L'organisation de la conférence islamique et les droits de l'homme( Télécharger le fichier original )par Sami KILIC Université Panthéon-Sorbonne - Master 2 droit des pays arabes 2009 |
TABLE DES ABREVIATIONSLes résolutions de l'OCI se lisent ainsi : le numéro de la résolution est suivi d'une barre qui introduit la session au cours de laquelle elle a été adoptée puis d'un tiret qui précise par une lettre majuscule la matière de la résolution. Lorsque la référence est suivie du sigle IS, il s'agit d'une résolution adoptée au cours d'un Sommet islamique (exemple : rés. 2/6-C IS) ; s'il n'y a rien, le document émane de la Conférence des Ministres des Affaires étrangères (exemple : rés. 50/25-P). S'agissant des matières, P ou POL signifie politique, LEG juridique, E économique, C culturelle, ORG organisationnelle. AFDI Annuaire français de droit international AGNU Assemblée générale des Nations Unies CEDH Convention européenne des droits de l'Homme CIMAE Conférence islamique des Ministres des Affaires étrangères DUDH Déclaration universelle des droits de l'Homme ERISM Équipe de recherche interdisciplinaire sur les sociétés méditerranéennes musulmanes INALCO Institut national des langues et civilisations orientales IS Conférence islamique au Sommet OCI Organisation de la Conférence islamique ONU Organisation des Nations Unies PIDCP Pacte international relatif aux droits civils et politiques PIDESC Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels PUF Presses universitaires de France RDH Revue des droits de l'Homme RDP Revue du droit public RTDH Revue trimestrielle des droits de l'Homme RUDH Revue universelle des droits de l'Homme INTRODUCTION« J'ai lu dans les écrits des Arabes que le Sarrasin Abdallah, comme on lui demandait quel spectacle lui paraissait le plus digne d'admiration sur cette sorte de scène qu'est le monde, répondit qu'il n'y avait rien à ses yeux de plus admirable que l'homme » Pic de la Mirandole De hominis dignitate, 1486 « Dans la forêt, quand les branches des arbres se querellent, les racines s'embrassent » Proverbe africain Les droits de l'Homme sont, aujourd'hui, une préoccupation universellement partagée1(*) en même temps qu'une disposition communément piétinée. Il n'y a ni Occident ni Orient en matière d'atteintes aux droits fondamentaux de l'Homme. Nul espace géographique ne saurait être accablé plus que les autres ; il existe certes, des différences quant à l'inclination ou à la bonne foi mais nul lieu ne saurait être érigé en modèle dans ce domaine. Les rapports des organisations telles qu'Amnesty International ou Human Rights Watch le montrent très clairement. Nous l'avons dit, c'est au plus, la sincérité qui pourrait servir d'étalon ; sincérité dans l'action car même les régimes les moins sourcilleux en matière de garantie des droits de l'Homme n'en adoptent pas moins la rhétorique, quitte à prendre leurs aises avec ce qu'elle implique. On peut appréhender les droits de l'Homme comme « les droits et facultés assurant la liberté et la dignité de la personne humaine et bénéficiant de garanties institutionnelles »2(*). Au niveau international, il existe une obligation coutumière de respecter les droits de l'Homme ; la Cour internationale de justice précisa dans un arrêt du 27 juin 1986 que « l'inexistence d'un engagement (en la matière) ne signifierait pas qu'un Etat puisse violer impunément les droits de l'Homme » (§ 267)3(*). Nombre d'organisations internationales ont eu l'occasion de s'intéresser à cette question. Des organisations à vocation planétaire comme l'Organisation des Nations Unies (ONU) qui a vu le jour après le traumatisme de la Seconde guerre mondiale et qui a fait du respect de la dignité humaine son fer de lance4(*), ou des organisations à champ géographique déterminé comme l'Organisation des Etats américains, le Conseil de l'Europe, l'Union africaine, l'Association des Nations de l'Asie du Sud-est ou encore l'Organisation de la Conférence islamique (OCI). Nous allons nous attacher à analyser les rapports qu'entretient cette dernière avec cette thématique. L'OCI voit le jour à la suite d'un événement précis, l'incendie en 1969 de la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem. Mais sa naissance répond, en réalité, à une longue quête des musulmans, celle de la restauration de l'unité islamique ; du mouvement panislamiste au XIXè siècle aux différents congrès réunis çà et là après l'abolition du califat par la jeune République turque