ANNEXES
Annexe 1 : Carte
Annexe 2 : Entretien avec Jean-Paul Gouteux
Annexe 3 : Entretien avec Benjamin Sehene
Annexe 4 : Les médias français face au Rwanda
De l'intervention française de 1990 au génocide - Nicolas Bancel
Annexe 5 : « La guerre secrète de
l'Elysée », Libération
Annexe 6 : Entretien avec Jean-Pierre Chrétien
Annexe 7 : Note de Georges MartresAnnexe
1
Carte
La ligne de front au Rwanda, fin juin 1994.
Publié dans Libération le 29 juin.Annexe 2
Génocide rwandais : La presse
française au ban des accusés
Mercredi 17 août 2005
Entretien avec Jean-Paul Gouteux - Propos recueillis par
Vivien Jaboeuf
The Dominion - Canada's Grassroots Newspaper
Le rapport de la Commission d'enquête citoyenne
sur le rôle de la France durant le génocide rwandais L'horreur qui
nous prend au visage est paru en mars dernier. Il dénonce entre autres
l'implication française sur le plan médiatique. Jean-Paul
Gouteux, spécialiste de la question rwandaise, nous rappelle la tendance
néocolonialiste de la presse française en Afrique.
Le Dominion : La plupart des médias
français ont décrit dans un premier temps le conflit rwandais de
1994 comme le résultat de l'exacerbation d'un antagonisme culturel et
séculaire entre Hutus et Tutsis. D'un point de vue religieux, social,
linguistique et historique, peut-on dire que Hutu et Tutsi font parties de deux
ethnies distinctes ?
Jean-Paul Gouteux : Hutu et Tutsi sont
des catégories sociales, déterminées autrefois par leur
activité socioprofessionnelle : élevage pour les Tutsi,
agriculture pour les Hutu. Ils parlent la même langue et ont la
même culture. Aujourd'hui cette distinction en agriculteurs et
éleveurs n'a plus de sens. En revanche la vision racialiste des
administrateurs coloniaux allemands, puis belges et surtout de l'Église
catholique s'est peu à peu imposée. Ces catégories ont
été reprises par les colons belges, racialisées et
inscrites sur les cartes d'identités rwandaises. Monseigneur Perraudin,
représentant le Vatican au Rwanda, parlait des
« races » hutu et tutsi. Il fut l'un des initiateurs d'une
« révolution » sur fond ethnique qui à
conduit aux premiers massacres de la population civile tutsi au début
des années soixante.
Historiquement, les guerres qui ont permis d'agrandir le
royaume du Rwanda tout au long des siècles, opposaient l'armée
rwandaise, comprenant Tutsi, Hutu et Twa à d'autres armées des
différents royaumes de la région. La tradition des conflits entre
Hutu et Tutsi, présentée trivialement comme l'explication du
génocide, n'existe tout simplement pas, elle n'est qu'un des
ingrédients de la propagande servant à attiser ces conflits.
Le soi-disant conflit ethnique fut donc une construction
idéologique servant les fins politiques du gouvernement et des
extrémistes de l'époque ? Désigner un bouc
émissaire, en l'occurrence la population civile tutsi, est
éminemment politique. C'est une vieille recette usée
jusqu'à la corde pas les populismes et les fascismes européens.
Les deux républiques hutu successives, la première dominée
par des Hutu du centre, la seconde par des Hutu du nord, se sont largement
servies de cette « arme de manipulation massive ». Avec
l'avènement du Hutu Power, mouvement raciste transcendant les partis
politiques, cette dérive prit la forme du « nazisme
tropical » que l'on connaît et qui a abouti au génocide
de la population tutsi en 1994.
La vision racialiste des colonisateurs a fini par être
totalement intégrée par les intellectuels rwandais et
certainement beaucoup moins par le menu peuple. Si les dirigeants pouvaient
organiser périodiquement des séries de pogromes antitutsi en
exacerbant la haine ethnique, c'est parce que nombre d'intellectuels hutu
l'acceptaient et trouvaient là le moyen d'entretenir leur conviction et
leur bonne conscience. Ce sont en effet ces intellectuels qui
bénéficiaient de l'exclusion des Tutsi de la compétition
pour les postes administratifs. Le jeu est donc complexe entre la manipulation
du racisme par le pouvoir - qui permettait d'occulter les problèmes
sociaux en désignant un bouc émissaire - et l'acceptation ou la
surenchère de ceux qui en tiraient de petits privilèges.
Des victimes rwandaises du génocide ont
même saisi la justice française de plainte contre X. Pensez-vous
sincèrement que des responsables français, politiques ou
militaires, puissent un jour être jugés et que la France fassent
des excuses publiques aux victimes du génocide ?
