Les mandats des opérations de maintien de la paix de l'ONU en République Démocratique du Congo face aux réalités locales: utopisme ou réalisme?( Télécharger le fichier original )par Claude BOYOO ITAKA Université de Kinshasa - Licence 2012 |
Section 2. Les facteurs de l'inefficacité des forces onusiennes en RDCAprès une analyse critique des différentes interventions des forces onusiennes en République Démocratique du Congo, il s'avère que dans l'ensemble, l'ONU n'est pas sortie grandie de ses opérations en RDC menées depuis 1960. Celles-ci ont souligné les limites de sa volonté et de sa capacité d'action et laissent percevoir que son engagement en vue de la préservation de l'indépendance de ce pays est mitigé. Ces différentes défaillances semblent confirmer aujourd'hui l'écart colossal qui persiste entre les ambitions déclarées et les réalités de la géopolitique de la Région des Grands Lacs africains. Cette vision nous amène à nous demander si l'impact des interventions extérieures dans les conflits n'est pas paradoxalement leur prolongation. Il y a davantage d'exemples d'impuissance face aux violences que le contraire. Cela ne signifie pas pour autant que les opérations de maintien de la paix sont inutiles. Cependant, les interventions systématiques dans les conflits qui sont justifiées par des impératifs humanitaires passent sous silence leurs conséquences politiques. Cette situation s'explique en grande partie par le fait que son engagement est instrumentalisé par ses membres les plus puissants qui, à côté de l'objectif global de l'organisation, poursuivent leurs propres intérêts dans les jeux où ils sont impliqués74(*). Au de-là de tous ces enjeux, il faudrait reconnaitre que la MONUSCO connait également quelques incapacités techniques et diplomatiques. §1. Les interventions instrumentalisées par les grandes puissances et la réticence des pays fournisseurs des troupes1. L'instrumentalisation par les grandes puissancesMême si la charte des Nations Unies reconnait l'égalité souveraine de ses membres75(*), personne n'ignore l'inégalité des acteurs au sein des Nations Unies. Certains Etats y occupent des positions d'influence, étant membres permanents du Conseil de Sécurité. Ils sont par conséquent les principaux bailleurs de fonds et sont amenés à se prononcer sur les dossiers relatifs aux opérations de maintien de la paix et de la sécurité internationales, charge principale du Conseil de Sécurité. C'est le cas des conflits en RDC dans lesquels les Etats-Unis et la France, placés dans un contexte d'interdépendance stratégique instrumentalisent l'ONU et sont parfois en contradiction avec ses objectifs76(*). L'implication directe ou sournoise de certains pays membres dans l'émergence et/ou l'exacerbation des conflits ainsi que les interférences des puissances extra-africaines compliquaient considérablement la recherche de solutions aux conflits. Ainsi, la définition de chaque mission par les grandes puissances est faite d'après un calcul rationnel de coûts avantages.
Par leur position au sein de l'ONU, les Etats-Unis se comportent comme le plus puissant dans toute organisation, en amenant ainsi le Secrétaire général dans son jeu : « le plus puissant joue sur plusieurs relations de pouvoir cumulables mais tous ont des stratégies», affirmait ROJOT. Selon certains analystes, les Etats-Unis utilisent depuis la crise de 1960, les Nations Unies comme un instrument occasionnel de leur politique étrangère en RDC. A cet effet, le soutien américain à l'intervention onusienne au Congo en 1960 était uniquement dans le but d'empêcher l'expansion du communisme en Afrique dans le contexte de la guerre froide. De même, depuis 1999, les différentes missions de maintien de la paix de l'ONU au Congo (MONUC ou MONUSCO) participent souvent dans une violence structurelle dont Washington a fait toujours usage pour dominer d'autres puissances dans cette région. Ainsi verrouillées, ces missions ont été et demeurent un instrument de domination américaine par excellence. Le choix des responsables ces missions est souvent stratégique. Ce qui fait que depuis son déploiement, la mission onusienne au Congo n'est commandée généralement que par les anglo-saxonnes en général et plus particulièrement par les américains. En bref, nous pouvons admettre à partir du cas de la RDC que : « les Etats-Unis veulent dominer l'ONU, utiliser l'organisation à leurs propres fins, présenter ces fins comme étant le bien universel et attendre qu'on les en remercie. Les Etats-Unis conçoivent l'ONU comme une feuille de vigne servant à camoufler leurs objectifs politiques pour obtenir l'adhésion des alliés et faciliter celle de l'opinion américaine, en présentant les interventions militaires comme des opérations humanitaires et multilatérales»77(*). On peut dès lors comprendre l'impuissance des Nations Unies en Afrique (Somalie, Rwanda et République démocratique du Congo), impuissance qui n'est que le reflet d'une paralysie générale imposée par les Etats-Unis78(*).
