Chapitre 2 : Revue de littérature
L'analyse du rôle productif des infrastructures
a connu un développement précoce dans les années 40*50,
à la suite des débats autour de la croissance
équilibrée initiés par les théoriciens du
développement (Rosenstein-Rodan, 1943 ; Knurse, 1952 ; Hirschman, 1958).
Ces débats ont néanmoins été rapidement
éclipsés à partir des années 60, la
réflexion se déplaçant sur le front des questions de court
terme et de l'opposition entre effet multiplicateur et effet d'éviction
des dépenses publiques. Pendant plus de trente ans, l'investissement
public en infrastructures a été plutôt perçu comme
un facteur de relance de la demande dans une optique de tradition
keynésienne, et son rôle productif occulté.
De plus, l'examen de la littérature nous montre
que d'importantes études ont essayé de déterminer la
relation entre les dépenses publiques et la croissance, notamment entre
les investissements publics en infrastructures et la croissance
économique. Au nombre de ces études, nous avons celle de Barro,
Romer, Lucas et surtout celle d'Aschauer sur le plan empirique. Certaines
d'entre elles tendent à évaluer l'incidence des investissements
en infrastructures sur les coûts de production des entreprises
privées. D'autres cherchent à évaluer l'effet direct des
infrastructures publiques (investissements publics en infrastructures), en les
considérant au même titre que l'investissement privé comme
un facteur de croissance.
Paragraphe 1 : Aperçu des aspects
théoriques
La question du rôle joué par les
infrastructures de transport (surtout routières) dans une
économie relève même de l'analyse des déterminants
de la croissance économique. La réflexion théorique sur
les sources de la croissance économique a connu quant à elle un
important renouveau dans les vingt dernières années. L'analyse
reposait en effet jusqu'alors sur le modèle néoclassique de Solow
fondé sur l'hypothèse de rendements décroissants du
capital. Ce modèle suggérait que le taux de croissance de long
terme d'une économie était déterminé de
façon exogène par le rythme du progrès technique et de la
dynamique démographique. Dans cette perspective théorique, les
politiques budgétaires et les infrastructures routières avec
elles ne modifient le taux de croissance de l'économie qu'au cours de sa
transition vers l'équilibre de long terme. La stimulation de
l'activité par des politiques expansionnistes n'est alors que
temporaire, indépendante de l'équilibre à long terme de
l'économie.
12
Ainsi, les premiers modèles
néoclassiques ignoraient donc l'interaction non seulement entre la
croissance économique et les politiques publiques en matière
d'infrastructures, mais aussi entre l'accumulation du capital et le
progrès technique. La décroissance des rendements constitue, en
effet, une hypothèse fondamentale de la conception néoclassique
du marché. Conçue dans un premier temps comme un
phénomène exogène, l'analyse du progrès technique
évoluera vers son endogénéisation et sera à la base
des nouvelles théories de la croissance dans les années 1980 :
les théories de la croissance endogène
Les théories nouvelles cherchent
régulièrement à rendre le progrès technique
endogène, c'est-à-dire à construire des modèles qui
expliquent son apparition. Ces modèles ont été
développés à partir de la fin des années 1970
notamment par Paul Romer, Robert Barro et Robert Lucas. Ces modèles se
fondent sur l'hypothèse que la croissance génère par
elle-même le progrès technique et ceci en raison de l'existence de
rendements croissants des facteurs de production. Pour les tenants de la
théorie de la croissance endogène, le processus de croissance
vient des comportements des agents économiques ; la croissance est ainsi
assimilée à un phénomène autoentretenu par
accumulation de quatre facteurs principaux : le capital physique, la
connaissance (Paul Romer ; 1986, 1990), le capital humain (Robert Lucas, 1988)
et le capital public (Robert Barro, 1990).
En effet, Paul Romer met en exergue l'importance de
l'accumulation du capital physique et la connaissance dans le processus de
croissance. Il construit un modèle qui repose sur les
phénomènes d'externalités entre les firmes. Il montre
qu'en investissant dans de nouveaux équipements, une firme se donne les
moyens d'accroître sa propre production mais également celle des
autres firmes. Cela s'explique par le fait que cette acquisition de nouvelles
technologies va requérir de nouvelles connaissances dont l'entreprise ne
pourrait empêcher la diffusion au niveau des autres firmes, qu'elles
soient ses concurrentes ou non. Il soutient également que c'est en
produisant qu'une économie accumule les expériences et donc les
connaissances. Plus la croissance est forte et plus le savoir-faire est grand,
ce qui favorise la croissance. Il mène la même analyse en ce qui
concerne l'accumulation de capital technologique à travers l'innovation
et la recherche-développement. Il conclut que la recherche-
développement et la croissance se causent mutuellement.
