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La chronique de Philippe Mousket

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par Thibault Montbazet
Université Paris-IV Sorbonne - Master dà¢â‚¬â„¢histoire médiévale 2011
  

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Thibault Montbazet

Mémoire de Master 1

Sous la direction de M. Jean-Marie Moeglin

La Chronique

de Philippe Mousket

1

« Je sui un chevalier errant qui

chascun jor voiz aventures querant et le sens du monde... »1

L'homme médiéval (du moins celui que l'on peut connaître, celui qui écrit et que l'on aperçoit superficiellement) est toujours en quête de sens. Quand il regarde le monde et les actes des hommes, quand il lit les Ecritures ou les livres des anciens, il y cherche les marques de l'action divine, l'Idée cachée derrière le signe. Hugues de Saint-Victor écrira que la Création est « un livre écrit par le doigt de Dieu ». Aussi, dans la littérature vernaculaire en développement aux XIIème-XIIIème siècles, cette quête de sens a joué un rôle structurant : passé prophétique et temporalité orientée vers un but moral dans la chanson de geste2, rôle de l'aventure dans les romans arthuriens3, ou encore sens de l'Histoire et des actions humaines dans le récit historique.

C'est ce dernier genre qui va ici nous intéresser, par l'intermédiaire de la chronique de Philippe Mousket. Histoire et fiction s'y mêlent et s'y articulent, gênant les commentateurs. Comme dans les premiers romans du XIIème siècle, le besoin de raconter le passé en le coulant dans les formes littéraires et poétiques souligne la recherche d'un sens caché et une certaine poétisation de l'Histoire. C'est ce sens qu'il faut tenter de mettre en exergue quand nous lisons la Chronique rimée.

Jacques Le Goff a cependant raison de mettre en garde l'historien contre la tentation de « faire déborder dans la mentalité commune des concepts qui restent limités au monde des théologiens »4. Cette façon d'écrire l'Histoire est aussi due à l'apparition de nouveaux publics, dans les cours seigneuriales ou sur les places des villes, qui se tournent plus volontiers vers la littérature et aiment entendre le récit des exploits de leurs ancêtres. Mais il ne faut pas oublier que la pensée scolastique, façonnée par l'étude de la pagina sacra et l'idée d'un étagement des sens, se répand par les prédications insistantes des ordres mendiants, dans les sermons et les exempla qui diffusent une « parole

1 Tristan en Prose, ms. BN Fr. 334, f° 334b r°.

2 S. Kay, « Le Passé indéfini : problèmes de la représentation du passé dans quelques chansons de geste

féodales », Au Carrefour des routes d'Europe. Xe Congrès International de la Société Rencesvals, Senefiance 20, 21, 1987, p. 697-715.

3 E. Auerbach, Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, Gallimard NRF, « Bibliothèque des idées », Paris, 1968, p. 133-152.

4 J. Le Goff, Saint Louis, Gallimard, Paris, 1996, p. 500, n°1.

2

nouvelle »1. Le rapport entre Histoire et fiction, entre vérité historique et vérité du sens, même s'il ne faut pas l'exagérer, doit guider notre lecture de la longue oeuvre de Philippe Mousket, qui puise pêle-mêle son inspiration dans les romans, les chansons de geste, les récits historiographies, les traditions orales et les rumeurs.

La Chronique rimée est souvent citée, mais peu étudiée. Elle mériterait pourtant une vraie synthèse. Philippe Mousket est avant tout un amateur qui affirme agir sans commande et un infatigable compilateur. En cela, il fait un travail original, il fait des choix et nous laisse entrevoir ses idées et ses opinions. Il est le reflet de son milieu et nous permet de cerner les goûts et l'imaginaire des élites sociales, noblesse et bourgeoisie qui, en ville plus qu'ailleurs, se rencontrent, tissent des liens et élaborent une culture commune. Son époque voit le développement d'une production historiographique en langue vulgaire ; c'est aussi le moment de l'attrait pour le syncrétisme et où la compilation apparaît comme la meilleure forme d'érudition, expliquant le mélange des genres et des sources, de l'histoire des rois de France avec la geste des ducs de Normandie, des légendes épiques avec des miracles de saints et des considérations morales.

Pourquoi et comment Philippe Mousket écrit l'Histoire ? Ce sont les questions que nous devons nous poser. Et avec les sources qu'il a utilisées et les choix qu'il a effectués, nous pourrons progressivement dessiner un horizon d'intérêt et d'imaginaire : depuis sa ville de Tournai, il jette un regard sur la Flandre proche, l'Angleterre, la France, l'Ouest de l'Allemagne et, oubliant l'Espagne (mise à part celle, atemporelle et atopique, du Pseudo-Turpin) et effleurant l'Italie, se projette dans l'Orient fantasmé de l'empire latin de Constantinople et de la Terre Sainte. Le sentiment sourd d'un déclin le pousse à glorifier le passé et à chercher dans les actes de ses contemporains la continuité des anciens héros : Frédéric II, Philippe Auguste ou Henri le Jeune sont les successeurs de Rolland, d'Ogier le Danois, de Judas Macchabée et d'Alexandre le Grand, comme ce même Alexandre, au seuil de l'Asie, se faisait lire l'Illiade et se voyait comme un nouvel Achille. Lointain temporel et lointain spatial deviennent ainsi, pour l'auteur et son public, le réceptacle des fantasmes et des idéaux. Par ce lorgnon diaphane, on entrevoit par moment une société et la façon dont elle prend conscience d'elle-même.

En étudiant le contexte et les raisons d'écriture, les choix narratifs et leurs conditions, le regard porté par l'auteur sur son objet enfin, nous pourrons poser

1 J. Le Goff et J.-C. Schmitt, « Au XIIIe siècle : une parole nouvelle », in J. Delumeau, Histoire vécue du peuple chrétien, t. 1, Privat, Toulouse, 1979, p. 257-279.

3

de nouveaux problèmes à la chronique de Philippe Mousket et, au-delà, mieux saisir les opinions et les horizons de son milieu.

4

I. L'oeuvre

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus