§2. L'Intelligence Compliance
L'Intelligence Compliance est le fait d'utiliser la Compliance
dans des buts détournés de son objectif principal. A cet
égard, l'utilisation de la Compliance dans une optique concurrentielle
déjà décrite appartient à ce domaine.
Outre les effets induits sur la compétitivité
qu'a la Compliance et qui ont fait l'objet d'un développement
précédent dans ce mémoire, la Compliance peut jouer un
rôle encore plus développé en matière de
concurrence.
138 Article 313-7 et suivants du règlement
général de l'AMF.
139 Articles L. 561-5-I et L. 561-15-I CMF du Code
monétaire et financier.
140 P. MONTIGNY, « la lutte contre la corruption »,
Cahiers de droit de l'entreprise n°4, juillet 2010.
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L'intelligence Compliance pourrait, par exemple, être
utilisée par les sociétés détenues par l'Etat, dans
les pays où le gouvernement est facilement influençable, pour
verrouiller le marché et donc porter atteinte à la concurrence.
Cela pourrait s'illustrer tout simplement par la mise en place préalable
de règles de Compliance strictes à l'intérieur d'une
entreprise d'Etat, suivies par la création d'une norme calquée
sur ces exigences en matière de Compliance.
La Compliance pourrait également être
utilisée par des gouvernements détenant des entreprises fortes,
ayant déjà un quasi-monopole de droit dans les secteurs
concernés par la Corruption, comme en Angola, au Ghana, en Guinée
Equatoriale, ou encore en Chine. Le mécanisme envisagé pourrait
être la création d'une obligation de transmission de
renseignements aux entreprises voulant opérer sur leur territoire, sous
couvert de Compliance, afin de récupérer des informations
clés.
Toujours dans le cadre de l'espionnage industriel,
l'intelligence économique est une préoccupation majeure des
entreprises commerciales. Par ailleurs, le recueil d'informations sous couvert
de due diligence est un point à ne pas négliger.
En effet, ce processus a déjà une importance en
ce qu'il peut déterminer, à terme, la réalisation d'un
contrat ou son abandon. La crainte peut alors naître, chez un partenaire,
de se voir refuser un contrat, en raison de son refus de transmettre des
informations dans le cadre de la due diligence. Le danger peut également
venir de la légitimité que la due diligence reçoit de la
part des autorités en charge de sa lutte. En effet, là encore, la
crainte d'apparaître comme réfractaire à la lutte contre la
Corruption, en refusant de fournir des informations demandées dans le
cadre de la due diligence, peut exister. Dans ces deux situations, l'entreprise
peut alors commettre l'erreur de transmettre des informations confidentielles
avec une portée concurrentielle.
La Compliance de l'entreprise est alors d'autant plus
importante qu'elle connaît le droit anticorruption. Elle pourra alors
savoir ce qui relève de la due diligence normale, et ce qui a vocation
à dépasser cet objectif. La Compliance permettra, en plus, de
communiquer en toute intelligence entre services respectifs de chaque
entreprise ; en étant capable de motiver ses négociations avec
des arguments solides.
Enfin, l'environnement mondial de la lutte contre la
Corruption fournit un outil potentiellement dévastateur en
matière de concurrence. En effet, de par la mise en place des
dénonciations rémunérées, une entreprise
concurrente pourrait profiter de ces mécanismes, afin de dénoncer
un concurrent.
L'intérêt est triple : d'abord évincer un
concurrent d'un marché (que ce soit avant la conclusion d'un contrat ou
pendant, puisque les décisions des autorités dans le domaine de
la Compliance peuvent décider de la résolution du contrat) ;
ensuite lui infliger une perte économique très importante
(à la fois à cause de la réalisation des risques directs
et indirects développés précédemment) ; et enfin,
récupérer une part de l'amende, puisque les mécanismes de
dénonciation le prévoient.
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Cela suppose de remplir les conditions de la
dénonciation imposées par l'UKBA ou le FCPA. Mais cela
n'apparaît pas du tout insurmontable141, quand de telles
sommes sont en jeu.
Là encore, le seul moyen de se prémunir contre
ce genre de comportements est la mise en place d'un service de Compliance
efficace, puisque c'est la seule limite existante à la fois
légalement et factuellement pour lutter contre ce risque.
Enfin, la clause d'audit en matière de Compliance
apparaît comme une arme d'intelligence économique sans
réelle limite. Ce type de clause est en plus appuyé par des
décisions importantes prononcées dans le cadre du
FCPA142. Ces clauses prévoient la possibilité, pour
une partie au contrat, de se faire communiquer toutes les pièces qu'elle
juge nécessaires, en cas de soupçons d'infractions à la
législation contre la Corruption.
Il n'existe aujourd'hui aucun contrôle réel de ce
type de clauses, et le seul moyen de s'en prémunir est d'avoir une
Compliance suffisamment forte pour qu'aucun fait de Corruption ne se produise
dans le cadre de ces contrats.
§3. La Compliance d'entreprise ayant vocation
à s'élargir d'autres thématiques
L'avenir de la Compliance réside non seulement dans
l'évolution de la lutte contre la Corruption ou dans les applications
détournées que l'on pourrait en faire, mais également dans
l'élargissement de son champ de compétences.
