CONCLUSION
Malgré plusieurs études monographiques
particulièrement érudites réalisées par des
chercheurs locaux dont nous reconnaissons sans conteste la somme
historiographique434, toutes les sociétés
d'encouragement aux Beaux-Arts de Touraine ne profitaient pas jusqu'à ce
jour d'études à leur sujet, à l'exemple des
Sociétés des Amis des Arts fondées à Tours depuis
la première moitié du XIXe siècle. Ce travail
consacré aux sociétés artistiques tourangelles entre 1789
et 1914 a donc permis de redécouvrir quelques une d'entre elles, qui ont
oeuvré pour le développement de la culture en Touraine. Cette
étude permet d'une part de corriger certaines erreurs jusqu'alors
acceptées dans l'historiographie et d'autre part d'enrichir les
connaissances déjà acquises sur ce vaste sujet de recherche, en
proposant une étude globale et impartiale les confrontant toutes
ensembles. C'est avec ce projet et l'intention de mettre en parallèle un
large corpus de sociétés du département d'Indre-et-Loire,
que ce travail a été entrepris, dans l'objectif de
démontrer l'implication des associations dans la vie artistique et
culturelle de la Touraine sur une longue période chronologique, de
près d'un siècle et demi.
Cette étude menée sur les sociétés
d'encouragement aux Beaux-Arts s'inscrit à l'évidence dans le
champ de l'histoire sociale des arts, puisque qu'elle essaie de retracer des
réseaux de sociabilité, des itinéraires personnels
d'artistes et d'érudits, de traiter des données à la fois
d'ordre historique et sociologique et de conjuguer plusieurs domaines de
recherche souvent pluridisciplinaires comme le collectionnisme, le
marché de l'art et l'historiographie. Cette démarche
intellectuelle et scientifique semble nécessaire pour reconstituer la
réalité de l'époque. Dès lors, notre travail
procède à son échelle et avec des résultats
incontestablement plus modestes, des études entreprises notamment par
les historiens de l'art Dominique Dussol et Nicolas Buchaniec, de la sociologue
Raymonde Moulin et de l'historien Jean-Pierre Chaline435 qui tous se
sont intéressés à l'histoire des sociétés
savantes et artistiques et à leurs actions sur les territoires
provinciaux, dans l'objectif de définir entre autres, la part
d'influence
434 AUDIN, Pierre, op. cit, 2008.
LAURENCIN, Michel, « La Société
d'agriculture... », op. cit, 2010.
435 DUSSOL, Dominique, op. cit., 1997. BUCHANIEC,
Nicolas, op. cit., 2010. MOULIN, Rayomde, op. cit., 1976.
CHALINE, Jean-Pierre, op. cit., 1998.
123
des associations sur la vie artistique, culturelle,
pédagogique, économique et sociale dans les départements
français au XIXe siècle.
Peut-être que le titre de cette étude
soulève quelques interrogations ou commentaires quant à la
définition géographique du sujet ? En dépit de recherches
bibliographiques et archivistiques, aucune société ou cercle
impliqué dans le domaine des Beaux-Arts n'a pu être recensé
dans le département en dehors de Tours. Dès lors était-il
nécessaire de maintenir ce titre ? Il semble vraisemblablement qu'il
faille défendre l'affirmative. Si c'est en la préfecture
d'Indre-et-Loire que l'ensemble des sociétés d'émulation
artistique se situe, en raison de la présence des institutions
politiques, administratives, économiques et culturelles conduisant par
là-même à la présence de l'essentiel des membres des
sociétés, c'est à l'héritage historique et
artistique de la Touraine en général que toutes les associations
de Tours font appel dans un souci de légitimité. Les
sociétés ne sont plus seulement à inscrire dans une aire
géographique, mais dans un périmètre artistique et
historique. Il semble donc qu'à l'exemple d'autres
sociétés artistiques françaises, dont les
Société des Amis des Arts de la Nièvre, de la Moselle, de
Savoie ou encore de la Drôme, l'essentiel des sociétés
d'Indre-et-Loire s'inscrivent dans le champ plus large du département,
à commencer par la Société d'Agriculture, Sciences, Arts
et Belles-Lettres d'Indre-et-Loire, puis la Société
Archéologique de Touraine et la Société des Amis des Arts
de la Touraine. Néanmoins un élément distingue certaines
d'entre elles : la dénomination de leur secteur géographique.
Créée sous l'Empire, période d'abolition des
privilèges et des titres de la société d'Ancien
Régime, la Société d'Agriculture utilise la
dénomination récente du département, à l'inverse
des sociétés formées à la Restauration et sous la
Troisième République qui font appel à la nomination de
l'ancienne province de France. Le recours à la dénomination
ancienne du territoire semble participer à l'inscription de ces
sociétés, de leurs actions et de leurs membres dans la
généalogie historique et artistique de la Touraine, et en
particulier à ses heures les plus fastes à l'instar de la
Renaissance.