La France ne peut plus prétendre à la place de grande puissance occupée solidement par les États-Unis. Même au plan économique, elle est largement distancée par d'autres pays, notamment le Japon et l'Allemagne. Pour Paris, l'Afrique (notamment francophone) constitue, comme l'explique bien Pascal Chaigneau, le prolongement géopolitique79(*) de la France en termes de clientélisme au sein de l'ONU aujourd'hui, et demain au sein de l'OMC. Avant d'aborder la question de l'activisme français dans les conflits armés en RDC, il est préalablement nécessaire d'avoir au moins l'idée générale sur la politique étrangère française. En fait, les principaux objectifs de la politique étrangère de la France établis par le général Charles de Gaulle furent entre autre le maintien de son statut de grande puissance, la défense de son indépendance nationale ainsi que la préservation d'une zone d'influence en Afrique subsaharienne. A cet effet, les grandes lignes de sa politique ont été maintenues par ses successeurs, car ils ont voulu et veulent jusque là préserver l'indépendance de la France en refusant l'hégémonie des superpuissances et en renforçant les liens avec ses anciennes colonies, ceci afin de disposer d'une zone d'influence lui permettant de maintenir son statut de grande puissance80(*). Par rapport aux conflits armés en République démocratique du Congo, il faudrait reconnaitre qu'en dehors de la crise de 1960, la France adopte dans les autres conflits congolais, une stratégie consistant à rationaliser ses objectifs latents en sollicitant constamment l'action de l'ONU comme rempart face aux convoitises américaines81(*). Ce changement de comportement se caractérise par le renoncement aux interventions armées décidées sur une base bilatérale, sans un appui diplomatique et même militaire négocié dans une arène multilatérale, principalement le Conseil de Sécurité de l'ONU. Ainsi, lors du premier conflit de 1996, la France apporta un soutien divers à Mobutu. Elle était l'Etat le plus engagé en faveur d'une intervention militaire en RDC. La France sera encore plus active lors du conflit de 1998. Car, elle a fortement encouragé l'implication progressive des Nations Unies, de l'Union Européenne et des acteurs africains dans les Grands Lacs et en particulier en RDC. Elle adopte ainsi une stratégie consistant à déplacer les frontières de l'organisation et à constituer, selon FRIEDBERG, un « environnement négocié ». La France devient en quelque sorte une puissance protectrice défendant les intérêts de la RDC aux Nations Unies. Elle a initié au Conseil de Sécurité plusieurs résolutions demandant le retrait des troupes étrangères et commandite les enquêtes sur le pillage des ressources naturelles. Elle a pesé au Conseil de sécurité, surtout au Comité des sanctions des Nations Unies pour condamner l'attitude complice du Rwanda et de l'Ouganda qui s'étaient illustrés dans le soutien des rebelles qui violent, pillent et sèment la mort à l'Est de la RDC82(*). La dernière résolution initiée par la France en faveur de la RDC est celle qui demande la création d'une brigade d'intervention au sein de la MONUSCO pour combattre toutes les forces négatives à l'est de la RDC. La France a également soutenu les deux opérations européennes menées en RDC en appui à la MONUC à des moments critiques du processus de transition mené de 2003 à 200683(*) : - l'opération ARTEMIS autorisée par la résolution 1484 (2003). L'Opération Artémis, menée en Ituri entre juin et août 2003 qui fut la première opération militaire de l'UE en Afrique, dont la France a été la nation-cadre. - l'opération EUFOR RDC autorisée par la résolution 1671 (2006). L'UE a décidé, à la demande des Nations unies, de déployer de juillet à décembre 2006 une mission de sécurisation des élections (EUFOR) en soutien de la MONUC. La France a été avec l'Allemagne le principal contributeur de cette force. Par leurs discours