L'abà¢à¢, corps de garde et espace de communication chez les Fang d'Afrique centrale. Une préfiguration des réseaux sociaux modernes.( Télécharger le fichier original )par Gérard Paul ONJI'I ESONO Université de Yaoundé II Cameroun - Master 2015 |
2. L'Abââ : un construit physique2.1. La réalité physique de l'AbââD'abord, il est à préciser que le village (Dzââ) n'est pas un espace informe. C'est un environnement organisé qui, ainsi que le précise Bernardin MINKO MVE, puise sa forme de l'épopée du Mvet selon laquelle « la Terre a des pieds, des bras et une tête, elle est soutenue en son milieu par un pilier central et un pilier secondaire à chacun des quatre coins. C'est la même configuration qu'avait le village. Avec à une extrémité de chacune des deux rangées de maison formant un coin, une cour qui constituait le centre, une entrée Est et la tête »46(*). Cet auteur pense que c'est de cette configuration que dérive celle de la case : un pilier central et les quatre piliers secondaires des quatre coins. Pour lui, un tel schéma est semblable à celui du cosmos, donc de l'homme. L'espace villageois est une structuration ou un produit matériel façonné par diverses composantes d'ordre politique, idéologique, écologiques du système social. Chaque village occupe son espace en fonction du relief certes, mais en tenant compte également de ces composantes. A l'intérieur de l'espace du village, l'on distingue également d'autres espaces avec lesquels chaque sous ensemble de la communauté, la famille a une relation spécifique. Ainsi, la devanture de la case laisse généralement une cour (nseng nda) où s'amusent les enfants. La maison principale réserve un espace de séjour (abââ nda) pour les hommes. Derrière cette maison principale se trouve la cuisine et derrière elle, il existe une autre courà l'arrière appelée (fa'a nda). C'est l'espace féminin, zone intime et de retranchement, généralement occupé par des plantes utiles pour la cuisine, la médecine traditionnelle, les enclos d'élevage des animaux domestiques et, plus loin vers la lisière où débute la cacaoyère, l'on retrouve le fumier et les fausses à aisance. C'est au milieu de la cour du village que se dressait l'Abââ. Dans sa plus simple présentation, l'Abââ recouvert d'une toiture en matériaux végétaux, feuilles de raphia tissées sous forme de natte. Les côtés élevés à mis hauteur, permettaient aux personnes assises de voir ce qui se passe à l'extérieur, sans que ces dernières en retour ne puissent être distinguées. A toute heure de la journée et même de la nuit, quelqu'un devait veiller sur le village en sentinelle à partir de l'Abââ. Les écorces des arbres ou une haie constituée de petits arbustes taillés faisaient le périmètre en laissant une porte d'entrée et une porte de sortie. En dehors du mobilier constitué de lits en bambous qui décorait l'Abââ, quatre autres éléments hautement symboliques devaient absolument se retrouver dans cette case : - Le tamtam d'appel, principal outil de communication et de télécommunication. Parfait MIMBIMI ESÔNO affirme qu'« à l'aide d'un tam-tam qui a une portée de 15 kilomètres environ, l'on pouvait encore transmettre aux habitants des villages avoisinants des informations telles que les deuils, les mariages. Le tam-tam permettait également de rappeler soit individuellement une personne soit collectivement des personnes se trouvant dans la forêt, en cas de nécessité. Chacun savait la déclinaison phonique de son nom ou éndan que le batteur de tamtam répercutait à travers le son ! Sans confusion possible...»47(*). Source : http://www.google.fr/ - Le « Songo »48(*) , sport cérébral de relaxation chez les Bantou en général qui favorise le développement de la ruse, l'intelligence et la sagesse. Photo 6: Une partie de Songo à l'abââ dans un village près de Mimvul au nord du Gabon Source : www.afrikimages.blogspot.com -le feu, « Au centre est réservé un espace où l'on fait le feu pour se chauffer et chasser les moustiques. Un certain nombre de jeunes sont chargés à tour de rôle de ravitailler l'Abââ en bois de chauffage, car la braise doit être ardente toute la journée 48(*)». Au-delà de permettre aux vieillards de se réchauffer, de griller certains vivres