en 19245(*), de l'indépendance des Etats islamiques dans les années 1950-1960 à la défaite de la guerre des Six jours en 1967, le besoin de retrouver l'unité d'antan a atteint son paroxysme le 21 août 1969, jour de l'incendie du troisième monument saint de l'islam6(*). Dans un premier temps, ce sont les ministres des affaires étrangères des Etats arabes qui se réunissent au Caire dès le 25 août et qui lancent un appel à une conférence islamique ; ensuite, ce sont les ministres des affaires étrangères des pays islamiques qui s'entretiennent à Djeddah en mars 1970 et enfin, l'Organisation de la Conférence islamique est officiellement mise sur pied lors de la troisième conférence de ces mêmes ministres réunis derechef à Djeddah du 29 février au 4 mars 1972. « Le système institutionnel de l'OCI a été mis en place progressivement. Simple conférence diplomatique en 1969, elle est vite devenue une organisation internationale régionale à vocation religieuse et politique, les deux domaines étant étroitement mêlés en islam. Aux organes principaux créés initialement par la charte est venue s'ajouter une multitude d'autres organes chargés de promouvoir les multiples domaines de la coopération inter-étatiques et les innombrables secteurs ouverts à la solidarité islamique »7(*). L'Organisation adopte sa Charte8(*) en 1972. Celle-ci réaffirme l'adhésion des Etats membres « à la Charte des Nations Unies et aux droits fondamentaux de l'homme dont les buts et principes constituent la base d'une coopération fructueuse entre tous les peuples », à la promotion de « la prospérité », du « progrès » et de « la liberté de l'humanité » et à « la paix universelle ». En réalité, le but est principalement politique : libérer Jérusalem et les territoires arabes occupés. Cet « ordre du jour mental » va occuper l'Organisation pendant deux décennies et ce n'est qu'à partir de la fin des années 1980 qu'elle se lance dans « une politique de séduction en direction de l'Occident »9(*). L'OCI montre alors qu'elle n'est pas seulement une structure qui fulmine des imprécations contre Israël mais également une organisation capable de se pencher sur d'autres problématiques comme la question des droits de l'Homme ; certes insuffisamment, partiellement et partialement, mais il n'en demeure pas moins qu'elle n'est plus une « paper organisation »10(*). En 2008, elle révise sa Charte et range la promotion et la protection des droits de l'Homme parmi les objectifs de l'organisation11(*). Elle s'est ainsi lancée dans l'élaboration de sa propre déclaration, mettant de côté la Déclaration universelle des droits de l'Homme (DUDH), pourtant « idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations »12(*). Sans doute, a-t-elle voulu suivre la voie des autres organisations régionales qui ont préféré se doter d'un instrument régional plutôt que de s'en remettre à la DUDH. En 1979, l'OCI rédige un « Projet de déclaration des droits et des obligations fondamentaux de l'homme en Islam » ; celui-ci est suivi d'un « Projet de document sur les droits de l'homme en Islam »13(*) en 1981 (projet de Taïf) puis de la « Déclaration de Dacca sur les droits de l'homme en Islam »14(*) en 1983 qui ne comporte pas, contrairement aux documents précédents, des articles mais des paragraphes. Enfin, en 1990, c'est la « Déclaration du Caire des droits de l'homme en Islam »15(*) qui s'impose comme la référence officielle de l'OCI sur la question des droits de l'Homme16(*). Celle-ci n'est qu'une source d'inspiration pour les Etats membres, elle ne comporte que des « directives générales », précise le préambule. Mais en 1998, l'Organisation estime nécessaire de « renforcer le mécanisme existant au sein de l'OCI pour la recherche des voies et moyens, dont l'élaboration d'un ensemble d'instruments islamiques appropriés afin de promouvoir et de préserver les droits de l'homme » (rés. 50/25-P). Elle appelle, depuis, à la rédaction de covenant sur les droits de l'Homme en Islam. A l'heure actuelle, il n'y a que la Déclaration du Caire et une Convention sur les droits de l'enfant en Islam qui font office de documents internes relatifs aux droits de l'Homme. Il faut alors s'interroger sur ce particularisme ; les inflexions, les éventuelles remises en cause, les apports qu'il implique. En outre, proclamer des droits est une chose, assurer leur respect en est une autre. Force est de constater que la réception de ces droits dans l'ordre juridique achoppe sur l'impréparation