et leurs prises de position pour la situation en République Démocratique du Congo, les autorités françaises font preuve d'une certaine solidarité et sont en fait favorables à l'éradication des différentes rébellions dans la partie orientale du Congo. Le discours de Nicolas SARKOZY lors de sa visite dans la région des Grands Lacs en 2009 ; le discours de François Hollande lors du XIVè sommet de la francophonie à Kinshasa en 2012 concernant les guerres en RDC, la position de Laurent Fabious (Ministre des Affaires Etrangères de la France) lorsque la ville de Goma était tombée entre les mains du M23 sont autant d'éléments qui prouvent la position de Paris dans la résolution de ces conflits. Cependant, il faudrait reconnaitre que ces diverses actions louables de la France en vue d'éviter la violation de l'intégrité et de la souveraineté de la RDC, ne sont pas exemptes d'enjeux latents même s'ils sont presque nuls d'autant plus que dans la conception réaliste des relations internationales, seuls les intérêts motivent toute action politique. Suivant cette même conception, ALBRECHT SCHNABEL mentionne que la théorie réaliste soutient l'idée que la participation d'un pays à une opération de maintien de la paix s'effectue en fonction de ses intérêts géostratégiques et de ses préoccupations particulières en matière de politique étrangère. Les calculs des coûts et des avantages liés aux missions de paix s'effectuent par rapport à l'impact qu'elles ont sur les opinions publiques, sur le positionnement de l'État sur la scène internationale et ainsi qu'au prestige qu'elles rapportent84(*). Par conséquent, plusieurs enjeux doivent être pris en compte pour comprendre l'attitude de la France face à la situation en République Démocratique du Congo. D'abord sur le plan géopolitique, la RDC est importante pour la construction d'un espace régional africain. La France s'articule dans un contexte régional, car cela lui offre l'opportunité de continuer d'exercer son emprise sur une région du monde qu'elle considère toujours comme sa sphère d'influence85(*). Ensuite, l'enjeu économique n'est pas non plus à négliger. La France, à travers ces actions, visent également à élargir son marché et surtout avec ses entreprises minières. Les actions françaises ont également un enjeu symbolique en tant que grande puissance qui vise, à travers sa participation aux OMP, obtenir une grande crédibilité dans le système international, mais aussi acquérir davantage d'influence au sein de l'ONU86(*). Le dernier enjeu est culturel à travers la promotion de la langue française. La RDC étant membre de la Francophonie et deuxième pays mondial en terme de locution, la France vise aussi à sécuriser cet Etat qui est souvent combattu par les anglo-saxons pour éviter tout basculement. Ainsi, les interventions militaires ougandaises et rwandaises lors de ces deux conflits armés en RDC sont carrément considérées par Paris comme une autre conquête du territoire francophone par les Anglo-saxons87(*). Ce comportement des grandes puissances au sein de l'ONU nous place au coeur de la théorie réaliste des relations internationales selon laquelle « la poursuite de l'intérêt national détermine l'action des Etats dans les organisations internationales »88(*). C'est dans ce sens que P. De Senarclens affirme que : « les grandes puissances utilisent l'Organisation en suivant leurs propres intérêts, et ne concèdent rien aux exigences de la Charte lorsque cette dernière contrarie leurs ambitions politiques ». Cette confrontation des grandes puissances bloque le bon fonctionnement du système de sécurité collective même dans la période post-guerre froide. En dehors des grandes puissances, il ya également d'autres puissances moyennes (notamment le Canada et l'Afrique du Sud) qui cherchent également, dans leurs participations aux OMP en RDC, obtenir une certaine influence et une crédibilité internationale.
