2.2.1.2.1.3. L'école des capacités ou
capabilités
Pour cette école, l'appréhension de la
pauvreté ne se fait ni à travers l'utilité et la
satisfaction de besoins mais à travers des habilités ou
capacités humaines, « la valeur de la vie d'une personne
dépend en fait d'un ensemble de façons d'être et de faire,
qu'elle regroupe sous le terme général de fonctionnement »
(Asselin
L-M. et Anyck D,
2000).
Le principal maître d'oeuvre de cette école,
Amartya Sen(1995) a eu une vision plus vaste :
développer une nouvelle conception de ce qui a de la valeur pour
l'humain. Sen évoque également l'espace
intermédiaire entre celui des ressources ou moyens et celui des
accomplissements, à savoir l'espace des libertés. Celui-ci
consiste en un ensemble de capacités spécifiques définies
en références à des types d'accomplissements
appelés « fonctionnements». Cette notion de fonctionnements
décrit le type d'effet attendu à partir des
capacités25.
Soulignons, ici encore, la confirmation de Sen (1999)
que « la capacité
25 Fréquemment, on utilise la traduction de Capabilities
par « capabilités », mais on préfère le terme
« Capacité »
pour son utilisation dans la majorité des ouvrages
bibliographiques.
32
d'une personne définit les différentes
combinaisons de fonctionnements qu'il lui est possible de mettre en
oeuvre».
Dans ce sens, Bertin (2003) considère
que cette approche intègre des composantes sociales, tout en
considérant que l'homogénéité des individus et des
situations est une limite flagrante quant à l'approche utilitariste.
Ainsi, pour présenter de façon
synthétique les liens entre les trois principales écoles
suscitées, la figure 3 est élaborée sous forme d'une
pyramide avec illustration des éléments qui contribuent au bien
être.
Figure 3: Dimensions du bien être et de la
pauvreté
Source : Programme des Nations Unies pour le
Développement (2007)
Les interactions entre ces trois approches sont
déterminées par des flèches et à titre d'exemple,
le fait d'avoir les capacités à se nourrir adéquatement
est lié à une certaine satisfaction du besoin essentiel en
l'occurrence être nourri adéquatement. Dans le même sens, le
fait de satisfaire les besoins essentiels et d'avoir les capacités
procurent ainsi ce qu'on appelle l'utilité.
33
2.2.2. Revue des travaux empiriques
Depuis le début de son expansion vers les années
70, le secteur de la microfinance a fait l'objet d'une attention
particulière de la part de la communauté scientifique. C'est
ainsi qu'il faut comprendre les écrits relativement importants qui
traitent du sujet, lesquels écrits ont trouvé à travers le
contexte d'aggravation de la pauvreté, un terreau fertile pour exploiter
les champs en friche du « secteur financier pour les pauvres ».
Des premières études d'impact ont
été effectuées par Hulme et Mosley
(1996). Ces études rassemblent les études d'impact de
treize IMF intervenant dans sept pays (l'Indonésie, le Kenya, la
Bolivie, le Malawi, Bangladesh, l'Inde et le Sri Lanka) entre 1989 et 1993. Les
deux auteurs ont constaté non seulement que l'octroi de ces
crédits avait eu un impact positif sur le revenu des emprunteurs
pauvres, mais cet impact était d'autant plus important si les IMF
centrent leur action sur les emprunteurs juste au-dessus du seuil de
pauvreté qui sollicitent des prêts de promotion. (CGAP, 1997).
Cela est dû au fait que les emprunteurs très pauvres cherchent
à assurer leur subsistance à travers des prêts de faible
montant et non pour investir dans une activité économique,
acquérir du capital ou recruter de la main d'oeuvre.
Selon Hulme (1997), les recherches sur les
études de l'impact du microcrédit quand à
l'amélioration des conditions de vie des pauvres sont
toujours partielles et contestées.
Pitt et Khandker (1998) ont mesuré
l'impact de groupe basé sur des programmes de prêts au Bangladesh,
en appliquant un modèle quasi-expérimental de 1991-1992 et ont
constaté que les programmes avaient un effet positif et statistiquement
significatif sur la consommation des ménages. Cette constatation est
confirmée par Khandker (1998) selon laquelle «
l'impact le plus important du microcrédit est son impact sur les
dépenses de consommation en faveur du ménage ».
En poussant davantage l'analyse, les auteurs montrent que les
ménages à la fois pauvres et vulnérables ne sont pas
touchés par l'intervention des IMF dans le village le plus pauvre.
Duflos et al (2009) estiment que l'impact
réel de la microfinance sur les
34
conditions de vie des clients est encore relativement mal
évalué puisqu'il s'avère difficile de trouver un juste
équilibre entre performances financières (pérennisation)
et enjeux sociaux (lutter contre la pauvreté et l'exclusion).
Toutes ces études ont révélé trois
problèmes conceptuels :
· La fongibilité du crédit renvoie
à la difficulté qui apparaît lorsque l'on veut calculer le
taux de rentabilité des investissements réalisés par les
micro-entrepreneurs.
