Secret et proces penal au cameroun( Télécharger le fichier original )par Pauline Priscille NGO NOLLA Université de Yaounde IIS SOA - DEA Droit privé option sciences criminelles 2010 |
SECTION I: LE SECRET, UN GAGE D'EFFICACITE DANS LE DEROULEMENT DU PROCES PENAL56- La recherche de la vérité dans le procès pénal suppose tour à tour, des investigations et un jugement qui se doivent d'être effectués sans que le résultat qui en découle ne puisse être tronqué. C'est à ce titre que le secret intervient en se constituant comme gage d'efficacité consécutivement dans les investigations de la phase préparatoire du procès pénal (§I), et dans le jugement des litiges (§II). §I. LE SECRET PROFESSIONNEL DE LA PHASE PREPARATOIRE DU PROCES PENAL57- Le CPP a séparé l'instruction de la poursuite qui est précédée pour une meilleure visibilité de l'enquête. La phase préparatoire du procès pénal est marquée par le système inquisitoire qui prédispose au secret. D'où la consécration du secret de l'enquête et de celui de l'instruction qui se traduisent pour les autorités judiciaires en l'obligation de secret professionnel. Aussi, seront tour à tour étudiés, le secret professionnel des autorités judiciaires de la phase de police (I) et celui des autorités judiciaires de l'instruction préparatoire(II). I- Le secret professionnel des autorités judiciaires intervenant dans la phase de police.58- La phase de police, encore appelée enquête est la partie du procès pénal qui se déroule avant le déclenchement des poursuites. En matière pénale, elle consiste en des investigations effectuées par la police judiciaire106(*), pour rechercher les auteurs d'une infraction et pour déterminer les conditions dans lesquelles elle a été commise107(*). Le secret professionnel de la phase policière en principe absolu (A) tend à perdre de sa consistance (B). A- Le principe du secret professionnel de l'enquête 59- La phase policière comprend deux cadres d'intervention sous la direction du Procureur de la République et sous la surveillance du Procureur général : l'enquête de flagrance (2) et l'enquête préliminaire(1). 1- Le secret professionnel dans l'enquête préliminaire. L'enquête préliminaire se définit comme l'enquête visant à fournir un minimum d'éléments, que peut mener un OPJ d'office ou à la demande du Procureur de la République, afin que ce dernier puisse exercer son opportunité de poursuites en toute connaissance de cause. D'une manière générale, le secret professionnel de l'enquête est consacré par l'article 102 CPP, qui dispose que « la procédure durant l'enquête de police judiciaire est secrète (...) toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel sous peine des sanctions prévues à l'article 310 du Code Pénal»108(*). Cette exigence renvoie à l'idée selon laquelle la procédure d'enquête doit rester ignorée du public tant que la juridiction de jugement n'est pas saisie. Selon BESSON, le secret ici implique : « de garder hors de l'atteinte du public, tout ce qui s'est déroulé dans le cabinet de l'OPJ. Les silences, les dérogations, les réticences, les détails des aveux et les éléments de preuve rassemblés »109(*). Il sied de noter tout de même qu'il n'ya pas violation du secret professionnel de l'enquête, lorsque la connaissance de la survenance d'un acte procédural de quelque nature que ce soit est de notoriété publique. Car ce qui est préservé c'est la substance de ces actes. C'est ainsi par exemple que la citation peut être servie à personne, au lieu de travail, à domicile, à mairie ou à parquet110(*). Le secret professionnel est une obligation faite aux personnes qui concourent à la procédure et sont punissables en cas de révélation des informations y relatives, effectuée de manière intentionnelle, faite dans le but d'entraver le déroulement des investigations ou de la manifestation de la vérité même si le résultat ne se produit pas. En d'autres termes il s'agit des autorités judiciaires intervenant dans l'enquête. La détermination des autorités soumises au secret professionnel, à première vue évidente, comporte tout de même quelques subtilités qu'il convient de relever. 