II. La CEEAC, maître d'oeuvre de l'architecture de la
paix et de la sécurité en Afrique centrale
Alors que la plupart des pays africains fêtent
leurs 50 ans d'indépendance nationale, la promotion d'une unité
du continent reste d'actualité. L'Union africaine (UA), qui s'est
emparée en 2002 de l'héritage du panafricanisme, tente de faire
ses preuves en s'attelant à relever les nombreux défis
laissés en friche par l'Organisation de l'Unité africaine (OUA)
avait échoué. Avec la création de l'Architecture africaine
de paix et de sécurité (AAPS), l'un de ceux-ci reste à
présent la redéfinition de la coopération entre l'UA et
les Communautés économiques régionales (CER). En effet,
traditionnellement reconnues comme de simples piliers de la Communauté
économique africaine (CEA), les CER sont devenues des acteurs à
part entière en matière de paix et de sécurité. La
CEEAC s'est donc engagée dans la prévention, la gestion et la
résolution des conflits en Afrique centrale.
48
II.1. Les Prémices de la promotion de la paix
et de la sécurité au sein de la CEEAC : la création du
Comité consultatif permanent des Nations unies sur les questions de
sécurité en Afrique centrale (CCPNUQSAC)
En décembre 1981 les dirigeants de l'Union
Douanière et Économique de l'Afrique Centrale (UDEAC) ont
donné leur accord de principe pour élargir la Communauté
Économiques d'États de l'Afrique Centrale. La CEEAC à
été créée, le 18 octobre 1983 par les membres de
l'UDEAC et les membres de la Communauté Économique des Pays des
Grands Lacs (CEPGL) (Burundi, Ruanda et le Zaïre - ainsi nommé
à l'époque), ainsi que Sao Tomé et Principe. L'Angola a
conservé un rôle d'observateur jusqu'en 1999, date à
laquelle le pays est devenu membre. La CEEAC fonctionne dès 1985, mais
est restée inactive pendant une grande partie des années
quatre-vingt dix.
En 1986, Paul Biya, alors président en fonction
de la CEEAC, demande à l'ONU d'aider l'organisation à restaurer
la confiance entre les Etats afin de réduire le risque de conflit. Huit
ans plus tard70, le Secrétaire général de
l'ONU, Boutros Boutros-Ghali, créait le Comité consultatif
permanent des Nations unies sur les questions de sécurité en
Afrique centrale (CCPNUQSAC). Au sein de ce comité, les ministres des
Affaires étrangères, de l'Intérieur et de la
Défense de la région se rencontraient pour aborder les questions
de paix et de sécurité et rédiger des recommandations
devant être ratifiées par les chefs d'Etat. Le Comité s'est
révélé utile ; il a amélioré progressivement
la communication entre les gouvernements d'Afrique centrale sur les questions
de sécurité, alors que la CEEAC se trouvait dans un coma
prolongé. A la fin de la cinquième réunion à
Yaoundé, le 9 septembre 1994, la RCA, la République du Congo, le
Cameroun, la Guinée Equatoriale, le Gabon et Sao Tomé-et-Principe
ont adopté un pacte de non-agression posant ainsi les jalons de la
signature par l'ensemble des membres de la CEEAC, d'un pacte identique. Ce
dernier, signé le 8 juillet 1996 a été peu suivi d'effet.
La première guerre du Congo a éclaté en novembre pour
continuer presque sans interruption pendant sept années.
Entre temps, la mort de dix-huit soldats
américains en Somalie en octobre 1993 et de dix casques bleus belges au
Rwanda en avril 1994 avait entamé l'appétit des puissances
occidentales pour les interventions de maintien de la paix en Afrique. La
France, le Royaume-
70 En février 1988, le Centre régional
des Nations unies pour la paix et le désarmement en Afrique (UNREC) a
organisé à Lomé, au Togo, une conférence sur la
promotion de la confiance, de la sécurité et du
développement dans le cadre de la CEEAC. Un séminaire a suivi en
juin 1991 à Yaoundé, sur la résolution de conflits, la
prévention et la gestion de crises et le renforcement de confiance entre
les Etats membres de la CEEAC. Mutoy Mubiala, « Coopérer pour la
paix en Afrique centrale », Institut des Nations unies pour la recherche
sur le désarmement (UNIDIR), 2003.
