2. Brème, Gdansk et Riga de l'histoire dans la
Hanse à l'histoire de la Hanse
2.1 Quels furent le rôle et la place de Brème,
Gdansk et Riga dans la ligue hanséatique ?
L'ouvrage de Raoul Zühlke, Bremen und Riga, zwei
mittelalterliche Metropolen im Vergleich, avait déjà
amorcé un travail de comparaison historique à propos des villes
de Brème et de Riga montrant que, pour bien comprendre la place de la
Hanse dans ces villes aujourd'hui, il fallait saisir la place qu'elle occupait
au Moyen âge.
Le rattachement des villes de Brème, Gdansk et Riga
à la Hanse a été facilité par des contextes
économiques propices. Les relations entre les villes
étudiées sont antérieures à la Hanse.
L'évêque de Brème, Albert de Buxhövden, envoie, en
1201, dans la future Riga, une mission constituée de marchands et de
missionnaires, y fonde un siège épiscopal, créé
l'ordre des chevaliers Porte-Glaive et construit un port fixe sur le Rigebach
(Bracker, Henn, Postel, 1999). Pour attirer des citoyens dans sa ville, il
accorde dès 1211 des privilèges commerciaux. Les premiers colons
affluent alors de la communauté de l'île de Gotland et, en 1229,
un contrat signé entre les princes de Smolensk (Russie) et des marchands
allemands engendre une vague d'immigration en provenance de nombreuses villes
allemandes dont Brème. Les « étrangers»
dépassent rapidement en nombre les « locaux »12,
ont le monopole des activités commerciales et dirigent les institutions
politiques et financières de la ville alors que ces derniers ne
pratiquent que des activités peu lucratives et peu nobles (Misans,
1999).
L'histoire de Gdansk est, elle aussi, marquée par ce
mouvement du Drang nach Osten. Au XIIe
12 Les étrangers ou Frequentates
s'opposent aux originaires du lieu, les Manentes ou en allemand
Ortansässig (Misans, 1999)
9
siècle, des marchands allemands établissent un
comptoir à proximité du débouché de la Vistule qui
se développe si vite que le souverain Herzog Swantopolk donne en 1225
son accord pour fonder à cet endroit une ville de droit allemand. Cette
fondation13 se fait non loin d'une base de colonie slave
antérieure14. Un port est aussi construit sur la Motlawa.
Politiquement, Gdansk se libère dès 1454 de l'autorité
Teutonique, reconnaissant le roi polonais comme seul souverain. La couronne
polonaise donne à Gdansk la plupart de ses privilèges commerciaux
notamment le roi Casimir IV en 1454 et 1457 (Bracker, Henn, Postel, 1999).
Cette situation modifiera l'image de la Hanse dans la ville : à Gdansk
prospère encore aujourd'hui, dans les milieux nationalistes,
l'idée que le développement économique de la ville aurait
pu exister sans la Hanse : elle n'est qu'un élément de plus dans
un contexte d'expansion commerciale créé par les rois polonais.
En revanche, l'apogée de Riga, sous domination Teutonique jusqu'en 1581,
ne peut être attribué à une autre entité que la
Hanse.
Les privilèges attribués à Brème,
enfin, sont très anciens et datent d'Otto Ier qui accorde en 888 le
droit de monnaie, de marché et de douane. Ils se poursuivent jusqu'au
XIIIe siècle.
Si l'on considère à présent
l'adhésion à la ligue hanséatique proprement dite, trois
niveaux se détachent nettement : Brème et l'insoumission, Gdansk
et une adhésion partielle, Riga et une adhésion
totale15.
« L'entrée de Brème en 1358 dans la
Hanse fut problématique »16. Certes, les bourgeois
de Brème dès le milieu du 14e siècle rendent
possible le commerce des biens du piratage sur leur marché... (Bracker,
Henn, Postel, 1999). Mais l'orientation spatiale de la ville, dépendant
d'un commerce Nord/Sud, est contraire aux objectifs commerciaux
hanséatiques se concentrant sur les échanges Ouest/Est comme le
confirme Philippe Dollinger : « Trois fois, elle est exclue de la
communauté (hanséatique) en 1285, 1427 et 1563 (...) La raison de
cette exclusion est à trouver dans le fait que la
prospérité de Brème venait moins du commerce Ouest/Est que
des relations qu'elle avait construites dès le 11e
siècle avec la Norvège, l'Angleterre et le Nord des Pays Bas tout
comme avec l'Hinterland de la Weser, la Saxe, une partie de la Westphalie.