Ainsi, le droit pénal de la concurrence s'est-il
déjà fortement rapproché de la problématique du
droit de la Corruption. Ce rapprochement est également renforcé
par le fait que le droit de la Corruption est de plus en plus présent en
matière de fusions et acquisitions143. Ces deux
problématiques pourraient donc, dans les prochaines années, faire
partie des missions de la Compliance.
La Compliance anti-Corruption est également proche de
la lutte contre le blanchiment d'argent. Elle en est proche car la lutte contre
la Corruption semble épouser les formes de la LAB. Elle en est
également proche du fait que l'infraction de blanchiment d'argent permet
de sanctionner l'utilisation de l'argent issue de la Corruption, a posteriori.
Par ailleurs, il est fort probable que les organismes financiers soient
frappés de plein fouet par une série de sanctions contre leur
secteur d'activité, dans le cadre de la lutte contre la
Corruption144. Plus encore, ceux-ci pourraient être poursuivis
pour recel de Corruption. D'un autre côté, les
141 Voir Z.FARDON & E.SWIBEL, « The Dodd-Frank
Act's Whistleblower Bounty Provision - A Primer »,
2011.
142 Voir E.U. contre PANALPINA, 4 novembre 2010 ; et E.U.
contre RAE SYSTEMS INC., 10 novembre 2010.
143 Voir E.U. contre BIZJET INTERNATIONAL SALES AND
SUPPORT, INC., 2012 et E.U. contre LUFTHANSA TECHNIK AG, 2012. Dans ces
affaires, le DOJ impose aux entreprises de dénoncer tous les faits de
corruption commis par la société absorbée, dont ils
auraient connaissance après l'opération de fusion ou
acquisition.
144 De grands groupes financiers sont actuellement sous
investigations de la part des autorités du FCPA, tels que THE GOLDMAN
SACHS GROUP INC ou ALLIANZ SE.
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entreprises non financières sont également
exposées aux risques de blanchiment d'argent145.
Un rapprochement de ces deux matières, Compliance
anti-Corruption et Compliance anti-Blanchiment d'argent, est donc tout à
fait envisageable. Le mécanisme de due diligence est, par exemple,
quasiment le même pour les deux types d'entreprises ayant à
connaître ces problématiques.
De façon plus générale, la Compliance
pourrait avoir vocation à élargir son champ de compétence
à tout le droit pénal des affaires.
Le droit de la concurrence est déjà
considéré par les services de Compliance comme une
problématique de demain. Des matières telles que l'abus de biens
sociaux, l'abus de confiance, l'escroquerie ou encore le vol sont très
proches de la Corruption (que ce soit dans les éléments
constitutifs et dans les moyens à mettre en place pour les
anticiper).
Plus encore, la vocation pédagogique de la Compliance
à sensibiliser les acteurs de tous niveaux hiérarchiques dans la
société aurait tout à fait sa place dans des
matières telles que le droit boursier (délits et manquements
d'initié, de diffusion d'informations fausses ou trompeuses, voire de
manipulation de cours) ; le droit pénal des sociétés
(majoration des apports en nature, les infractions lors de la liquidation des
filiales comme la banqueroute et les infractions satellites) ou encore le droit
de la consommation (publicités trompeuses). Ces sujets de droit
pénal ont des spécificités qui se retrouvent dans
l'infraction de Corruption (notamment en ce qui concerne les délais de
prescription particuliers, la responsabilité prépondérante
de la personne morale, mais aussi et surtout le fait qu'ils soient de la
compétence de tribunaux spécifiques, comme le pôle
financier du parquet de Paris).
Il est même envisageable que la Compliance devienne,
dans les années à venir, le service juridique responsable de la
gestion de tous les risques pénaux auxquels est exposée une
entreprise (au sens large, en incluant donc les sanctions civiles sur des
fondements pénaux). En effet, le triptyque
prévenir/agir/réagir, propre à la Compliance trouve une
application de choix pour la gestion des potentielles infractions dont
l'entreprise pourrait être l'auteur ou la victime.
De plus, le positionnement de la Compliance, en tant que
service interne à l'entreprise, mais dont le rôle est aussi de
contrôler les comportements des acteurs de l'entreprise, est tout
à fait particulier. Ce rôle est nécessairement tenu par les
services en charge du respect, par les membres de l'entreprise, de contraintes
externes dont la nature diffère de celle de l'activité de
l'entreprise. Et ces contraintes sont essentiellement des normes
pénales, puisque la nature même du droit pénal est
d'assurer le respect, par des sanctions, d'intérêts
supérieurs à l'entreprise.
De cette façon, une entreprise a tout
intérêt à confier à son service de Compliance toutes
les problématiques de ce type146, et donc du droit
pénal de l'entreprise. Le savoir-faire développé à
la fois dans l'élaboration de procédures adaptées à
l'entreprise ; mais
145 Elles ne peuvent cependant pas faire de
déclarations de soupçons à Tracfin, ni lui demander des
renseignements.
146 En plus du droit pénal des affaires classiques,
le droit pénal de la presse, le droit pénal de l'environnement ou
encore le droit pénal du travail sont autant de matières tout
à fait indiquées pour les missions d'un service de
Compliance.
également la transmission des valeurs aux autres
acteurs de l'entreprise ; et enfin le statut sanctionnateur de la Compliance
sont autant de raisons de confier à ce service un nombre de missions
liées au droit pénal les plus importantes possibles.
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