Analyse de l'impact des activités de l'association nationale pour le bien etre de la population (ANBEP) dans la dynamique du développement local au Sénégalpar Aliou WANE Université de Franche Comté (France) - Master 2 Aménagement et Gouvernance dans les Pays des Suds 2012 |
INTRODUCTION GENERALELe mouvement associatif sénégalais souvent assimilé à la société civile, a connu plusieurs étapes dans son évolution. D'abord faible vers les années 1900, il se limitait aux quatre communes (Gorée et Saint Louis en 1872, Rufisque en 1880 et Dakar en 1887) dont les habitants jouissant d'une citoyenneté française, avaient le droit et la liberté de se constituer en associations. Il faut attendre la généralisation de la citoyenneté, après la seconde Guerre Mondiale, pour assister à un foisonnement du tissu associatif à connotation religieuse, ethnique ou culturelle. Au lendemain des indépendances et après la crise politique de 1962 qui inaugure l'ère du parti unique, le mouvement associatif fut placé sous la tutelle de l'Etat dans le cadre de la mise en oeuvre de l'animation rurale (à travers la création de Centre d'Expansion Rural Polyvalent devenu Centre d'Appui au Développement Local aujourd'hui). Au début des années 1970, la vie associative se « libéralise » et on voit émerger des associations autonomes par rapport au pouvoir politique et administratif. Mais ce mouvement va s'intensifier surtout à la fin des années 1980 où l'on va assister à une multiplication de leur nombre. L'explosion des mouvements associatifs urbains au Sénégal est en relation étroite avec l'évolution du contexte national pendant la crise multiforme des années 1990. Trois facteurs pourraient expliquer ce phénomène : - la crise économique poussant le désengagement de l'Etat confronté aux rigueurs de l'ajustement structurel et des conditionnalités des institutions financières internationales. Elle conduit à une récession persistante et sévère qui gonfle les flux de l'exode rural, intensifie une urbanisation artificielle et transfère la pauvreté des campagnes vers les villes dont la détérioration des conditions de vie du plus grand nombre jette le discrédit sur l'État ; - les exigences de « bonne gouvernance » marquent l'intervention directe des bailleurs de fonds au profit de programmes de lutte contre la pauvreté qui ciblent les populations au niveau de leurs territoires amenant une véritable transition politique. Au Sénégal, il a coïncidé avec le paroxysme du mouvement politique1(*) « Sopi », qui réclamait le changement. Les jeunes avaient été les plus séduits par cet appel à un ordre nouveau. La vague Set-Sétal2(*) (nettoyage) a été un moyen d'expression de leur détermination et de leur aptitude au changement. - Le processus de décentralisation (la transformation des communes en collectivités locales en 1990) renforce les opportunités de participation populaire au développement national et local. Ainsi, la liberté d'expression donnée aux citoyens, s'accompagne de la liberté d'association, d'une plus grande attention est accordée à l'utilisation des ressources destinées aux acteurs sociaux. Ces paramètres apparaissent rétrospectivement comme des catalyseurs ou des accélérateurs des dynamiques associatives. Si les domaines de souveraineté sont exclusivement du ressort de l'Etat, les secteurs socio économiques sont pris en charge de façon complémentaire par les collectivités territoriales, les organisations non gouvernementales (ONG), les associations et le secteur privé. L'Etat accorde ainsi des espaces de liberté aux citoyens afin qu'ils participent de façon responsable aux transformations socio - économiques du pays. Que ce soit de façon formelle ou non, bien structuré ou non, les initiatives à la base ont connu un boom spectaculaire qui témoigne de l'intérêt de la population à s'investir dans l'action associative. En fonction de la forme juridique, du champ géographique, de l'importance et de la finalité des mouvements populaires, une typologie de structures se dessine dans la banlieue : les groupements de promotion féminine (GPF), les fédérations de groupements, les groupements d'intérêt économique (GIE), les coopératives, les organisations communautaires de base (OCB), les organisations non gouvernementales (ONG), les « groupes de... (Prière, lecture...) », les tontines (mbotayes), les « communautés de... », les associations religieuses musulmanes (les dahiras) ... Les associations, mettant en commun des énergies (investissement personnel) et des ressources (créativité, savoir-faire, biens matériels), visent à produire des réponses aux besoins précis de communautés. Elles sont apparues comme des opportunités pour prendre en charge les problèmes de survie et d'accès au mieux être. Cette dynamique associative est réelle dans les quartiers comme Yeumbeul (banlieue situé dans le département de Pikine, la région de Dakar) où 80% des ménages ne bénéficient pas d'un réseau d'alimentation moderne en eau potable guidé par la question de la prise en charge de la demande sociale des jeunes. Cette localité a connu un développement démographique fulgurant dans les années 1990 et atteint aujourd'hui 120 000 habitants. Elle est confrontée à des problèmes tels que : - une pauvreté profonde en l'absence d'activités génératrices de ressources de survie, le chômage y est généralisé. Les maigres ressources proviennent de l'économie informelle ; - une pression démographique très forte sur un espace restreint et sous-équipé ; - une urbanisation spontanée avec comme corollaire une carence d'infrastructures socio-économiques et de services sociaux de base comme : eau potable, assainissement, écoles, santé ... Face à l'incapacité du pouvoir politique à prendre en charge les services publics et les besoins sociaux, les populations s'organisent pour donner une réponse collective à ces problèmes. A Yeumbeul, ce sont ainsi plus de cinq associations3(*) qui sont créées dans les années 1990 (cf. Carte 1) : l'Association Nationale pour le Bien-Etre de la Population (ANBEP) fondée en 1991, l'Association des Jeunes de Yeumbeul pour la Promotion Sociale (AJYPROS), en 1994, l'Association pour le Sport et le Développement de Yeumbeul (ASDY), en 1996, le Comité de Coordination des Actions pour le Développement de Yeumbeul (COCADY), en 1997. Carte 1 : Les territoires d'action des associations de développement à Yeumbeul à la fin des années1990
