pur ciel, des monuments
historiques et à étudier, à conserver du moins par
souvenir, elles sont quelques unes des raisons qui devront appeler à
Tours, les oeuvres des artistes de la capitale, et exciter l'émulation
de ceux du département92.
S'il démontre la richesse du patrimoine historique de
Touraine, Raoul de CroØ justifie son projet également par la
localisation géographique de Tours. Placé au centre de la France,
la ville jouit effectivement d'une situation géographique qui lui permet
de relier rapidement Paris et les autres régions françaises. Un
service de diligences relie quotidiennement les deux villes à raison de
deux trajets par jour au départ de Tours, tandis qu'au départ de
Paris la liaison est assurée une fois tous les deux jours93.
Aussi, dès les années 1830 Tours réfléchit à
s'équiper d'une voie de chemin de fer qui relie Orléans, puis
Paris. Néanmoins, il faut attendre 1845 pour que s'ouvre cette
première ligne, ainsi que les voies à destination de Bordeaux et
de Nantes. L'apport de ce nouveau moyen de locomotion est
bénéfique, puisque le temps de déplacement
89 Ibidem.
90 BRUNNER, Marie-Ange, « Bibliographie des
expositions de province 1815-1850 », in Gazette des Beaux-Arts,
n°95, 1980, p. 201.
91 Compte-rendu de l'exposition de l'Industrie,
ouverte à Angers à l'hôtel de la Préfecture, le 12
novembre 1835, suivi d'une revue générale de l'exposition de
peinture ouverte à l'hôtel de ville le même jour,
Angers, Launay-Gagnot, 1836, Paris, BnF, V38 137.
92 CROÙ D'ARGENSON, Raoul de, op.
cit..
93 [ANONYME], Annuaire historique, statistique
et commercial du département d'Indre et Loire, op. cit.,
1831, p. 199.
34
entre Tours et Paris est largement réduit. Il passe en
effet de plusieurs jours à une moyenne contenue entre 6h40 et 8
heures94.
La tenue d'une exposition des produits des Beaux-Arts et de
l'industrie apporterait à n'en pas douter selon le comte de CroØ,
une émulation dans la ville et dans l'ensemble du département,
ainsi que dans les régions limitrophes. Le projet très concret de
ce dernier témoigne de son investissement. Il propose
l'établissement d'une exposition au printemps de l'année 1835
dans les salles du rez-de-chaussée et du second étage du
musée - ouvert seulement sept ans auparavant 95 - et la création
d'une société des Amis des Arts. Toutes deux permettraient de
perfectionner l'éducation populaire, d'entretenir et développer
les relations entre Paris et la province et d'enrichir par le biais d'une
loterie le musée de Tours.
Ce peintre et écrivain dont le réseau est
très développé à Paris, en raison des
différents articles qu'il publie notamment dans les revues artistiques
telle que L'Artiste, justifie ces propos en donnant des exemples
précis des manifestations organisées auparavant dans toute la
France et particulièrement dans les régions septentrionales. Il
semble avoir réuni un nombre important de documents relatifs aux
expositions annuelles de Cambrai, à l'instar des statuts et des
arrêtés municipaux qu'il transmet au maire de Tours le 23 avril
1835 (ann. 2.2.1.4)96. Il n'est pas étonnant que le comte de
CroØ insiste longuement sur les actions des sociétés du
nord de la France. En effet, il est né à Amiens et entretient
probablement des liens avec sa région natale, ce qui facilite sa
correspondance avec les sociétés du nord de la France.
b) Entre enthousiasme et perplexité : la
réception du projet de Raoul de CroØ
Le projet du comte de CroØ est présenté
une première fois devant le Conseil municipal à la séance
du 11 février 1835. L'examen de cette proposition est
délégué à une commission composée de «
MM. Blain, Julien, Meffre, Champoiseau, Tonnellé, Lange et Walwein
» (ann. 2.7.1.1)97 à laquelle s'ajoute Raoul de
CroØ (ann. 2.2.1.3)98. Cette commission formée de
protagonistes de diverses professions - architecte, négociant, avocat,
médecin - et faisant partie pour l'essentiel de la Société
d'Agriculture, semble reconnaître l'intérêt de
l'organisation d'une
94 LAURENCIN, Michel, « La Société
d'Agriculture... », op. cit., 2010, p. 235.
95 BENÂTRE, Nathalie, op.
cit., 1988, p. 45.
96 Préfecture d'Indre-et-Loire : Lettre au
maire de Tours au sujet de l'organisation de l'exposition de l'industrie de
1835, 23 avril 1835, Tours, A.M., 2 F Boîte 14.