mentale, sociale, culturelle, religieuse ou économique ; « les droits fondamentaux impliquent trop de préalables pour pouvoir être vécus réellement, là où ces préalables n'existent pas ». Du coup, « ces droits sont proclamés mais la vie se situe totalement à côté »17(*). Les mécanismes régionaux de promotion et de protection des droits de l'homme ne sont pertinents que s'ils renforcent les normes universelles en la matière. Or, l'OCI a une identité avant tout religieuse et c'est à l'aune de cette référence qu'elle va définir sa position ; islamique ou non, le critère religieux n'est pas sans conséquence car « les grandes religions, tout en se proclamant tolérantes, sont souvent « totalitaires » puisqu'elles visent à gouverner la totalité de la vie des hommes sur les plans spirituel et matériel, religieux et politique »18(*). Force est d'admettre que l'OCI, loin de renforcer les droits de l'Homme, va s'appliquer à les édulcorer en oeuvrant à une promotion idéologisée de ces droits (chapitre 1) et en faisant preuve d'apathie quant à leur protection, justifiée sans doute par la circonspection proverbiale de ses Etats membres (chapitre 2). * 1 « Dans un Etat de droit, les droits de l'homme jouent le rôle du « droit du droit ». Dans une démocratie, ils lui sont consubstantiels. Dans un régime autoritaire ou dans une dictature -du prolétariat, théocratique ou mafieuse- ils constituent l'essence de la résistance. Dans un pays en transition démocratique, ils sont un objectif à réaliser », Gérard FELLOUS, Les droits de l'homme. Une universalité menacée. La Documentation française, 2010, p. 12. * 2 Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l'Homme, PUF, 8è éd., 2006, n° 2, p. 13. Voir également François RIGAUX, « Les fondements philosophiques des droits de l'Homme », RTDH, n° 70, avril 2007, pp. 307-345. * 3 Arrêt cité par Gérard COHEN-JONATHAN, « Universalité et singularité des droits de l'Homme », RTDH, n° 53, 2003, pp. 3-13 : p. 6. * 4 Le préambule de la Charte des Nations Unies signée le 26 juin 1945 et entrée en vigueur le 24 octobre 1945, débute par le fameux : « Nous, peuples des Nations Unies, résolus (...) à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites (...) ». En outre, l'article 1er alinéa 3 range parmi les buts de l'ONU, la volonté de « développer et encourager le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ». L'article 55 al. c indique également que les Nations Unies favoriseront « le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ». * 5 Pour plus d'approfondissements sur l'activisme de Djamal al-din al-Afghani (1839-1897) et d'Abdurrahman al-Kawakibi (1849-1902), sur les congrès du Caire (1926), de La Meque (1926), de Jérusalem (1931) et les autres réunions des dirigeants musulmans, voir Mohamed Amin AL-MIDANI, Les apports islamiques au développement du droit international des droits de l'Homme, thèse Strasbourg, 1987, pp. 335-342. Voir également Nadine PICAUDOU, « Politiques arabes face à l'abolition du califat », La question du califat, Les Annales de l'Autre Islam, N° 2, Publication de l'ERISM, INALCO, 1994, pp. 191-200. * 6 Il semble que ce soit un extrémiste israélien qui ait mis le feu à la mosquée. M. Alaoui parle d'un « groupe d'extrémistes israéliens » (L'Organisation de la conférence islamique. Etude d'une organisation internationale spécifique, thèse Bordeaux IV, 2001, p. 1) alors que M. Mellouk dit qu'il s'agit d'un incendie « de caractère accidentel » qu'une enquête du gouvernement israélien aurait imputé à un Australien protestant, Michael Rohen, Mohamed MELLOUK, Les institutions et mécanismes de coopération dans le cadre de l'Organisation de la conférence islamique, thèse Paris I, 1994, p. 51 et p. 63. * 7 Rachid Ben El Hassan ALAOUI, op. cit. p. 2. Initialement, les organes de l'OCI sont : la Conférence des Rois et Chefs d'Etats et de Gouvernement, instance suprême qui coordonne l'action de l'OCI, la Conférence des Ministres des Affaires étrangères qui applique la politique générale de l'Organisation, le Secrétariat général et ses organes subsidiaires. Ces organes dérivés forment un écheveau complexe d'institutions, de comités, et d'universités. * 8 Elle a sans doute été influencée par la Charte des Nations Unies et a repris le même terme (Mîsâq en arabe, Charter en anglais) sans forcément saisir la symbolique qu'il pouvait y avoir derrière : « Le titre annonce l'ambition. Il s'agit d'une Charte, non d'un Pacte. La Société des