Evolution et incidences de la Technologie sur les pratiques de communication en France des années 1960 à nos jours( Télécharger le fichier original )par Quinchy RIYA Université Paris-Est Marne-La-Vallée - M1 2011 |
Chapitre II : La « révolution » numérique. Emergence d'un nouveau médium et de nouveaux enjeux.2) Le web 2.0, nouvel espace de communication : Apparition de nouvelles pratiques et de nouvelles formes de sociabilités.2.A) L'intronisation du web 2.0: Une évolution décisive dans les modes de médiation entre sphère politique et opinion.L'expression « web 2.0 » désigne le nouvel Internet qui s'est mis en place à partir des années 2003-2004. L'expression fût dans un premier temps employée par Dale Dougherty en 2003 puis théorisée et diffusée par Tim O'Reilly à partir de 200487(*). Au cours de l'entretien que nous avons mené en compagnie de Benoît Thieulin, celui-ci nous a livré sa définition du web 2.0. Pour lui : « Le Web 2.0, c'est le web social. C'est le web pris sous l'angle des activités que l'on peut faire dans ce nouvel espace social. Il vient compléter le « web 1.0 », dans lequel on voyait une logique essentiellement informationnelle. Il met en oeuvre des activités sociales au sens large du terme, qui passent par de l'interactivité plus prononcée, des productions de contenus plus importantes et une logique d'échanges à grande échelle »88(*). On le voit à travers cette définition, le web 2.0 offre un potentiel d'interactivité accrue entre les hommes. En réalité, ce qu'il faut voir dans ce nouvel espace qu'est le web 2.0, c'est le passage d'un web statique, à un web en mouvement et d'échanges. Cette évolution témoigne d'une part, d'une évolution technique de l'outil et d'autre part, d'une évolution sociologique. Cette nouvelle forme que prend l'Internet cadre finalement avec le champ politique puisqu'il met sur le même plan l'idée d'un échange perpétuel entre les hommes et celle d'une circulation des informations à petite, à moyenne ou à grande échelle. Ce qui change littéralement avec le web 2.0, c'est l'idée d'un citoyen actif et bien plus impliqué par le passé. On passe d'une situation où le citoyen était surfeur à celle où il se mue acteur. Cette évolution force le monde politique à s'adapter89(*). Tout comme la télévision, l'utilisation croissante du web dans la communication politique s'est faite progressivement. Comme bien souvent, les citoyens ont, dans un premier temps, adopté de nouvelles pratiques d'utilisation du web puis la sphère politique a suivi la cadence. Il faut donc comprendre que, les personnalités politiques, tout comme les citoyens, déclinent sur le web 2.0, des attitudes et des pratiques présentes dans le monde analogique. A cet égard, Benoît Thieulin confirme cette logique lorsqu'il explique que : « Dans le web 2.0, Internet se reconnecte à la vie réelle. En réalité, on assiste beaucoup plus à une déclinaison des activités analogiques dans le monde numérique »90(*). On le voit, si les pratiques évoluent, c'est dû au fait que la société évolue dans le même temps. De plus, ce qui évolue également, ce sont les formes et les pratiques de la démocratie. Ainsi, le débat politique connaît, lui aussi, une transformation91(*). Ainsi, le passage au numérique permet une plus grande liberté de la société et des modes d'expression et de médiation différentes. Ainsi, l'émergence dans les années 2003-2004 de pratiques nouvelles sur le net se trouve dans le prolongement de ce qui se faisait dans le schéma traditionnel avec les vieux médias. En fait, les outils de l'Internet 2.0 sont porteurs de valeurs de proximité et de participation. Cela a en effet rapidement intéressé les politiques. C'est de cette nouvelle tendance, composée notamment d'échanges beaucoup plus importants, qu'est né ce qu'on appelle le « web politique ». Il faut voir que celui-ci ne fonctionne que grâce à la conjugaison de la sphère politique et de l'électorat. Pour le définir, « le web politique », c'est avant toute chose, des pratiques, à savoir, celles de s'appuyer sur les NTIC pour faire de la politique. Avec ce nouvel objet est né un nouvel espace d'expression, social et démocratique. Désormais, l'opinion, qui se mue en internaute, utilise la plateforme Internet pour réfléchir en communauté, se faire une opinion et donner son avis sur la politique. On peut voir à cet égard l'émergence des forums politiques ou encore des Think Tank, qui se proposent de parler ou de réfléchir politique en ligne de façon indépendante et libre. Avec l'arrivée du « web politique », s'installe, une nouvelle façon de faire de la politique, on l'a qualifie généralement de « politique 2.0 »92(*). Le web permet une chose neuve, celle de donner plus de pouvoir aux citoyens par le fait que le nouvel outil technique lui permet d'avoir un réel impact sur les décisions politiques et sur les stratégies de communication qu'adoptent les partis et personnalités politiques mais aussi de renforcer la sphère politique. Ainsi, le web 2.0 parvient, dans une certaine mesure, à mettre à un même niveau les politiques qui l'utilisent pour fédérer comme jamais auparavant et les citoyens, qui l'utilisent pour débattre, se mobiliser ou encore pour se forger ou conforter une opinion politique. Benoît Thieulin confirme cette analyse quand