97 Registre des délibérations du
Conseil municipal de la Ville de Tours. Séance du 11 février
1835, f6, Tours, A.M., 1D 53.
98 Registre des délibérations du
Conseil municipal de la Ville de Tours. Séance du 1er avril
1835 au sujet de l'établissement dans la ville d'une exposition d'objets
d'art et d'industrie, Tours, A.M., 1D 53.
35
telle exposition et de la formation à Tours d'une
société des Amis des Arts dans le rapport qu'elle présente
le 1er avril 1835 (ann. 2.2.1.3)99. Le Conseil municipal
paraît approuver la démarche, les efforts et
l'intérêt du projet du comte de CroØ. Néanmoins, il
lui est nécessaire de répondre avant toute prise de
décision aux questions suivantes : « L'exposition est-elle possible
? Offre-t-elle quelques intérêts ? Enfin quels sont les moyens de
l'établir ? »100 (ann. 2.2.1.3).
Comme le font remarquer les membres du Conseil municipal,
Tours ne peut tenir la comparaison aux expositions parisiennes, ce qui
semble-t-il, les fait douter des capacités de la ville à
organiser une exposition qui ne « s'élèverait pas [en] Bazar
à la cupidité de quelques étrangers, plutôt qu'en
temple aux arts et à l'industrie »101 (ann. 2.2.1.3). En
effet, les industries et les artistes sont moins nombreux dans le centre de la
France, ce qui pousse le Conseil à se demander si les ressources
matérielles nécessaires à la constitution d'une exposition
sont assez importantes et dignes d'intérêt. Pour autant, le
Conseil municipal semble confiant en envisageant à plus long terme un
développement de l'économie et des richesses de Tours, en raison
de la visibilité apportée par l'exposition. Il projette de
surcroît l'ajout d'une section horticole aux futures expositions.
Si les vertus d'une exposition ne sont pas contestées,
les « voies et moyens propres à la réalisation du projet
» sont cependant fortement discutés. Le budget représente la
problématique majeure dans l'organisation des futures expositions
tourangelles. En effet entre les propositions de Raoul de CroØ et le
projet de la municipalité apparaissent des différences
importantes de budget, ce qui induit la commission à penser « que
l'auteur de l'exposé s'est fait quelques illusions sur le chiffre des
dépenses nécessaires à un pareil établissement. Ces
dépenses portent sur l'appropriation d'un local, les frais de transport
des objets d'art ou d'industrie, les récompenses, les achats
»102 (ann. 2.2.1.3). Dans son rapport adressé à
la commission d'étude du projet, Raoul de CroØ ne compte en effet
aucune dépense pour la mise à disposition et la réfection
du local du musée, tandis que la municipalité envisage des
travaux qui représentent à l'évidence des dépenses
pour la ville (Ill. 1). Aussi, le projet initial ne prévoit qu'une somme
de 200 francs pour l'entretien et la conservation des tableaux, tandis que le
Conseil municipal prévoit au minimum une dépense de 500 francs.
Si les deux partis sont sensiblement d'accord
99 Ibidem.
100 Ibid, f 23.
101 Ibidem.
102 Ibid, f 24.
36
sur la somme nécessaire à consacrer aux
récompenses, ils divergent quant au coût du transport. En effet,
Raoul de CroØ propose l'établissement d'un contrat avec une
maison de roulage, telle que la firme Bricard qui oeuvre au transport des
tableaux en provenance de Paris pour les expositions du nord de la France, qui
s'élèverait à 800 francs (ann. 2.2.1.2). La
municipalité quant à elle, refuse toute prise en charge du
transport des oeuvres d'art et des produits industriels. Les achats pour le
musée proposés sous la forme de loterie, représentent un
coût de 2 000 francs dont les deux parties sont d'accord. Cependant la
municipalité tourangelle n'envisage pas de prendre en charge la
totalité des dépenses nécessaires à l'organisation
de l'exposition et propose l'établissement d'une subvention commune avec
le Conseil départemental. De fait Raoul de CroØ démontre
que les bénéfices résultant de la vente des billets de
loterie, des catalogues de l'exposition et de la cotisation des membres
fondateurs de la future société des Amis des Arts, permettraient
de réduire considérablement le coût de l'exposition (Ill.
2). Ainsi, outre le fait de participer aux choix des objets exposés, la
société des Amis des Arts projetée par le comte de
CroØ a aussi une fonction économique, dont le but est de
réduire par la somme des adhésions le coût de l'exposition
d'art et d'industrie.
Le Conseil municipal semble séduit par l'organisation
d'une telle exposition à Tours et reconnaît son utilité. Il
adopte de suite un projet d'organisation d'une exposition devant s'ouvrir la
même année du 10 mai au 10 juin dans les salles vacantes du
musée103 (ann. 2.2.1.3). Néanmoins cette entreprise
quelque peu précipitée n'aboutit pas et le projet est
discuté de nouveau le 25 mai 1835.