Je suis intimement persuadé que la vérité
sur un génocide ne peut être totalement occultée. Le
phénomène est trop grave et fait appel à une conscience
universelle, celle de l'humanité tout entière. Ceux qui pensent
que leurs turpitudes politiques, parce qu'elles se déroulaient dans
« le trou noir » de l'Afrique, « au coeur des
ténèbres » pour reprendre l'expression de Joseph
Conrad, serait à jamais méconnu, se trompent.
Cette plainte de victimes rwandaises est donc d'une importance
fondamentale. Nous verrons bien dans la suite qui lui sera donnée
où en est l'information et l'état des consciences en France sur
ce drame, à la fois des juges et de la population. Mais il y en aura
d'autres, comme il y aura d'autres révélations, toujours plus
embarrassantes pour l'État français.
Dix ans après le génocide et autant
d'années de dénonciation de la part des victimes et des
associations militantes, la gravité de la complicité
française commence seulement à faire surface. Les médias
sont-ils pour beaucoup dans la lenteur de la sensibilisation du public et des
politiques ?
Pour ce qui concerne l'Afrique, il y a une tradition
journalistique qui est de limiter l'information aux clichés ethniques,
sans aucune analyse digne de ce nom et surtout de répercuter la
politique africaine de la France sans aucune critique. Les médias
français ne s'intéressent jamais aux questions de fond sur
l'Afrique. L'image cultivée est celle de l'ethnicité et du
tribalisme, c'est-à-dire qu'ils ne parlent que de la forme et des moyens
de ces manipulations politiques, jamais des manipulations politiques en
elles-mêmes. En France les médias restent obéissants et
l'opinion est toujours sous contrôle. Cela peut changer.
Il faut que l'opinion européenne s'émancipe de
l'expertise française en ce qui concerne l'Afrique. On peut
considérer deux cas de figure : ou l'Europe refuse
l'hégémonie des dirigeants français sur la politique
africaine et constituera le moteur du changement de l'opinion publique
française, ou nos spécialistes, les diplomates et leurs
officines, parviennent à la contrôler, ce qui serait un
scénario catastrophe que l'Afrique payerait très cher.
En 1994, on était en plein dans ce schéma de
désinformation larvée. Il est rétrospectivement accablant,
devant l'horreur et la dimension du drame qui s'est déroulé
pendant trois mois au Rwanda, de relire la presse française de cette
époque. La couverture a été minimaliste. Certes, la
responsabilité de la presse a été ainsi engagée. Il
y avait au moins deux façons d'empêcher le drame. La
première était de révéler l'ampleur du crime
dès avril 1994 et ainsi de susciter un mouvement d'opinion pour
arrêter l'intolérable. La seconde était de
révéler l'implication des autorités françaises, qui
auraient alors été obligées de bloquer leurs alliés
génocidaires. Ni l'un ni l'autre n'a été fait. La presse
et les autres médias français ont été au-dessous de
tout, restant fidèles à leurs habitudes sur l'Afrique.
Globalement, l'information sur ce domaine en France reste toujours
désertifiée, limitée à la langue de bois des
discours officiels que critique, très mal, les incompréhensions
de la presse contestataire. « C'est le discours de "la France,
meilleure amie de l'Afrique", "plus grande donatrice", "patrie des droits de
l'homme", "avocate de l'Afrique", tous ces slogans politico médiatiques
que l'on entend si souvent et qui ont encore une étonnante
efficacité » comme l'explique François-Xavier Verschave
de l'ONG Survie.
Citons un exemple assez récent, un entretien avec le
rédacteur en chef de La lettre du Continent paru dans le journal
contestataire français Charlie Hebdo du 23 février 2005 et dont
le titre résume l'essentiel du message de désinformation :
« La France n'a plus les moyens de jouer les bons pères de
famille en Afrique ». La Lettre du continent est une publication bien
renseignée, trop bien même, de toute évidence très
proche des services secrets français et pour cela très
prisée dans les milieux de la
« Françafrique ».
Il semble aujourd'hui que la situation change lentement, mais
sûrement. Ainsi la répression du pouvoir togolais contre la
population civile qui s'oppose à son hold-up électoral ne passe
plus comme une lettre à la poste. Même RFI ne semble plus
totalement contrôlé par le pouvoir chiraquien, l'information est
beaucoup plus objective et les journalistes de cette radio ont protesté
contre la suppression du site Internet de RFI et des informations qui
contrevenaient au soutien que Paris apporte toujours à la dictature
togolaise.