La micro-histoire des sociétés savantes et
artistiques d'Indre-et-Loire semble suivre finalement les
pérégrinations du contexte de création des
sociétés savantes et artistiques françaises. Dès
lors les multiples typologies de sociétés
référencées à l'échelle nationale se
retrouvent dans cette étude. Académies, sociétés
littéraires, archéologiques ou artistiques sont autant de
catégories de sociétés présentes en Touraine au
XIXe siècle qui s'investissent de près ou de loin dans
le développement des Beaux-Arts. C'est ce que nous avons essayé
de présenter en constituant une histoire chronologique et sociale des
formations des sociétés artistiques en Touraine, en
débutant notre récit à la Révolution et en le
clôturant à la veille de la Grande
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Guerre. Des premières sociétés, à
l'exemple de la Société Royale d'Agriculture de la
généralité de Tours aux dernières
référencées à l'instar de la Société
des Amis des Arts de la Touraine, de la Société Photographique ou
paradoxalement de la section artistique de la Société
d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres d'Indre-et-Loire -
héritière lointaine de la première société
mentionnée - apparaissent sans grande difficulté, des
différenciations majeures dans la forme mais aussi dans le fond,
même si toutes sont investies dans le développement des arts.
De fait, toutes ne participent pas aussi activement à
l'encouragement des Beaux-Arts, comme le démontre cette étude
chronologique des diverses associations. À l'évidence, les
sociétés de la fin du siècle et particulièrement la
Société des Amis des Arts de la Touraine et la section artistique
de la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres du
département d'Indre-et-Loire s'investissement plus activement dans
l'encouragement des Beaux-Arts en Touraine. L'organisation
régulière d'expositions, de loteries, de concours mais
également les attributions annuelles de prix et de bourses aux artistes
en devenir sont les manifestations sensibles qui les différencient des
autres sociétés. Néanmoins les Sociétés des
Amis des Arts tourangelles et les associations artistiques s'y apparentant, se
distinguent fondamentalement et presque idéologiquement des autres
sociétés. À l'exemple de la Société des Amis
des Arts de la Touraine, pour laquelle notre étude réserve
indéniablement une large place dans le but de mettre en relief son
action vis à vis des autres associations du département, les
sociétés artistiques de Touraine se distinguent par les membres
à l'origine de leur formation. L'essentiel des membres fondateurs sont
effectivement des artistes locaux ayant l'ambition de promouvoir et de
défendre les arts vivants de leur région. Si les érudits
tourangeaux, investis dans les différentes sociétés
savantes de Touraine, s'efforcent par leurs écrits de
célébrer la mémoire, les arts et le patrimoine monumental
local, les artistes regroupés dans les sociétés
d'encouragement aux Beaux-Arts semblent s'impliquer dans la construction de
l'identité artistique tourangelle depuis le milieu du XIXe
siècle. L'organisation d'expositions strictement réservées
aux artistes de la région, le rejet des oeuvres des artistes
étrangers, l'érection de statues à la mémoire des
grands hommes du département ou les diverses sollicitations
adressées à l'autorité municipale pour l'acquisition des
oeuvres des artistes tourangeaux sont des exemples de la volonté des
sociétés artistiques de Touraine de valoriser l'identité
locale.
Toutefois, la constitution d'une identité tourangelle
ne peut s'opérer de manière isolée par les
sociétés, en raison notamment des difficultés
financières et règles administratives auxquelles elles sont
soumises. Ainsi elles travaillent en collaboration étroites avec les
acteurs
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politiques de la ville, du département et de la nation.
Les rapports entretenus entre les instances politiques et les
sociétés ont été examinés à partir de
documents administratifs, souvent arides pour l'historien, mais contenant des
informations utiles et de première main, nécessaires à
constituer une chronique administrative, économique et culturelle du
quotidien des sociétés artistiques et savantes. Si les
administrations municipales, préfectorales et nationales semblent
accorder une grande autonomie aux sociétés, elles se
révèlent être néanmoins des soutiens constants et
nécessaires pour le développement des activités
artistiques auquel aspirent les associations. Le prêt de locaux à
plus ou moins courtes durées, l'attribution d'oeuvres d'art ou
d'allocations pour organiser des expositions et des loteries, sont autant
d'actions qui démontrent l'implication des administrations dans le
quotidien des sociétés locales. La participation
régulière des autorités administratives aux frais des
associations artistiques sous-entend l'intérêt de ces
dernières dans le développement et l'encouragement des Beaux-Arts
sur le territoire national. Tout compte fait, il paraît bien difficile de
désigner l'action des sociétés d'encouragement aux
Beaux-Arts comme le résultat de la délégation des affaires
culturelles de l'État, en raison de son implication
régulière dans le quotidien des associations. À
l'évidence, il faut envisager l'organisation des manifestations locales
de Beaux-Arts comme la conséquence de cette relation
bilatérale.