60- Les autorités judiciaires intervenant dans l'enquête sont de manière principale celles qui relèvent de la police judiciaire, l'expert, le notaire, l'huissier, l'interprète etc. et le ministère public. Pour ce qui est de la Police Judiciaire, elle est constituée d'Officiers de Police Judiciaire, de fonctionnaires de certaines administrations et d'agents de Police Judiciaire111(*). La police judiciaire a un rôle prépondérant en amont dans la conduite de l'enquête préliminaire, ce qui la met en premier plan quant à ce secret professionnel. En ce qui concerne les experts, les huissiers, les notaires et les interprètes, leurs rôles respectifs dans l'enquête ne souffrent d'aucune contestation d'autant plus que l'article 92 alinéa 2 CPP précise que : « l'officier de police judiciaire peut : requérir tout expert et éventuellement toute personne susceptible de l'assister pendant une opération déterminée ». C'est dans cette optique que, le secret professionnel de l'enquête leur est imposé. L'enquête préliminaire est placée sous la direction et le contrôle du Ministère public qui est la magistrature établie auprès d'une juridiction, requérant l'application des lois au nom de la société. On parle aussi de magistrature debout ou de parquet112(*) constitué de professionnels appelés procureurs. Ainsi, l'on peut considérer qu'il concourt à l'enquête. Néanmoins l'article 102 CPP dispose que le secret de l'enquête ne lui est pas opposable. C'est dire qu'il est l'exception de l'autorité judiciaire qui n'est pas soumise au secret professionnel. Souvent la découverte d'actes répréhensibles intervient plusieurs jours voire plusieurs semaines après leur commission, l'enquête préliminaire est alors diligentée. Lorsque l'auteur est surpris sur le champ ou que son forfait est mis à jour quasi instantanément, ce type d'investigation se révèle peu satisfaisant. Le législateur a constitué dans ce cas une seconde alternative: celle de l'enquête de flagrance. 2- Le secret professionnel dans l'enquête de flagrance 61- L'enquête de flagrance se définit comme étant le cadre juridique qui autorise une administration coercitive de la preuve, et ceci après avoir constaté un crime ou un délit dont la commission est d'une antériorité récente. Son fondement est ainsi l'urgence causée par le trouble à l'ordre public qu'il faut faire cesser et dont il faut rechercher les preuves qui sont encore existantes. L'article 103 du CPP prévoit que l'on parle de flagrance dans les cas où le crime ou le délit a été commis actuellement ou vient de se commettre. Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsqu'après la commission de l'infraction, la personne est poursuivie par la clameur publique113(*) ; ou alors quand dans un temps très voisin de la commission de l'infraction, le suspect est trouvé en possession d'un objet ou présente une trace ou indice laissant penser qu'il a participé à la commission du crime ou du délit. Il y a encore flagrance lorsqu'une personne requiert du Procureur de la République ou d'un Officier de police judiciaire de constater un crime ou un délit commis dans une maison qu'elle occupe ou dont elle assure la surveillance. 62- Tandis que la doctrine attrait dans le domaine de l' enquête de flagrance, l'enquête en matière de trafic de stupéfiants, au motif que le renforcement des prérogatives visant l'efficacité de sa répression s'apparente fortement à celui de l'enquête de flagrance114(*) ; elle la distingue de l'enquête sui generis qui est diligentée à la suite de situations faussement assimilées à la flagrance, à l'instar de la mort suspecte, qui sont insusceptibles de qualifications pénales et pour lesquelles l'OPJ dispose de pouvoirs de coercition à la seule fin d'en découvrir les causes et de s'assurer qu'elles ne résident pas dans la commission d'une infraction pénale. 