Dans votre livre, Le Monde, un
contre-pouvoir ?, vous critiquez sévèrement les
méthodes de désinformation et de manipulation sur le
génocide rwandais, et notamment l'attitude malhonnête des
envoyés spéciaux de l'époque. Vous dites entre autres que
« Le Monde, en tant qu'instrument docile [de la politique
française de collaboration avec le Rwanda] a sa part de
responsabilité dans l'incompréhension des Français et leur
passivité devant l'horreur qui s'accomplissait ».
Les conclusions provisoires de la Commission
d'enquête citoyenne sur les médias et idéologies nuancent
leurs accusations. Je cite : « La plupart des envoyés
spéciaux ont fait leur travail et rapporté les faits (...), ils
n'ont pas déguisé la responsabilité de la France depuis
1990 », puis « Cependant, certains de ces envoyés
spéciaux, des éditorialistes et des rédactions parisiennes
ont eu tendance à répercuter le discours de diabolisation du FPR
(...) ». Souscrivez-vous à cette analyse des
faits ?
Pas exactement. D'abord je ne pense pas qu'il y ait une
« responsabilité de la France ». Il s'agit de
diverses responsabilités de dirigeants français, politiques et
militaires, engagés dans une étroite collaboration avec un
État pré-génocidaire, puis génocidaire. Parler de
« La France » évite simplement d'avoir à les
identifier et d'avoir à analyser les responsabilités de chacun.
L'utilisation de cette expression globalisante évite l'analyse et
révèle clairement les limites de cette commission, ou
plutôt l'intention de certains de ses membres, notamment ceux qui ont
travaillé sur le dossier médiatique. Mais heureusement les faits
sont là, et ce sont eux qui ont eu le dernier mot.
L'occultation médiatique du génocide a
été très consensuelle et s'est poursuivit jusqu'en 1998.
Elle a été brisée par la série d'articles de
Patrick de Saint-Exupéry publiée dans Le Figaro au début
de 1998. Ces articles ont libéré la presse et provoqué
immédiatement la mise sur pied d'une Mission d'information par le
pouvoir français pour étouffer le scandale. Il y a
évidemment des nuances sur la responsabilité de la presse.
Relever comme je l'ai fait la désinformation dans un journal comme Le
Monde n'empêche pas de reconnaître qu'il y a d'excellents
journalistes dans ce journal et qu'il s'y écrit de très bons
articles.
Pensez-vous également que la
désinformation a pour origine une discordance des points de vue entre
journalistes et rédactions ou bien qu'il s'agit d'un problème de
méconnaissance du contexte historique, social et politique des
évènements de l'époque de la part des
journalistes ?
Il est clair qu'il existe un journalisme de connivence et une
indécente proximité entre hommes politiques et hommes de
médias, c'est-à-dire journalistes, rédacteurs en chefs,
directeurs et propriétaires. La connivence entre Le Monde et le chef des
services français, la DGSE, est même apparue au grand jour de
l'aveu même du directeur de la DGSE, Claude Silberzahn. Il écrit
que le directeur de ce journal, Jean-Marie Colombani, et son spécialiste
militaire, étaient « ses amis » avec qui il
« complotait » quelques bons coups médiatiques.
Mais d'autres journalistes évitent de rentrer dans ce
jeu, dangereux pour la liberté, avec les officines du pouvoir. Corinne
Lesnes par exemple a écrit dans Le Monde, en 1994 de très bons
articles, s'engageant dans l'analyse et apportant ainsi des
éléments indispensables pour la compréhension de la crise.
Disons aussi, et je le tiens d'une amie commune, qu'elle a été
censurée par sa rédaction au point d'en pleurer.
Il en est de même pour Agnès Rotivel, journaliste
au journal chrétien La Croix. Elle l'explique très bien
elle-même : « Le problème s'est posé avec la
rédaction lorsque j'ai ramené un papier sur l'Église au
Rwanda, (...) La Croix n'a pas été capable d'assumer cela
jusqu'au bout. C'était un article qui s'appuyait sur des faits
réels [évoquant notamment Monseigneur Perraudin]. (...).
J'étais très furieuse. Je lui ai dit [au rédacteur en
chef] qu'il fallait faire très attention, que l'on avait affaire
à des prêtres et que cela arrangeait tout Le Monde de voir les
problèmes à travers l'ethnie. Cela arrangeait le gouvernement
français et l'Église. Il ne s'agissait que d'une histoire de
Tutsi et de Hutu. (...) Mon texte est passé pendant que j'étais
absente. Le responsable du service religieux a censuré mon papier
d'environ deux tiers. »
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