il affirme « (...) C'est que cela (Internet) redonne du pouvoir à la société mais cela permet également à la politique de pouvoir restructurer des organisations que personnes n'avait réussit à fédérer jusque là. Donc Internet redonne du pouvoir aux gens mais cela permet aussi de donner du pouvoir aux hommes politiques »93(*). Cette répartition plus équitable des pouvoirs, qu'on observe, est également un pan de la « politique 2.0 ». L'émergence de cette nouvelle forme du web bouscule les habitudes des partis et celles des personnalités politiques qui avaient fait de la télévision leur espace de communication préféré et doivent désormais se réadapter à l'outil, comme ce fût le cas avec la télévision. Il y a également dès les années 2003-2004, l'apparition de nouveaux enjeux politiques dans la mesure où l'évolution de la forme du web implique, de fait, la prise de conscience d'établir de nouveaux rapports. Les nouveaux rapports qui s'établissent s'effectuent avant dans un premier temps entre internautes, puis plus tard, entre sphère politique et internautes, on évoque alors l'émergence d'une « démocratie électronique »94(*). Cette expression souligne le fait que le numérique permet d'une part, un accroissement des libertés personnelles et collectives et d'autre part, de donner à la démocratie une autre forme au sein de laquelle le citoyen occupe un rôle beaucoup plus important que par le passé. Autant que les pratiques, c'est aussi et surtout les moyens d'information et de médiation qui évoluent, et octroie dans le même temps au « citoyen-électeur »un nouvel outil pour agir de façon efficace au sein de la société95(*). Concrètement, les balbutiements de la pratique politique de l'Internet en France se situent aux alentours de l'année 2004. Mais celle-ci se développe bien plus après cette première étape. D'après une étude de la Sofres, à partir de l'année 2009, 30% des Français ont une pratique politique d'Internet96(*).
En France, l'entrée intense d'Internet dans le domaine politique date de 2005 avec le référendum sur le Traité Constitutionnel Européen (T.C.E), qui a vu le « non » l'emporter grâce à l'influence du web. Lors de notre entretien en compagnie de B. Thieulin, celui-ci explique également ce que cette campagne a permise d'introduire : « Lors du référendum sur la constitution européenne de 2005, plusieurs débats (à partir de fin 2003-2004) précédent le référendum se sont fait sur Internet. Le débat public s'est joué sur Internet lors de cette période. Cela fait donc déjà 6-7 ans que le web est devenu un véritable outil de médiation politique. On sait, on a pris conscience qu'Internet est devenu un lieu de médiation politique fort »97(*). L'exemple du T.C.E illustrer parfaitement l'idée qu'il y a à partir de ce moment un tournant majeur dans l'histoire du web politique, le débat politique commence de plus en plus à s'effectuer sur le net. La raison principale de cette évolution s'explique par le fait que le web, par les outils qu'il offre permet de donner une nouvelle résonance au débat politique. En effet, le web permet, bien plus que la télévision et la radio, de s'exprimer librement et de confronter les points de vue. Les hommes politiques se sont rapidement rendu compte du fait qu'il y avait un bouleversement qui s'est opéré avec le net dans le rapport de l'opinion à l'information politique. Ce tournant fait du web désormais un outil potentiel de médiation politique, que les personnalités et que les partis politiques investissent peu à peu. D'autre part, il permet d'avoir sur la politique un effet réel, c'est ce que souligne B. Thieulin au cours de notre entretien, « [Pour] la première fois dans l'histoire... Le web a changé la donne politique dans un pays, c'est en 2005 et c'est en France lors du traité sur la Constitution Européenne(...) »98(*). C'est donc à partir de l'année 2005 que le web politique français connaît sa première vraie expérience, celle-ci atteste désormais de son influence dans le monde réel et du fait qu'il s'agisse d'un espace qui compte dans le débat politique. Le web 2.0, et les nouveaux outils qu'il offre, permettent de faire évoluer le rapport entre personnalités, partis politiques et électorat. En effet, on passe à une ère dite de la « communication sociale », c'est-à-dire à une communication directe et interpersonnelle.99(*)Cette communication renvoie bien plus au sens premier de partage et concerne l'échange direct d'informations entre au moins deux individus. Il y a là, un glissement important qui se fait entre l'utilisation de la télévision comme unique outil de médiation et l'arrivée du web comme nouvel outil. Pour autant, il est nécessaire de nuancer notre propos. Bien que l'Internet 2.0 ait aidé à un rapprochement entre personnalités et partis politiques, cette proximité est en réalité bien plus complexe qu'il n'y paraît. En réalité, ce qui se met en place progressivement, c'est l'émergence d'une stratégie de communication dans laquelle le conversationnel, l'apparence de proximité et d'intimité jouent une place importante. Il s'agit donc bien plus d'une théâtralisation de proximité que d'une proximité réelle. Ce qui se joue désormais c'est la rationalisation d'une image publique sur un nouvel espace et la potentialité d'attirer des soutiens.
