L'etre-là africain et inculturation: essai d'une relecture théologique de Martin Heidegger pour l'Afrique( Télécharger le fichier original )par Roland TECHOU Grand Séminaire Mgr Louis Parisot Tchanvedji Bénin - Baccalaureat en théologie 2010 |
3.2.3- Herméneutique et Tradition culturelleEntre ''Culture et Religion'', existe un lien fondamental qui se traduit en thème d'héritage. Jean Ladrière a montré à juste titre que la culture est ''un enracinement'', pour signifier le lien invisible et étroit qui rattache par le fait de la culture, un être humain à ses prédécesseurs, à ses contemporains, à ses successeurs. La culture nous enracine donc dans une tradition particulière. Et celle-ci doit se faire ouverture sur le monde. C'est dans cette ouverture qu'elle s'enrichit et reçoit sa notoriété. Il n'y a pas en effet de tradition figée. Toute tradition par le fait même qu'elle réclame le droit de reconnaissance, devra se mesurer au contact d'autres traditions, ce qui la rend créatrice c'est-à-dire capable de communiquer ses valeurs et d'en recevoir des autres. C'est bien là l'enjeu herméneutique auquel la tradition culturelle doit s'ouvrir pour se rendre critique vis-à-vis de tout apport étranger.
3.2.4- Herméneutique et Inculturation''Définie comme rapport adéquat entre la foi et toute personne ou communauté humaine en situation socio- culturelle particulière'', l'inculturation d'après cette approche du Père Julien Penoukoun72(*), nous apparaît pertinente pour répondre à notre problématique. Il est parti du concile Vatican II qui a eu la formule heureuse d'affirmer que la personne humaine n'accède vraiment et pleinement à l'humanité que par la culture; celle-ci pour le théologien béninois est ''tout ce par quoi l'homme affine et développe les multiples capacités de son esprit et de son corps, transforme l'univers, humanise la vie sociale, conserve les grandes expériences spirituelles et les aspirations majeures de l'homme.'' Il en ressort pour lui, trois caractéristiques de la culture qui perdurent jusqu'à nos jours: D'abord toute société est objet et sujet de culture, c'est-à-dire génératrice et gestionnaire de représentations normatives, d'un projet d'être collectif. Il n'existe donc point de société sans identité culturelle, et c'est ce qui favorise ensuite, qu'il y ait pluralité de cultures et spécificité culturelle comme patrimoine générateur de valeurs propres. Enfin, la finalité de la culture est d'amener l'homme et la société à s'accomplir, en intériorisant les modèles endogènes et exogènes disponibles.'' C'est dans cette optique qu'il détermine l'inculturation comme une réalité permanente de l'Eglise qui peut se caractériser comme le rapport entre le Dieu qui se dit et l'homme qui répond. C'est donc une exigence de foi qui s'exprime à travers l'unité dans la diversité dont la Trinité est le prototype. L'inculturation dans notre aujourd'hui d'africain est l'évangélisation de nos structures; il s'agit d'ouvrir à contretemps des voies neuves pour le printemps de l'église. Nous avons donc à nous doter d'une volonté et d'un effort concret pour évangéliser nos traditions, convertir nos mentalités, purifier et mûrir tout notre acquis culturel en face de la Bonne Nouvelle du salut. Inculturer pour nous dès lors, c'est insérer le message chrétien dans une culture. On y adhèrera dans ses modes de penser, d'agir, de vie avec ce qu'on est et ce qu'on aspire à être, mais sans jamais laisser son esprit critique. Il revient à l'être-là africain d'assumer son conditionnement physique, biologique, culturel et historique au sens d'une réappropriation créatrice. En ce sens, toute inculturation est une véritable herméneutique. Cette appréhension nous autorise à reposer le rapport du binôme ''foi et culture''. La culture, nous l'avons longuement souligné, est à écarter de toute fixité; en tant qu'elle est ''l'ensemble des connaissances et des comportements techniques, sociaux, rituels qui caractérisent une société humaine donnée'' elle est assimilable à l'homme qui croît et qui change. Dans ce contexte, la foi ne peut éviter l'esprit critique; elle sera toujours ''un arrachement par rapport à nos évidences sensibles et comme adhésion à la Parole de Dieu, elle ne change pas selon les époques, mais porte une histoire caractéristique de la subjectivité humaine qui la porte.'' D'où la foi se dit toujours dans une confrontation incessante avec une culture. Le discours de foi à tenir aujourd'hui devra tenir compte de notre situation culturelle. C'est une exigence herméneutique qui révèle que l'objet de la foi n'est pas une vérité morte, mais une vérité vivante toujours transmise dans une médiation historique et qui a besoin d'être actualisée sans cesse. La foi critique et responsable attendue de l'être-là africain est celle de produire une nouvelle interprétation du message chrétien en tenant compte de sa situation historique tout en s'inscrivant dans la même tradition qui a produit le texte original. Cette foi passe par l'accueil d'une communauté vivante culturellement située. Le peuple africain doit puiser en son histoire et dans les richesses de son terroir les armes pour exprimer son expérience de Dieu et vivre de façon neuve l'Evangile qui est de toujours. « C'est l'incarnation de la foi » dans les cultures dont parlaient les évêques au Synode de 1977. Et cela suppose un rapport de rupture et de création. Car de même que le devenir -homme de Dieu sauvegarde la transcendance de Dieu, l'intégration radicale du message chrétien dans une culture ne saurait compromettre son intégrité. La rupture témoigne de la nouveauté qu'apporte la Parole de Dieu dans les manières de penser et de vivre qui caractérisent cette culture précise. Loin de disparaître ou d'être exclus, ses modes culturels accueillent l'évangile qui devra être assimilé, sans se dissoudre pour devenir un fait de cette culture; et c'est là la création. Il en ressort un double rapport d'inculturation du christianisme et de christianisation de la culture.
* 72 _ Efoe Julien PENOUKOUN, Dictionnaire critique de la théologie , PUF 1998, ART Inculturation. |
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