CHAPITRE DEUXIEME
LA DIMENSION NORMATIVE DE LA
COMPLIANCE ANTI-CORRUPTION
La Compliance ne peut établir son rôle qu'en
connaissant le mieux possible son environnement juridique. En matière de
Corruption, de par la jeunesse de la lutte, et donc de la présence d'une
incertitude marquée, il convient de se demander ce que recoupe
réellement la notion de Corruption (Section I). Puis dans un
deuxième temps, il est nécessaire de savoir où se situe
cette lutte face aux incertitudes de la matière et qui en sont les
acteurs institutionnels (Section II). Enfin, pour assumer au mieux son
rôle, un service de Compliance se doit de cerner les véritables
objectifs poursuivis par ces acteurs (Section III), afin de s'adapter au mieux
à ceux-ci.
Section I. Le délit de Corruption tel que
prévu par les textes
La Corruption doit être cernée dans tous ses
aspects par un service de Compliance, afin que celui-ci puisse tracer les
limites de son rôle. Cette notion est large (Sous-Section I) et peut se
présenter sous différentes formes pour l'entreprise (Sous-Section
II).
Sous-Section I. La notion de Corruption
§1. Les caractères généraux de
la Corruption
Toutes les Lois et « Soft Law » ont chacune leur
définition de la Corruption. Bien entendu, les définitions se
recoupent et il est donc possible d'en dégager des caractères
communs, voire de tenter d'en donner une définition de
synthèse.
Si une telle définition devait être
trouvée, notamment pour l'appréhension par un service de
Compliance de son champ d'action, il faudrait que celle-ci soit la plus large
possible, pour ne pas exclure indument une prévision et donc s'exposer
à un risque de non-Compliance.
Pour pouvoir être comprise du plus grand nombre,
notamment pour sensibiliser les membres de l'entreprise, la définition
de la Corruption que choisira un service de Compliance doit être
définie dans des termes simples.
Ainsi une définition de la corruption au sens le plus
large pourrait-elle être celle-ci : la corruption est l'acceptation ou la
proposition d'un avantage indu, en vue d'obtenir une contrepartie.
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Toutefois, la notion de Corruption est assez complexe,
notamment en ce qu'elle regroupe d'autres comportements. Par ailleurs, si une
définition générique de la Corruption devait être
donnée dans le cadre du droit de l'entreprise, celle-ci devrait faire
apparaître certains caractères propres à la lutte contre la
Corruption. Le concept déterminant d'agent public devrait notamment
être décrit, sans toutefois écarter le fait que la
conception d'une Corruption centrée sur un agent public est en voie
d'évolution.
Prenant compte de ces contraintes et réalités
propres à la forme que prend la Corruption à travers la lutte
menée contre elle, la définition suivante apparaît comme
adaptée : « la corruption est un acte par lequel on cherche
à obtenir un avantage indu pour soi, pour autrui, pour son entreprise en
cherchant à obtenir d'un agent public ou d'un agent privé qu'il
ne respecte pas ses obligations légales ou
professionnelles.»44. Cette définition a le
mérite de donner une définition simple mais complète de la
Corruption, en faisant apparaitre les particularismes de la lutte contre la
Corruption et en n'excluant pas la tentative (elle aussi punie au titre de la
Corruption).
En effet, la définition de Corruption telle
qu'appréhendée par un service de Compliance se doit d'être
absolument complète, au risque d'occulter les prévisions de
certains textes contraignants qui s'appliquent à elle.
Cela s'illustre bien avec les notions de Corruption «
passive » et « active ». La Corruption « active », qui
est l'infraction commise par la personne qui promet ou verse le pot-de-vin, est
prévue dans tous les textes anti-Corruption. En revanche, ce n'est pas
le cas de la Corruption « passive ». Cette notion renvoyant à
l'infraction commise par la personne qui accepte le pot-de-vin est ainsi
expressément exclue de la Convention OCDE.45
La Compliance d'une entreprise à dimension
internationale, dans son optique de protection de l'entreprise contre les
risques pénaux, devra donc prévoir une définition de la
Corruption à la fois « passive » et « active ». Dans
le cas contraire, celle-ci se verrait exposée à un risque de
sanction de la part des institutions qui considèrent la Corruption
« passive » comme une infraction.
Cette réflexion de la Compliance doit ainsi être
faite pour tous les aspects de la Corruption ; d'où l'importance de bien
analyser toutes les composantes de la Corruption.
Cet exercice est d'autant plus difficile que les lois sont
nombreuses à l'échelle des Etats, et viennent se cumuler aux
règles à portée internationale. Il s'agira pour la
Compliance de rechercher en permanence la règle qui est la plus
complète, qui englobe le plus de comportements différents, voire
de cumuler des règles qui se complètent (non dans leur
effectivité, mais dans leurs prévisions, l'entreprise
étant susceptible d'être sanctionnée par toutes les
juridictions compétentes).
Ce cas de figure se présente également pour la
responsabilité des personnes morales et physiques. Outre le fait que
certains Etats ne prévoient pas de responsabilité des personnes
morales (auquel cas, la Compliance ne se basera évidemment pas
uniquement sur cette loi, puisque les textes à portée
internationale la prévoit), le déclenchement des
responsabilités
45 Convention OCDE, commentaires relatifs à la
Convention, Généralités.
44 C. CUTAJAR, « la lutte contre la corruption »,
Cahiers de droit de l'entreprise n°4, juillet 2010.
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de ces personnes se fait différemment selon que l'on
soit sous l'empire de telle ou telle norme.