(...) Brème était avec les villes du Rhin prise dans des routes
commerciales situées en « Avant de la Hanse » [Vorhansisch] du
Sud vers le Nord et a toujours eu des difficultés à participer
à l'extension allemande en mer Baltique17 ». En
1358, à Lübeck, la ville doit rejoindre, contrainte et
forcée, pour la deuxième fois la ligue hanséatique
après
13 Appelée Rechtstadt
14 Appelée Suburbium
15 Au moins au début de son histoire
hanséatique
16 SCHWERDTFEGER, H. (2004), Die Hanse und Ihre
Städte, Delmenhorst, Aschenbeck und Hostein Verlag, pp. 71 :
«Bremens Beitritt zur Städte-Hanse 1358 war problematisch».
17 DOLLINGER, P. (1998), Op.cit. pp.159 :
«Dreimal wurde sie aus der Gemeinschaft ausgeschlossen, 1285, 1427 und
1563, das erste Mal anscheinend länger als 70 Jahre; ein einzigartiger
Fall. Der Grund war, dass der Wohlstand Bremens weniger auf dem Ost-Westhandel
als auf den seit dem 11. Jahrhundert sehr lebhaften Verbindungen mit Norwegen,
England und den nördlichen Niederlanden, sowie mit dem Hinterland der
Weser, Sachsen und einem Teil Westfalens, beruhte. Kurzum : Bremen war zusammen
mit den rheinischen Städten an dem vorhansichen Handelsverkehr von
Süden nach Norden beteiligt und hatte immer einige Mühe, sich auf die
neuen, durch die deutsche Ausdehnung in den Ostseeraum geschaffenen Bedingungen
einzustellen».
10
qu'un commerçant de Brème ait refusé de
reconnaître l'embargo qu'avait lancé la Hanse contre la Flandre
(Bracker, Henn, Postel, 1999). Brème quitte la communauté en 1563
mais n'en abandonne pas entièrement le titre : Lübeck, Brème
et Hambourg fondent en 1630 une ligue qui, après la fin historique de la
Hanse (Schwerdtweger, 2004) et jusqu'au siècle dernier, continuera
d'exister et en 1646, la ville est élevée au rang de Ville libre
d'Empire par Ferdinand II. Ces événements couronnent une
liberté politique de Brème qui sera confirmée lorsqu'elle
se déclarera « Ville libre Hanséatique » en 1806 et
qu'elle sera intégrée dans l'Empire Allemand en tant que «
Ville libre Hanséatique » en 1871. Les plaques d'immatriculation
à Brème et Hambourg et le statut de Land se
réfèrent plus aujourd'hui à cette liberté politique
qu'à un passé hanséatique
médiéval18.
L'appartenance de Gdansk (1350-1669) à la Hanse est
moins problématique. La ville fait partie de la Ligue depuis 1350 et
dès 1351 elle participe à l' « Assemblée de la Hanse
»19 à Lübeck. En 1669, des représentants de
Gdansk participent à la dernière « Assemblée de la
Hanse ». Ses forces économiques et financières lui
permettent de participer à des conflits comme la guerre
hanséatico-anglaise en 1469/1470 (Bracker, Henn, Postel, 1999). Cela
n'empêche pas la ville de poursuivre ses propres intérêts
refusant en 1417 l'interdiction de faire transporter des marchandises par des
marchands non associés à la Ligue et accueillant les marchands et
navires hollandais en très grand nombre20.
L'adhésion de Riga (1282-1570) n'est pas non plus
conflictuelle du moins au début. Dès 1282, Riga conclut une
alliance avec Lübeck et Visby et se positionne comme la ville
hanséatique la plus influente de toute la Livonie. Ses tentatives,
à la fin du XVe siècle, d'interdire ou de limiter l'influence des
marchands étrangers dans son commerce engendrent quelques conflits qui
restent sans conséquence. Ses relations avec la Hanse se
dégradent dans la deuxième moitié du 16e
siècle et elle quitte la Ligue en 1570. Elle sera pourtant
invitée en 1669 à la dernière « Assemblée de
la Hanse » mais déclinera l'invitation.