comme du maïs, l'arachide et autres, de faire chauffer du fer pour fabriquer certains outils comme des manches de machettes ou des lances pour la chasse et d'allumer leurs pipes, Sur un tout autre plan, sous une approche symbolique, « une autre lecture de la présence permanente du feu à l'Abââ l'appréhende comme une volonté de posséder cet élément de la nature, autre symbole de la présence humaine en ces lieux. A l'origine, les villages étaient noyés dans la forêt et la fumée du feu de bois pouvait servir à orienter des personnes vers le village. Toutes les cuisines du village pouvaient bien manquer de feu, du fait que le pétrole et les allumettes étant des produits manufacturés, la conservation de cette denrée rare à l'Abââ permettaient aux femmes de s'y approvisionner pour faire la cuisine »49(*). Sur un tout autre angle, une certaine analyse consacre aussi le feu, selon Bonaventure MVE ONDO50(*), comme étant « l'autre mot de l'Esprit. A titre d'illustration, rappelons que le feu (nduàn) tient une place symbolique et rituelle importante dans le Bwiti syncrétique fang. Il est généralement entendu comme le sang de Dieu. Il est ensuite lié à la purification qui intervient à l'autre extrémité de l'Existence. Le feu est enfin le symbole de la lumière, il est comme l'eau de l'Esprit (mendzim me nsisim). C'est lui qui constitue la nourriture supérieure de l'homme accompli ». - les armes et les trophées de chasse, puisque les hommes représentaient également la force de défense du village, l'arsenal composé de sagaie, d'arcs, de lances, de gourdins et de machettes essentiellement était stocké dans ce lieu où, à tout moment, les hommes pouvaient y avoir accès en cas d'attaque. D'une part, pour faire comprendre aux passants que de vaillants hommes habitaient le village, l'on exposait dans l'Abââ les crânes et peaux de bêtes féroces abattues lors des parties de chasse. D'autre part, ces décorations étaient mieux conservées là, en guise de musée, grâce à la fumée que le feu de l'Abââ dégageait. Aujourd'hui, ces éléments sont devenus rares ou carrément retirés de l'Abââ. Certains évoquent que des espèces animales sont désormais protégées, par conséquent, lorsqu'il arrive qu'une bête de ce registre soit abattue, c'est dans le secret que le partage des gigots se fait dans la forêt. Le butin est alors transporté au village en morceaux, de peur que l'administration en charge de la faune ne sévisse. Du plus, par crainte de vol ou d'appropriation pour des usages maléfiques les reliques de certains animaux ne peuvent plus être exposées à l'Abââ. A titre d'exemple, la moustache du léopard est souvent utilisée dans le domaine mystique pour servir de fléchettes, que l'on appelle « nsong » en Ntumu, pour atteindre des personnes qui par après, peuvent développer des maladies comme des éruptions cutanées purulentes. Au travers de cette description qui consacre la forme rectangulaire de l'Abââ, à l'opposé de la forme circulaire partagée par les peuples pygmées ou les peuples du nord du Cameroun (boukarou) dans l'architecture des habitations, il est maintenant à relever la présence effective de l'Abââ dans le village Fang. * 46MINKO MVE, Bernardin, Gabon entre tradition et post-modernité : Dynamique des structures d'accueil Fang, l'Harmattan, 2003, p. 129. * 47MIMBIMI ESÔNO Parfait, habitant du village Ekoumedoum dans le département de la Vallée du Ntem au Sud du Cameroun, âgé d'environ 70 ans, entretien mené le 10 août 2011 de 11 à 12 heures 30mn * Jeu traditionnel très répandu chez les Fang qui se joue à deux sur un tableau composé de 7 cases de part et d'autre, avec au départ 5 pions dans chacune, soit 70 pions que les deux protagonistes se discutent en respectant les règles du jeu. Pour gagner la partie, il faut totaliser un minimum de 40 pions. * 48MIMBIMI ESÔNO Parfait, op. cit.,entretien accordé le même jour. * 49ELLA MBO, habitant du village MeyoBibulu, dans l'arrondissement d'Olamze, département de la Vallée du Ntem au sud du Cameroun, entretien du 15 août 2011. * 50 MVE ONDO Bonaventure, Sagesse et initiation à travers les contes, mythes et légendes fang, L'Harmattan, Paris, 2007, pp. 36-37. |
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