En ce qui concerne les sociétés artistiques de
Touraine, notre étude paraît démontrer le rôle
particulier qu'elles jouent dans les affaires culturelles de Tours et du
département au XIXe siècle. Si en dehors de leurs
actions, les arts et la culture ne sont pas annihilés, il semble qu'ils
soient relativement restreints. Le musée et l'école des
Beaux-Arts sont effectivement les seules institutions artistiques locales au
XIXe siècle. Notre étude prouve dès lors que
les sociétés artistiques sont des acteurs majeurs de la vie
culturelle à cette époque et qui ont conscience à la fois
de leur rôle philanthropique et pédagogique. Les
sociétés sont en effet à l'origine de nombreuses
souscriptions pour l'érection de statues à la mémoire des
grands hommes du département. Outre le devoir de mémoire, ces
monuments ont l'intention d'inspirer la population à suivre la voie des
personnages statufiés. Aussi, il faut noter que toutes les expositions
se tenant à Tours au XIXe siècle sont établies
par les sociétés du département, à l'exception
toutefois de celles de 1881 et 1892, organisées par des commissions
municipales dont l'essentiel des membres sont néanmoins
sociétaires des associations artistiques et savantes de Touraine.
Il est fort probable que d'autres expositions aient
été organisées en dehors de celles que nous avons
mentionné dans notre travail, en raison d'un dépouillement non
exhaustif de la
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presse sur cent vingt-cinq ans. Toutefois, lumière a
été faite sur plusieurs d'entre elles, jusqu'alors non
mentionnées dans les travaux touchant à l'histoire culturelle
locale436. Toutes ces expositions n'ont à l'évidence
pas la même destination. Quand certaines se veulent exclusivement
pédagogiques, comme les expositions rétrospectives de la
Société Archéologique de Touraine, présentant les
oeuvres conservées dans les collections particulières du
département, d'autres se proposent d'encourager les artistes vivants en
se faisant lieu d'attraction commercial, puisque proposant un cadre de vente
dont les artistes locaux ont rarement à disposition, comme nous le
présentons dans notre travail.
Cependant, la majorité des expositions se rejoignent en
mettant en lumière les mérites de la production locale, qu'elle
soit ancienne ou contemporaine. En effet, les expositions rétrospectives
sont l'occasion d'inscrire dans l'histoire de l'art, alors en construction, les
spécificités du patrimoine artistique régional, à
l'exemple des céramiques de Charles-Jean Avisseau qui permettent d'une
part de faire la jonction entre art ancien et art vivant et qui sont à
l'évidence d'autre part les éléments les plus
caractéristiques de l'école de Tours. Nous nous efforçons
ainsi dans notre travail de démontrer l'importance de l'action des
sociétés de Beaux-Arts dans ce chantier de reconstruction
identitaire. Outre l'art d'Avisseau et de ses suiveurs, l'art vivant tourangeau
ne semble pas disposer d'une esthétique particulière. Dès
lors les sociétés d'encouragement aux Beaux-Arts, et
principalement la Société des Amis des Arts de la Touraine et la
section artistique de la Société d'Agriculture s'emploient
à former un cercle d'artistes placés sous l'égide des
maîtres tourangeaux faisant carrière à Paris. Aussi ne
faut-il pas oublier que la définition d'artiste tourangeau que donnent
les sociétés artistiques est poreuse et semble profiter aux
artistes de stature locale.
Si l'essentiel des expositions organisées à
Tours sont strictement réservées aux artistes locaux, dans
l'objectif de soutenir leur production, certaines sont ouvertes aux artistes
étrangers et notamment parisiens. Pour les organisateurs, la
présence de ces artistes valorise à n'en pas douter leurs
expositions. Aussi, la confrontation de la population tourangelle aux oeuvres
des artistes de Paris se présente comme des rencontres
bénéfiques pour chacun des partis. En effet, la majorité
des habitants de Tours et des jeunes artistes de la région ne sont que
rarement confrontés à l'art vivant de la capitale. Dès
lors les expositions sont à comprendre comme des
événements à la fois pédagogiques et mercantiles.
