A- Les conditions de nomination de l'administrateur
provisoire
La nomination d'un administrateur provisoire ne se
conçoit qu'en cas de crise grave mettant en péril la survie
même de la société129. Elle relève en
cela de l'assistance à personne en danger130 ; par
delà les intérêts égoïstes des protagonistes,
le juge se fonde sur l'intérêt social une fois de plus. Aussi,
n'accède-t-il à la demande de nomination d'un administrateur
provisoire qu'à la double condition que la preuve soit apportée
d'une paralysie des organes sociaux (1) et d'un péril imminent (2).
125 Ils peuvent être extérieurs à
l'entreprise (augmentatation brutale du prix des matières
premières, récession...) comme ils peuvent lui être
propres (mauvaise gestion d'un dirigeant trop âgé, grèves
répétées...) et provoquent
essentiellement des difficultés financières.
126 MERLE (PH.), op. cit., n° 573, p. 514.
127 COZIAN (M.), VIANDIER (A.) et DEBOISSY (Fl.), op. cit.,
n° 478, p. 177.
128 L'art. 516 de l'AUSC prévoit juste la
désignation d'un mandataire judiciaire ad hoc chargé de
convoquer
l'assemblée générale en cas de
défaillance des organes sociaux.
129 La désignation d'administrateurs provisoires n'est
pas propre au droit des sociétés commerciales ; on la rencontre
dans toutes les institutions en cas de crise ; ainsi, le pape fait de
même lorsque dans une abbaye en crise les religieux ne parviennent pas
à élire un abbé accepté par tous.
130 Selon l'expression de COZIAN (M.), VIANDIER (A.) et DEBOISSY
(Fl.), op. cit., ibidem.
1-L'exigence de paralysie des organes
sociaux
La désignation d'un administrateur provisoire est
indéniablement justifiée en cas de défaillance des organes
sociaux. La société peut être paralysée par
l'absence ou la défaillance des organes de gestion131. Dans
la jurisprudence OHADA, si le conflit entre acteurs sociaux persiste et est de
nature à paralyser le fonctionnement de la société, le
juge peut nommer un administrateur provisoire132, à l'issue
de l'examen préalable au fond des problèmes de la
société133.
En revanche, les dissensions entre actionnaires, si violentes
soient-elles ne justifient pas la désignation d'un administrateur
provisoire tant que les organes sociaux fonctionnent normalement. C'est du
moins la substance de la décision du juge de la Cour d'Appel d'Abidjan,
dans l'affaire Société Négoce Afrique Côte d'Ivoire
dite NACI-SA c/ la Société WIN SARL134. La Cour
censure en ces termes :
« Il ressort des débats que le 23 octobre1997,
MANUEL TERREN exerçant les fonctions de Directeur Général
de la société NACI a tenu différents conseils
d'Administration tel qu'il résulte de la production des procès
verbaux de délibération, établis à cet effet
;
Dès lors, quand bien même
l'effectivité d'un litige entre MANUEL TERREN et les autres
associés de la société NACI, ne peut faire l'objet de
contestation, il n'en demeure pas moins, qu'il n'a existé de fait, aucun
blocage dans l'Administration et la gestion de ladite société
;
Ainsi, le Premier Juge, en ne fondant sa décision
de nomination d'un Administrateur provisoire au sein de la
société NACI, sur le seul fait que la dite mesure ne
lésait aucune des parties au litige alors qu'il eut fallu rechercher en
l'espèce, l'existence ou non, d'une paralysie dans le fonctionnement de
ladite société, n'a donné de base légale à
sa décision;
Il y a donc lieu d'infirmer l'ordonnance querellée
;
Statuant à nouveau, il convient de dire que la
demande en nomination d'un administrateur provisoire de la
société NACI n'est en l'état, nécessaire ; en sorte
que les organes dirigeants de ladite société demeurent toujours
en fonctions... ». C'est dire que le juge préfère dans
pareille circonstance, laisser jouer les mécanismes sociétaires.
L'administrateur provisoire n'est pas un arbitre chargé de trancher
le
131 C'est l'hypothèse où tous les administrateurs
ont démissionné et il s'avère impossible de recomposer le
conseil. Il en
est de même lorsque le conseil ne peut plus fonctionner
régulièrement par suite de mésentente entre
administrateurs ou encore les actionnaires minoritaires et majoritaires se
heurtent systématiquement, à un point tel qu'ils compromettent
les intérêts sociaux.
132 Aff. Société Continentale des Pétroles
et d'Investissements c/ Etat béninois précitée, p. 44.
133 Cotonou, n° 178, 30 sept. 1999, aff. DAMA KARAMATOU
IBUKUNLE c/ Société CODA BENIN et quatre autres.
134 V. supra, p. 44, Abidjan, n° 258, 25 févr.
2000.
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moindre conflit opposant minoritaire et majoritaire. Cette
dernière proposition doit cependant être nuancée ; de plus
en plus, dans la jurisprudence française, les minoritaires sollicitent
la désignation d'un administrateur provisoire alors même que les
organes en place ne sont en rien paralysés ; certains juges du fond
accèdent à leur demande si l'intérêt social est
gravement menacé135. C'est évoquer la deuxième
condition qu'est le péril imminent.
2-Nécessité d'un péril
imminent
La paralysie des organes sociaux doit entraîner un
péril imminent. C'est seulement lorsque la société est
exposée à un péril certain et imminent que le juge accepte
d'intervenir au nom de l'intérêt social. Si le risque
évoqué est simplement éventuel, la demande n'est pas
recevable. La situation est plus embarrassante lorsque le préjudice,
sans être actuel, risque de se réaliser si aucune mesure d'urgence
n'est prise. Ainsi, certains tribunaux sont favorables à la
désignation de l'administrateur provisoire à titre
préventif pour juguler un péril à venir136.
L'intervention d'un administrateur provisoire est une mesure
opportune de protection des actionnaires. Le juge assure ainsi la
continuité de l'exploitation en dépit des divergences existant
entre les principaux intéressés. La désignation, en effet,
d'un mandataire ad hoc emporte dessaisissement total ou partiel des
organes de direction en fonction de la mission fixée par le juge ; elle
constitue donc une mesure grave qui ne peut se justifier que par des
circonstances graves perturbant le fonctionnement normal de la
société ; il appartient dans cette optique au juge saisi de
motiver sa décision en précisant en quoi la mésentente
entre actionnaires paralyse l'organe de direction ou met en péril la
société elle-même137.
La paralysie des organes sociaux avérée et
l'imminence du péril observée, le juge assigne à
l'administrateur provisoire des missions spécifiques.
135 ROUEN, 25 sept. 1969 : JCP, 1970, 16219, note GUYON (Y.), sur
l'affaire pittoresque dans laquelle les charmes d'une secrétaire ont
entraîné une grave crise sociale.
136 par exemple les graves conséquences que l'annulation
prévisible de la désignation des dirigeants ne manquera pas
d'entraîner pour la société et par ricochet
pour les actionnaires. Tel est la quintessence de l'arrêt français
FruchaufFrance.
137 FENEON (A.), « La mésentente entre
associés dans les sociétés anonymes OHADA,
prévention et modes de règlement », Penant, juill.-sept.
2004, p. 273.
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