L'abà¢à¢, corps de garde et espace de communication chez les Fang d'Afrique centrale. Une préfiguration des réseaux sociaux modernes.( Télécharger le fichier original )par Gérard Paul ONJI'I ESONO Université de Yaoundé II Cameroun - Master 2015 |
1. Identification et ralliementEn règle générale, chaque village de l'univers culturel fang a pour identifiant symbolique son Abââ. Cet identifiant, comme il a été prouvé précédemment, est une particularité culturelle des peuples et des villages fang. Selon la posture structuraliste développée dans ses travaux par Lévi STRAUSS59(*), cet élément constitue un des invariants de cette aire culturelle-là. Chaque village s'identifie à travers son corps-de-garde. Comme il a été dit précédemment, l'Abââ est souvent rattaché nommément au nyambôrô qui encadre le village. C'est parfois un moyen pour faciliter la distinction au cas où des villages venaient à porter le même nom. Sur un tout autre plan, l'Abââ contribue à rallier toute la communauté et à renforcer le sentiment d'appartenance à une même souche ancestrale. Comme sous une bannière, l'Abââ rassemble la nation fang dans les différentes entités villageoises qui la constituent. Chaque Fang s'identifie à l'Abââ auquel il appartient où dont il est originaire, c'est un élément culturel qui, sous un angle symbolique, a valeur d'emblème fédérateur. En effet, lorsqu'un Fang s'interroge dans sa langue en disant « Ye Abââ be taa va ?60(*) », il exprime la fierté et toute l'assurance qu'il a que tout pourrait lui arriver ailleurs, sauf lorsqu'il est sous le corps de garde de ses ancêtres. Cette expression fang est souvent reprise avec fierté, de même que, « A kam mbông Abââ »61(*), pour dire que chaque ressortissant d'un Abââ défend et protège les intérêts de son Abââ d'origine. C'est comme un ressortissant dirait qu'il défend les couleurs de son pays. Tout cela marque l'attachement naturel que le Fang a vis-à-vis de son Abââ. A titre d'illustration, un proverbe tiré de cette aire culturelle et déclamé en Fang dit : « Olañ nkukut ka'a dañ asu baa be esaa ». Littéralement, cela signifie que quel que soit le degré de folie d'un individu, ce dernier reconnaît toujours l'Abââ de son père. En d'autres termes, le fait d'appartenir à un clan et à un Abââ est une identité dont le Fang ne saurait se détourner parce qu'il est appréhendé par rapport à cette institution. Ce proverbe souligne l'attachement que le Fang a vis-à-vis de l'Abââ dont il est l'émanation. Dans l'organisation sociale du village fang, l'Abââ est l'institution qui projette l'image du village et la reflète autant sur les habitants du village que sur les communautés environnantes. C'est l'Abââ qui élabore la politique du village, défend également les intérêts de celui-ci et construit sa réputation. * 59LEVISTRAUSS, Claude, Le regard éloigné, Plon, 1983, pp. 59-62. * 60 Cette expression signifie littéralement « ici dans le corps de garde de mon père ? », mais elle est généralement utilisée pour dire que le corps de garde est le lieu où le Fang bénéficie de la protection de la communauté et même des ancêtres. Rien de fâcheux ne pourrait lui arriver là. * 61 Littéralement, cette expression signifie protéger ou garder la poutre centrale qui soutient l'ensemble de l'Abââ, de peur que tout l'édifice ne tombe, synonyme de honte de toute la communauté pouvant constituer une source de raillerie de la part des villages voisins. |
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