Les obstacles rencontrés par la finance islamique sont
relatifs :
? Aux comptes d'investissement :
La première entorse faite par la loi-cadre portant
réglementation bancaire à l'exercice de l'activité
bancaire islamique vient de l'article 5 de ladite loi. En effet, cette
dernière prévoit que les banques ont l'obligation de restituer
les dépôts qu'elles reçoivent du public. De plus, la banque
peut disposer de ces dépôts pour son propre compte. Cet article ne
prend pas en compte la particularité des comptes d'investissement
mentionnés dans le chapitre précédent. En effet, les
banques islamiques ne pouvant pas rémunérer leurs clients sur la
base du taux d'intérêt, elles ont recours aux comptes
d'investissement pour les clients désireux de fructifier leurs avoirs.
Ces comptes fonctionnant sur la base du Moudaraba, les clients sont
non seulement tenus de partager les bénéfices provenant de
l'investissement, mais aussi de supporter les éventuelles pertes avec la
banque en cas de faillite du projet. De ce fait, sauf faute
avérée de la part de la banque dans la gestion du projet, cette
dernière n'a pas l'obligation de restituer les dépôts
qu'elle reçoit au titre des comptes d'investissement.
D'autre part, dans le cas d'un compte d'investissement
restreint (limité), c'est le client qui donne des indications à
la banque quant à la nature de l'investissement. Il s'agit du contrat de
Moudaraba restreint ou Mudaraba al-muqayyada dans lequel la
convention porte sur un projet ou des types d'investissement
déterminés. Ce compte constitue une exception à la
règle de la disposition de l'article 5 qui donne à la banque le
droit de disposer des dépôts pour son propre compte.
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Deux autres problèmes peuvent également se
poser au niveau de ces comptes en l'absence d'une réglementation
adaptée. Le premier est lié à l'allocation des ressources.
En effet, la banque islamique dispose entre autre, pour financer ses emplois,
des fonds provenant des comptes « ordinaires » (comptes
d'épargne, comptes courants) et des comptes d'investissement. Lorsque la
banque utilise les fonds du premier type de compte pour des financements, les
bénéfices réalisés lui appartiennent
intégralement et elle n'a pas l'obligation de les partager avec les
titulaires de ces comptes (car les dépôts sont garantis et les
déposants ne partagent pas les risques de l'investissement avec la
banque). Par contre, les bénéfices réalisés sur des
projets financés par les comptes d'investissement sont eux
partagés entre la banque islamique et les titulaires et ces comptes, de
même que les éventuelles pertes. La banque pourrait dès
lors être tentée de financer les projets rentables et sûrs
avec les fonds des comptes « ordinaires », tandis que les projets
moins rentables et plus risqués seront financés par les comptes
d'investissement. Cela ne serait pas très équitable.
Le second problème est quant à lui lié
à l'allocation des coûts entre la banque et les détenteurs
des comptes d'investissement. En effet, les financements entrainent en
général deux types de charges. Les charges directes
(c'est-à-dire les dépenses directes liées aux
financements) et les charges administratives (salaires, factures...etc.). Deux
méthodes sont utilisées pour répartir les coûts
entre la banque et le client. Il y a la méthode de séparation des
comptes, qui consiste pour la banque à partager les revenus des ventes,
investissements et financements directement après avoir retranché
les charges directes. La banque supporte toutefois les charges administratives
et conserve les revenus provenant des différentes commissions de ses
activités. La méthode de fusion de compte quant à elle
permet à la banque et aux titulaires des comptes d'investissement de
partager les revenus des ventes, investissements et financements, de même
que les commissions, une fois que toutes les charges (directes et
administratives) ont été retranchées. Le tableau suivant
permet d'illustrer le problème lié à l'allocation des
coûts :
Tableau II.2 : Exemple d'allocation des
coûts
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Part de la banque avant impôt et zakat
120
000
000
Part de la banque (60%) avant impôt et zakat
132
000
0000
(-) Part des déposants (40%)
100
000
000
On constate avec ce tableau que pour les mêmes revenus,
charges et commission, la banque reçoit une part différente selon
la méthode utilisée. En effet, lorsque la commission est
inférieure aux charges administratives, la banque a tout
intérêt à utiliser la méthode de fusion des comptes.
Cela lui permet de faire supporter une partie des charges administratives au
client. Par contre avec des commissions très élevées
supérieures aux charges administratives, elle aura tendance à
utiliser la méthode de séparation des comptes qui est plus
avantageuse. Il est dès lors nécessaire de ne pas laisser la
décision du choix de la méthode à utiliser à la
banque car elle aura tendance à utiliser celle qui l'avantage.