Nations avait été créée par un accord international en bonne et due forme. Le terme de « Pacte », de Covenant en anglais, repris du droit des contrats, traduisait l'accord consensuel entre Etats souverains, le traité en bonne et due forme. Avec la Charte, les références sont constitutionnelles. Elles rappellent le long combat pour les libertés et la démocratie, la grande Charte arrachée à Jean-sans-Terre, les franchises établies au profit des bourgs et de leurs citoyens ; la montée du mouvement démocratique de par le monde trouve enfin son expression sur le plan international », Jean-Pierre COT, Alain PELLET et Mathias FORTEAU, La Charte des Nations-Unies. Commentaire article par article, Paris, Economica, 3è éd., 2005, tome 1, p. 288. * 9 Rachid Ben El Hassan ALAOUI, op. cit., p. 407. L'auteur note cependant que ce tournant est également dû à la transformation interne de l'Organisation ; d'une organisation « intégriste » qui appelle au jihad, elle devient un groupement d'Etats confrontés eux-mêmes à des dissidences internes fondamentalistes (troubles iraniens à La Mecque en 1987, création du Hamas, guerre civile en Algérie, etc.). Depuis, elle ne cesse de condamner le terrorisme et a adopté un code de conduite et une convention en la matière. * 10 Muazzam ALI, « Role of OIC in Promoting World Peace », L'Islam et les relations internationales, Actes du IVè colloque franco-pakistanais, Paris, mai 1984, EDISUD, Aix-en-Provence, 1986, p. 8. * 11 On trouve de nombreuses références aux droits de l'Homme en tant que concept dans les différentes déclarations mais elles apparaissent plus comme des tics d'écriture qu'autre chose. Par exemple, la Déclaration de La Mecque de 1980 parle déjà de « garantir les droits de l'Homme », ou d' « assurer l'inviolabilité des droits, des libertés et des besoins fondamentaux de l'homme » mais n'est pas suivie d'une déclaration des droits en bonne et due forme. * 12 Paul TAVERNIER, « Les Etats arabes, l'ONU et les droits de l'Homme. La DUDH et les Pactes de 1966 », Islam et droits de l'Homme, Gérard CONAC et Abdelfattah AMOR (dir.), Paris, Economica, 1994, pp. 57-72. L'auteur rappelle que la DUDH, adoptée le 10 décembre 1948 par l'Assemblée générale des Nations Unies, a été soutenue par l'Egypte, l'Iraq, le Liban et la Syrie et qu'elle a fait l'objet de l'abstention de l'Arabie Saoudite. * 13 Voir les textes en annexe. * 14 Voir le texte en annexe. La quatorzième Conférence des ministres des affaires étrangères (1983) adopte le texte mais renvoie sa publication au quatrième Sommet en janvier 1984 (rés. 3/14-ORG). Or le communiqué final du Sommet décide de « renvoyer l'adoption du document sur les droits de l'homme en islam jusqu'à l'achèvement de son examen » (point 28). Lors de la quinzième Conférence des ministres (décembre 1984), le Secrétaire général invite les Etats membres à envoyer des experts afin de former une commission de réexamen du projet (rés. 2/15-ORG). Mais le cinquième Sommet (1987) décide de soumettre à nouveau le projet à la prochaine Conférence des ministres (rés. 14/5-P IS). Celle-ci, la dix-septième (1988), va cette fois-ci soumettre le projet aux ministres de la justice des Etats membres afin de formuler une version définitive (rés. 44/17-P). Ce n'est qu'à la dix-neuvième Conférence des ministres des affaires étrangères en 1990 que le projet sera approuvé sous le nom de « Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam » (rés. 49/19-P). * 15 Voir le texte en annexe. Il est étonnant que l'OCI ne mette pas en vedette le texte de la Déclaration sur son site internet. Il faut la chercher dans la résolution 49/19-P (1990) à laquelle elle est attachée. * 16 La résolution 37/37-POL (2010) proclame le 5 août (jour d'adoption de la Déclaration du Caire), « Journée islamique des droits de l'Homme et de la Dignité Humaine ». * 17 Yadh BEN ACHOUR, « Les droits fondamentaux entre l'universalité et les spécificités culturelles et religieuses », Droits fondamentaux et spécificités culturelles, Henri PALLARD et Stamatios TZITZIS (dir.), Paris, L'Harmattan, 1997, pp. 81-94 : p. 90. * 18 Paul TAVERNIER, « L'O.N.U et l'affirmation de l'universalité des droits de l'Homme », RTDH, n° 31, 1997, pp. 372-393 : p. 386. Comp. René CASSIN, « Religions et droits de l'Homme », Mélanges René Cassin, Amicorum discipulorumque liber, tome IV. Méthodologies des droits de l'Homme. Pedone, Paris, 1972, pp. 97-104. |
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