Comme pour d'autres puissances moyennes, l'engagement de l'Afrique du Sud dans la région des Grands Lacs africains vise à obtenir une certaine influence dans une région où sa présence est généralement réduite en jouant un rôle actif dans la gestion d'un conflit régional en travaillant dans un cadre multilatéral. La participation de ce pays aux OMP déployées en RDC n'est pas un acte de la générosité ou de souci de mettre fin à ces conflits. Sa participation est justifiée par beaucoup d'intérêts d'ordre géostratégiques, économiques, etc. D'abord, soucieuse de confirmer sa suprématie ou sa puissance en Afrique, de se redonner une légitimé régionale et internationale l'Afrique du Sud prône l'interventionnisme, en participant à tous les mécanismes de résolution ou de gestion des conflits armés en Afrique. Ensuite, pour sauvegarder ses intérêts économiques notamment ses multinationales implantées dans les zones minières, l'Afrique du Sud profite de sa participation dans ces OMP pour renforcer sa présence dans l'exploitation des ressources minières de la RDC. C'est l'affairisme qui est au centre de sa politique de maintien de la paix. En somme, par leurs interventions aux conflits armés dans le monde et plus particulièrement en RDC, les grandes puissances ne cherchent pas à trouver des solutions aux vrais problèmes ; mais visent particulièrement leurs intérêts respectifs. Cette quête de repositionnement et des intérêts des grandes puissances plonge l'ONU, malheureusement, dans une inertie due à la double contrainte. L'ONU se trouve en face d'une injonction paradoxale qui la contraint en même temps à atteindre ses objectifs assignés dans la Charte de San Francisco et d'autre part à satisfaire aux intérêts des grandes puissances qui assurent son fonctionnement et donc la dirigent. Devant cette difficulté, elle se laisse conduire, malgré lui, aux injonctions et aux volontés de ces grandes puissances au détriment des valeurs universelles qu'elle prône. C'est la même situation pour les OMP de l'ONU au Congo. Comme nous l'avons su présenter précédemment, le déploiement et le fonctionnement des forces onusiennes au Congo sont en tout cas instrumentalisés par ces grandes puissances qui, au lieu de chercher des voies et moyens pour instaurer la paix dans cette région, cherchent à défendre davantage leurs intérêts que des valeurs universelles comme la paix, la justice ou la sécurité internationale. Poursuivant des objectifs et des ambitions différents et contraires ; ces grandes puissances sont à la base de la paralysie et l'inefficacité de l'ONU et surtout des OMP. Albrecht Schnabel explique à ce sujet que « les politiques de maintien de la paix de ces pays reposent sur « des évaluations au cas par cas» de chaque conflit, par rapport à leurs préoccupations particulières, leurs intérêts géostratégiques et leur statut régional ou global. Les questions plus générales, comme la défense des valeurs humanitaires universelles ou la sécurité mondiale, ont peu d'impact sur les processus réels de décisions concernant les actions des Casques bleus et le maintien de la paix »89(*). * 74 Pole Institute, « Repenser l'Indépendance : la RD Congo 50 ans plus tard », in Actes du Colloque du cinquantenaire organisé à Goma, Juillet 2010, p.86. * 75 Charte des Nations Unies, article 2, §1. * 76 HILAIRE DE PRINCE POKAM, « l'ONU dans le processus de préservation de l'indépendance de la République Démocratique du Congo » in Pole Institute, Repenser l'Indépendance : la RD Congo 50 ans plus tard , Actes du Colloque du cinquantenaire organisé à Institute Goma, Juillet 2010, p.87. * 77 Courrier International n°316 du 21 au 27 novembre 1996, p. 7. * 78DECAUX EMMANUEL, «Les Nations Unies et la région des Grands Lacs», p. 39, site internet : www.politiqueafricaine. com/numeros/pdf/068032.pdf, date de recherche, 26-O5-2010. * 79 PASCAL CHAIGNEAU, « La France et l'Afrique », in Défense nationale, janvier 2005, p. 120. * 80 DÉSILETS LOUIS-PHILIPPE, la gestion des conflits armés en Afrique depuis la Somalie(l9932003)jusqu'à l'opération Artémis: étude comparative des politiques canadiennes et françaises de renforcement des capacités africaines de maintien de la paix, Mémoire présenté à l'université du Québec (MONTRÉAL), AVRIL 2006, p. 88. * 81 Hilaire De Prince POKAM, Loc.cit, p.92. * 82 http://www.onewovision.com/actu-rdc/Une-premiere-mondiale-Enfin-une-brigade-d-intervention-voit-le-jour,006b1471125594596113241 * 83 http://daccess-ods.un.org/access.nsf/Get?Open&jn=N0937054 consulté le 23 juin 2013. * 84 SCHNABEL AlBRECH, art.cit, p. 207. * 85 LOUIS-PHILIPPE DÉSILETS, Op.cit, p. 28. * 86 BADIE BERTRAND, Quand le multilatéralisme s'impose, Paris, L'arroseur arosé, 1997, p. 212. * 87 RUSAMIRA ETIENNE, « Géopolitique des grands lacs africains et syndrome de Fachoda. Le rôle de l'état français dans le génocide rwandais et la déstabilisation politique de la région », Montréal, 2003, p.47. * 88 SMOUTS Marie-Claude, Les organisations internationales, Paris, A Colin, 1995, p. 23. * 89 SCHNABEL, Albrech, art.cit, , p.199. |
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