Pour les artistes qui y exposent, elles sont
436 AUGOUVERNAIRE, Martine, op. cit. 1992, p. 141-143.
BENÂTRE, Nathalie, op. cit., 1988, p. 114-123. BROGARD,
Clémence, op. cit. 2016, p. 125.
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effectivement à appréhender comme des avatars de
la décentralisation du marché de l'art de Paris vers la province.
Les salons provinciaux en général, les expositions
sociétales de Touraine en particulier sont des manifestations
intéressantes pour l'ensemble des artistes français
confrontés à une vive concurrence. Dès lors, ces
expositions se présentent comme un second marché de l'art
où les artistes trouvent en dehors de la capitale des
mécènes et des amateurs. L'exemple particulier de l'exposition de
1882 organisée par la Société des Amis des Arts de la
Touraine le démontre. Toutefois, nous concluons que cette exposition est
à envisager comme un événement inédit en Touraine,
puisqu'elle semble être la seule à avoir accueillie autant
d'artistes étrangers et avoir induit autant de ventes au cours de son
ouverture.
Si les sociétés tourangelles sont
bénéfiques pour les artistes en leur apportant notamment une
visibilité certaine, qu'en est-il finalement pour la population, pour
laquelle elles se proposent généralement de développer le
goût des arts ? À l'évidence, toutes les couches de la
société tourangelle ne sont pas touchées par l'action des
sociétés savantes et artistiques, malgré des vertus
philanthropiques affirmées, qui se soldent par des essais de
démocratisation des manifestations culturelles. L'abaissement des
tarifs, l'adjonction d'événements culturels plus populaires aux
expositions d'art vivant ou l'organisation de loterie sont autant
d'opérations qui s'inscrivent dans la démarche de
démocratisation de la consommation artistique au XIXe
siècle. Pour autant nous démontrons que la participation au
quotidien des associations et aux activités organisées par
celles-ci reste l'apanage de l'élite tourangelle en analysant à
la fois les profils des membres des bureaux des différentes
sociétés et en observant la fréquentation des expositions
et des tarifs des cotisations par exemple.
Le travail proposé n'est pas insoumis à la
critique. Toutefois, il nous semble qu'il permet de mieux appréhender
dans leur globalité, les sociétés d'encouragement aux
Beaux-Arts, principaux promoteurs de l'art en province au XIXe
siècle. Sans prétention aucune, ce mémoire fournit une
base solide pour tout historien sensible aux questions des sociabilités
artistiques au XIXe siècle en Touraine et qui souhaiterait
affiner cette première recherche. Si l'essentiel des
sociétés convoquées dans cette étude sont
pluridisciplinaires, ce sont manifestement les arts plastiques qui ont
été les plus étudiés. Il reste donc du travail
à l'historien musicologue ou spécialiste des arts du spectacle,
pour retracer la vie musicale et dramatique en Indre-et-Loire au
XIXe siècle, d'autant que les sociétés
orphéoniques et théâtrales sont abondantes dans le
département comme en témoigne le dépouillement des
dossiers administratifs des
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associations437. En ce qui concerne principalement
le développement des Beaux-Arts par l'intermédiaire des
sociétés artistiques, il serait intéressant
d'élargir la recherche à l'ensemble de la région pour
proposer une histoire comparative des associations des différents
départements limitrophes. Sans doute serait-il nécessaire de
conserver la chronologie fixée pour cette étude. Mais avant tout,
il faudrait définir les limites géographiques de la
région, puisque cette division administrative n'existe pas en tant que
telle au XIXe siècle. Il serait possible par exemple,
d'étudier les sociétés issues des départements
conviés à participer aux expositions des produits des arts et de
l'industrie en Touraine, que sont la Sarthe, la Loire-Inférieure, le
Loiret, la Vienne, l'Indre, le Maine-et-Loire et le Loir-et-Cher. Cette
étude pourrait s'appuyer sur des travaux déjà menés
sur les sociétés locales de ces
départements438. Les sources à disposition sont
probablement les mêmes que celles nécessaires à constituer
notre étude, à l'instar de la presse, des archives
administratives et autres livrets et catalogues d'exposition. Ce travail
permettrait notamment de retracer des réseaux entre les membres des
diverses sociétés, comprendre la réception des artistes
régionaux au cours des différentes expositions et
redéfinir plus généralement la cartographie de la vie
artistique en province au XIXe siècle.
437 Police 1800-1940 : Associations, cercles et
sociétés, Tours, Archives départementales
d'Indre-et-Loire, 4M 168 à 265.
438 CRÉTIN-NICOLO, Olivia, op. cit., 2003.
ROSENEAU, Ariane, La Société des Amis des
Arts d'Angers, mémoire de maîtrise d'histoire de l'art,
Université Paris-Sorbonne, 1986.
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