Pendant ces périodes, en tant que membres de la Ligue
Hanséatique, quelle était la place de Riga, Gdansk et
Brème dans les réseaux économiques hanséatiques
?
18Interview du 12 /02/08 avec Heinz Gerd Hofschen,
directeur du Focke Museum de Breme
19 Appelée Hansetag ou Hanseatic
Days
20 Informations tirées d'une visite
attentive du musée maritime de Gdansk et de la lecture des panneaux
d'interprétation.
11
Carte n°2 : Les routes
hanséatiques
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Dans le cas de Brème, on distingue le commerce au long
court Nord/Sud du commerce de proximité21. En effet,
Brème, « centre majeur »22, disposait d'un
Hinterland immense et élargi entre le XIVe et le XVIe siècle.
Deux quais différents existent : les Schlachte pour les bateaux
venus de la mer du Nord23, les Balge pour ceux venus de
l'Hinterland. Avec la Frise de l'Est, la Westphalie, les villes du
Rhin24, l'Elbe inférieur, les villes de Hanovre,
Osnabrück, et d'autres de ses possessions territoriales, la ville
échange de la bière, du poisson, de l'huile de poisson, du vin,
des étoffes et des fourrures contre du grès, du bois, du calcaire
et des céréales25. Ce commerce se fait principalement
par la Weser, la Werra et la Fulda. A plus petite échelle, ses
partenaires commerciaux sont le Danemark26, la
Norvège27 avec laquelle le commerce du hareng et des poissons
séchés est très important, l'Islande, l'Angleterre et
l'Ecosse28, les Pays Bas, la Flandre29 et quelques villes
de la mer Baltique. Les produits
21 En allemand et dans la littérature
Fernhandel et Nahhandel
22 Oberzentrum d'après la typologie
de Thomas Hill qui différencie trois types de centre en fonction de leur
importance stratégique : Oberzentrum, Mittelzentrum et
Unterzentrum
23 Les Kogge ou en français
«Cogge»
24 Brème fait partie de la ligue Rhénane
depuis 1225
25 Issus du commerce de long cours
26 Notamment les villes de Ripen, Kolding, Haderslev,
Actuelles Ryppen, Kolding et Haderslev
27 Notamment les villes de Bohuslen, Bergen
28 Notamment les villes de Londres, Yarmouth
29 Notamment les villes de Harderwijk, Zwolle,
Deventer, la région de l'Ijssel et de la Zuiderzee, les villes de Brugge
et d'Anvers
12
importés sont des harengs, du poisson
séché, des peaux de bête, du sel et quelques
vêtements, les produits exportés sont de la bière de
Brème, des métaux, du lin, des céréales et de la
farine (Hill, 2004)
Gdansk se situe en juste milieu associant les axes Nord/Sud et
Ouest/Est. Dans le commerce de la Vistule et de la Lituanie, Gdansk prend en
1400 une place dominante. Les routes les plus importantes drainant l'Hinterland
du port de Gdansk le relient à Kovno, mais aussi à Lernber,
Breslau30 et Cracovie, via la ville de Thorn. La Prusse, la Pologne
et la Lituanie représentent donc pour l'ancienne Danzig un Hinterland
étendu31 (Bracker, Henn, Postel, 1999). Mais les
intérêts commerciaux de Gdansk se construisent, dès le
15e siècle, sur l'agrandissement et sur la protection du
commerce Ouest/Est : la ville veut se positionner en intermédiaire
cherchant à instaurer un accès direct à des pays de l'
« Ouest ». Auparavant, l'exportation des produits de Lituanie, de
Prusse et de Pologne transitant par Gdansk se faisait via le port de
transbordement de Lübeck, véritable rupture de charge avant les
Pays Bas ou la France... Mais peu à peu, Gdansk livre directement
à Brugge, Bergen ou Oslo tout comme elle le faisait pour l'Est. C'est
ainsi que la part des importations venues de Lübeck à Gdansk tombe
de 20% en 1460 à 3.6% en 1475 (Dollinger, 1998). Le commerce du grain et
des céréales (blé, seigle) est l'un des points essentiel
pour la prospérité de la ville. La ville livre surtout vers
l'Ouest des céréales et du bois, de la cire, de la cendre de
Pologne et de Prusse, du lin, du chanvre, du cuir, des peaux de Lituanie.