Certains membres du Conseil municipal paraissent pessimistes
en supposant que « Paris doit toujours attirer de la province tout ce
qu'il y a de beau, que les artistes et les industriels du département
seront les premiers à déserter l'exposition de Tours » (ann.
2.7.1.2)104. De ces propos résulte une forme de
dévalorisation issues des rapports difficiles entretenus entre Paris et
la province. Un autre membre du Conseil municipal admettant le climat «
parisiano-centré » des affaires culturelles de l'époque,
montre à l'inverse que « les provinces doivent lutter contre cette
tendance de la capitale à attirer tout à elle
»105. Cela l'incite à se porter favorable à
l'organisation d'une exposition à Tours.
103 Ibid, f 25.
104 Registre des délibérations du Conseil
municipal de la Ville de Tours. Séance du 25 mai 1835 : Discussion
autour de l'établissement d'une exposition des arts et de l'industrie,
1D53, f31, Tours, A.M., 1D 53.
105 Ibidem.
37
c) L'aboutissement de la création de la
première exposition artistique et de la
première Société des Amis des Arts à Tours.
La proposition du comte de CroØ semble recueillir
l'adhésion de la population tourangelle, comme en témoigne les
propos de ce rédacteur du Journal d'Indre-et-Loire qui se
félicite « de voir [Tours] entrer dans cette voie du progrès
et de l'émulation »106. Pour autant la
réalisation de ce projet est retardée, en raison des avis
contraires des membres du Conseil municipal et de l'élection du nouveau
maire de Tours. Depuis le 20 juillet 1835, Jean-Joseph Febvotte a laissé
à Auguste Walwein sa place de maire de la ville. Si Walwein figure
dès le 11 février 1835 parmi les membres de la commission
d'examen du projet d'organisation d'une exposition d'art et d'industrie et de
création d'une société des Amis des Arts, il est probable
qu'à l'heure de son investiture cette entreprise ne soit pas une
priorité. Néanmoins, Auguste Walwein semble témoigner de
l'intérêt à ce projet en récoltant un certain nombre
de documents relatifs aux expositions provinciales, auprès de ses
confrères dont les villes accueillent des manifestations artistiques
organisées par des sociétés locales107. Ainsi,
les statuts des sociétés savantes et les différents
arrêtés municipaux pris au sujet des expositions
départementales et fournis par les maires de Rouen et d'Amiens
notamment, sont à l'évidence des sources d'inspiration pour la
constitution des futures expositions des Beaux-Arts à Tours.
Si toutefois une exposition d'horticulture est ouverte dans la
grande salle du musée du 22 au 25 juillet 1838, suite à la
demande des jardiniers de la ville108, il semble au contraire
qu'aucune exposition artistique ne voit jour avant 1841 à Tours,
malgré les relances émises par la Société
d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres du département
d'Indre-et-Loire depuis 1837109. La Société
d'Agriculture incite en effet le maire tourangeau à considérer
très sérieusement la proposition du comte de CroØ
présentée quatre ans auparavant. Ainsi la société
insiste sur la nécessité de soutenir les manufactures locales -
de soie en l'occurrence -, puisque
106 [ANONYME], « Tours », Journal
d'Indre-et-Loire, n 65, 23 avril 1835, p. 1.
107 Mairie d'Amiens : Lettre adressée au maire de Tours
au sujet des sociétés des amis des arts de la ville d'Amiens et
de l'Exposition des produits des arts libéraux et d'horticulture du
département de la Somme, 17 mars 1836, Tours, A.M., 2 F boîte
14.
Mairie de Rouen : Lettre adressée au maire de Tours au
sujet des expositions des produits des arts et de l'industrie organisées
dans le département de la Seine-Inférieure, 16 décembre
1835, Tours, A.M., 2 F boîte 14.
108 Jardiniers de Tours : Lettre adressée au maire de
Tours au sujet d'une demande d'exposition d'horticulture, 24 juin 1838, Tours,
A.M., 2 F boîte 14.
Programme de l'exposition d'horticulture qui aura lieu
à Tours, dans la grande salle du musée le 22 juillet 1838, Tours,
A.M., 2 F boîte 14.
109 Registre des délibérations du Conseil
municipal de la Ville de Tours. Séance du 28 août 1837 :
Exposition des produits des arts et de l'industrie, projet
d'établissement, f30. Tours, A.M., 1D 55.
