2. Un défi social
L'application du revenu universel en France ne peut s'abstenir
d'une réflexion sur le modèle social, et sur les
conséquences pour le citoyen et les rapports sociaux.
2.1. Un nouvel élan pour un modèle social
vieillissant
Afin de comprendre au mieux les enjeux sociaux d'une telle
mesure, il faut commencer par décrire le modèle social
français.
a) Le modèle social français
La mise en place d'un revenu universel en France est un
défi social important. En effet, les difficultés
économiques françaises sont imputées en partie au
modèle social.29 Il s'appuie sur le programme des
réformes économiques et sociales adoptées par le Conseil
National de la Résistance à la sortie de la seconde guerre
mondiale. Son but est de protéger les travailleurs contre la perte de
revenu que peuvent engendrer le chômage, la maladie, la vieillesse et les
charges familiales. La protection sociale est basée sur les travailleurs
employés qui, grâce aux cotisations, redistribuent à ceux
qui n'ont pas d'emploi.
Il se rapproche d'un modèle conservateur, ou
continental, selon Esping-Andersen30. Il est
caractérisé par un fort corporatisme, une réglementation
importante, un fort niveau d'imposition et de dépenses publiques, ainsi
que des inégalités assez élevées avec un taux de
chômage structurellement élevé.
29 Algan, Cahuc et Zylberberg développent l'idée
que les institutions sont au coeur du dysfonctionnement économique et
qu'elle crée elles-mêmes de la défiance : La fabrique de
la défiance.
30 Nous nous appuyons sur Esping-Andersen. Les trois mondes
de l'Etat-providence : Essai sur le capitalisme moderne.
Aubert Sébastien | Le Revenu Universel 23
Ce modèle englobe aussi les assurances sociales
collectives financées par le travail (retraite), des prestations de
soutien financées par les impôts et taxes (allocation
chômage, allocation familiale) et les services publics gratuits et
universels (éducation, santé). Il est aussi élargi au
droit du travail français, au rôle des organisations syndicales
dans la gestion des caisses d'assurance sociale...
En outre, le modèle social peut être
principalement défini par son corporatisme, comparé à
d'autres systèmes de protection sociale. Chacun défend
l'intérêt de son statut sans l'idée d'un compromis ou d'une
vision commune. Les prestations sont accordées selon la vie
professionnelle des individus. Les aides sont ainsi fortement liées au
travail, à la situation familiale... La redistribution faite par
l'Etat-providence français est faible, encourageant les clivages entre
statuts. Esping-Andersen résume le modèle conservateur comme ceci
: « les principes fondateurs du corporatisme sont une fraternité
basée sur l'identité statuaire, l'adhésion obligatoire et
exclusive, le mutualisme, et le monopole de la représentation.
Reporté au capitalisme moderne, le corporatisme est typiquement
construit autour de groupement de métiers cherchant à faire
respecter les distinctions de statuts traditionnellement reconnues et à
les utiliser comme lien organisationnel pour la société et
l'économie. » (Esping-Andersen 1999, p.81) En France le statut
spécifique des régimes de retraite spéciaux pour la SNCF,
la Banque de France, l'Opéra de Paris, ou encore les nombreuses niches
fiscales comme celles accordées à la presse en sont des exemples
marquants.
Ainsi le modèle français repose sur le statut
salarié permettant le prélèvement de cotisations sociales
qui peuvent être ensuite redistribuées.
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