A partir de 2004, alors que les sondages constituaient le seul outil d'évaluation de l'opinion, le web 2.0 s'impose comme un nouvel outil, bien plus performant et beaucoup plus précis que les enquêtes d'opinion. Cette nouvelle logique a permis de modifier le regard porté sur la mobilisation et sur le débat politique. Pour bien mieux comprendre l'apport et les transformations du web 2.0 sur la société et les modes de communication, on peut établir un parallèle avec ce que la télévision a pu apporter au moment de son émergence. On peut le dire, les deux outils ont fait évoluer la façon dont l'information circule au sein de la société mais ils ont aussi surtout fait évoluer la façon dont on l'a communique ou on l'a perçoit. Deux nouveaux médias, deux outils supplémentaires au service de la médiation. On peut aller plus loin, puisque les deux outils, chacun à leur époque, ont très largement changé les formes de la démocratie et la façon dont on pense cette dite démocratie100(*). D'ailleurs, l'émergence des deux outils coïncident chacun à un moment clé de l'histoire politique et médiatique. En effet, à partir de 2006-2007, l'Internet politique a muté pour s'imposer comme le lieu le plus propice à la mobilisation lors de campagnes électorales en ligne car c'est aussi cela qui change, c'est l'utilisation du web dans les périodes de campagnes électorales. Les premiers exemples de campagnes électorales en ligne apparaissent aux Etats-Unis avec Howard Dean en 2003 au moment des élections primaires du parti démocrate101(*). Pour autant, les premiers exemples efficaces illustrant l'importance du web dans les campagnes électorales en ligne, sont ceux des campagnes de 2006 et 2007 de Ségolène Royal. En effet, en 2006 Ségolène Royal décide de mettre en ligne son site « Désirs D'avenirs » afin de soutenir sa candidature au moment des élections primaires du P.S102(*). Le site, qui se construit sous la forme d'un « Think Tank » a été un vrai outil d'organisation des débats, de propositions et de participation à très grande échelle en direction des internautes103(*). Le site mis en place par Ségolène Royal est important pour deux choses, la première c'est qu'il souligne l'idée que Ségolène Royal a voulu s'aligner sur les évolutions du web et faire de la politique autrement. La seconde, c'est que le site est novateur dans la mesure où il s'impose comme un nouvel outil participatif cadrant parfaitement avec l'idée d'un web politique neuf104(*). A travers cet exemple, on voit que l'Internet 2.0 constitue à partir de cette date, un nouvel espace de communication politique alternatif extrêmement efficace. Benoît Thieulin, qui a notamment dirigé les deux net-campagnes de 2006 et 2007 pour le compte Ségolène Royal, confirme toutes ces évolutions des pratiques du web et des incidences qu'elles provoquent sur la démocratie moderne : « (Depuis 2005) On sait, on a pris conscience qu'Internet est devenu un lieu de médiation politique fort. D'ailleurs, c'est beaucoup plus un lieu de médiation du débat public qu'un lieu de médiation des hommes politiques ». En outre, il souligne également l'importance du web et du site « Désirs D'avenir » dans l'organisation de la campagne : « Concrètement, le web et les réseaux sociaux ont essentiellement apportés deux choses. La première, c'est que cela a permis d'organiser des débats à un niveau de popularité et de contribution relativement important, il y a eu environ des dizaines de milliers de contributions et plusieurs centaines de milliers, voir de millions de personnes qui ont participé aux débats. Il y a donc eu un effet très fort. On a outillé le débat et la consultation publique sur Internet, et Je crois que sans Internet, on aurait eu beaucoup de mal à le faire. La deuxième, est très « Obamienne » dans le sens où un des enjeux était d'utiliser Internet pour organiser la campagne »105(*). On le voit donc, l'intronisation du web 2.0, donne à voir des évolutions dans les pratiques de communication entre l'espace politique et l'opinion. La nouvelle forme du web, se fait en parallèle, de celle de la démocratie avec l'arrivée du numérique. Le web 2.0 donne un certain nombre de nouveaux outils de médiation tels