38
« nulle part le département d'Indre-et-Loire
[n'est] cité comme pays manufacturier » 110 (ann. 2.2.3.3). Les
arts appliqués sont une préoccupation récurrente pour la
Société d'Agriculture tourangelle. De fait, elle est soutenue par
la Chambre de commerce de Tours à partir de 1840 pour l'organisation
d'une exposition industrielle (ann. 2.2.4.1)111. Le concours de
cette instance publique semble apporter à l'initiative individuelle de
la Société d'Agriculture en général et du comte de
CroØ en particulier, une légitimité auprès de la
ville. Dès lors, la Chambre de commerce, le Conseil municipal, le
Conseil général et la Société d'Agriculture se
regroupent officiellement à partir du 20 octobre 1840 pour former une
commission spéciale chargée de l'organisation de l'exposition de
mai 1841112(ann. 2.2.4.3).
Une commission spéciale des Beaux-Arts a
été formée au sein de la commission générale
chargée d'organiser l'exposition qui doit s'ouvrir à Tours le 10
mai prochain. Cette commission a reconnu que la création d'une
Société des Amis des Arts seconderait puissamment ses efforts, et
permettrait de conserver à Tours quelques-uns des ouvrages
exposés. Une première liste des souscriptions a
déjà réuni de nombreuses signatures; chacun s'empressera
sans doute de s'associer à cette pensée113.
Ce n'est que quelques semaines seulement avant l'ouverture de
l'exposition qu'est formée la première Société des
Amis des Arts tourangelle dont le président est sans surprise Raoul de
CroØ. Le secrétariat de la société est
assuré par le peintre et professeur de dessin Jacques Victor Jacquinet
qui expose à trois reprises au Salon entre 1833 et 1838. Le bureau est
complété par la présence du notaire Emmanuel Chambert, du
colonel d'artillerie à la retraite Joseph-Félix Le Blanc de La
Combe, de l'ancien maire de Tours Jean-Joseph Febvotte, de l'architecte Charles
Jacquemin, de l'imprimeur et homme politique Ernest Mame (1805-1883), du maire
Auguste Walwein et de M. Navarre dont la profession est aujourd'hui
inconnue114. En grande majorité, ces artistes et amateurs
sont également membres de la Société d'Agriculture, mais
aussi collectionneurs d'art vivant, à l'instar de La Combe qui
s'intéresse particulièrement à l'oeuvre lithographique de
Nicolas-Toussaint Charlet (1792-1845) et qui entretient de
110 S.A.S.A.B.L. : Lettre au maire de Tours au sujet de
l'organisation d'une exposition, 31 juillet 1839, Tours, A.M., 2 F boîte
14.
111 S.A.S.A.B.L : Lettre au maire de Tours au sujet de
l'organisation d'une exposition d'arts et d'industries, 11 avril 1840, Tours,
A.M., 2 F boîte 14.
112 Président de la chambre de commerce de Tours :
Lettre au maire de Tours au sujet de la mise en place d'une commission
spéciale entre la société d'agriculture, la chambre de
commerce et le conseil municipal, 20 octobre 1840, Tours, A.M., 2 F boîte
14.
113 [ANONYME], « Société des Amis des Arts
à Tours », Journal d'Indre-et-Loire, n° 50, 9 avril
1841, p. 1.
114 Ibidem.
39
nombreux liens avec les artistes parisiens115. Si
les relations avec les artistes apportent à La Combe une
légitimité particulière en tant qu'amateur à
l'instar du peintre Raoul de CroØ, qui expose une première fois
au Salon en 1824116, tous ont à l'évidence un
réseau de sociabilité important à Tours, leur permettant
de recueillir aisément des souscriptions pour la Société
des Amis des Arts. Cette association a pour but de favoriser le
développement artistique en Touraine, en procédant notamment
à l'achat d'oeuvres d'art.
L'action de cette société est attestée
par la presse en 1841117. Cependant, hormis la mention d'une
Société des Amis des Arts à Tours en 1846 dans une liste
publiée dans L'Artiste118, le
dépouillement des journaux des années suivantes ne permet pas de
retracer à plus long terme l'existence de cette société,
d'autant qu'elle ne semble pas soumise à des statuts juridiques
particuliers, en raison de son affiliation à la commission en charge de
l'organisation de l'exposition. Aussi, il faut remarquer que cette
dernière n'est à aucun moment mentionnée dans les
annuaires du département. En somme, les origines de la première
exposition artistique et de la première Société des Amis
des Arts de Tours sont indissociablement liées. La formation de ces deux
entités est une première étape dans la popularisation et
l'encouragement de l'art dans le département d'Indre-et-Loire.
II) De 1840 au début du XXe siècle
: la fondation et la renaissance des sociétés les plus actives
pour le développement des arts dans le département
d'Indre-et-Loire
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