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? Aux comptes courants et comptes
d'épargne
En général, les banques islamiques ne font pas
de distinction entre les comptes courants et les comptes d'épargne car
la différence est souvent minime. Cela s'explique par le fait que pour
les deux comptes, les contrats généralement utilisés sont
ceux basés sur le Kard Hassan et/ou le Wadiah wad
dhaman12. Dans ces deux cas, la banque
garantit le principal et a l'autorisation du client pour utiliser ses fonds. Si
elle réalise des bénéfices, la banque les conserve en
intégralité, de la même manière qu'elle supporte
toutes les pertes éventuelles.
Contrairement aux banques conventionnelles, il n'y a pas de
rémunération contractuelle pour ces comptes. Toutefois, la
pratique du Hibah est monnaie courante au niveau des banques
islamiques. Le Hibah est un don qui consiste en une part du profit
versée par la banque dans le compte du client suite à un bon
rendement (Guéranger, 2009). Cela s'explique par la
nécessité de rendre attrayants les comptes
courants/d'épargne islamiques et de les rendre compétitifs par
rapport aux comptes conventionnels qui eux sont rémunérés.
Si le Hibah est licite lorsqu'il n'est pas une obligation pour la
banque et laissé à sa plus grande discrétion, des
problèmes se posent lorsqu'il est annoncé ex ante. En effet, pour
être compétitives et attirer plus de clients, certaines banques
n'hésitent pas à garantir, en plus du principal, le versement
d'une part du profit réalisé au titre du Hibah. Il ne
s'agit plus à ce moment du Hibah mais bien du Riba
interdit par le Coran.
D'autres problèmes se posent également quant
à l'origine des fonds constituant les dépôts. Si pour les
banques conventionnelles le critère de conformité avec la
Charia n'est pas pris en compte, il en est tout autrement pour les BI.
En effet, il peut arriver qu'un client, dont l'activité principale est
illicite (exemple d'une brasserie), veuille traiter avec la banque islamique et
y verser ses revenus. Les banques islamiques peuvent-elles accepter comme
dépôts des fonds provenant d'une brasserie, ou encore d'une usine
de fabrique de tabac ? Est-il nécessaire pour elle de vérifier
l'origine de ces fonds ?
Toutes ces questions soulevées par les comptes
courants/d'épargne ne sont pas prises en considération dans la
règlementation bancaire. Des dispositions doivent être prises dans
la loicadre bancaire relativement à la nature des dépôts
afin que cette dernière joue pleinement son rôle (IFAAS, 2012).
12 Article du Dr Abdoul Karim DIAW (Introduction
à la finance islamique), p. 35
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? Règles de gouvernance :
La gouvernance des entreprises peut se définir comme
l'ensemble des processus, réglementations, loi et institutions
influençant la manière dont l'entreprise est dirigée,
administrée et contrôlée. Elle comprend de ce fait les
relations entre les nombreux acteurs impliqués (les parties prenantes)
et les objectifs qui gouvernent l'entreprise. Les acteurs principaux sont les
actionnaires, la direction et le conseil d'administration. Les autres parties
prenantes incluent les employés, les banques ou autres prêteurs,
le voisinage, l'environnement et la communauté au sens large.
Le concept de la gouvernance des entreprises vise donc
à promouvoir la justice, la transparence et la comptabilité
nécessaires pour prévenir les multiples abus des dirigeants
pouvant léser toute partie en relation avec l'entreprise.
Des règles de gouvernance sont prévues dans la
loi bancaire. On y trouve par exemple :
· L'interdiction faite pour toutes les banques de
prêter jusqu'à une certaine somme aux personnes intervenant dans
la gestion de la banque (article 45),
· L'obligation pour les dirigeants d'avoir une certaine
expérience en matière bancaire pour officier (article 25),
· L'obligation de publier dans un journal officiel
d'annonces légales et d'afficher
clairement à l'entrée de leurs locaux et
à leurs guichets, les barèmes des conditions
minimales et maximales applicables à la
clientèle dans un souci de transparence, etc.
Ces règles applicables aux banques de manière
générale ne tiennent pas compte de la spécificité
des banques islamiques. En effet, dans la perspective financière
islamique, la religion fait partie des ayants-droit, et il faut donc des
dispositions permettant de vérifier si les pratiques des banques
islamiques sont conformes avec cette dernière.
Les règles de gouvernance prévues par la
loi-cadre ne prévoient pas de règle de gouvernance pour les
banques islamiques. Ce qui pourrait poser un problème de
vérification de la conformité des produits offerts au public
à la Ghania, ou encore des problèmes de
compétence des dirigeants dont une connaissance minimum en finance
islamique n'est pas requise par ladite loi.