CHAPITRE 3. De la subjectivité dans le langage
3.1 Les déictiques
Catherine Kerbrat-Orecchioni nous propose une
définition pour mieux assimiler la fonction des déictiques : ce
sont les unités linguistiques dont le fonctionnement
sémantico-référentiel implique une prise en
considération de certains des éléments constitutifs de la
situation de communication :
- le rôle que tiennent dans le procès
d'énonciation les actants de l'énoncé
- la situation spatio-temporelle du locuteur, et
éventuellement de l'allocutaire (Orecchioni 2006 : 41).
Il s'avère nécessaire de préciser que le
référent d'une unité déictique est variable et ce
dernier varie selon la situation, contrairement au sens qui reste constant d'un
emploi à l'autre. Toute unité linguistique voit son
référent varier d'une énonciation à l'autre. Il
existe une différence fondamentale entre unités déictiques
et unités non déictiques. Ces dernières ont un denotatum
(classe d'objets que l'item est virtuellement susceptible de dénoter)
relativement stable. En revanche si les unités déictiques
reçoivent bien en discours un référent spécifique,
ne possèdent pas, en langue, de denotatum spécifiable.
C'est-à-dire que pour la plupart des unités lexicales, la
synonymie peut être définie soit en termes d'identité de
contenu sémantique, soit en termes d'identité d'extension. Cela
veut dire que deux mots ayant même sens possèdent en principe la
même classe de dénotés virtuels (le même denotatum)
et inversement. Sauf que pour les déictiques il ne s'agit pas de la
même règle, et il faut bien avoir en tête que
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2 mots déictiques peuvent avoir la même extension
sans être pour autant synonymes. (Orecchioni 2006 : 42).
3.1.1 Les pronoms personnels
D'après C. Kerbrat-Orecchioni les pronoms personnels
sont les plus évidents, et les mieux connus, des déictiques. Nous
pouvons parler d'un contenu référentiel précis si le
récepteur tient compte de la situation de communication de telle
façon qu'elle soit :
- nécessaire et suffisante dans le cas de « je
» et de « tu » : ce sont de purs déictiques ;
- nécessaire mais non suffisante dans le cas de «
il(s) » et « elle(s) », qui sont à la fois
déictiques ( nous pouvons les nommer « indicateurs » car ils
indiquent notamment que la fonction de l'individu qu'ils dénotent se
différencie de celle d'un locuteur et d'un allocutaire) et
représentants (ils exigent un antécédent linguistique).
Le « nous » ne correspond jamais, sauf dans des
situations très marginales comme la récitation ou la
rédaction collectives, à un « je » pluriel. Son contenu
peut être défini ainsi : nous = je + tu et/ou il.
Nous pouvons distinguer 3 cas :
nous = je + non - je => Premier cas : je + tu
(singulier ou pluriel) : « nous inclusif » ; Deuxième cas
: je + il(s) : « nous exclusif » ; Troisième cas :
je + tu + il(s). Le « nous » inclusif est purement
déictique. En revanche, lorsqu'il comporte un élément de
troisième personne, le pronom doit être accompagné d'un
syntagme nominal fonctionnant comme un antécédent de
l'élément « il » inclus dans le « nous ».
vous = tu + tu et/ou il => Nous pouvons
distinguer 2 cas : 1) vous = tu + non - je => tu pluriel : déictique
pur ; 2) tu + il(s) = déictique + contextuel
Ce tableau met en lumière la différence entre
les pronoms personnels mais également celle entre locuteur - non
locuteur / allocutaire - non allocutaire. Nous constatons que le pronom
personnel « je » représente le locuteur, tandis que tous les
autres pronoms personnels représentent le non locuteur. Ce dernier est
divisé en 2 sous-catégories, incluant aussi le pronom personnel
« nous » mis à part. Première sous-catégorie -
c'est la personne qui fait partie du débat, de la discussion ou tout
simplement de la conversation. Donc logiquement nous trouvons ici les pronoms
personnels « tu » et « vous ». Pour l'instant nous avons
celui qui parle, celui avec qui il parle et il nous manque celui ou ceux/celles
qui écoute(nt) donc l'auditoire. Ce dernier est composé d'un
pronom à la 3ème personne du singulier ou du pluriel. Le pronom
personnel « vous », en tant que formule d'appel et de politesse,
représente l'allocutaire et le non allocutaire.
C. Kerbrat-Orecchioni déclare que comme les autres
formes verbales les pronoms personnels réfèrent à des
objets extralinguistiques et non à leur propre énonciation. Les
déictiques réfèrent à des objets dont la nature
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particulière ne se détermine qu'à
l'intérieur de l'instance particulière de discours qui les
contient.
Exemple 15 « Je
salue bien sûr tous les députés qui ont
contribué aux travaux en commission. Avec la ministre du travail, Myriam
El Khomri, dont je veux saluer une fois de plus l'engagement
et l'opiniâtreté, nous nous sommes battus pour
convaincre. Je sais que la très grande majorité
du groupe socialiste est convaincue, grâce notamment au travail
formidable du rapporteur, Christophe Sirugue. Cette recherche permanente de
compromis a toujours été l'attitude du Gouvernement. C'est
pourquoi le texte sur lequel il engage sa
responsabilité intègre 469 amendements, pour une très
large majorité issus de ce travail collectif. »15
Dans cet exemple nous repérons la présence de
trois pronoms personnels : je, il et
nous. Le « je » représente le locuteur, en
l'occurence le Premier ministre et le Chef du gouvernement, donc Manuel Valls.
Ce dernier s'exprime au sujet du projet de loi Travail et de l'application de
l'article 49.3 de la Constitution. Il s'agit d'un « je » affirmatif
qui d'abord tient à saluer l'action et le choix des
députés en question, et puis il salue de nouveau la ministre du
travail. Le premier « je » est suivi du verbe saluer, et
dans ce cas en utilisant ce verbe le locuteur adresse ses compliments aux
hommes politiques concernés. Donc il s'agit d'une marque de respect et
de reconnaissance. Le deuxième « je » est suivi d'un verbe
modal, vouloir, et ici nous pouvons même parler d'un « je
« affectif car le fait de vouloir saluer une nouvelle fois la ministre du
travail nous amène à penser que
15Engagement de la responsabilité du
gouvernement, en application de l'article 49.3 de la Constitution, sur le vote
du projet de loi "Travail : nouvelles libertés et protections pour les
entreprises et les actifs", à l'Assemblée nationale le 10 mai
2016
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les propos du locuteur sont émotifs. Le
troisième « je » est suivi du verbe savoir et
celui-ci permet à l'orateur d'énoncer qu'il est au courant de la
situation liée à la majorité. Le pronom personnel «
nous » est composé de « je + tu », donc c'est un «
nous inclusif ». Le pronom est suivi du verbe se battre, cela
veut dire que le Premier ministre et la ministre du travail ont mené un
long combat coude à coude afin de convaincre les députés
ayant une vision sceptique quant au projet de loi Travail. Le pronom personnel
« il » remplace le nom Gouvernement. Suivi du verbe
engager, ce pronom confirme publiquement que l'engagement et la
mission du Gouvernement privilégient le dialogue social, donc faire des
compromis au nom de l'objectif final.
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