63- Même s'il faut noter que le rôle des acteurs qui concourent à cette enquête est quelque peu flou115(*), il faut admettre que l'enquête de flagrance confère d'importantes prérogatives coercitives aux autorités judiciaires notamment : les magistrats116(*), les enquêteurs et permet de constater immédiatement une infraction ayant choqué fortement la société, d'en rassembler les preuves encore fraîches pour confondre l'auteur. Ce qui ne devrait pas occulter que le secret professionnel est aussi exigible dans ce cadre. C'est sans doute la raison pour laquelle, des personnes fortement suspectées dans l'imagerie populaire à la suite d'une flagrance, se retrouvent peu de temps après en libre circulation. Ceci au grand damne de la population qui se livre malheureusement à la justice populaire au mépris de la possibilité de connaissance par les autorités d'informations insusceptibles de publicité ayant fondé ces relaxes. 64- Par ailleurs, les conditions dans lesquelles s'opère la flagrance laissent transparaître plusieurs acteurs se substituant parfois aux acteurs classiques. Il reste à espérer que les omissions observées plus haut et le manque d'encadrement des intervenants non professionnels ne sont que pure forme et n'appellent pas à un déni de la responsabilité en cas de violation du secret de l'enquête. Le principe étant posé, il est à noter que le législateur et la pratique jurisprudentielle tendent à faire perdre au secret professionnel de l'enquête, pourtant essentiel à la valeur des investigations, sa consistance. B- Vers une perte de consistance du secret professionnel de l'enquête. Le secret professionnel de l'enquête perd de sa consistance à cause de la pratique du secret professionnel partagé (1) et de la latitude offerte par le législateur d'une communication d'informations (2). 1- Le secret professionnel partagé 64- Un examen minutieux des autorités en charge de l'enquête soumis au secret professionnel, amène à se rendre compte que certaines d'entre elles ne sont pas exclusivement liées à l'autorité judiciaire. Il s'agit des experts et des officiers de police judiciaire. Au Cameroun, l'expertise judiciaire dans un domaine fait l'objet d'un agrément préalable. Mais cet agrément tout en n'interdisant pas à l'expert de se constituer parallèlement en clientèle privée, ne limite pas les collaborations que l'expert peut solliciter pour établir sa science. De même, les Officiers et agents de Police Judiciaire, au-delà d'être auxiliaires de la justice relèvent pour nombre d'entre eux, d'administrations qui elles mêmes relèvent du pouvoir exécutif. 65- Les situations susmentionnées font ressortir la pratique du partage du secret professionnel qui, sans être fondamentalement attentatoire au secret professionnel de l'enquête, appelle à la vigilance. Car, que ce soit dans l'association des intelligences pour mettre sur pied une expertise, ou dans le cadre de l'Administration, il est fort à craindre que les objectifs visés par ces espèces ne rencontrent pas toujours le souci de la justice et que des violations au secret professionnel soient notées. Le secret partagé n'est malheureusement pas le seul souci qu'il faut se faire en la matière, car la loi donne la possibilité à la Police judiciaire de communiquer les informations secrètes. 2- La communication d'informations par la Police judiciaire 66- En effet, la pratique rend coutumier l'ouverture au public par des autorités de l'enquête de leurs constats, de leurs impressions et des pièces du dossier d'enquête. Le pire est certainement que le législateur sans totalement entériner les abus qui peuvent en découler, ouvre l'opportunité de communication sur l'enquête aux officiers de Police Judiciaire, lorsqu'ils le jugent nécessaire. Ce qui est très paradoxal, puisque le législateur leur donne la latitude de se libérer de leur propre chef de leur devoir de secret professionnel. Cette latitude apparaît dangereuse pour la sérénité des investigations et la manifestation de la vérité prend dans cette espèce un sérieux coup de plomb dans l'aile, que le législateur devrait se faire le devoir de corriger soit dans le sens d'une abolition de cette opportunité possiblement préjudiciable à la vérité ou tout simplement limiter le secret professionnel absolu à certains actes. A titre comparé, dans le code de procédure
