Ecriture romanesque post-apartheid chez J.M. Coetzee et Nadine Gordimer( Télécharger le fichier original )par Ives SANGOUING LOUKSON Université de Yaoundé I - Master2 0000 |
IV-3- La popularité de Gordimer et de Coetzee en questionAyant été distingués par le Nobel de littérature, l'une des plus puissantes institutions littéraires du monde pour l'ensemble de leurs ouvrages, Coetzee et Gordimer ont atteint une reconnaissance internationale importante en tant que producteurs et promoteurs de symboles culturels. Toutefois, leur consécration par une institution puissante basée à l'extérieur de l'Afrique du Sud dissimule mal son caractère problématique. En effet, la signification d'un symbole culturel et partant de son producteur étant donnée « en partie par le champ social dans lequel il est incorporé et en partie par les pratiques avec lesquelles il s'articule et entre en résonnance »230(*), il y a lieu de questionner la crédibilité de la consécration par le Nobel de Coetzee et de Gordimer. Deux modèles de raisonnement peuvent justifier la mise en cause de leur consécration par l'institution Nobel de littérature. Le premier est celui selon lequel le Nobel, au moins en ce qui concerne l'Afrique du Sud n'a jusqu'ici jeté son dévolu que sur des écrivains « absents de leur pratique alors qu'ils accomplissent la nécessité de la structure » hégémonique caractéristique du groupe dominant ou capitaliste comme on l'a vu avec le sociologue Bourdieu. Sinon comment expliquer qu'au lieu de Zakes Mda, André Brink, Alan Paton, Alex la Guma, Peter Abrahams ou Bessi Head pour ne se limiter qu'à ces exemples, Nadine Gordimer et J. M. Coetzee aient seulement retenu l'attention des experts du Nobel ? L'autre modèle est que la popularisation de J. M. Coetzee et de Nadine Gordimer par le Nobel de littérature dans le cas de l'Afrique du Sud procède de la désorganisation et de la manipulation de la vie quotidienne, stratégies de domination dont sont passées maîtres les industries culturelles capitalistes ainsi que le reconnaît Stuart Hall : les industries culturelles ont [...] le pouvoir de réélaborer et de façonner ce qu'elles représentent et, à force de répétition et de sélection d'imposer et d'implanter des définitions de nous-mêmes qui correspondent plus facilement aux descriptions de la culture dominante ou hégémonique. C'est ce que signifie la concentration du pouvoir culturel - la capacité d'un petit nombre à fabriquer la culture231(*). En d'autres termes, en distingant J. M. Coetzee et Nadine Gordimer, l'institution Nobel de littérature contribue à fabriquer une culture populiste et assigne à cette culture l'objectif d'arroser, de bâillonner voire de dévaloriser la culture des gens ordinaires ; celle que des masses de gens écoutent, achètent, lisent, consomment et semblent en retirer un grand plaisir comme l'aurait dit Stuart Hall. C'est dire que, les deux modèles ci-dessus mènent nécessairement à la question de la neutralité des institutions littéraires étrangères ou excentrées en général, des prix littéraires en particulier. Toutes des questions dont Mongo Béti232(*) et, dans une moindre mesure, Bernard Mouralis233(*) ont fait leur cheval de bataille dans le contexte de l'Afrique francophone. À coup sûr, l'Afrique a autant besoin d'institutions littéraires authentiques et autonomes pour faire vivre sa littérature qu'elle n'a pas intérêt à sous-estimer l'extraversion de la distinction de certains de ses écrivains. Les enjeux sont sans doute plus décisifs dans le deuxième cas. Sinon, comment s'identifierait-elle efficacement si elle ne prend pas le soin de localiser l'autre. « If you can't locate the other, how are you to locate yourself? »234(*) s'interroge à juste titre Minh-Ha. En clair, voilà le défi ultime pour une véritable renaissance africaine. * 230 Stuart Hall, Identités et Cultures..., op.cit., p.75. * 231 Stuart Hall, Identités et Cultures... op. cit., pp. 72-73. * 232 Mongo Béti, La France contre l'Afrique, Paris, La Découverte, 1993 ainsi que Ambroise Kom (s/d) Mongo Beti parle, Bayreuth, Bayreuth african studies series, n°54, 2002. Voir également « Affaire Calixte Beyala, Mongo Béti dénonce et accuse... », Galaxie, N° 204, 26 Mars 1997 * 233 Bernard Mouralis, Littérature et développement, Paris, Silex, 1984 * 234 Trinh T. Minh-Ha, « No Master Territories », Bill Ashcroft et Ali, The Postcolonial Studies reader, London & New York, Routledge, 1995, P.217 |
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