Dans ce cas, il ne sera plus question de notions dichotomiques
- auquel cas il suffirait alors à la Compliance de choisir la notion la
plus large - mais d'interpréter les différentes normes pour
établir un dispositif le plus complet possible. La conception
française de responsabilité directe, ou indirecte, et
d'infractions volontaires ou involontaires permettant de déclencher ou
non la responsabilité de l'entreprise devra par exemple être
écartée au profit d'une règle plus simple : s'il y a des
faits de Corruption, alors l'entreprise est en danger, peu importe qui les
commet, et s'ils étaient commis volontairement ou non.
La Compliance devra éviter la Corruption dans
l'entreprise (selon des schémas qui seront développés plus
tard), tout « simplement » !
Encore faut-il savoir ce que regroupe cette notion de
Corruption.
§2. Les infractions connexes à la Corruption
L'emploi d'une majuscule à « Corruption » se
justifie par le fait que cette notion, en plus d'être conçue
différemment selon les systèmes légaux, regroupe des
comportements qui dépassent la définition de la corruption telle
qu'on peut la connaître en France.
Se dégage ainsi, à travers l'analyse des
différentes normes, notes explicatives et autres guides de ces normes et
des décisions de justice, tout un ensemble de comportements
associés à la Corruption.
Ceux-ci sont parfois directement considérés
comme un acte de corruption. C'est le cas de l' « extorsion » par
exemple. L'extorsion est le fait de demander un pot-de-vin (peu importe sa
forme), non pas pour obtenir un service de la part de la personne à qui
on le demande, mais pour que celle-ci évite un désagrément
(comme le fait de ne plus récupérer son passeport). L'extorsion
est parfois accompagnée de violence.
C'est également le cas de la « tromperie »
qui regroupe les notions françaises d'escroquerie et de
faux46. Ce terme désigne une action par laquelle le
corrupteur va demander au corrompu un pot-de-vin, que celui-ci justifiera par
l'emploi de moyens trompeurs.47
C'est encore le cas de la notion parfois difficile à
cerner de « trafic d'influence »48, qui peut aussi
être conçue comme de la Corruption indirecte, selon le cadre de la
norme dans lequel on se situe.
Un autre pan très important du droit du commerce
international est intimement lié à la Corruption : il s'agit du
droit de la concurrence.
46 Article 313-1 du code pénal et articles 4411
à 441-6 du code pénal.
47 Définition du GIACC, anti-corruption training
manual, 2011.
48 Article 433-2 du code pénal
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Ainsi, la Corruption intervient en relation avec les deux
aspects majeurs de ce droit que sont les ententes et les positions
dominantes.
La Corruption existe dans les ententes de deux façons,
au travers de deux comportements (développés dans la Sous-Section
2 ci-après) : le « Loser's Fee » (qui ne trouve pas de
traduction convenable en français) qui fait partie des ententes sur les
prix et le « Bid Rigging » (difficilement traductible) qui constitue
la manipulation de soumissions d'offres de marchés.
L'abus de position dominante, quant à lui, est
constitué très simplement par une Corruption « active »
de la part de l'opérateur en position dominante, qui demandera à
ses partenaires un pot-de-vin pour que ce partenaire puisse
bénéficier de ses services ou décrocher un marché
auprès de la personne en position dominante.
Enfin, d'autres comportements sont associés indirectement
à la Corruption.
Il s'agit premièrement d'une autre grande
préoccupation de la Compliance (mais financière, cette fois-ci) :
le blanchiment d'argent. Le blanchiment est lié à la corruption
de deux manières. Il est lié à la fois par la
nécessité de « blanchir » le pot-de-vin ; et par la
nécessité de blanchir le produit de ce qui a été
obtenu via le pot-de-vin.
Cette infraction de conséquence est liée
à la Corruption puisque celle-ci va permettre de sanctionner, a
posteriori, la commission des faits de Corruption.
Le deuxième type d'infractions liées à la
Corruption est le groupe des détournements de fonds. Cette notion
correspond en France aux abus de biens sociaux ou autres abus de
confiance.49
Cette infraction est aussi indirectement liée à
la Corruption car le transfert même des biens ou valeurs utilisés
comme pot-de-vin est illégal. En France, il s'agit de la qualification
sous laquelle sont le plus souvent sanctionnés les actes de Corruption,
du fait d'une plus grande facilité de preuve et de règles de
prescription plus larges (le délit étant dans les faits,
imprescriptible) 50.
Le dernier type d'infractions auxquelles est liée la
Corruption est la catégorie les infractions fiscales et autres
infractions en rapport avec la tenue régulière des comptes de
l'entreprise. En effet, la Corruption sera souvent déduite par
l'entreprise de son résultat fiscal, en tant que « charge »,
ce qui est désormais strictement interdit. Il y a aussi le cas où
celle-ci ne sera pas inscrite pour ce qu'elle est réellement dans les
comptes de l'entreprise, voire pas écrite du tout.
49 Articles L241-3-4°et L242-6-3°du code de commerc
e et article 314-1 du code pénal.
Si la Corruption regroupe de multiples comportements dont la
Compliance devra se soucier, il est également intéressant
d'analyser quand et sous quelles formes ces comportements apparaissent en
entreprise. Cette démarche permettra ainsi la mise en place de
procédures spécifiques pour anticiper ces situations
critiques.
50 Phase 2 du rapport de suivi de l'OCDE sur l'application
par la France de la Convention OCDE, 2004.
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Sous-Section II. Les différentes formes sous
lesquelles se présente la Corruption
Si la Corruption peut se présenter sous des formes
multiples en entreprise, il est un secteur particulièrement sensible et
illustrateur des différentes manifestations de la Corruption auxquelles
est confronté une entreprise : le projet.
Un projet peut se segmenter grossièrement en trois
étapes : la phase précédent un contrat, la phase
d'exécution de ce contrat et la phase de résolution du
contrat.
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