Syrie: d'une révolte populaire à un conflit armé( Télécharger le fichier original )par Sophia El Horri Université Paris VIII - Master 2 Géopolitique 2012 |
II.1. Le premier semestre de la révolteII.1.1. L'affaire des enfants de Daraa : le point de départ de la révolteLe site « Syrian Stories »35 traite des documents vidéos sélectionnés sur la base de données de centaines de vidéos recueillies par les activistes du Net Telecomix et se propose d'organiser le conflit d'un point de vue chronologique et thématique. La frise chronologique interactive permet de cibler les vidéos selon la date à laquelle elles ont été tournées et les onglets thématiques permettent de se pencher sur des sujets transversaux. Le site fait démarrer la révolution syrienne inachevée le 6 mars 2011 : « Après avoir recouvert les murs d'une école de graffitis reprenant des slogans de la révolution Arabe, quinze garçons âgés de dix à quinze ans sont arrêtés par les forces de l'ordre locales dirigées par le général Atef Najeeb. Ils sont interrogés, torturés et rendus à leurs parents. Beaucoup de syriens sont indignés ».Ce texte illustre une vidéo qui montre les graffitis en question : il ne s'agit pas d'un ou deux graffiti, mais de plusieurs dizaines qui recouvrent presque entièrement les murs de l'école. L'homme qui porte la caméra montre les visages tuméfiés et blessés des adolescents arrêtés, interrogés et visiblement torturés par les policiers. Cette vidéo est le point de départ de la révolte choisi par Syrian Stories : l'oppresseur et l'opprimé sont clairement définis. D'une part, le régime est présent par ces actes de brutalité et d'oppression mais absent de toute la vidéo. D'autre part, on montre les blessures des enfants-adolescents, véritables visages emblèmes de ce que les syriens dénoncent. 35 http://syrianstories.org/ 41 Aucune des versions que j'ai recueillies ne livrait des informations exactes et homogènes de cette affaire je n'ai pas recueilli de témoignages et d'informations cohérentes sur l'affaire des enfants de Deraa. J'ai donc cité ce que j'ai trouvé sur le site « Syrian Stories », mais sur un rapport intitulé Syrie : une libanisation fabriquée36, une autre version est donnée : « Les évènements sont principalement déclenchés par l'affaire des enfants de Deraa. Une des premières manifestations a eu lieu devant une mosquée du centre ville. Des enfants font des tags critiquant le régime en réclamant le départ du gouverneur ». Dans la première version , ces collégiens auraient taggué des slogans qui ne visaient pas le gouverneur de Daraa mais directement le président Bachar El Assad. Les murs de l'école sont devenus des murs de mosquée et chacune des deux versions se prévaut d'avoir des vdéos à l'appui. Trois situations sont possibles : soit les deux sont vraies, et le même jour à Deraa, des collégiens se sont, à différents endroits de la vieille ville, regroupés pour « écrire » leur mécontentement, par mimétisme des jeunesses tunisienne et égyptienne. Mais ce qui me paraît suspicieux, c'est que la vidéo mise en ligne par syrian Stories montre des graffitis appelant directement au départ de Bachar El Assad. La vidéo me paraît anachronique car le président Bachar n'était jamais cité en début mars, de peur de sévères représailles aussi tôt dans la révolte ; ce qui m'amène donc à ma deuxième hypothèse : la vidéo n'a pas été tournée le 6 mars. Enfin, je ne comprends pas que des collégiens puissent clamer à travers leurs tags le limogeage de leur gouverneur. Entre 10 et 15 ans, il est surprenant de voir des enfants synthétiser à travers leurs tags les rapports de force qui écrasent la société syrienne. Trois d'entre eux sont tués dans la version du rapport, dans le site Syrian Stories, il n'y est fait mention d'aucun mort parmi les enfants. Visiblement, le point de départ de la révolte syrienne pose problème : l'information n'est ni sourcée ni facilement datable. Mais, l'image que renvoie l'affaire des enfants de Daraa, dans un contexte politique aussi précaire, est un fiasco pour le régime et devient l'un des nombreux symboles des dysfonctionnements de l'administration syrienne ainsi que de sa surenchère sécuritaire. Les premières manifestations significatrices se déroulent en réaction à la violence sécuritaire du régime : les manifestants portent les corps des « martyrs » jusqu'à la mosquée, prient pour le mort et l'emportent au cimetière. C'est généralement sur le chemin du retour que les affrontements entres forces de l'ordre et manifestants ont le plus lieu. On l'a vu, les manifestants portent les corps des défunts, et 36 CIRET-AVT et CF2R, Syrie : une libanisation fabriquée, Compte rendu de mission d'évaluation auprès des protagonistes de la crise syrienne, Paris Janvier 2012. http://www.cf2r.org/images/stories/RR/rr11-syrie-une-libanisation-fabriquee.pdf 42 donnent aux protestations un accent mystique, presque soufi. Ils portent le mort, sont désarmés (du moins pendant les premières semaines du conflit) : ils se comportent comme martyrs face aux pluies de balles dans des villes telles que Daraa ou des quartiers comme Bab Amro. |
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