· L'attribution de l'impact revient à se poser la
question suivante : dans quelle mesure une amélioration de la situation
d'un client est-elle réellement imputable au crédit
accordé par l'IMF.
· Le biais de la sélection fait
référence au fait que l'implantation des programmes de
microfinance n'est jamais faite au hasard.
D'après Guérin (2002), cette
étude met en évidence une très forte corrélation
entre les niveaux de revenus initiaux des emprunteurs et l'augmentation de
revenu induite par le crédit, c'est-à-dire que plus les personnes
se situent en dessous du seuil de pauvreté, et plus les revenus
générés sont faibles, voire négatifs, les personnes
ayant été contraintes de s'endetter pour rembourser. Par exemple,
Diagne et Zeller (2001), dans une même étude,
n'ont pas trouvé d'incidence statistiquement significative du
microcrédit sur le revenu des ménages ruraux au Malawi.
Dans un autre document, Khandker (2003) a
trouvé que la microfinance apporte des avantages pour les plus pauvres,
réduisant ainsi de manière significative la pauvreté au
Bangladesh.
Le microcrédit est pour Jean-Michel
Servet26 (2006) un outil qui permet d'attirer l'attention
sur les exclus des services financiers dans un monde qui se financiarise. Il
sert à améliorer le budget des familles ou à stabiliser
des activités professionnelles, pas forcément à des
investissements productifs. Pour lui, le vrai moteur de la croissance, donc du
développement c'est l'emploi salarié, pas l'entrepreneur
pauvre.
La médiatisation apportée au succès des
taux de remboursement en microfinance fait l'objet de plusieurs travaux
empiriques récents qui se sont attachés à isoler l'effet
sur le taux de remboursement de certaines caractéristiques des produits
de microfinance. Ainsi,
26 Jean-Michel Servet, professeur
d'économie à l'Institut du développement de
Genève.
35
à travers leur étude Gine et Alii (2006)
évaluent l'effet de la garantie solidaire sur les taux de
remboursement grâce à une expérience menée en
collaboration avec une IMF aux Philippines. L'expérience consistait
à proposer un crédit avec garantie individuelle à une
partie (sélectionnée de façon aléatoire) d'un
groupe de clients anciens faisant une demande de renouvellement, l'autre partie
du groupe recevant un crédit en conservant la garantie solidaire.
À la fin de l'expérience, les différences de remboursement
entre les deux groupes pouvaient être ainsi attribuées au type de
garantie proposée. Après trois ans, les taux de remboursement
sont similaires entre les deux groupes ; cela tendrait à montrer que la
garantie solidaire n'a donc pas l'effet de contrôle « pur »
dont on l'a souvent gratifiée.
De la même manière, une étude
menée par Pande et Field (2008) en Inde, montre que la
périodicité des remboursements n'a pas non plus d'effet sur le
taux de remboursement. Dans cette étude, certains clients
sélectionnés aléatoirement reçoivent un
crédit avec une durée de remboursement mensuelle alors que les
autres obtiennent un crédit avec une période de remboursement
hebdomadaire. Les clients qui ont des échéances mensuelles
remboursent aussi bien que ceux qui ont des échéances
hebdomadaires.
Maria Otero27 (2000),
soutient que la microfinance contribue à la lutte contre la
pauvreté en favorisant l'accès des ménages pauvres ou
à faibles revenus aux services financiers, elle crée les
conditions d'accès durable au capital productif et renforce la
dignité des populations pauvres et leur capacité à
participer au développement économique et social.
Pour Jacques Attali28 (2005), la
microfinance est un des piliers du développement au côté de
trois autres piliers (la démocratie, l'éducation, les
infrastructures) et elle est un instrument clé pour la mise en place de
stratégies efficaces de lutte contre la pauvreté.
La microfinance est, selon Muhammad Yunus
(2006) un outil incontournable dans la lutte contre la
pauvreté; notamment contre «l'apartheid bancaire». On ne peut
pas envisager la microfinance comme un simple outil de mise des services
financiers pour certains segments de la population. Il faut plutôt
l'envisager comme un élément de changement social au sens large,
que l'on évalue par la participation des femmes dans la
27 Maria Otero vice- présidente d'ACCION
International, Lu dans l'encyclopédie libre
www.fr.wikipedia.org le 31
Août 2013
28 Jacques Attali, Président de PlaNet
Finance, Lu dans encyclopédie libre, op cite
36
société, la qualité de vie des
populations marginalisées, ou encore la dynamique de la
société civile locale. La pauvreté que la microfinance
veut combattre n'est pas celle définie par la vision classique de
revenus extrêmement faibles. Il s'agit plutôt d'une pauvreté
multidimensionnelle touchant non seulement les revenus et les biens d'une
personne, mais également ses capacités à mener la vie
qu'elle souhaite mener. En ce sens, la pauvreté représente une
capacité limitée d'accès et de prise de décision
par rapport aux biens, aux services et aux ressources dans des domaines aussi
divers que la production, l'investissement et la santé.
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