pénale italien, le secret n'a pas pour objet l'entière phase de
l'enquête préliminaire mais seulement certaines activités
qui ne sont pas couvertes par le secret pendant toute l'enquête
préliminaire mais seulement jusqu'à ce qu'elles restent
ignorées de la personne soumise à l'enquête. On distingue
de ce fait les actes accomplis avec la participation de la personne soumise
à l'enquête qui implique une connaissance effective de l'acte,
ensuite l'on trouve les actes auxquels le défenseur de la personne
soumise à l'enquête a le droit d'assister avec ou sans
préavis. Une fois l'enquête clôturée, si le Ministère public s'engage à poursuivre, le procès peut entrer directement dans sa phase de jugement, ou alors, transiter préalablement par l'instruction préparatoire si l'infraction soupçonnée se révèle particulièrement grave ou complexe. * 106 Pour J. PRADEL dans Procédure pénale, 12ème éd. Cujas, l'expression Police Judiciaire est utilisée dans deux sens. Elle correspond d'abord à l'ensemble des opérations consistant à constater les infractions à la loi pénale, à en rassembler les preuves et à en rechercher les auteurs tant qu'une information n'est pas ouverte , de plus elle est tenue de recevoir les plaintes déposées par les victimes et de les transmettre le cas échéant au service compétent. Elle désigne également l'ensemble des fonctionnaires chargés d'accomplir. * 107 S. BRAUDO, dictionnaire du droit privé. * 108 1) Est puni d'un emprisonnement de trois mois à trois ans et d'une amende de 20.000 à 100.000 francs celui qui révèle sans l'autorisation de celui à qui il appartient un fait confidentiel qu'il n'a connu ou qui ne lui a été confié qu'en raison de sa profession ou de sa fonction. (2) L'alinéa précédent ne s'applique ni aux déclarations faites aux autorités judiciaires ou de police judiciaire portant sur des faits susceptibles de constituer un crime ou un délit, ni aux réponses en justice à quelque demande que ce soit. (3) L'alinéa 2 ne s'applique pas :a) Au médecin et au chirurgien qui sont toujours tenus au secret professionnel, sauf dans la limite d'une réquisition légale ou d'une commission d'expertise. b) Au fonctionnaire sur l'ordre écrit du Gouvernement. c) Au ministre du culte et à l'avocat. (4) La juridiction peut prononcer les déchéances de l'article 30 du présent Code. * 109 A. BESSON, Le secret de la procédure pénale et ses incidences, Dalloz, 1959. * 110 Article 40 alinéa 4 du CPP. * 111 Article 78 (1) CPP : « La police judiciaire est exercée, sous la direction du Procureur de la République, par les officiers de police judiciaire, les agents de police judiciaire et tous autres fonctionnaires ou personnes auxquels des lois spéciales confèrent des pouvoirs de police judiciaire ». * 112 Larousse compact, 2002. * 113 Le terme de clameur publique demande cependant quelques précisions, en effet s'il est admis que l'acclamation « au voleur, au voleur ! » peut caractériser la flagrance, la simple rumeur en est exclue. * 114 P. KEUBOU, La répression de l'usage et du trafic illicites de la drogue au Cameroun : commentaire de la loi n°97-19 du 7 août 1997, Juridis Périodique N°65, 2006. * 115 Car, la célérité affichée par le CPP ne nous fait pas mention dans la procédure des divers auxiliaires de justice que sont les experts, notaires, huissiers. Même l'avocat n'est évoqué de manière intrigante que pour signifier le mode de perquisition dans son cabinet. * 116Cf. l'article 111 CPP qui dispose qu' « en cas de crime flagrant, le Procureur de la République est compétent pour diligenter l'enquête. L'arrivée du Procureur de la République sur les lieux de l'infraction dessaisit de plein droit l'officier de police judiciaire qui s'y trouvait, à moins que ce magistrat n'en décide autrement ». |
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