que les réseaux sociaux et les sites des partis politiques, qui sont encore plus participatifs et permettent d'associer encore plus le citoyen à la vie politique. * 87 Voir FAYON DAVID, KOSCIUSKO-MORIZET DAVID, PUJOLLE GUY, «Web 2.0 et au-delà : nouveaux internautes du surfeur à l'acteur », Paris, Economica, 2008, 226 pp. * 88 Citation est extraite de l'entretien réalisé en compagnie de BENOIT THIEULIN le 11.04.2011 au sein des locaux de la Netscouade. Voir Annexe : N° 3. * 89 Voir l'ouvrage de FAYON DAVID, KOSCIUSKO-MORIZET DAVID, PUJOLLE GUY, «Web 2.0 et au-delà : nouveaux internautes du surfeur à l'acteur », Paris, Economica, 2008, 226 pp. * 90 Citation extraite de l'entretien mené en compagnie de B. THIEULIN datant du 11.04.2011. Voir annexes N° 3. * 91 OBERDORFF HENRI, La démocratie à l'ère numérique, Grenoble, PUG (Presses Universitaires de Grenoble, 2010, 168pp. * 92 Sur le sujet, consulter l'ouvrage de CROUZET THIERRY, Le cinquième pouvoir : Comment Internet bouleverse la politique, Paris, Bourin, 2007, 284 pp. * 93 Citation extraite de l'entretien menée avec Benoît Thieulin en date du 11/04/2011, voir Annexes : N°3. Consulter également l'ouvrage de CROUZET THIERRY, Le cinquième pouvoir : Comment Internet bouleverse la politique, Paris, Bourin, 2007, 284 pp. * 94 Sur cette question, voir les ouvrages de ROSANVALLON PIERRE, La contre-démocratie. La politique à l'âge de la défiance, Paris, Seuil, 2006, p. 75 ; VEDEL THIERRY, « L'idée de démocratie électronique. Origines, visions, questions », dans Pascal Perrineau (dir.), Le désenchantement démocratique, La Tour d'Aigues, Editions de l'Aube, 2003, p. 243-266. * 95 Consulter l'ouvrage de OBERDORFF HENRI, La démocratie à l'ère numérique, Grenoble, PUG (Presses Universitaires de Grenoble, 2010, 168pp. * 96 Sondage en ligne en date du 25-28 Septembre 2009 de la TNS SOFRES pour le Think Tank « temps réels ». Source : http://www.temps-reels.net/files/baro-web-pol.pdf (page 10). (Consulté le 13 Avril 2011). * 97 Citation extraite de l'entretien mené en compagnie de B. THIEULIN datant du 11.04.2011. Voir Annexes N°3. * 98 Citation extraite de l'entretien mené en compagnie de B. THIEULIN datant du 11.04.2011. Voir annexes N°3. Au cours de l'entretien, B. THIEULIN précise cependant que la première utilisation du web en politique n'est pas un fait Français, il évoque le cas d'Howard Dean en 2003 aux USA. Il ajoute également que, pour lui, bien avant cette date, le web constitue un outil de médiation politique. * 99 Pour approfondir la question, consulter WOLTON DOMINIQUE, Penser la communication, Paris, Flammarion, 1997, 234pp. * 100 OBERDORFF HENRI, La démocratie à l'ère numérique, Grenoble, PUG (Presses Universitaires de Grenoble, 2010, 168pp. * 101 Howard Dean a gagné en notoriété grâce sa candidature aux primaires démocrates dans la perspective de l'élection présidentielle Américaine de 2004. Il est l'un des pionniers dans le recours de l'utilisation d'Internet pour la mobilisation de militants. Il est souvent cité comme le premier homme politique à avoir su utiliser Internet. Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Howard_Dean (consulté de 17/04/2011). Voir également CROUZET THIERRY, Le cinquième pouvoir : Comment Internet bouleverse la politique, Paris, Bourin, 2007, 284 pp. * 102 Consulter www.desirsdavenir.org/.Voir également sur le sujet http://www.politique.net/2007082303-desirs-davenir-outil-de-conquete-de-segolene-royal.htm et BARBET DENIS, BONHOMME MARC, RINN MICHAEL, « La politique mise au net », Mots. Les langages du politique, n°80, Mars 2006, 12-23pp. * 103 Le terme « Think Tank » est né au Etats-Unis, la traduction français de l'expression est « laboratoire d'idées ». Un Think tank est indépendante des partis politiques et à but non lucratif. Le principe étant de réfléchir politique en groupe et de proposer des idées. Voir un exemple de Think Tank en ligne : http://www.temps-reels.net/. * 104 Voir sur le sujet, l'entretien mené en compagnie de Benoît Thieulin en date du 11/04/2011. Annexes N°3. * 105 Citation extraite de l'entretien mené en compagnie de Benoît Thieulin. Voir Annexes N°3. |
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