c. L'accès aux sources
Dès lors, si l'on met en question l'affirmation du
prologue, il faut s'interroger sur la façon dont il a
accédé à sa matière. Est-il réellement
allé à Saint-Denis ? Ou s'est-il servi, comme nous le
suggérions plus haut, de traditions manuscrites du Nord de la France ?
L'intention est différente : soit il s'est déplacé dans un
lieu précis à la recherche de sources particulières ; soit
il a été inspiré par ce qui lui tombait sous la main. Au
XIIIème siècle, il est plus
1 Reiffenberg, op. cit., v. 1 834-44.
2 Ibid., v. 18 882-18 991.
3 Histoire des ducs de Normandie et des rois
d'Angleterre, éd. F. Michel, Paris, 1840.
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courant qu'auparavant qu'un laïc possède un ou
deux livres. S'est-il servi d'ouvrages conservés dans sa famille et dont
la lecture a stimulé une envie d'écrire ? Il est impossible de
répondre à la question, et nous ne pouvons que nous borner
à faire un tour rapide des ouvrages que l'on relève dans ses
environs géographiques, nous permettant de cerner grossièrement
son environnement livresque. On l'a dit plus haut, on voit apparaître
quelques titres dans les testaments privés tournaisiens aux
XIIIème-XIVème siècles. Il s'agit
pour la plupart du temps d'ouvrages en français (les textes latins
consistent exclusivement en livres d'heures et de dévotion) : le
Chevalier au Cygne, la Geste des Lorrains, un Roman de
Merlin, Garin de Monglane, un Roman de
Roncevaux1. Ce sont des oeuvres qui sont
précisément intégrées par Philippe Mousket dans sa
chronique : on voit donc que l'univers littéraire dans lequel il
évolue prend part à son écriture de l'histoire.
Bernard Guenée souligne qu'« il n'y a pas
d'historien sans bibliothèque »2. Elles furent pourtant
peu nombreuses et contenaient rarement plus d'une centaine d'ouvrages. Les plus
importantes étaient alors monastiques et parfois capitulaires, ouvertes
aux dons et aux prêts, mais ne faisant pas grande place aux livres
d'histoire. La bibliothèque de Saint-Martin-de-Tournai était
réputée : Vincent de Beauvais disait d'elle qu'elle était
plus riche qu'aucun autre monastère en « bons livres et vieilles
histoires » 3 . Peut-être est-ce là que Philippe Mousket a
trouvé sa matière. Celle du chapitre cathédral, en
revanche, contient surtout des ouvrages liturgiques réservés aux
boursiers qui vont faire ailleurs des études
supérieures4.
Ronald Walpole propose quant à lui la
bibliothèque des comtes de Hainaut à Mons comme lieu possible des
investigations du chroniqueur. On y repère un certain nombre de romans,
mais assez peu d'ouvrages historiographiques (ils concernent surtout la
matière de Rome)5. On connaît le contenu d'une autre
bibliothèque à Mons, celle de Godefroid de Naste, un peu plus
tardive certes mais qui peut donner une idée des oeuvres qui
circulent6. A côté des livres de dévotion et
d'édification, comme les « Lucidaires » (versions romanes de
l'Elucidarium, vaste somme du savoir religieux largement
diffusée au XIIIème siècle) et des ouvrages de
vulgarisation scientifique on trouve deux
1 A. Derolez (dir.), op. cit.
2 B. Guenée, op. cit., p. 100.
3 Ibid., p. 110-11.
4 J. Pycke, op. cit.
5 F. van der Meulen, « Le manuscrit Paris, BnF,
fr. 571 et la bibliothèque du comte de Hainaut-Hollande. », Le
Moyen Age, 3, 113, 2007, p. 501-527.
6 C. van Coolput-Storms « Entre Flandre et
Hainaut : Godefroid de Naste (ý 1337) et ses livres », Le Moyen
Age 3, 113, 2007, p. 529-547.
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livres d'histoire : un romanch de cronikes de
Haynnau, qui pourrait être celle de Baudouin d'Avesnes (chronique
universelle mais centrée sur l'histoire des grandes familles
hennuyères ; on la trouve notamment dans le manuscrit de la
Bibliothèque nationale N.A.F. 5218, qui contient la version du
Turpin que Mousket utilise) et un livre de cronikes de
pappe.
Une connaissance précise des bibliothèques et
des ouvrages en circulation dans les environs de Tournai nous permettrait sans
doute de cerner un peu plus l'intention de l'auteur et son rapport aux sources.
Il nous manque cependant beaucoup trop d'informations pour que toute
proposition dépasse la simple hypothèse. Reste que nous avons pu
esquisser dans les pages précédentes l'univers livresque et la
tradition historiographique dans laquelle se coule Philippe Mousket. Que
faut-il dès lors retenir comme sources ?
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