Ecriture romanesque post-apartheid chez J.M. Coetzee et Nadine Gordimer( Télécharger le fichier original )par Ives SANGOUING LOUKSON Université de Yaoundé I - Master2 0000 |
III-2-2- Perspective narrative et signification dans Ways of DyingLa perspective narrative désigne selon Gérard Genette « ce mode de régulation de l'information qui procède du choix (ou non) d'un « point de vue » restrictif »212(*). Françoise Van Rossum-Guyon affirme pour sa part que « dans un roman, ce qu'on nous raconte, c'est toujours aussi quelqu'un qui se raconte et qui nous raconte »213(*). Ces conceptions de la perspective narrative prouvent qu'il s'agit d'un concept diversement apprécié. Pour une exploitation optimale du concept, il importe de l'opérationnaliser. Aussi m'appuierai-je sur les questions que soulève Gérard Genette à savoir « qui voit et qui parle »214(*) pour mon analyse de Ways of Dying. Il s'agira d'étudier l'identité du narrateur afin de dissiper la confusion qui prévaut de prime abord entre le narrateur de Ways of Dying et celui d'Elizabeth Costello. Dans Ways of Dying, la présence du narrateur se manifeste par l'emploi du style direct et indirect. À titre d'illustration du style indirect, on peut s'arrêter sur l'extrait suivant : Toloki decides that he will rush to the home of the deceased, wash his hands and disappear from the scene. He will have nothing to do with people who have treated him with so much disrespect. Hungry as he is, he will not partake of their food either. If he did not have so much reverence for funeral rituals, he would go home right away, without even washing his hands. People give way as he works his way to the head of the procession, which is already outside the gates of the cemetery (WD: 10) Au lieu que ce soit Toloki qui informe directement le lecteur sur ses intentions ou ses projets secrets, le lecteur les apprend par le truchement d'un narrateur qui rapporte après coup, ce que Toloki fait ou a l'intention de faire. Cette situation narrative illustre ce que Gérard Genette symbolise par la formule « narrateur = personnage ». Le narrateur en sait, en effet, autant que Toloki. Ce type de foyer narratif, pour emprunter cette autre formule à Gérard Genette, a pour effet de provoquer dans la conscience du lecteur l'association du narrateur au personnage. Le lecteur est, en effet, tenté d'ignorer la présence et donc l'importance du narrateur pour se contenter exclusivement du personnage. Comme s'il refusait au lecteur de sous-estimer son narrateur, Zakes Mda fait régulièrement intervenir le narrateur dans le style direct. D'entrée de jeu, on peut par exemple lire: There are many ways of dying! The Nurse shouts at us. Pain is in his voice, and rage has mapped his face. We listen in silence. «This our brother's way is a way that has left us without words in our months. This little brother was our own child, and his death is more painful because it is of our own creation. It is not the first time that we bury little children. We bury them every day. But they are killed by the enemy... those we are fighting against. This little brother was killed by those who are fighting to free us»! We mumble... (WD : 7) Le narrateur est donc un ensemble de personnes identifiables par le pronom personnel « nous ». En plaçant cet ensemble de personnes au même niveau de connaissance de l'histoire de Toloki que lui-même, le romancier fait valoir Ways of Dying comme roman pour la cause non seulement de Toloki, mais aussi de tous les Sud-africains du même statut social que Toloki. Si « les choses sont dites populaires parce que des masses de gens les écoutent, les achètent, les lisent, les consomment et semblent en tirer un grand plaisir »215(*), Ways of Dying se prête également au roman populaire. La raison en est que des masses de gens (nous) semblent tirer un grand plaisir à suivre les faits et gestes de Toloki dans la diégèse de Ways of Dying. Elles se branchent, se connectent toutes aux péripéties de Toloki tout en projetant celui-ci comme paradigme humain et idéologique à imiter ou à valoriser. Voilà qui souligne un point de démarcation entre le Nous-narrateur chez Zakes Mda et le Nous-narrateur chez J. M. Coetzee. En effet, alors que le Nous-narrateur d'Elizabeth Costello est connecté à la bourgeoise et très célèbre Elizabeth Costello tel que cela a été évoqué dans le précédent chapitre, le Nous-narrateur de Ways of Dying accorde son attention aux misérables des Townships sud-africains que Toloki représente. Le nombre et la qualité des personnes contenues dans le Nous-narrateur d'Elizabeth Costello sont trahis par les bruits de leurs moyens financiers. Il s'agit en effet de personnes capables par exemple de s'acheter des billets d'avion, condition sine qua non pour rapporter les faits et gestes de leur modèle autant depuis l'espace que dans les voyages internationaux d'Elizabeth Costello dans le roman de J. M. Coetzee. C'est dire combien les préoccupations de Mda et de Coetzee s'esquivent, confirmant l'impossibilité de la représentativité d'Elizabeth Costello pour le roman Sud-africain post-apartheid. Ce chapitre visait à exposer la vision du monde de deux autres écrivains sud-africains qui s'inscrivent dans une direction différente voire contraire à celle soutenue par Coetzee et Gordimer en période post-apartheid. Le détour par The Other Side of Silence et Ways of dying a également permis de préciser le sens de Get a life et d'Elizabeth Costello. Les idéologies dont sont porteuses ces textes fictifs respectivement de Nadine Gordimer et de J. M. Coetzee, c'est du moins ce qu'on a pu voir, sont complémentaires. J. M. Coetzee et Nadine Gordimer proposent deux modèles idéologiques visiblement contraires, mais conciliables. * 212 Gérard Genette, Figures III, op.cit., p. 203 * 213 F.V. Rossum-Guyon, critique du roman, Paris, Gallimard, 1970, p. 114. * 214 Gérard Genette, Figures III, op.cit., p. 203. * 215 Stuart Hall, Identités et Cultures, op.cit., p. 71 |
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