Par ailleurs, le capital humain comme source
endogène de croissance est analysé par Robert Lucas. Il
désigne le stock de connaissances appropriées par un individu et
qui le rend plus productif. Contrairement à la théorie
néoclassique qui considère le capital humain
13
14
comme un stock de travail, les théoriciens de
la croissance endogène notamment Lucas tente d'apporter un fondement
économique (déterminants) à celui-ci : Il n'y a pas que la
quantité de travail qui va induire une croissance mais sa qualité
aussi va participer à la croissance. Il n'est pas nécessaire
cependant à ce que le capital humain s'accompagne d'externalités
à l'image du capital technologique, car il est propre à chaque
individu (à moins qu'il y ait transmission de ce capital par effet
d'apprentissage du savoir faire propre à chacun et à d'autres).
Aussi, la productivité privée du capital humain produit une
externalité du fait que l'amélioration du niveau
d'éducation et de connaissances d'un individu accroît le stock de
capital humain de la nation, contribuant ainsi à la hausse de la
productivité nationale. La croissance économique dépend
donc fortement des efforts consentis dans le domaine de la formation qui
dépendent à leur tour de la capacité de l'économie
à constituer de l'épargne pour leur financement.
Enfin pour le capital public, ce sont les travaux de
Robert Barro (1990) qui vont permettre de démontrer leur importance dans
la croissance économique. Alors que dans le modèle
néoclassique, le capital public n'intervient que dans la
détermination du niveau de revenu d'équilibre, celui ci explique
maintenant la trajectoire de croissance à long terme des
économies. En outre, Barro assimile les infrastructures à la
dépense publique en capital, ce qui revient à faire
l'hypothèse simplificatrice mais peu gênante de leur
dépréciation complète à chaque période. A
partir de cette hypothèse, Barro explique l'effet cumulatif des
dépenses d'infrastructures par le fait qu'elles assurent l'augmentation
de la croissance qui, induit un accroissement des recettes publiques et donc
des dépenses publiques, source de croissance. Les infrastructures
publiques constituent pour cet économiste, un facteur de croissance qui
engendre des rendements d'échelle croissants à long terme en
raison des économies internes qu'elles permettent pour les producteurs
privés.
L'existence de rendements croissants du capital est
bien expliquée en ce qui concerne les investissements en
infrastructures. Les infrastructures appellent d'abord des politiques
d'équipement et de travaux publics susceptibles, en période de
contraction de l'activité ou de sous-production par rapport au potentiel
de l'économie, d'avoir un impact keynésien en créant des
emplois et en exerçant un effet contra-cyclique positif. Elles
réduisent les coûts de transaction et facilitent les
échanges commerciaux à l'intérieur comme à
l'extérieur des pays. Elles permettent aux acteurs économiques de
répondre à de nouvelles demandes, dans de nouveaux lieux. Elles
abaissent le coût des intrants nécessaires à la production
de presque tous les biens et services. Elles rendent profitables des
activités non rentables et plus profitables encore les activités
déjà existantes. Les théoriciens de la croissance
endogène
préconisent d'ailleurs que ces dépenses
soient maintenues même en situation de conjoncture difficile.
L'hypothèse des rendements croissants va
permettre enfin de rendre compte d'un phénomène qui ne trouve pas
sa place dans l'analyse néoclassique standard, à savoir
l'imparfaite mobilité internationale des capitaux. En effet, selon les
hypothèses néoclassiques de rendement décroissant, le
rendement du capital devrait être plus élevé dans les pays
en développement puisque leur stock de capital est moindre que celui des
pays développés. Pourtant, le constat est que l'épargne
internationale continue de se concentrer dans les pays les plus riches. La
prise en compte des rendements croissants et des effets d'échelle permet
d'en comprendre l'une des raisons : le rendement des investissements
privés ne diminue pas mais s'accroît avec la densité du
capital physique et humain (Barro, 1990).
|