Conclusion
Arrivé au terme de notre étude, beaucoup de
questions et peu de réponses. Certes, ce travail se voulait avant tout
la synthèse d'une historiographie éclatée et
déséquillibrée, que nous avons tenté de
réorienter dans une perspective plus historique, les travaux
précédents étant largement dominés par des
questions littéraires voire formelles, et par le tropisme de
l'étude des chansons de geste. Il fallait réintégrer
Philippe Mousket dans son contexte, la première moitié du
XIIIème siècle, époque charnière
où se jouent et se confrontent des dynamiques politiques,
économiques, sociales et culturelles nées pour la plupart dans le
bouillonnement du siècle précédent ; il fallait
également replacer sa chronique dans un environnement historiographique
et littéraire, en soulignant les pesanteurs du milieu culturel. Nous
aurons pu mettre en évidence les influences diverses qui s'y
mêlent, entre les sources utilisées, les habitudes de lecture et
les apports oraux : tradition dyonisienne et idéologie royale,
littérature courtoise et sources provenant des milieux aristocratiques,
discours clérical diffusé par la prédication. De ce
creuset de multiples influences naissent des ambivalences et l'assemblage de
valeurs que l'on pourrait croire opposées. Les prétentions
capétiennes rencontrent ainsi les ambitions d'une noblesse
frustrée, tandis que la culture courtoise du badinage et de la gloire
mondaine s'oppose à une apologie de l'humilité et à une
reléguation de la violence au service de Dieu. Nos difficultés
à concilier ces pensées montrent qu'il ne faut peut-être
pas si strictement les renvoyer dos à dos. La Chronique du
Pseudo-Turpin, instrument des revendications baroniales par la
célébration des exploits des compagnons de Charlemagne et la
glorification des lignages féodaux, ne fut-elle pas progressivement au
cours du XIIIème siècle intégrée au
corpus canonique de l'historiographie capétienne ? Par ailleurs, le
laxisme bien souvent affiché par l'Eglise à l'égard des
pratiques chevaleresques, voire leur assimilation dans des rites
chrétiens, n'attestent-t-ils pas d'accomodements ? Ce que confirme la
chronique de Philippe Mousket, c'est l'existence courante de consensus
pragmatiques contrastant avec l'excès des discours idéologiques.
Au-delà, on aperçoit dans cette oeuvre le riche environnement
culturel d'un membre du patriciat urbain et la façon dont il exploite le
passé pour ses rêveries littéraires et ses fantasmes.
121
On aimerait pourtant dégager des motivations plus
raisonnées et plus immédiates. Le poids du présent et de
l'actualité inspire Mousket et semble le conduire à prendre de
plus en plus parti au fur et à mesure que le récit avance. Nous
avons tenté de faire des propositions, largement tributaires du contexte
historique et des sources choisies ou non par le chroniqueur, attestant de son
appartenance à une tradition et une dynamique qui dépassaient son
propre jugement. Bien souvent, nous relevons des tics d'écriture et des
paradigmes, plus que des opinions. Parfois, la réaction à une
actualité brûlante, comme la multiplication des
hérésies, le faux Baudouin ou les prétentions de
Frédéric II. Presque toujours, en revanche, le poids des rois de
France et la perception de leurs progrès. Il faudrait encore
s'interroger sur les raisons du si petit succès de l'oeuvre.
Destinataires limités ? Dissolution dans la masse des
littératures diverses dont Tournai et le Nord du royaume de France
étaient alors si riches ? Sans oublier les hasards documentaires qui
font que tels ou tels manuscrits parviennent à l'historien. Tous ces
élèments pourraient sans doute être affinés par une
étude codicologique approfondie, ainsi que par un plus ample balayage de
l'environnement livresque et des traditions manuscrites de la région.
Cela dépasse le cadre d'un travail de M1 et nos compétences. Nous
espérons cependant que certaines questions soulevées ici pourront
contribuer à l'ouverture de nouvelles perspectives pour l'intelligence
d'une oeuvre si dense qu'est la chronique de Philippe Mousket.
|