Gdansk exporte aussi plus loin du poisson local ou du cuivre et du plomb de
Slovaquie. Venus de l'Ouest, elle reçoit du sel, de la bière, du
vin, des harengs, des étoffes et pièces de tissus, des peaux et
des fourrures et elle conduit ces produits jusqu'à son Hinterland
(Bracker, Henn, Postel (1999).
Riga, entièrement tournée vers le commerce
Ouest/Est, est, quant à elle, le principal port de transbordement pour
le commerce avec la Russie32 (Bracker, Henn, Postel, dir., 1999)
grâce aux fleuves qui la traversent. Les routes hanséatiques
passant à Riga mènent vers le Sud-ouest par Memel vers
Königsberg et Elbing, vers le Sud en direction de Kovno et Wilna, vers
l'Est par Polock vers Vitebsk et Smolensk et vers le Nord par Dorpat vers
Reval, Narwa, Novgorod33 (Dollinger, 1998). De Polock sont conduits
surtout des fourrures, de la cire, des produits à base de bois comme du
goudron ou de la cendre, du suif et du cuir pendant que de l'Europe de l'Ouest
viennent du sel, des harengs, du vin, de la bière des épices et
des métaux que l'on importe (Bracker, Henn, Postel, 1999). Des liens
historiques avec l'île de Gotland expliquent que les marchandises venues
de Riga, Reval, Novgorod y effectuent une halte avant de repartir vers l'Ouest
(Dollinger, 1998). Visby et Gdansk jouaient donc toutes les deux un rôle
de centre, entre l'Ouest et l'Est, Visby pour l'angle Nord-est de la Baltique
et Gdansk pour l'angle Sud/Sud-est.
30 Kovno = Kaunas, Breslau =
Wroclaw
31 Au sein duquel seules les villes de
Elbing, de Thorn ou de Königsberg (actuelle
Kaliningrad) sont actives
32 Titre de l'article sur Riga : «Riga,
Hauptumschlagplatz für den Russlandhandel»
33 Wilna = Vilnius, Pernau =
Pärnu, Reval = Tallinn, Dorpat = Tartu.
13
Ce commerce a profondément irrigué ces villes et
a changé leur topographie. A Brème, « la Hanse des villes
» suit celle des marchands et les vagues de construction se font pendant
les périodes de prospérité économique. Entre 1350
et les années 1390-1395, Brème connaît de fortes crises et
des troubles intérieurs. Mais en 1400, une prospérité
économique retrouvée voit naître les monuments que l'on
retient aujourd'hui : la statue de Roland (1404), un symbole pour la
liberté des citoyens et les droits de marché ou l'Hôtel de
ville gothique (1405-1410). Le nouvel Hôtel de ville exhibe le dualisme
entre le quartier spirituel et épiscopal des aristocrates et le quartier
des marchands. Cette période correspond à l'apogée de la
ville. Tout comme à Riga, le centre de Brème est remodifié
in situ au fil des années. L'évêque Albert avait
édifié la vieille ville en forme de demi-cercle sur le
modèle allemand au bord du Rigebach et à cet endroit se trouvait
la vieille cathédrale, la maison de l'évêque mais
dès 1211, la ville se densifie vers la Düna. Les marchands
étrangers jouent un rôle essentiel dans les constructions
notamment des cours ou Stuben de Münster et de Soest. A Gdansk en
revanche, les influences diverses ont créé une situation
multipolaire. En 1400, la ville possède 7 unités de colonisation
nommées Rechtstadt, Neustadt, Altstadt, Jungstadt, Vorstadt,
Hakelwerk, Langgarten. Du noyau formé du château et de la
banlieue slave (plus tard appelée Altstadt car la banlieue fut
colonisée par les Allemands et le maître de l'ordre Winrich von
Kniprode en 1377 donna à ce quartier un droit de ville), la
Rechtstadt est édifiée par les Allemands. L'Altstadt
ne deviendra jamais une ville hanséatique mais on trouve
aujourd'hui au sein de la Rechtstadt et de l'Altstadt la
plupart des monuments qualifiés d'«hanséatiques».
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