49
Uni et les Etats-Unis ont lancé des programmes
de renforcement des capacités des forces africaines et encouragé
les institutions régionales et continentales à établir des
structures leur permettant de résoudre leurs conflits. En 1994, la
France commença à mettre en place son programme de renforcement
des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP). En 1996, les
Britanniques lancèrent leur programme de soutien à la formation
en maintien de la paix (Peacekeeping Training Support Programme),
intégré au sein de l'Instrument pour la prévention des
conflits en 2001. En 1997, les Américains mirent sur pied l'initiative
de réponse aux crises africaines (African Crisis Response Initiative,
ACRI), remplacée par le programme d'assistance et de formation aux
opérations de secours en Afrique (African Contingency Operations
Training and Assistance) Ce virage politique a contribué à mener
à terme le remplacement de l'Organisation de l'unité africaine
par l'Union africaine (UA) en 2002. Contrairement à ceux de son
ainée, les principes fondateurs de l'UA mettent l'accent sur la
sécurité collective et intègrent les organisations
régionales dans le schéma continental en les incitant à
créer leurs propres structures et mécanismes de
sécurité collective L'architecture africaine de paix et de
sécurité (AAPS) de l'UA, lancée au même moment que
cette dernière, comprend un certain nombre de mécanismes pour la
prévention, la gestion et le règlement des conflits (le
système continental d'alerte précoce, le Conseil des sages, les
Forces africaines en attente, etc.). L'UA a prévu que les
communautés économiques régionales prendraient la
tête de la sécurité en reproduisant ses mécanismes
pour la prévention, la gestion et le règlement de conflits au
niveau régional. La CEEAC, parce qu'elle avait plus de membres que la
CEMAC, fut jugée plus à même de jouer ce rôle en
Afrique centrale71. Si à la fin des années 1990 l'UA
n'était pas encore sur pied, l'UE et la Commission économique de
l'ONU pour l'Afrique se sont révélées d'influents avocats
de la renaissance de la CEEAC. Une des conditions de l'UE pour la signature des
accords de partenariat économique avec les pays ACP (Afrique,
Caraïbes et Pacifique) en 1995 à Lomé, et pour ceux de
Cotonou en 2000, était qu'ils s'engagent pour l'intégration
régionale72.
71 Voir le « Protocole relatif à la
création du Conseil de paix et de sécurité de l'Union
africaine », session ordinaire de l'Assemblée de l'Union africaine,
9 juillet 2002.
72 Bruno Békolo-Ebé, «
L'intégration régionale en Afrique : caractéristiques,
contraintes et perspectives », Mondes en
développement, n°. 115-116 (2001/3), cité dans
le rapport de Crisis Group n°1981, op. cit. p.
4.
50
II.2. La CEEAC et son nouveau rôle de promoteur
de paix et de sécurité
Le 6 février 1998, à Libreville, les dix
chefs d'Etat de la CEEAC ont tenu leur deuxième sommet extraordinaire
qui s'est conclu par la décision de réactiver l'organisation
sous-régionale et d'élargir ses attributions au-delà du
champ économique originel pour inclure la promotion de la paix et de la
sécurité. Cette nouvelle orientation devait devenir la raison
d'être de l'organisation alors que ses fonctions économiques se
présentaient de plus en plus comme marginales, la CEMAC couvrant
à peu près le même domaine, pour un groupe d'Etats plus
restreint. L'idée était de créer une structure
institutionnelle par le biais de laquelle les Etats membres pourraient
élaborer des réponses politiques et militaires promptes et
efficaces face à l'émergence d'une nouvelle crise et contribuer
à prévenir les conflits, protégeant ainsi le
développement économique de la région. De par sa taille,
les décisions de la CEEAC et ses interventions
bénéficieraient d'une impartialité et d'une
légitimité essentielle aux yeux des parties au conflit et des
observateurs internationaux73.