Source : Olivier Legros, 2007 modifié par Wane 2013 De plus prés, l'Association Nationale pour le Bien-être de la Populations (ANBEP), créée en 1991 à l'initiative des notables et des jeunes, tente à bras le corps de répondre aux besoins exprimés par les populations sur l'assainissement des quartiers, l'adduction d'eau, la faible planification familiale, la faible scolarisation, les revenus familiaux insuffisants, la mortalité infantile, l'abandon des enfants, la drogue, la prostitution, la mendicité, le vol, le chômage, l'insalubrité ... L'ANBEP a pu attirer des bailleurs de fond et activer les ressources locales pour réaliser ces programmes. Sa stratégie est fondée sur la proximité alliant conférences, débats, théâtre populaire, projections de films, causeries, formation de relais communautaires... Elle a cerné la banlieue Dakaroise avant de décentraliser ses activités sur les départements de Kanel et de Mbacké, touchant près de 15 000 personnes. Cette association toujours prés du terrain se caractérise par sa capacité à réunir des individus pour mettre en commun leurs connaissances et leurs talents, afin de réaliser un projet commun qui est d'une part l'une des démarches du développement local et d'autre part englobe aussi des aspects sociaux, culturels et environnementaux. Sous l'angle des politiques d'aménagement du territoire, les acteurs locaux interviennent dans la gestion de la complexité institutionnelle4(*), mais aussi celle du dysfonctionnement des divers niveaux et organismes d'interventions. D'une manière plus large, l'implication des mouvements associatifs apparaît, de nos jours, comme une donnée essentielle de la décentralisation. Une meilleure implication des organisations de base, dans les débats d'intérêt local et dans les prises de décision, est un gage de succès et permet aussi l'instauration d'un esprit de partenariat entre les différents acteurs. La décentralisation favorise le développement local qui est un sujet très proche des associations. Non seulement parce qu'elles sont concrètement impliquées dans la réalisation des projets de développement local là où ils existent. Mais aussi parce que la démarche du développement local correspond parfaitement à la vision des associations c'est-à-dire la capacité à réunir des individus pour mettre en commun leurs connaissances et leurs talents, afin de réaliser un projet collectif dans un autre but que de partager des bénéfices. Les visions de la politique nationale de développement épousent ces contours que l'association nationale pour le bien être de la population concrétise sur le terrain. Pour rédiger ce rapport, nous avons participé aux activités sur le terrain dans les différentes zones d'interventions de l'association. La lecture de cette configuration spatiale laisse entrevoir des formes de partenariats, des jeux d'alliances et de pouvoirs entre les différents acteurs qui interviennent dans les programmes. Nous avons eu recours à l'approche systémique pour identifier les systèmes d'acteurs et leurs jeux multiples afin d'expliquer et de comprendre les observations. La cartographie des activités et des réalisations ainsi que la mise en place d'indicateurs d'impacts sont une étape de vérification que cette association s'inscrit dans la dynamique du développement local au Sénégal. Ces différents éléments débouchent à ce rapport présenté en deux grandes parties. La première est relative au cadre du stage qui comprend trois points : d'abord la présentation générale de l'ANBEP, ensuite les caractéristiques du stage après le cadre de référence. La deuxième partie développe les résultats de l'étude et est scindée en trois chapitres : le premier traite le système d'acteurs et de gouvernance locale, le second l'impact des activités de l'association en termes de développement local et le dernier l'impact des activités en rapport à l'aménagement du territoire. CADRE DU STAGE * 1 Salimata Wade 2002 « La dynamique associative en milieu urbain ouest africain », Enda Tiers Monde Equipe Ecopop, 46 pages * 2 Mot Wolof signifiant propre et rendre propre * 3 Olivier Legros, 2007 « Le gouvernement des quartiers populaires : production de l'espace et régulation politiques dans les quartiers non réglementaires de Dakar (Sénégal) et de Tunis (Tunisie) » Thèse de Doctorat de 3éme cycle, Université de Tours, 486 pages * 4 Le processus actuel de décentralisation, c'est à dire de transfert de compétences vers les collectivités locales, offre au pays de nouvelles opportunités et d'importants défis. La décentralisation et la déconcentration exigent l'établissement de nouveaux partenariats à plusieurs niveaux : entre les différentes instances de l'administration, entre l'Etat, les collectivités locales et les populations organisées |
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