Au moment de sa renaissance, la CEEAC s'est
trouvée confrontée à la fois à la méfiance
de nombreux dirigeants d'Afrique centrale, hésitants à s'engager
dans un projet d'intégration potentiellement contraignant, et à
un contexte politique peu favorable dans plusieurs pays. La République
du Congo, la RDC, le Tchad, le Burundi, le Rwanda et l'Angola sortaient tout
juste de guerres civiles et s'acheminaient vers une consolidation
intérieure incertaine. Au Cameroun, le caractère
réservé de Paul Biya constituait un frein à son engagement
plus visible dans ce nouveau projet. De son côté, la Guinée
Equatoriale n'avait pas les moyens de ses ambitions. Seul le Gabon paraissait
actif sur la scène régionale. Les talents politiques du
président Omar Bongo ainsi que ses soutiens extérieurs ont
compensé les moyens économiques et militaires plutôt
limités du pays et lui ont conféré un rôle
central74. Omar Bongo et Denis Sassou Nguesso tenaient
particulièrement à la renaissance de la CEEAC. Le premier
cherchait à rehausser son profil régional et international par
des moyens convenant à son statut de doyen des présidents
d'Afrique centrale. Sassou Nguesso, de son côté, venait de sortir
victorieux d'une sanglante guerre civile en 1997, qui avait laissé
Brazzaville en ruines75.
73 Voir Rapport de Crisis
Group, n°18.1, op cit. , p.9.
74 Sur la conjoncture politique régionale au
moment de la relance de la CEEAC, voir Hakim Ben Hammouda,
L'intégration régionale en Afrique centrale. Bilan
et perspectives (Paris, 2003) et Angela Meyer, « Regional
integration and securityin Central Africa - Assessment and perspectives 10
years after the revival », Egmont - The Royal Institute for International
Relations, Paper 25, décembre 2008.
51
Il a donc pris un rôle de premier plan dans la
renaissance de la CEEAC pour légitimer son régime et redorer son
image ternie. La réserve de Laurent-Désiré Kabila à
l'égard de la CEEAC a joué en sa faveur. Kabila venant tout juste
de remporter la première guerre du Congo, la consolidation de son
pouvoir constituait un défi plus urgent76. En l'absence
d'autres prétendants, Sassou Nguesso s'est assuré que la fonction
de secrétaire général incombe à l'un de ses
compatriotes, Louis-Sylvain Goma77.
En janvier 1999, la demande de l'Angola, qui avait
jusqu' alors un statut d'observateur, de devenir membre permanent de la CEEAC a
été acceptée. Bien que le commerce extérieur du
pays soit principalement tourné vers le Sud de l'Afrique, l'implication
historique de la RDC dans les conflits internes à l'Angola constituait
un motif légitime pour le président José Eduardo Dos
Santos de rechercher une plus grande influence en Afrique centrale. En
reconnaissance de la richesse pétrolière de l'Angola et de sa
supériorité militaire, le poste de secrétaire
général adjoint chargé des questions de paix et de
sécurité lui a été
attribué78.
75 « Trois guerres civiles en dix ans »,
Libération, 19 juin 2002. Sassou Nguesso
aurait aussi financé le premier immeuble de la CEEAC à
Libreville. Entretien de Crisis Group, cadre de la CEEAC, Bangui, RCA, 24
janvier 2004.
76 Entretien réalisé par Crisis Group,
diplomate d'Afrique centrale, Libreville, Gabon, 24 mars 2011.
77 Louis Sylvain-Goma est de Pointe-Noire, en
République du Congo. Il a suivi une formation militaire en France et
s'est élevé au rang de chef des forces armées en 1974. Il
fut Premier ministre du 18 décembre 1975 au 7 août 1984, sous
trois présidents, le dernier étant Sassou Nguesso. Il a par la
suite occupé une série de positions politiques avant de rejoindre
la compagnie pétrolière Agip Congo de 1992 à
1998.
78 Sur la structure interne de la CEEAC, voir le chapitre
III. B du rapport de Crisis Group n°181.
52
Photo : Siège de la CEEAC à Libreville
(Gabon)
Cliché : Cyr Revelli Mba Abessolo, 3 mars
2013.
Pour l'essentiel de ce deuxième chapitre,
retenons que la coopération sécuritaire en Afrique centrale est
à l'origine le fait d'une mission interafricaine dénommée
MISAB. Après l'échec de la MISAB, la CEMAC a pris le relais en
2002 en envoyant une force sous-régionale de maintient de la paix qui
avait pour objectif de remplacer celle de la CEN-SAD appelée en renfort
par le président Patassé. La CEEAC qui avait été
choisi par l'Union Africaine lors de son initiative de rationalisation des CERs
en Afrique, deviendra le maître d'oeuvre de l'architecture de paix et de
sécurité en Afrique centrale.
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